La vie spirituelle du prêtre. Plan de Pastores dabo vobis, chap. 3

Dans l’importante exhortation que le pape a dédié à la formation des prêtres en 1992 [1], saint Jean-Paul II consacre tout un chapitre au développement de la vie spirituelle du prêtre, autrement dit à sa sainteté. Intitulé « L’Esprit du Seigneur est sur moi », selon la parole de Jésus (Lc 4,18), il a pour sous-titre : « La vie spirituelle du prêtre ».

Mon intention est d’introduire à la lecture de ce chapitre en manifestant l’ordre de son propos. Il est divisé en six titres que j’ai placés entre crochets. J’ai intercalé dans le texte d’autres subdivisions, plus logiques, plus nombreuses, plus systématiques, les introduisant parfois par une simple phrase mise en italiques, qui en indique le sens.

Voici le plan général de son propos :

 

+ Nécessité de la vie spirituelle du prêtre (A : 19-20)

+ Nature de cette vie spirituelle

+ + Dimension personnelle (B : 21-30)

+ + Dimension commune (C : 31-32)

A) Nécessité de cette vie spirituelle [« Un appel ‘spécifique’ à la sainteté »] (19-20)

1) L’ appel universel à la sainteté

a) Action générale de l’Esprit : la sainteté

  1. « L’Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4,18). L’Esprit ne se tient pas seulement « sur » le Messie, mais il le remplit, le pénètre, le rejoint dans son être et dans son action. L’Esprit, en effet, est le principe de la « consécration » et de la « mission » du Messie : « Parce qu’il m’a consacré par l’onction et m’a envoyé pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres… » (Lc 4,18). Par la force de l’Esprit, Jésus appartient totalement et exclusivement à Dieu, il participe à l’infinie sainteté de Dieu qui l’appelle, le choisit et l’envoie. Ainsi, l’Esprit du Seigneur se révèle source de sainteté et appel à la sanctification.

Ce même « Esprit du Seigneur » est « sur » le peuple de Dieu tout entier, qui est constitué comme peuple « consacré » à Dieu et « envoyé » par Dieu pour annoncer l’Évangile qui sauve. De l’Esprit, les membres du peuple de Dieu sont « enivrés » et « marqués » (cf. 1 Co 12,13 ; 2 Co 1,21-22 ; Ep 1,13 ; 4,30) et appelés à la sainteté.

b) La double action particulière de l’Esprit : il révèle et agit

En particulier, l’Esprit nous révèle et nous communique la vocation fondamentale que le Père depuis l’éternité adresse à tous : la vocation d’être « saints et immaculés en sa présence dans l’amour », en vertu de la prédestination « à être pour lui des fils adoptifs par Jésus Christ » (Ep 1,4-5). Non seulement il nous révèle et nous communique cette vocation, mais l’Esprit se fait en nous principe et source de sa réalisation : lui, l’Esprit du Fils (cf. Ga 4,6), nous conforme au Christ Jésus et nous rend participants de sa vie filiale, c’est-à-dire de sa charité envers le Père et envers ses frères. « Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir » (Ga 5,25). Par ces paroles, l’Apôtre Paul nous rappelle que l’existence chrétienne est « vie spirituelle », c’est-à-dire vie animée et guidée par l’Esprit vers la sainteté et la perfection de la charité.

2) L’appel « spécifique » du prêtre à la sainteté

L’affirmation du Concile : « L’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur forme de vie » (40) s’applique tout spécialement aux prêtres : ils sont appelés, non seulement en tant que baptisés, mais aussi et spécifiquement en tant que prêtres, à savoir à un titre nouveau et selon des modalités propres, découlant du sacrement de l’Ordre.

a) Lecture du texte conciliaire

  1. Au sujet de la « vie spirituelle » des prêtres, et du don de la sainteté et de la responsabilité de devenir « saints », le décret conciliaire sur le ministère et la vie des prêtres nous offre une synthèse riche et stimulante : « Les prêtres sont ministres du Christ Tête pour construire et édifier son Corps tout entier, l’Église, comme coopérateurs de l’Ordre épiscopal : c’est à ce titre que le sacrement de l’Ordre les configure au Christ Prêtre. Certes, par la consécration baptismale, ils ont déjà reçu, comme tous les chrétiens, le signe et le don d’une vocation et d’une grâce qui comporte pour eux la possibilité et l’exigence de tendre, malgré la faiblesse humaine, à la perfection dont parle le Seigneur : ‘Vous, donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait’ (Mt 5,48). Mais cette perfection, les prêtres sont tenus de l’acquérir à un titre particulier : en recevant l’Ordre, ils ont été consacrés à Dieu d’une manière nouvelle pour être les instruments vivants du Christ Prêtre éternel, habilités à poursuivre au long du temps l’action admirable par laquelle, dans sa puissance souveraine, il a restauré la communauté humaine tout entière. Dès lors qu’il tient à sa manière la place du Christ en personne, tout prêtre est, de ce fait, doté d’une grâce particulière ; cette grâce lui permet de tendre, par le service des hommes qui lui sont confiés et du peuple de Dieu tout entier, vers la perfection de Celui qu’il représente ; c’est encore au moyen de cette grâce que sa faiblesse d’homme charnel se trouve guérie par la sainteté de Celui qui est devenu pour nous le Grand Prêtre ‘saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs’ (He 7,26) ». (PO, n. 12)

b) Commentaire

Le concile affirme avant tout la vocation « commune » à la sainteté. Cette vocation s’enracine dans le baptême, qui définit le prêtre comme un « fidèle » (Christifidelis), comme « un frère parmi des frères », inséré et uni au peuple de Dieu, dans la joie de partager les dons du salut (cf. Ep 4,4-6) et dans le devoir commun de marcher « selon l’Esprit », à la suite de l’unique Maître et Seigneur. Souvenons-nous de la célèbre parole de saint Augustin : « Pour vous, je suis évêque ; avec vous, je suis chrétien. Le premier nom est celui d’un office reçu ; le second, de la grâce ; le premier nom est celui d’un danger ; le second, du salut ». (42)

Avec la même clarté, le texte conciliaire parle aussi d’une vocation « spécifique » à la sainteté, plus précisément d’une vocation qui se fonde sur le sacrement de l’Ordre, comme sacrement propre du prêtre, donc en raison d’une nouvelle consécration à Dieu au moyen de l’ordination. À cette vocation spécifique, saint Augustin fait allusion également en faisant suivre l’affirmation « Pour vous, je suis évêque ; avec vous, je suis chrétien », de ces autres paroles : « Si donc être avec vous comme racheté m’apporte plus de joie que d’être placé à votre tête, en suivant le commandement du Seigneur, je tâcherai de vous servir, avec le plus grand dévouement, pour ne pas être ingrat envers celui qui m’a racheté au prix de m’avoir fait votre serviteur ». (43)

3) Transition : comment vivre cet appel à la sainteté ?

Le texte du Concile continue en signalant quelques éléments nécessaires pour définir le contenu spécifique de la vie spirituelle des prêtres. Ces éléments sont liés à la « consécration » propre aux prêtres qui les configure à Jésus Christ Tête et Pasteur de l’Église. Ils sont liés à la « mission » ou au ministère particulier des prêtres eux-mêmes, qui les habilitent et les engagent à être des « instruments vivants du Christ Prêtre éternel » et à agir « au nom et en la personne du Christ lui-même » ; ils sont aussi liés à toute leur « vie », devant manifester et témoigner d’une façon originale le « radicalisme évangélique ». (44)

B) Nature de la vie spirituelle du prêtre. Dimension personnelle (21-30)

1) Consécration dans l’être [« La configuration à Jésus Christ Tête et Pasteur et la charité pastorale »]

o) Introduction

Une fois n’est pas coutume, Jean-Paul II annonce le plan.

  1. Par la consécration sacramentelle, le prêtre est configuré à Jésus Christ en tant que Tête et Pasteur de l’Église et reçoit le don d’un « pouvoir spirituel » qui est participation à l’autorité avec laquelle Jésus Christ, par son Esprit, guide l’Église. (PO, n. 2,12)

Grâce à cette consécration, opérée par l’effusion de l’Esprit dans le sacrement de l’Ordre, la vie spirituelle du prêtre est empreinte, modelée, et marquée par les comportements qui sont propres au Christ Tête et Pasteur de l’Église et qui se résument dans sa charité pastorale.

a) Description à partir de trois images

1’) Le prêtre, configuré à Jésus Christ Tête de l’Église
a’) Le Christ, Tête de l’Église

Jésus Christ est Tête de l’Église, son Corps. Il est « Tête » dans le sens nouveau et original d’être « serviteur », selon ses paroles mêmes : « Aussi bien, le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour une multitude » (Mc 10,45). Le service de Jésus atteint sa plénitude par la mort sur la croix, c’est-à-dire par le don total de soi dans l’humilité et l’amour : « Il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur la croix… » (Ph 2,7-8). L’autorité de Jésus Christ Tête coïncide donc avec son service, avec le don total de lui-même, humble et plein d’amour, à l’Église. Et cela, en parfaite obéissance au Père : il est l’unique vrai Serviteur souffrant du Seigneur, en même temps Prêtre et Victime.

b’) Participation du prêtre

La vie spirituelle de tout prêtre doit être animée et vivifiée par ce type précis d’autorité ou de service envers l’Église, précisément comme exigence de sa configuration à Jésus Christ Tête et serviteur de l’Église (46). C’est ainsi que saint Augustin s’adressait à un évêque le jour de son ordination : « Celui qui est à la tête du peuple doit avant tout se rendre compte qu’il est le serviteur de beaucoup. Et qu’il ne dédaigne pas de l’être, je le répète, qu’il ne dédaigne pas d’être serviteur de beaucoup parce que le Seigneur des seigneurs n’a pas dédaigné de se faire notre serviteur ». (47)

c’) Conséquence pour la vie spirituelle du prêtre

La vie spirituelle des ministres du Nouveau Testament devra donc être empreinte de cette attitude primordiale de service à l’égard du peuple de Dieu (cf. Mt 20,24-28 ; Mc 10,43-44), et exempte de toute présomption et de tout désir « de faire le seigneur » sur le troupeau qui leur est confié (cf. 1 P 5,2-3). Un service accompli librement et de bon cœur, pour Dieu : de cette façon, les ministres – les « anciens » de la communauté, c’est-à-dire les prêtres – pourront être « forme » du troupeau qui, à son tour, est appelé à assumer au regard du monde entier cette même attitude sacerdotale de service pour le plein épanouissement de l’homme et sa libération intégrale.

2’) Le prêtre, configuré à Jésus Christ Pasteur de l’Église
a’) Le Christ, Pasteur de l’Église
  1. L’image de Jésus Christ Pasteur de l’Église, son troupeau, reprend et présente, avec des nuances nouvelles et plus suggestives, les mêmes sens que celle de Jésus Christ Tête et Serviteur. Réalisant l’annonce prophétique du Messie Sauveur, chantée joyeusement par le psalmiste en prière et par le Prophète Ezéchiel (cf. Ps 23/22 ; Ez 34,11-16), Jésus se présente lui-même comme « le Bon Pasteur » (Jn 10,11.14) non seulement d’Israël mais de tous les hommes (cf. Jn 10,16). Et sa vie est une manifestation ininterrompue, et même une réalisation quotidienne de sa « charité pastorale » : il éprouve de la compassion pour les foules parce qu’elles sont fatiguées et épuisées, comme des brebis sans pasteur (cf. Mt 9,35-36) ; il cherche celles qui sont perdues et dispersées (cf. Mt 18,12-14), et il éclate de joie quand il les a retrouvées ; il les rassemble et les défend ; il les connaît et les appelle une à une (cf. Jn 10,3) ; il les conduit sur des prés d’herbe fraîche et vers des eaux tranquilles (cf. Ps 23/22) ; pour elles, il prépare la table, les nourrissant de sa propre vie. Le Bon Pasteur offre sa vie, dans sa mort et sa résurrection, comme le chante la liturgie romaine de l’Église : « Il est ressuscité, Jésus, le vrai Pasteur, lui qui a donné sa vie pour son troupeau, lui qui a choisi de mourir pour nous sauver, Alléluia ». (48)
b’) Participation du prêtre

Pierre appelle Jésus le « Chef des pasteurs » (1 P 5,4) parce que son œuvre et sa mission se poursuivent dans l’Église, par les Apôtres (cf. Jn 21,15-17) et leurs successeurs (cf. 1 P 5,1-4), par les prêtres. En vertu de leur consécration, les prêtres sont configurés à Jésus le Bon Pasteur et sont appelés à imiter et à revivre sa propre charité pastorale.

3’) Le prêtre, configuré à Jésus Christ Époux de l’Église

Jean-Paul II distingue partiellement les deux images de Pasteur et d’Époux

a’) Le Christ, Époux de l’Église

Le don que le Christ fait de lui-même à son Église, fruit de son amour, prend le sens original du don propre de l’époux envers son épouse, comme le suggèrent plus d’une fois les textes sacrés. Jésus est l’époux véritable, qui offre le vin du salut à l’Église (cf. Jn 2,11). Lui, qui est « la Tête de l’Église, lui le Sauveur du Corps » (Ep 5,23), « a aimé l’Église et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne ; car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache ni ride ni rien de tel, mais sainte et immaculée » (Ep 5,25-27). L’Église est certes le corps dans lequel le Christ Tête est présent et opérant, mais elle est aussi l’Épouse, qui sort comme une nouvelle Ève du côté ouvert du Rédempteur sur la Croix : c’est pourquoi le Christ se tient « devant » l’Église, « la nourrit et en prend soin » (cf. Ep 5,29) par le don de sa vie pour elle.

b’) Participation du prêtre

Le prêtre est appelé à être l’image vivante de Jésus Christ, Époux de l’Église (49) : assurément, il reste toujours dans la communauté dont il fait partie, comme croyant, uni à tous ses frères et ses sœurs rassemblés par l’Esprit ; mais, en vertu de sa configuration au Christ Tête et Pasteur, il se trouve en cette situation sponsale, qui le place en face de la communauté. « En tant qu’il représente le Christ Tête, Pasteur et Époux de l’Église, le prêtre a sa place non seulement dans l’Église, mais aussi en face de l’Église » (50). C’est pourquoi il est appelé, dans sa vie spirituelle, à revivre l’amour du Christ époux envers l’Église épouse. Sa vie doit donc être illuminée et orientée par ce caractère sponsal qui lui demande d’être témoin de l’amour sponsal du Christ ; ainsi sera-t-il capable d’aimer les gens avec un cœur nouveau, grand et pur, avec un authentique détachement de lui-même, dans un don de soi total, continu et fidèle. Et il en éprouvera comme une « jalousie » divine (cf. 2 Co 11,2), avec une tendresse qui se pare même des nuances de l’affection maternelle, capable de supporter les « douleurs de l’enfantement » jusqu’à ce que « le Christ soit formé » dans les fidèles (cf. Ga 4,19).

b) Convergence des trois images vers le centre : la charité pastorale

1’) Source
  1. Le principe intérieur, la vertu qui anime et guide la vie spirituelle du prêtre, en tant que configuré au Christ Tête et Pasteur, est la charité pastorale, participation à la charité pastorale du Christ Jésus : don gratuit de l’Esprit Saint, et, en même temps, engagement et appel à une réponse libre et responsable de la part du prêtre.
2’) Nature

Le contenu essentiel de la charité pastorale est le don de soi, le don total de soi-même à l’Église, à l’image du don du Christ et en partage avec lui. « La charité pastorale est la vertu par laquelle nous imitons le Christ dans son don de soi et dans son service. Ce n’est pas seulement ce que nous faisons, mais c’est le don de nous-mêmes qui manifeste l’amour du Christ pour son troupeau. La charité pastorale détermine notre façon de penser et d’agir, notre mode de relation avec les gens. Cela devient particulièrement exigeant pour nous… » (51).

3’) Destinataires
a’) L’ Église

Le don de soi, racine et sommet de la charité pastorale, a comme destinataire l’Église. Ainsi en a-t-il été du Christ « qui a aimé l’Église et s’est livré pour elle » (Ep 5,25). Ainsi doit-il en être du prêtre. Avec la charité pastorale qui imprègne l’exercice du ministère sacerdotal, comme un « office d’amour » (52), « le prêtre, qui accueille la vocation au ministère, est en mesure d’en faire un choix d’amour, par lequel l’Église et les âmes deviennent son intérêt principal. Vivant concrètement cette spiritualité, il devient capable d’aimer l’Église universelle et la partie qui lui en est confiée, avec tout l’élan d’un époux pour son épouse » (53).

1’’) Quelques traits singuliers

Le don de soi n’a pas de limites, marqué qu’il est par le même élan apostolique et missionnaire que le Christ, le Bon Pasteur, qui a dit : « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10,16).

2’’) Un signe particulier

A l’intérieur de la communauté ecclésiale, la charité pastorale du prêtre demande et exige, d’une façon particulière et spécifique, qu’il soit en rapport personnel avec le presbyterium, en dépendance de l’évêque et avec lui, comme l’écrit explicitement le Concile : « La charité pastorale exige des prêtres, s’ils ne veulent pas courir pour rien, un travail vécu en communion permanente avec les évêques et leurs autres frères dans le sacerdoce » (54).

b’) Le Christ

Le don de soi à l’Église la concerne en tant qu’elle est le corps et l’épouse de Jésus Christ. C’est pourquoi la charité du prêtre se relie d’abord à celle de Jésus Christ. C’est seulement si elle aime et sert le Christ Tête et Époux que la charité devient source, critère, mesure, impulsion de l’amour et du service du prêtre envers l’Église, corps et épouse du Christ. C’est bien ce dont l’Apôtre Paul a une conscience limpide et forte, lui qui écrit aux chrétiens de l’Église de Corinthe : « Nous ne sommes, nous, que vos serviteurs, à cause de Jésus » (2 Co 4,5). C’est surtout l’enseignement explicite de Jésus qui ne confie à Pierre le ministère de paître son troupeau qu’après un triple témoignage d’amour, et même d’un amour de prédilection : « Il lui dit pour la troisième fois ‘Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ?’ Pierre… lui dit : ‘Seigneur tu sais tout ; tu sais bien que je t’aime’. Jésus lui dit : ‘Pais mes brebis’ » (Jn 21,17).

4’) Chemin premier : l’Eucharistie

La charité pastorale, qui a sa source spécifique dans le sacrement de l’Ordre, trouve son expression plénière et son aliment principal dans l’Eucharistie : « Cette charité pastorale – lisons-nous dans le Concile – découle surtout du sacrifice eucharistique ; celui-ci est donc le centre et la racine de toute la vie du prêtre, dont l’esprit sacerdotal s’efforce d’intérioriser tout ce qui se fait sur l’autel du sacrifice » (55). C’est en effet dans l’Eucharistie qu’est représenté – plus précisément rendu à nouveau présent – le sacrifice de la Croix, le don total du Christ à son Église, le don de son corps livré et de son sang répandu, comme témoignage suprême de sa qualité de Tête et Pasteur, Serviteur et Époux de l’Église. C’est précisément pourquoi la charité pastorale du prêtre non seulement naît de l’Eucharistie, mais trouve dans la célébration de celle-ci sa plus haute réalisation. De même, c’est de l’Eucharistie que le prêtre reçoit la grâce et la responsabilité de donner un sens « sacrificiel » à toute son existence.

5’) Conséquence : la charité pastorale est la cause de l’unité de vie du prêtre

Cette même charité pastorale constitue le principe intérieur et dynamique capable d’unifier les diverses et multiples activités du prêtre. Grâce à elle, peut se réaliser l’exigence essentielle et permanente d’unité entre la vie intérieure et de nombreux actes et responsabilités du ministère. Or cette exigence est plus que jamais impérieuse dans un contexte socio-culturel et ecclésial fortement marqué par la complexité, la fragmentation et la dispersion. C’est seulement, en rapportant chaque instant et chaque geste au choix fondamental, celui de « donner sa vie pour le troupeau », que l’on peut assurer cette unité vitale, indispensable pour l’harmonie et l’équilibre de la vie spirituelle du prêtre : « Ce qui doit permettre aux prêtres de la construire, c’est de suivre, dans l’exercice du ministère, l’exemple du Christ Seigneur, dont la nourriture était de faire la volonté de celui qui l’a envoyé et d’accomplir son œuvre… Menant ainsi la vie même du Bon Pasteur, ils trouveront dans l’exercice de la charité pastorale, le lien de la perfection sacerdotale qui ramènera à l’unité leur vie et leur action » (56).

2) Consécration de l’agir, de la mission [« La vie spirituelle dans l’exercice du ministère »]

Jean-Paul II montre comment vivre la sainteté dans la fonction sacerdotale

a) La fin : le lien entre la vie spirituelle et la mission

1’) Énoncé
  1. L’Esprit du Seigneur a consacré le Christ et l’a envoyé annoncer l’Évangile (cf. Lc 4,18). La mission n’est pas un élément extérieur et parallèle à la consécration, mais elle en constitue le but intrinsèque et vital : la consécration est pour la mission. De cette façon, non seulement la consécration, mais aussi la mission se trouvent sous le signe et la force sanctificatrice de l’Esprit.
2’) Approche objective

Jean-Paul II fait appel à quatre arguments (un par paragraphe)

a’) L’exemple même du Christ

Il en a été ainsi de Jésus. Il en a été ainsi des Apôtres et de leurs successeurs. Il en est ainsi de l’Église entière et, en elle, des prêtres : tous reçoivent l’Esprit comme appel et comme don de sanctification dans et par l’accomplissement de leur mission (57).

b’) L’autorité du Concile

Il existe donc, entre la vie spirituelle du prêtre et l’exercice de son ministère, un rapport intime (58) que le Concile exprime ainsi : « C’est en exerçant le ministère d’Esprit et de justice (cf. 2 Co 3,8-9), que [les prêtres] s’enracinent dans la vie spirituelle, pourvu qu’ils soient accueillants à l’Esprit du Christ qui leur donne la vie et les conduit. Ce qui ordonne leur vie à la perfection, ce sont leurs actes liturgiques de chaque jour, c’est leur ministère tout entier exercé en communion avec l’évêque et les prêtres. Par ailleurs la sainteté des prêtres est d’un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère qu’ils accomplissent » (PO, n. 12).

c’) Preuve à partir du mystère célébré (munus sanctificandi)

« Vivez ce que vous accomplirez et conformez-vous au mystère de la Croix du Seigneur ! » Telle est l’invitation, la monition que l’Église adresse aux prêtres dans le rite de l’ordination quand les offrandes du peuple saint pour le sacrifice eucharistique leur sont remises. Le « mystère », dont le prêtre est le « dispensateur » (cf.1 Co 4,1), c’est, en définitive, Jésus Christ lui-même qui dans l’Esprit, est source de sainteté et appel à la sanctification. Le « mystère » doit être au cœur de la vie quotidienne du prêtre. Il exige donc grande vigilance et vive conscience. C’est encore le rite d’ordination qui fait précéder les paroles citées plus haut de la recommandation : « Prenez bien conscience de ce que vous ferez ». Déjà, Paul avertissait l’évêque Timothée : « Ne néglige pas le don spirituel qui est en toi (1 Tm 4,13 ; cf. 2 Tm 1,6).

d’) Preuve à partir de la charité pastorale (munus regendi)

Le rapport entre vie spirituelle et exercice du ministère sacerdotal peut aussi trouver son explication à partir de la charité pastorale donnée par le sacrement de l’Ordre. Le ministère du prêtre, précisément parce qu’il est une participation au ministère salvifique de Jésus Christ Tête et Pasteur, ne peut manquer de rendre présente sa charité pastorale qui est à la fois source et esprit de son service et du don de lui-même. Dans sa réalité objective, le ministère sacerdotal est « amoris officium », selon l’expression déjà citée de saint Augustin ; cette réalité objective se présente justement comme un fondement et comme l’appel d’un ethos correspondant, qui ne peut être que celui de l’amour, ainsi que le dit saint Augustin : « Sit amoris officium pascere dominicum gregem » (60). Cet ethos, et donc la vie spirituelle du prêtre, n’est autre que l’accueil de la « vérité » du ministère sacerdotal, comme amoris officium, dans la conscience et dans la liberté, et donc dans l’esprit et le cœur, dans les décisions et dans les actions.

3’) Approche phénoménologique

Selon la perspective phénoménologique qu’il prise, Jean-Paul II reprend subjectivement ce qu’il a exprimé objectivement : la sainteté n’est rien d’autre que l’appropriation du don reçu qu’est la grâce sacerdotale.

a’) En général

1’’) Quant à la réception

  1. Il est essentiel, pour une vie spirituelle qui se développe dans l’exercice du ministère, que le prêtre renouvelle sans cesse et approfondisse toujours plus sa conscience d’être ministre de Jésus Christ en vertu de sa consécration sacramentelle et de la configuration au Christ Tête et Pasteur de l’Église. Cette conscience ne correspond pas seulement à la vraie nature de la mission que le prêtre accomplit en faveur de l’Église et de l’humanité, mais elle détermine aussi la vie spirituelle du prêtre qui accomplit cette mission. En effet, le prêtre est choisi par le Christ, non pas comme un « objet » mais comme une « personne » ; il n’est pas un instrument inerte et passif, mais un « instrument vivant », comme dit le Concile, là où il parle de l’obligation de tendre à la perfection (61). Et c’est encore le Concile qui présente les prêtres comme « associés et collaborateurs » d’un Dieu « saint et sanctificateur » (62).

En ce sens, la personne du prêtre, consciente, libre et responsable, est profondément engagée dans l’exercice du ministère. Le lien avec Jésus Christ, assuré par la consécration et la configuration qui découlent du sacrement de l’Ordre, fonde et exige de la part du prêtre un autre lien, qui est celui de « l’intention », celui de la volonté consciente et libre de faire, par l’acte ministériel, ce que l’Église entend faire. Ce lien tend par sa nature à devenir le plus ample et le plus profond possible, engageant l’esprit, les sentiments, la vie, en un mot une série de dispositions morales et spirituelles correspondant aux actes ministériels que le prêtre accomplit.

2’’) Quant à l’efficacité

Il n’y a pas de doute que le ministère sacerdotal, en particulier la célébration des sacrements, reçoit son efficacité salutaire de l’action même de Jésus Christ, présente dans les sacrements. Mais, par un dessein divin qui veut exalter l’absolue gratuité du salut, en faisant de l’homme à la fois un « sauvé » et un « sauveur » – toujours et seulement avec Jésus Christ –, l’efficacité de l’exercice du ministère est aussi fonction de la participation humaine et de l’accueil plus ou moins grands (63). En particulier, la sainteté plus ou moins réelle du ministre a une véritable influence sur sa façon d’annoncer la parole, de célébrer les sacrements et de conduire la communauté dans la charité. Et c’est bien ce qu’affirme avec clarté le Concile : « La sainteté elle-même des prêtres est d’un apport essentiel pour rendre fructueux le ministère qu’ils accomplissent ; la grâce de Dieu, certes, peut accomplir l’œuvre du salut même par des ministres indignes, mais, à l’ordinaire, Dieu préfère manifester ses hauts faits par des hommes accueillants à l’impulsion et à la conduite du Saint-Esprit, par des hommes que leur intime union avec le Christ et la sainteté de leur vie rend capables de dire avec l’Apôtre : ‘Si je vis, ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi’ (Ga 2,20) » (64).

La conscience d’être ministre de Jésus Christ Tête et Pasteur porte aussi en elle la joie d’avoir reçu de Jésus Christ une grâce particulière : la grâce d’avoir été choisi par le Seigneur comme « instrument vivant » de l’œuvre du salut. Ce choix témoigne de l’amour de Jésus Christ pour le prêtre. Cet amour qui, plus grand que tout autre amour, exige qu’on y réponde. Après sa résurrection, Jésus pose à Pierre la question fondamentale sur l’amour : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? ». C’est après la réponse de Pierre que la mission est conférée : « Pais mes agneaux » (Jn 21,15). Pour pouvoir lui confier son troupeau, Jésus demande auparavant à Pierre s’il l’aime. Mais en réalité, c’est l’amour libre et prévenant de Jésus lui-même qui le pousse à adresser cette demande à l’Apôtre et à lui confier « ses » brebis. Ainsi, tout acte ministériel, en même temps qu’il conduit à aimer et à servir l’Église, pousse à mûrir toujours davantage dans l’amour et dans le service du Christ Tête, Pasteur et Époux de l’Église ; cet amour se présente toujours comme une réponse à l’amour prévenant, libre et gratuit de Dieu dans le Christ. À son tour, la croissance de l’amour envers Jésus Christ détermine la croissance de l’amour envers l’Église : « Nous sommes vos pasteurs [pascimus vobis] ; avec vous, nous sommes nourris [pascimur vobiscum]. Que le Seigneur nous donne la force de vous aimer au point de pouvoir mourir pour vous, ou effectivement ou par le cœur [aut effectu aut affectu] » (65).

b’) En particulier, en fonction des munera
  1. Grâce au précieux enseignement du Concile Vatican II (66), nous pouvons saisir les conditions, les exigences, les modalités et les fruits du rapport intime qui existe entre la vie spirituelle du prêtre et l’exercice de son triple ministère : de la Parole, des Sacrements et du service de la Charité.

1’’) Dans le ministère de la Parole

Le prêtre est avant tout ministre de la Parole de Dieu. Il est consacré et envoyé pour annoncer à tous l’Évangile du Royaume, appelant tout homme à l’obéissance de la foi et conduisant les croyants à une connaissance et à une communion toujours plus profondes du mystère de Dieu, à nous révélé et communiqué par le Christ. C’est pourquoi le prêtre lui-même doit tout d’abord acquérir une grande familiarité personnelle avec la Parole de Dieu. Il ne lui suffit pas d’en connaître l’aspect linguistique ou exégétique, ce qui est cependant nécessaire. Il lui faut accueillir la Parole avec un cœur docile et priant, pour qu’elle pénètre à fond dans ses pensées et ses sentiments et engendre en lui un esprit nouveau, « la pensée du Seigneur » (1 Co 2,16). Ainsi, ses paroles et plus encore ses choix et ses attitudes seront toujours plus transparents à l’Évangile, l’annonceront et en rendront témoignage. C’est seulement en « demeurant » dans la Parole que le prêtre deviendra parfait disciple du Seigneur, connaîtra la vérité et sera vraiment libre, dépassant tout conditionnement contraire ou étranger à l’Évangile (cf. Jn 8,31-32). Le prêtre devra être le premier à croire à la Parole dans la pleine conscience que les paroles de son ministère ne sont pas « siennes », mais de Celui qui l’a envoyé. De cette Parole, il n’est pas maître : il en est le serviteur. De cette Parole, il n’est pas l’unique possesseur : il en est le débiteur à l’égard du peuple de Dieu. C’est justement parce qu’il évangélise, et pour qu’il puisse évangéliser, que le prêtre, comme l’Église, doit prendre de plus en plus conscience du besoin permanent qu’il a d’être évangélisé (67). Il annonce la Parole, en sa qualité de « ministre », il participe à l’autorité prophétique du Christ et de l’Église. À cette fin, pour avoir en lui-même et pour donner aux fidèles la garantie de transmettre l’Évangile dans son intégrité, le prêtre est appelé à cultiver en lui une sensibilité, une disponibilité et un attachement particuliers à l’égard de la Tradition vivante de l’Église et de son Magistère. Tout cela n’est pas étranger à la Parole, mais contribue à son interprétation correcte et en protège le sens authentique. (68)

2’’) Dans le ministère des Sacrements

a’’) En général

C’est surtout dans la célébration des sacrements, ainsi que dans la célébration de la liturgie des heures, que le prêtre est appelé à vivre et à manifester l’unité profonde entre l’exercice de son ministère et sa vie spirituelle. Par le don de la grâce fait à l’Église, l’Eucharistie est principe de sainteté et appel à la sanctification. Pour le prêtre, elle occupe une place vraiment centrale, dans son ministère comme dans sa vie spirituelle. « Car la sainte Eucharistie contient tout le trésor spirituel de l’Église, c’est-à-dire le Christ lui-même, lui notre Pâque, lui le pain vivant, dont la chair vivifiée par l’Esprit Saint, et vivifiante, donne la vie aux hommes, les invitant et les conduisant à offrir en union avec lui, leur propre vie, leur travail, toute la création ». (69)

Des divers sacrements, et en particulier de la grâce spécifique et propre à chacun d’eux, la vie spirituelle du prêtre reçoit des connotations particulières : en effet, elle est structurée et modelée par les multiples caractéristiques et exigences des sacrements célébrés et vécus.

b’’) En particulier, le sacrement de la Pénitence

Je voudrais faire une mention spéciale du sacrement de la Pénitence dont les prêtres sont les ministres, mais dont ils doivent également être les bénéficiaires, devenant témoins de la compassion de Dieu pour les pécheurs. Je propose à nouveau ce que j’ai écrit dans l’exhortation Reconciliatio et pœnitentia : « La vie spirituelle et pastorale du prêtre, comme celle de ses frères laïcs et religieux, dépend, pour sa qualité et sa ferveur, de la pratique personnelle, assidue et consciencieuse, du sacrement de Pénitence. La célébration de l’Eucharistie et le ministère des autres sacrements, le zèle pastoral, les relations avec les fidèles, la communion avec ses frères prêtres, la collaboration avec l’évêque, la vie de prière, en un mot toute la vie du prêtre subit un déclin inévitable si lui-même, par négligence ou pour tout autre motif, ne recourt pas de façon régulière et avec une foi et une piété authentiques au sacrement de Pénitence. Chez un prêtre qui ne se confesserait plus ou se confesserait mal, son être sacerdotal et son action sacerdotale s’en ressentiraient vite, et la communauté elle-même dont il est pasteur ne manquerait pas de s’en rendre compte ». (70)

3’’) Dans le ministère du service de la Charité

Enfin, les prêtres sont appelés à exercer l’autorité et le service de Jésus Christ Tête et Pasteur de l’Église en animant et en conduisant la communauté ecclésiale, c’est-à-dire en rassemblant « la famille de Dieu, fraternité qui n’a qu’une âme, et, par le Christ dans l’Esprit, ils la conduisent à Dieu le Père » (71). Ce munus regendi est une tâche très délicate et complexe qui inclut, outre l’attention à chacune des personnes et aux vocations diverses, la capacité de coordonner tous les dons et charismes que l’Esprit suscite dans la communauté, en les vérifiant et en les valorisant pour l’édification de l’Église, toujours en union avec les évêques. Il s’agit d’un ministère qui demande au prêtre d’avoir une vie spirituelle intense, riche des qualités et des vertus propres à la personne qui « préside » et qui « guide » une communauté, à l’« ancien », dans le sens le plus fort et le plus noble du terme, comme sont la fidélité, la cohérence, la sagesse, la faculté d’accueil de tous, l’affabilité, la fermeté sur les choses essentielles, le détachement des points de vue trop subjectifs, le désintéressement personnel, la patience, le goût de l’engagement quotidien, la confiance dans le travail caché de la grâce qui se manifeste chez les gens simples et chez les pauvres (cf. Tt 1,7-8).

c) La racine de l’unité : les dispositions intérieures pour les vivre [« L’existence sacerdotale et le radicalisme évangélique »]

Jean-Paul II décrit les moyens pour vivre l’union entre vie et mission, charisme et grâce.

o’) En général

  1. « L’Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4,18). L’Esprit Saint donné par le sacrement de l’Ordre est source de sainteté et appel à la sanctification. Car, d’abord, il configure le prêtre au Christ Tête et Pasteur de l’Église, et il lui confie la mission prophétique, sacerdotale et royale à accomplir au nom et en la personne du Christ. Ensuite, il anime le prêtre et vivifie son existence quotidienne, l’enrichissant de dons et d’exigences, de vertus et d’élans, qui se concrétisent dans la charité pastorale. Cette charité est une synthèse des valeurs et des vertus évangéliques et elle est la force qui soutient leur développement jusqu’à la perfection chrétienne. (72)

Pour tous les chrétiens sans exception, le radicalisme évangélique est une exigence fondamentale et irremplaçable, qui découle de l’appel du Christ à le suivre et à l’imiter, en vertu de l’étroite communion de vie avec lui, opérée par le Saint Esprit (cf. Mt 8,18-20 ; 10,37-39 ; Mc 8,34-38 ; 10,17-21 ; Lc 9,57-62). Cette même exigence s’impose également aux prêtres, non seulement parce qu’ils sont « dans » l’Église, mais aussi parce qu’ils sont « devant » l’Église, en tant qu’ils sont configurés au Christ Tête et Pasteur, consacrés et engagés dans le ministère ordonné, animés par la charité pastorale. Or, dans le radicalisme évangélique et pour le manifester, il y a toute une floraison de nombreuses vertus et exigences morales qui sont décisives pour la vie pastorale et spirituelle du prêtre. Citons par exemple la foi, l’humilité en face du mystère de Dieu, la miséricorde, la prudence. Les différents « conseils évangéliques » que Jésus propose dans le Discours sur la Montagne sont l’expression privilégiée du radicalisme évangélique (cf. Mt 5-7). Parmi ces conseils, intimement coordonnés entre eux, se trouvent l’obéissance, la chasteté et la pauvreté (73). Le prêtre est appelé à les vivre selon les modalités et, plus encore, selon les finalités et le sens original qui découlent de l’identité du prêtre et l’expriment.

1’) L’obéissance

  1. « Parmi les qualités les plus indispensables pour le ministère des prêtres, il faut mentionner la disponibilité intérieure qui leur fait rechercher non pas leur propre volonté, mais la volonté de celui qui les a envoyés (cf. Jn 4,34 ; 5,30 ; 6,38) » (74). C’est l’obéissance qui, dans le cas de la vie spirituelle du prêtre, présente certaines caractéristiques particulières.
a’) Dimension apostolique

Celle-ci est avant tout une obéissance « apostolique », en ce sens qu’elle reconnaît, aime et sert l’Église dans sa structure hiérarchique. En effet, il n’y a pas de ministère sacerdotal en dehors de la communion avec le Souverain Pontife et le collège épiscopal, en particulier avec l’évêque du diocèse, à qui « le respect filial et l’obéissance » promis à l’ordination doivent être rendus. Cette « soumission » à ceux qui sont revêtus de l’autorité ecclésiale n’a rien d’humiliant, mais elle résulte de la liberté responsable du prêtre qui accueille les exigences de la vie ecclésiale structurée et organisée. Il accueille aussi la grâce du discernement et du sens de la responsabilité dans les décisions ecclésiales. Cette grâce, Jésus en a doté les Apôtres et leurs successeurs pour que le mystère de l’Église soit gardé fidèlement et pour que la cohésion de la communauté chrétienne soit maintenue sur le chemin unique qui la conduit au salut.

L’obéissance chrétienne authentique, correctement motivée et vécue sans servilité, aide le prêtre à exercer, avec une transparence évangélique, l’autorité qu’il a pour mission d’exercer auprès du peuple de Dieu : sans autoritarisme et sans procédés démagogiques. Seul celui qui sait obéir dans le Christ sait comment demander l’obéissance à autrui dans l’esprit de l’Évangile.

b’) Dimension communautaire

L’obéissance du prêtre présente en outre une exigence « communautaire » : ce n’est pas l’obéissance d’un individu isolé en rapport avec l’autorité, mais au contraire cette obéissance est profondément intégrée dans l’unité du presbyterium qui, comme tel, est appelé à vivre en collaboration cordiale avec l’évêque et, par lui, avec le successeur de Pierre. (75)

Cet aspect de l’obéissance sacerdotale demande une ascèse considérable : d’une part, le prêtre s’habitue à ne pas trop s’attacher à ses propres préférences ou à ses propres points de vue ; d’autre part, il laisse aux confrères l’espace suffisant pour qu’ils mettent en valeur leurs talents et leurs capacités, à l’exclusion de toute jalousie, envie et rivalité. L’obéissance sacerdotale est une obéissance solidaire, qui repose sur l’appartenance du prêtre à l’unique presbyterium et qui, toujours à l’intérieur de celui-ci, et avec lui, exprime des orientations et des choix coresponsables.

c’) Dimension pastorale

Enfin, l’obéissance sacerdotale a un caractère particulier, le caractère « pastoral ». Cela veut dire que le prêtre vit dans un climat de constante disponibilité pour se laisser saisir, ou pour se laisser « manger » a-t-on pu dire, par les nécessités et les exigences du troupeau qui doivent être raisonnables ; elles devront parfois faire l’objet d’un discernement et être soumises à vérification, mais il est indéniable que la vie du prêtre est totalement remplie par la faim d’Évangile, de foi, d’espérance et d’amour de Dieu et de son mystère, laquelle, plus ou moins consciemment, est présente dans le peuple de Dieu qui lui est confié.

2’) La chasteté

a’) La chasteté dans l’état de virginité et célibat en général
  1. Parmi les conseils évangéliques – écrit le Concile –, « il y a en première place ce don précieux de grâce fait par le Père à certains (cf. Mt 19,11 ; 1 Co 7,7) de se consacrer plus facilement et avec un cœur sans partage à Dieu seul (cf. 1 Co 7,32-34) dans la virginité ou le célibat. Cette continence parfaite à cause du Règne de Dieu a toujours été l’objet, de la part de l’Église, d’un honneur spécial, comme signe et stimulant de la charité, et comme une source particulière de fécondité spirituelle dans le monde » (76). Dans la virginité et le célibat, la chasteté maintient sa signification fondamentale, c’est-à-dire celle d’une sexualité humaine vécue comme authentique manifestation et précieux service de l’amour de communion et de donation interpersonnelle. Cette signification subsiste pleinement dans la virginité qui, même dans le renoncement au mariage, réalise la « signification sponsale » du corps, moyennant une communion et une donation personnelle à Jésus Christ et à son Église ; cette communion et cette donation préfigurent et anticipent la communion et la donation parfaites et définitives de l’au-delà : « Dans la virginité, l’homme est en attente, même dans son corps, des noces eschatologiques du Christ avec l’Église, et il se donne entièrement à l’Église dans l’espérance que le Christ se donnera à elle dans la pleine vérité de la vie éternelle ». (77)
b’) La chasteté dans l’état sacerdotal en particulier
1’’) Sa signification

À cette lumière, on peut facilement comprendre et apprécier les motifs du choix pluriséculaire que l’Église d’Occident a fait et qu’elle a maintenu, malgré toutes les difficultés et les objections soulevées au long des siècles, de ne conférer l’ordination presbytérale qu’à des hommes qui attestent être appelés par Dieu au don de la chasteté dans le célibat absolu et perpétuel.

Les Pères synodaux ont exprimé avec clarté et avec force leur pensée dans une importante proposition qui mérite d’être rapportée intégralement et littéralement : « Restant sauve la discipline des Églises orientales, le Synode, convaincu que la chasteté parfaite dans le célibat sacerdotal est un charisme, rappelle aux prêtres qu’elle constitue un don inestimable de Dieu à l’Église et représente une valeur prophétique pour le monde actuel. Ce Synode affirme, de nouveau et avec force, ce que l’Église latine et certains rites orientaux demandent, à savoir que le sacerdoce soit conféré seulement aux hommes qui ont reçu de Dieu le don de la vocation à la chasteté dans le célibat (sans préjudice pour la tradition de certaines Églises orientales et de cas particuliers de clercs mariés provenant de conversions au catholicisme, pour lesquels il est fait exception dans l’encyclique de Paul VI sur le célibat sacerdotal) [n. 42]. Le Synode ne veut laisser aucun doute dans l’esprit de tous sur la ferme volonté de l’Église de maintenir la loi qui exige le célibat librement choisi et perpétuel pour les candidats à l’ordination sacerdotale, dans le rite latin. Le Synode demande que le célibat soit présenté et expliqué dans toute sa richesse biblique, théologique et spirituelle comme don précieux fait par Dieu à son Église et comme signe du Royaume qui n’est pas de ce monde, signe aussi de l’amour de Dieu envers ce monde, ainsi que de l’amour sans partage du prêtre envers Dieu et le peuple de Dieu, de sorte que le célibat soit regardé comme un enrichissement positif du sacerdoce ». (78)

Il est particulièrement important que le prêtre comprenne la motivation théologique de la loi ecclésiastique sur le célibat. En tant que loi, elle exprime la volonté de l’Église, même avant que le sujet exprime sa volonté d’y être disponible. Mais la volonté de l’Église trouve sa dernière motivation dans le lien du célibat avec l’Ordination sacrée, qui configure le prêtre à Jésus Christ Tête et Époux de l’Église. L’Église, comme Épouse de Jésus Christ veut être aimée par le prêtre de la manière totale et exclusive avec laquelle Jésus Christ Tête et Époux l’a aimée. Le célibat sacerdotal alors, est don de soi dans et avec le Christ à son Église, et il exprime le service rendu par le prêtre à l’Église dans et avec le Seigneur.

2’’) Sa nature positive

Pour une vie spirituelle authentique, le prêtre doit considérer et vivre le célibat non comme un élément isolé ou purement négatif, mais comme un des aspects d’une orientation positive, spécifique et caractéristique de sa personne. Laissant son père et sa mère, il suit Jésus le Bon Pasteur dans une communion apostolique, au service du peuple de Dieu. Le célibat doit donc être accueilli dans une décision libre et pleine d’amour, à renouveler continuellement, comme un don inestimable de Dieu, comme un « stimulant de la charité pastorale » (79), comme une participation particulière à la paternité de Dieu et à la fécondité de l’Église, comme un témoignage du Royaume eschatologique donné au monde. Pour vivre toutes les exigences morales, pastorales et spirituelles du célibat sacerdotal, la prière humble et confiante est absolument nécessaire, comme nous en prévient le Concile : « Certes, il y a, dans le monde actuel, bien des hommes qui déclarent impossible la continence parfaite : c’est une raison de plus pour que les prêtres demandent avec humilité et persévérance, en union avec l’Église, la grâce de la fidélité, qui n’est jamais refusée à ceux qui la demandent. Qu’ils emploient aussi les moyens naturels et surnaturels qui sont à la disposition de tous » (80). Ce sera encore la prière unie aux sacrements de l’Église et à l’effort ascétique qui donnera l’espérance dans les difficultés, le pardon dans les fautes, la confiance et le courage dans la reprise de la marche en avant.

3’) La pauvreté

a’) Nature
  1. De la pauvreté évangélique, les Pères synodaux ont donné une description plus concise et plus profonde que jamais, la présentant comme « soumission de tous les biens au Bien suprême de Dieu et de son Royaume » (81). En réalité, seul celui qui contemple et vit le mystère de Dieu comme Bien unique et suprême, comme vraie et définitive richesse, peut comprendre et réaliser la pauvreté. Elle n’est certainement pas mépris et refus des biens matériels, mais elle est usage libre de ces biens, et en même temps joyeux renoncement à ceux-ci dans une grande disponibilité intérieure, pour Dieu et pour ses desseins.
b’) Raisons d’être
1’’) La signification christologique

La pauvreté du prêtre, en raison de sa configuration sacramentelle au Christ Tête et Pasteur, revêt des connotations pastorales précises. C’est à elles que les Pères synodaux se sont arrêtés, reprenant et développant l’enseignement conciliaire (82). Ils écrivent entre autres : « Les prêtres, à l’exemple du Christ, qui, de riche qu’il était, s’est fait pauvre par amour pour nous (cf. 2 Co 8,9), doivent considérer les pauvres et les plus faibles comme leur étant confiés d’une manière spéciale, et doivent être capables de donner un témoignage de pauvreté par une vie simple et austère, étant déjà habitués à renoncer généreusement aux choses superflues (Optatam totius, n. 9 ; C.I.C., can. 282) ». (83)

2’’) La signification morale (la disponibilité)

Il est vrai que « l’ouvrier mérite son salaire » (Lc 10,7), et que « le Seigneur a prescrit à ceux qui annoncent l’Évangile de vivre de l’Évangile » (1 Co 9,14) ; mais il est vrai aussi que ce droit de l’apôtre ne peut être confondu avec une quelconque prétention de subordonner le service de l’Évangile et de l’Église aux avantages et aux intérêts qui peuvent en dériver. Seule la pauvreté assure au prêtre la disponibilité nécessaire pour être envoyé là où son action est plus utile et urgente, même au prix d’un sacrifice personnel. C’est la condition préalable de la docilité de l’apôtre à l’Esprit, qui le rend prêt à « aller » sans bagage et sans lien, suivant seulement la volonté du Maître (cf. Lc 9,57-62 ; Mc 10,17-22).

3’’) La signification communautaire

Personnellement intégré dans la vie de la communauté dont il est responsable, le prêtre doit présenter le témoignage d’une totale « transparence » dans l’administration des biens de la communauté. Il ne les traitera jamais comme s’ils étaient un patrimoine personnel, mais comme ce dont il doit rendre compte à Dieu et à ses frères, surtout aux pauvres. Et la conscience d’appartenir à un presbyterium unique engagera le prêtre à favoriser soit une plus équitable répartition des biens entre confrères, soit un certain usage commun de ces biens (cf. Ac 2,42-45).

4’’) La signification pastorale

La liberté intérieure, nourrie et conservée grâce à la pauvreté évangélique, rend le prêtre capable de se tenir du côté des plus faibles, de se faire solidaire de leurs efforts pour l’instauration d’une société plus juste, d’être plus sensible et plus capable de compréhension et de discernement des phénomènes touchant l’aspect économique et social de la vie, ainsi que de promouvoir le choix préférentiel des pauvres. Sans exclure personne de l’annonce et du don du salut, le prêtre sait être attentif aux petits, aux pécheurs, à tous les marginaux, selon le modèle donné par Jésus dans le déroulement de son ministère prophétique et sacerdotal (cf. Lc 4,18).

5’’) La signification prophétique

On n’oubliera pas la signification prophétique de la pauvreté sacerdotale, spécialement urgente dans les sociétés d’opulence et de consommation : « Le prêtre vraiment pauvre est certainement un signe concret de la séparation, du renoncement et non de la soumission à la tyrannie du monde contemporain qui met toute sa confiance dans l’argent et dans la sécurité matérielle ». (84)

4’) Conclusion

Sur la Croix, Jésus Christ porte à sa perfection sa charité pastorale, dans un dépouillement extrême, extérieur et intérieur ; il est le modèle et la source des vertus d’obéissance, de chasteté et de pauvreté que le prêtre est appelé à vivre comme expression de son amour pastoral pour ses frères. Selon ce que Paul écrit aux chrétiens de Philippes, le prêtre doit avoir les « mêmes sentiments » que Jésus, se dépouillant de son propre « moi » pour trouver dans la charité obéissante, chaste et pauvre, la voie royale de l’union avec Dieu et de l’unité avec ses frères (cf. Ph 2,5).

C) Nature de la vie spirituelle du prêtre. Dimension communautaire, ecclésiale [« L’appartenance et le dévouement à l’Église particulière »] (31-32)

1) En général

  1. Comme toute vie spirituelle authentiquement chrétienne, celle du prêtre possède aussi une dimension ecclésiale essentielle et irremplaçable : elle est participation à la sainteté de l’Église elle-même, Église dont nous professons dans le Credo qu’elle est « Communion des Saints ». La sainteté du chrétien découle de celle de l’Église, l’exprime et en même temps l’enrichit. Cette dimension ecclésiale revêt des modalités, des finalités et des significations particulières dans la vie spirituelle du prêtre, à cause du rapport spécifique de celui-ci avec l’Église, toujours à partir de sa configuration au Christ Tête et Pasteur, de son ministère ordonné et de sa charité pastorale.

2) En particulier

a) L’Église particulière

La mission du prêtre est pour l’Église diocésaine.

1’) La grâce objective

Dans cette perspective, il faut considérer comme valeur spirituelle du prêtre, son appartenance et son dévouement à l’Église particulière. Ces réalités ne sont pas seulement motivées par des raisons d’organisation et de discipline. Au contraire le rapport avec l’évêque dans l’unité du presbyterium, le partage de sa sollicitude pour l’Église, le dévouement pastoral au service du peuple de Dieu dans les conditions historiques et sociales concrètes de l’Église particulière sont des éléments qu’on ne peut pas négliger quand on veut tracer le portrait du prêtre et de sa vie spirituelle. En ce sens, « l’incardination » ne se réduit pas à un lien juridique, mais elle suppose aussi une série d’attitudes et de choix spirituels pastoraux contribuant à donner sa physionomie propre à la vocation du prêtre.

2’) L’application subjective, l’appropriation
a’) Nécessité

Il est nécessaire que le prêtre ait conscience que le fait d’être dans une Église particulière constitue, de soi, un élément déterminant pour vivre une spiritualité chrétienne. En ce sens, le prêtre trouve précisément dans son appartenance et dans son dévouement à l’Église particulière une source de sens, de critères de discernement et d’action, qui modèlent sa mission pastorale et sa vie spirituelle.

b’) Moyens

1’’) Les autres traditions de vie spirituelle

À la marche vers la perfection peuvent aider aussi des inspirations ou des références à d’autres traditions de vie spirituelle, capables d’enrichir la vie sacerdotale des personnes et d’animer le presbyterium par de précieux dons spirituels. C’est le cas de beaucoup d’associations ecclésiales anciennes et nouvelles qui accueillent aussi des prêtres dans leurs rangs, depuis les sociétés de vie apostolique jusqu’aux instituts séculiers de prêtres, depuis les formes variées de communion et de partage spirituel jusqu’aux mouvements ecclésiaux. Les prêtres appartenant aux ordres religieux et aux congrégations religieuses sont une richesse spirituelle pour tout le presbyterium diocésain auquel ils apportent la contribution de leurs charismes spécifiques et de leurs ministères qualifiés ; par leur présence, ils stimulent l’Église particulière à vivre plus intensément son ouverture universelle. (85)

2’’) Les charismes

L’appartenance du prêtre à l’Église particulière et son dévouement à celle-ci jusqu’au don de sa vie, pour l’édification de l’Église « en la personne » du Christ Tête et Pasteur, au service de toute la communauté chrétienne, en cordiale et filiale référence à l’évêque, doivent être renforcés par tout charisme qui inspire directement ou indirectement la vie d’un prêtre. (86)

Pour que les dons abondants de l’Esprit soient accueillis dans la joie et qu’on les fasse fructifier pour la gloire de Dieu et pour le bien de toute l’Église, il faut d’abord que tous connaissent et discernent leurs charismes personnels et ceux d’autrui. Ensuite, l’exercice de ces charismes doit toujours être accompagné d’humilité chrétienne, du courage de l’autocritique, de l’intention, prévalant sur toute autre préoccupation, d’aider à l’édification de toute la communauté, au service de laquelle est placé tout charisme particulier. En outre, à tous est demandé un effort sincère d’estime réciproque, de respect mutuel et de valorisation coordonnée de toutes les diversités positives et légitimes, présentes dans le presbyterium. Tout cela aussi fait partie de la vie spirituelle et de l’ascèse continue du prêtre.

b) L’Église universelle

La mission du prêtre est aussi pour l’Église universelle.

1’) Preuve
  1. L’appartenance et le dévouement à l’Église particulière ne limitent pas à cette dernière toute l’activité et la vie du prêtre. Elles ne peuvent pas y être réduites en raison de la nature même de l’Église particulière (87) et de celle du ministère sacerdotal. Le Concile écrit à ce sujet : « Le don spirituel que les prêtres ont reçu à l’ordination les prépare, non pas à une mission limitée et restreinte, mais à une mission de salut d’ampleur universelle, ‘jusqu’aux extrémités de la terre’ (Ac 1,8) ; n’importe quel ministère sacerdotal participe, en effet, aux dimensions universelles de la mission confiée par le Christ aux Apôtres ». (88)
2’) Conséquences
a’) L’élan missionnaire

Il en résulte que la vie spirituelle des prêtres doit être profondément marquée par l’élan et le dynamisme missionnaires. Il leur revient, dans l’exercice de leur ministère et dans le témoignage de leur vie, de faire de la communauté qui leur est confiée une communauté authentiquement missionnaire. Comme je l’ai écrit dans l’encyclique Redemptoris missio, « tous les prêtres doivent avoir un cœur et une mentalité missionnaires, être ouverts aux besoins de l’Église et du monde, attentifs aux plus éloignés, et surtout aux groupes non chrétiens de leur milieu. Dans la prière et en particulier dans le sacrifice eucharistique, ils porteront la sollicitude de toute l’Église pour l’ensemble de l’humanité ». (89)

b’) La solidarité

Si cet esprit missionnaire anime généreusement la vie des prêtres, il sera plus facile de répondre à une situation toujours plus grave aujourd’hui dans l’Église, celle qui provient de l’inégale distribution du clergé. Sur ce point, le Concile a été on ne peut plus clair et fort : « Les prêtres se souviendront donc qu’ils doivent avoir au cœur le souci de toutes les Églises. Ainsi les prêtres des diocèses plus riches en vocation se tiendront prêts à partir volontiers, avec la permission de leur Ordinaire ou à son appel, pour exercer leur ministère dans des pays, des missions ou des activités qui souffrent du manque de prêtres ». (90)

D) Conclusion [« Renouvelle en eux l’effusion de ton Esprit de sainteté »] (33)

Une dernière fois, le propos de Jean-Paul II sera rythmée par la pulsation : don objectif, appropriation subjective.

1) Le don objectif

  1. « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres » (Lc 4,18). Jésus fait retentir encore aujourd’hui dans notre cœur de prêtres les paroles qu’il a prononcées dans la synagogue de Nazareth. Notre foi, en effet, nous révèle la présence active de l’Esprit du Christ dans notre être, notre agir et notre vie, de la même façon que le sacrement de l’Ordre les a formés, habilités et modelés.

2) L’appropriation subjective

Oui, l’Esprit du Seigneur est le grand protagoniste de notre vie spirituelle. Il crée le « cœur nouveau », l’anime, le guide avec la « loi nouvelle » de la charité, de la charité pastorale. La conscience que la grâce de l’Esprit Saint ne manque jamais au prêtre comme don totalement gratuit et comme engagement à la responsabilité, est décisive pour le développement de sa vie spirituelle. La conscience de ce don pénètre et soutient l’inébranlable confiance du prêtre au milieu des difficultés, des tentations, des faiblesses qui jalonnent l’itinéraire spirituel.

Je propose de nouveau à tous les prêtres ce que j’ai dit à beaucoup d’entre eux en une autre occasion : « La vocation sacerdotale est essentiellement un appel à la sainteté dans la forme qui découle du sacrement de l’Ordre. La sainteté est intimité avec Dieu, elle est imitation du Christ pauvre, chaste et humble ; elle est amour sans réserve envers les âmes, et don de soi-même pour leur véritable bien ; elle est amour pour l’Église qui est sainte et nous veut saints, car telle est la mission que le Christ lui a confiée. Chacun de vous doit aussi être saint afin d’aider ses frères à réaliser leur vocation à la sainteté.

« Comment ne pas réfléchir […] sur le rôle essentiel que l’Esprit Saint joue dans l’appel spécifique à la sainteté propre au ministère sacerdotal ? Rappelons les paroles du rite de l’Ordination sacerdotale, que l’on estime centrales dans la formule sacramentelle : ‘Nous t’en prions, Père tout-puissant, donne à tes serviteurs que voici d’entrer dans l’ordre des prêtres. Répands une nouvelle fois au plus profond d’eux-mêmes l’Esprit de sainteté. Qu’ils reçoivent de toi, Seigneur, la charge de seconder l’ordre épiscopal. Qu’ils incitent à la pureté des mœurs par l’exemple de leur conduite’.

« Par l’Ordination, chers amis, vous avez reçu l’Esprit même du Christ, qui vous rend semblables à lui afin que vous puissiez agir en son nom et vivre en vous-mêmes ses propres sentiments. Tandis que cette intime communion avec l’Esprit du Christ assure l’efficacité de l’action sacramentelle que vous accomplissez « in persona Christi », elle requiert également de s’exprimer dans la ferveur de la prière, dans la cohérence de la vie, dans la charité pastorale d’un ministère inlassablement orienté vers le salut des frères. En un mot elle requiert votre sanctification personnelle ». (91)

Pascal Ide (pour le plan détaillé du texte)

[1] Jean-Paul II, Exhortation apostolique postsynodale Pastores dabo vobis sur la formation des prêtres dans les circonstances actuelles, 25 mars 1992.

2.3.2023
 

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