La mondanité spirituelle selon saint Newman « Espérant contre toute espérance, il a cru » (Rm 4,18).

Le pape François dénonce souvent la mondanité spirituelle. Pour mieux la comprendre, nous pouvons nous aider d’un sermon de saint John Henry Newman qui dresse un tableau quasi-clinique de ce qu’il appelle lui-même l’« esprit mondain [1] ». L’importance de ce se sermon dont l’exigence pourrait rebuter est soulignée par deux faits : il se trouve dans le quatrième volume de Sermons paroissiaux que, au sommet de son influence dans l’Église anglicane, Newman a publié et dont il écrivait à sa sœur qu’il voulait que ce fût le meilleur, c’est-à-dire celui qui proposait sans compromission l’âpre idéal de la vie chrétienne ; prêché le 3 décembre 1827, donc il est prononcé au début de l’Avent, période très chère à Newman, car l’attente liturgique du Christ est pour lui le cœur de l’existence chrétienne.

La mondanité est d’autant plus redoutable qu’elle touche non pas l’esprit irréligieux, donc ouvertement opposé à Dieu, mais l’esprit déjà religieux, qui se satisfait de ses compromissions avec l’esprit du monde : « Nous savons que nous ne sommes pas, somme toute, irréligieux et nous nous persuadons que nous sommes religieux. Nous apprenons à penser qu’il est possible d’être trop religieux [2] », alors que nous ne le sommes jamais assez.

Redisons-le, la démarche est médicale, enchaînant diagnostic positif (signes), diagnostic étiologiques (causes) et thérapeutique :

1. Signes

Le tableau n’est pas ambigu, mais complexe. Chez les esprits mondains, « leur notion de la religion se résume brièvement à aimer Dieu, certes, mais aussi à aimer ce monde [3] ».

En effet, d’un côté, ces gens « servent Dieu et le cherchent [4] » Ibid., p. 284. Détaillons :

 

« Certes, ils sont réellement dignes de louange en maints domaines de leur conduite, ils sont bienveillants, charitbles, affables, de bon voisinage, utiles à leur génération et, à la vérité, peut-être réguliers dans les devoirs religieux qui relèvent de la coutume, ils font preuve de sentiments justes et aimables et de beaucoup de rectitude dans leurs idées, ils sont même sur la voie d’améliorer leur caractère et leur comportement, de corriger beaucoup de leurs travers, d’acquérir une plus grande maîtrise d’eux-mêmes, de la maturité dans leur jugement et d’être bien considérés en conséquence [5] ».

 

Toutefois, de l’autre côté, ces gens « considèrent le monde présent comme s’il était éternel et non comme étant le théâtre seulement temporaire de leurs devoirs [6] ». Dit autrement, ils préfèrent les dons au donateur : « Ils aiment [les biens de ce monde] pour eux-mêmes plutôt que pour leur donateur [7] ». Là aussi, détaillons avec Newman :

 

« Ils aiment la richesse, l’honneur, le crédit et l’influence. Il se peut qu’ils progressent dans leur conduite, mais non dans leurs aspirations ; ils avancent, mais il ne s’élèvent pas ; ils se meuvent à un bas niveau, et le continueraient-ils pendant des siècles qu’ils ne s’élèveraient jamais au-dessus de l’atmosphère de ce monde [8] ».

« S’il y a beaucoup de bien en eux, il est seulement en eux ; il ne les péntre pas, ne les enveloppe pas [9] ».

 

Bref, leur attitude se résume en un mot : l’idolâtrie : « Ils mettent leur cœur dans leurs possessions, grandes ou petites, non sans avoir le sens de la religion en général, mais aussi en tombant dans l’idolâtrie. Telle est leur faute, assimiler Dieu à ce monde et, par suite, idolâtrer le monde [10] ».

2. Causes

Comme la description, l’explication aussi se dédouble.

La première cause, en plein, est le manque d’amour du Christ : « Il leur manque un cœur tendre et sensible qui s’attache à la pensée du Christ et qui vit de son amour ».

La seconde, en creux, est notre illusion, c’est-à-dire l’ignorance de l’ignorance. En effet, Newman est lucide, les esprits mondains sont tellement habitués à leur vision du monde et ils la justifient tellement qu’ils ne l’aperçoivent plus que difficilement : « Une croûte mauvaise est sur eux : ils sont remplis d’idées et de manières de parler qui sont celles du monde ». Ainsi « il est difficile de les toucher ou (si l’on peut dire) de les attendre et de les persauder d’être fermes dans les questions religieuse ». Or, loin de demeurer statique, cette disposition s’auto-entretient et se renforce : « Comme la rouille ronge le métal et le creuse, cet esprit mondain pénètre de plus en plus profondément dans leur âme [11] ».

La conséquence en est que nous retardons notre conversion, toujours en le justifiant :

 

« nous badinons maintenant avec notre conscience ; nous trompons notre meilleur jugement ; nous refusons les conseils de ceux qui nous disent que nous nous joignons à ce monde périssable. Nous voulons goûter un peu de ses plaisirs et suivre ses voies, nous pensons qu’il n’y a pas de mal à cela pourvu que nous ne négligions pas en même temps la religion [12] ».

3. Remède

Enfin, après avoir entendu quelques signes et la cause de cet esprit mondain, venons-en à l’exhortation positive à veiller, donc à se convertir. « Le Christ » a « attiré notre attention sur ce danger précis, le danger d’une religion mondaine [13] ».

 

« La venue du Christ est toujours plus proche qu’elle n’était. […] Ô, mes frères, priez-le pour qu’il vous donne un cœur qui le cherche sincèrement. Priez-le de vous rendre sérieux. Vous n’avez qu’une chose à faire, porter votre croix à sa suite. Avec sa force, déidez de le faire. Décidez de n’être plus séduits par des ‘ombres de religion’ », par « des excuses ou les promesses ou les menaces du monde […]. Faire ce qu’il commande c’est lui obéir, et lui obéir c’est se rapprocher de lui [14] ».

Pascal Ide

[1] Cardinal John Henry Newman, « Sermon 22. Veiller (Mc 13,33) », Sermons paroissiaux. 4. Le paradoxe chrétien, trad. Marie-Bernard Duvignau et Pierre Poque, coll. « Textes », Paris, Le Cerf, 1996, p. 279-289, ici p. 286. Les soulignements sont de l’auteur.

[2] Ibid., p. 288.

[3] Ibid., p. 284.

[4] Ibid.

[5] Ibid., p. 285.

[6] Ibid., p. 284.

[7] Ibid., p. 284.

[8] Ibid., p. 285.

[9] Ibid., p. 286.

[10] Ibid., p. 285.

[11] Ibid., p. 286.

[12] Ibid., p. 287.

[13] Ibid., p. 286.

[14] Ibid., p. 289.

2.7.2024
 

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