L’« esprit » de Mgr Maxime Charles

Dans une étude suggestive, Samuel Pruvot, qui a consacré une thèse d’histoire à l’œuvre de celui que l’on continue d’appeler « Mgr Charles » (1908-1993) – prélat d’honneur, mais non pas évêque –, affirme que celui-ci a « toujours voulu vivre son ministère avec les exigences d’une trilogie chrétienne éprouvée : la théologie, la piété et l’apostolat [1] ». De fait, de ce trépied, il a vécu dès le début de son ministère, lorsqu’il a demandé de partir dans les banlieues populaires de Paris (à « Malakoff la rouge ») et, après sa mobilisation et son évasion en août 1940, à Lyon comme aumônier des Chantiers de jeunesse (1935-1944), en passant par sa mission d’aumônier à la Sorbonne et la création du « centre Richelieu » (1944-1959), jusqu’à son rectorat à la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre pendant plus d’un quart de siècle (1959-1985).

Centrons-nous par exemple sur ce dernier ministère. Sur la butte montmartroise, Mgr Charles propose une « vulgarisation théologique » de haut-vol, comme le père Kowalski en exegèse, à des jeunes professionnels (et non plus des étudiants), à savoir des cours doctrinaux hebdomadaires organisés sur un cycle de trois années, portant successivement sur Dieu, le Christ et l’Église. Dépoussiérant la spiritualité du Sacré-Cœur, « considéré[e] hâtivement » comme obsolète (le public est veillissant), « conservatrice » et « doloriste [2] », il met en place une adoration silencieuse du Saint-Sacrement et précède d’une décennie l’aggiornamento liturgique demandé par le concile Vatican II. Enfin, ne cessant d’être apôtre, le recteur continue à accompagner de multiples pèlerinages, en Terre Sainte, en Italie, en Espagne ou en Turquie, organise un apostolat pour touristes et incroyants sur le parvis de la basilique et le square Willette, et coopère très étroitement avec les laïcs qu’il appelle à la mission, tout en tenant « à marquer une frontière entre prêtres et laïcs » et en vivant avec les chapelains « une intense vie commune » – bref, en évitant le double écueil, traditionnaliste d’un cloisonnement surplombant entre prêtres et laïcs, et progressiste d’une fonctionnalisation du sacerdoce ministériel qui efface leur distinction ecclésialement structurante.

Cette tripartition – théologie, piété (individuelle et collective, liturgique) et apostolat – s’éclaire à partir d’autres ternaires : théologique (les trois munera, « charges » ou « fonctions », sur lesquels insiste tant le dernier Concile : prophète, prêtre et roi, c’est-à-dire enseignement, sanctification et gouvernement) ; métaphysique (la vérité, la beauté et la bonté) ; et, peut-être plus encore, ontodologique ou amative (la réception, l’appropriation et la donation).

Certains, qui connaissent de près l’héritage de Mgr Charles, regretteront peut-être qu’il soit ici réduit à cette épure formelle et ignore son contenu, notamment la spiritualité bérullienne [3], l’écoute assidue des Pères de l’Église versus un enseignement néoscolastique trop cérébral, le christocentrisme paulinien, l’éthique à l’école de la liturgie, etc. Il ne s’agit surtout pas de nier ce contenu si important et si formateur (les jeunes et les laïcs qu’il a engendrés à cette vie chrétienne totale se comptent par dizaines de milliers). Mais il s’agit de retenir, en effet, cette forme, au sens où le structuralisme est attentif à la vie des structures et à leur efficacité symbolique. Mais surtout parce que, à une époque qui, comme le nôtre, est revenue non pas des pères, mais de leur trahison, afin que l’on puisse plus aisément désolidariser l’enseignement (le « carlisme ») de l’enseigné (Mgr Charles), et de rappeler qu’au fond, il n’y a qu’un seul modèle à imiter : le Christ.

Pascal Ide

[1] Samuel Pruvot, « Un apôtre au xxe siècle », Communio, 19 (janvier-février 1994) n° 1. Décalogue III. Le respect du sabbat, p. 69-81, ici p. 69.

[2] Ibid., p. 76-77.

[3] Cf. Louis Bouyer, « Mgr Charles et l’École française de spiritualité », Ibid., p. 59-61.

30.11.2024
 

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