Tel est le témoignage que le pape Jean-Paul II nous a offert. Et cela grâce à sa vieillesse, sa maladie, sa vulnérabilité. Si le Saint-Père peut assumer l’écrasante charge qui est la sienne, c’est parce qu’à chaque instant il reçoit tout de Dieu. Les personnes âgées ne s’y trompent pas. Les personnes qui sont fatiguées, les personnes qui sont malades, souffrent de leurs articulations, etc. sont touchées de voir à travers Jean-Paul II un être qui leur ressemble et qui, pourtant, à chaque instant, se donne, se donne. Encore faut-il voir la source de ce courage à se donner : c’est parce qu’il se reçoit de Dieu, qu’il va puiser à chaque instant une force qui est celle de l’Esprit. En effet, Jean-Paul II prie, souvent, constamment. Le cardinal Lustiger disait un jour : « On ne peut pas s’approcher de Jean-Paul II avec un cœur ouvert, sans être touché par le fait qu’il prie sans cesse. » Il sort de sa prière pour faire son discours et quand il revient pour s’asseoir, de nouveau il se plonge dans la prière. Il n’est que dans la réception c’est-à-dire dans la prière, parce qu’il se reçoit de Dieu, ou dans le don de lui. Le reste a disparu, parce que le reste est inutile.
Le succès du Saint-Père, dès lors, n’a rien d’un succès humain. D’ailleurs, les jeunes ne s’y trompent pas. Ils voient bien qu’il est loin de toutes les mascarades et des séductions de ce monde, de toutes les illusions imaginaires que l’on nous présente. Ils savent qu’ils sont face à quelqu’un qui leur est complètement présent, complètement donné. Je me rappelle les J.M.J. de Torvergata, à Rome. Les deux millions de jeunes (et plus encore) qui étaient présents, sentaient bien que le Saint-Père était là, qu’il n’était qu’à eux. En effet, j’ai été très frappé de voir que, malgré cette immense foule, Jean-Paul II réagissait au quart de seconde, comme si cette foule était une seule personne. Il possède une telle réceptivité qu’il sent à chaque instant ce dont l’autre à besoin. Pour autant il n’a jamais essayé de courtiser les jeunes. Son discours était tout sauf électoraliste, il ne cherchait pas à séduire ou plaire. Bref, le pape nous donnait l’exemple de quelqu’un qui, se recevant totalement de Dieu, ne peut que se donner totalement. Ceci est donc vrai quels que soient l’âge et la condition physique. N’imaginons pas que parce qu’il est le « Saint »-Père, il est saint par nature. Certes, aujourd’hui, je pense bien qu’il est largement plus sanctifié que la plupart d’entre nous, mais il n’est pas né saint et sa charge de souverain pontife ne l’a pas rendu automatiquement saint. Il l’est devenu, il a dû, comme chacun de nous, entrer progressivement dans cette sainteté. Je ne doute pas d’ailleurs que certaines fonctions sont plus sanctifiantes que d’autres et qu’il y ait, en certains cas, en quelque sorte une rétroaction de la fonction sur la personne. Cependant le pape a dû s’engager comme nous sur le chemin de la sainteté. Importantes, de ce point de vue, sont les conséquences physiques de l’attentat de la place Saint-Pierre le 13 mai 1981. Les maladies se sont multipliées et Jean-Paul II, petit à petit, a dû lâcher prise. En 1994, lorsqu’il s’est fracturé le col du fémur, il a dû lâcher encore plus prise. Et imaginez la peur que l’on peut ressentir lorsqu’on est un homme public atteint de la maladie de Parkinson : et si je perdais la parole en public, voire si je perdais la tête. Bon nombre des craintes qui peuvent nous habiter lorsque nous sommes âgés ou que nous sommes malades, Jean-Paul II les a éprouvées. Mais il a tout lâché pour complètement se recevoir de Dieu.
Nous pouvons tirer aussi une conséquence : si Dieu a besoin de notre Saint-Père pour se donner au monde, il n’oublie jamais de sanctifier ceux par qui il passe pour sanctifier les autres. Dieu ne nous utilise jamais. Ainsi, dans cette sanctification de Jean-Paul II, tout a un sens et notamment ses maladies qui l’ont invité progressivement à tout lâcher pour se remettre totalement entre les mains de Dieu. Ça vous plairait, vous, de voir votre visage 10 mètres sur 10 mètres, avec une paralysie de la lèvre et de la bave ? Jean-Paul II est complètement détaché de cela. Quel exemple pour nous qui passons notre temps à sauver notre look. Ça parle beaucoup plus que toutes les façades de ce monde, qui ne trompent que ceux qui veulent se tromper ! Si Jean-Paul II est un don de Dieu pour notre temps, c’est qu’il guérit en nous tous nos besoins de paraître et d’avoir qui nous empêchent d’être en communion profonde avec ce que nous sommes.
« L’homme ne se trouve que dans le don sincère de lui-même » :
Le Pape nous donne ainsi l’exemple de quelqu’un qui vit la vocation la plus profonde de l’homme, à savoir celle de se donner. Ce n’est pas par hasard s’il cite si souvent ce petit passage de la constitution Gaudium et spes (L’Église dans le monde de ce temps) du concile Vatican II. Elle constitue un résumé de l’anthropologie chrétienne et aussi de ce que j’ai pu vous dire. De tout ce que vous avez entendu dans cette conférence, ne retenez que cela : « L’homme, seule créature sur terre que Dieu veut pour lui-même, ne se trouve que dans le don sincère de lui-même [1]. »
Commentons brièvement cette phrase. Elle dit d’abord que l’homme a été voulu par Dieu, pour lui-même : « L’homme, seule créature sur terre », sur terre parce qu’il y a des anges au ciel, « que Dieu veut pour lui-même ». Il est aimé par Dieu en vue de lui-même et non en vue d’autre chose, comme c’est le cas de l’animal ou du végétal qui sont créés pour l’homme. Et le second membre de la phrase dit : l’homme « ne se trouve », c’est-à-dire ne s’accomplit, « que dans le don sincère de lui-même ». Voire, on retrouve les trois moments : l’homme se reçoit de Dieu (c’est le premier moment) pour se trouver (c’est le second moment) et se donner (c’est le troisième moment).
Pascal Ide
[1] Gaudium et spes, n. 24, § 3.