La paix partagée, un sentiment qui vient d’en haut. L’exemple du 28 août 1963

La paix est un sentiment qui n’est pas seulement personnel, mais collectif. De plus, ce sentiment est précédé par une ouverture d’espérance (car nous venons de la violence) et introduit à une surplénitude qui est l’autre nom de la joie débordante. Enfin, pour être véritablement partagée, cette paix doit être participée : elle ne se diffuse horizontalement à tous, que parce qu’elle vient d’en haut, du Très-Haut.

C’est ce dont l’auditoire de Martin Luther King Jr a fait l’expérience, un certain après-midi 28 août 1963, sur les pelouses du Mall de Washington face au Mémorial de Lincoln. Ici se trouvent réunis beaucoup de Noirs mais aussi des Blancs, des ecclésiastiques et la foule anonyme des petites gens. Des banderoles rappellent la signification symbolique du lieu et de la date : « Nous aspirons en 1963 à la liberté promise en 1863 », lorsque Lincoln proclama l’émancipation des esclaves.

Après une première partie où il fait mémoire de l’histoire, sans volonté révolutionnaire de bouleverser la société, mais avec le désir d’intégrer les Afro-américains, le pasteur change de registre, devient prophète. Il passe du rêve du peuple américain au rêve de Dieu sur le peuple américain, car c’est le sens du « I have a dream » ouvrant cette seconde partie. Il cite ce verset d’Amos (5,24), ce verset favori qui est au cœur de toute la prédication du pasteur baptiste et qu’il citera une dernière fois, le 3 avril 1968, la veille de son assassinat [1] : « Que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarrissable ! » Et il termine ainsi :

 

« Quand nous ferons en sorte que la cloche de la liberté puisse sonner, quand nous laisserons carillonner dans chaque village et chaque hameau, dans chaque Etat et dans chaque cité, nous pourrons hâter la venue du jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les juifs et les gentils, les catholiques et les protestants pourront se tenir par la main et changer les paroles du vieux Negro Spiritual : ‘Libres enfin. Libres enfin. Merci Dieu Tout-Puissance, nous voilà libres enfin’ [2] ».

 

Coretta King témoignera plus tard qu’après cette envolée finale, l’auditoire était littéralement subjugué. Après un long moment de silence, les applaudissements éclatèrent. Or, l’origine de cette paix partagée par les personnes présentes était plus qu’humaine : « Pour ce bref moment, commente l’épouse du pasteur assassiné, le Royaume de Dieu semblait être venu sur terre [3] ».

Pascal Ide

[1] Cf. le recueil de prédications Martin Luther King, Minuit, quelqu’un frappe à la porte. Les grands sermons de Martin Luther King, trad. Serge Molla, Paris, Bayard, 2000. Pour la dernière prédication Martin Luther King, Combats pour la liberté, trad. Laurent Jospin et Odile Pidoux, 1958, coll. « Petite bibliothèque Payot » n° 125, Paris, Payot, 1968, p. 237.

[2] Le discours est traduit dans Martin Luther King, Je fais un rêve. Les grands textes du pasteur noir, trad. de Marc Saporta, Paris, Bayard, 21998, p. 30-61.

[3] Coretta Scott King, My Life with Martin Luther King Jr, London, Puffin Books, 1994, p. 223.

27.5.2025
 

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