Jésus, de Nazareth à Jérusalem

Jésus, comédie musicale mise en musique par Pascal Obispo et en scène par Christophe Barratier, 2017.

 

De même que les funérailles nationales de Johnny ont donné à un million de Français se pressant entre La Madeleine et les Champs-Élysées – et des millions d’autres par le relais des multiples médias – d’entendre l’hymne à la charité et parler de Jésus de Nazareth, de même cette belle et courageuse comédie musicale donne à voir et écouter à des dizaines de milliers de personnes Celui dont le Nom signifie « Dieu Sauve ».

 

Je ne suis pas venu pour voir et entendre un récit qui reprenne mot à mot un des quatre évangiles – même si l’essentiel des acta, verba et passa Christi (« ce que Jésus a dit, fait et souffert ») sont attestés avec foi.

Je ne suis pas venu pour admirer un spectaculaire péplum comme on en voit mis en scène à Broadway ou ici même, à la Salle des Sports de Paris – même si les décors sont soignés, les danses bien rythmées, les chants variés (du pop au cantique de la montée au Golgotha), les acteurs exemplairement impliqués, la scène vraiment exploitée, les trouvailles multipliées (Ah, la tentation au désert et son grouillement de démons type Conjured ! Ah, la rencontre entre Caïphe et Pilate où la raison d’État est démasquée comme choix entre l’idolâtrie du pouvoir, symbolisée par les multiples statues se mettant en mouvement, et l’adoration de l’unique vrai Dieu !).

Mais je suis venu pour rencontrer d’une autre manière le Rabbi Iéshouah qui est le centre de ma vie de chrétien et de prêtre. Et je fus touché. J’ai pleuré quand j’ai entendu Pierre et Judas (Clément Verzi) s’écrier en voyant Jésus porter sa Croix : « Qu’ai-je fait ? ». En écho, mon cœur répétait : « Et toi, Pascal, qu’as-tu fait ? ».

J’ai aimé cette manière de traduire en un langage actuel le message éternel. J’ai aimé ce Jésus (Mike Massy) de type intentionnellement sémite, qui ne séduit pas par son aura, mais attire par son humble présence. J’ai aimé Marie Madeleine (Crys Nammour) qui, sauvée contre toute attente, chemine d’un sentiment amoureux trop charnel et trop captatif vers un attachement spirituel passionné et oblatif, à travers une demande de pardon pleine de contrition. J’ai aimé ce Pierre (Olivier Blackstone) au caractère revêche qui challenge Jésus sur ses compétences de pêcheur, se bat avec les soldats romains venus l’arrêter et s’abat, saisi de remords et bientôt de repentir. J’ai aimé l’humour bienvenu (la rencontre avec Matthieu ou les espions de Caïphe aux allures de Laurel et Hardy). J’ai aimé Pilate (Solal), en sa voix, mais aussi en sa présence suffisante (cet adjectif qui dit tout), peut-être pour ce qu’il me disait des compromissions des puissants, mais plus encore pour ce qu’il me révélait de mes tentations de m’auto-suffire et de m’insensibiliser à l’égard d’un monde dérangeant. J’ai aimé cette discrétion dans la représentation du supplice : ces ombres au moment le plus sombre exprimaient suffisamment la violence de la flagellation pour que je ressente l’insupportable souffrance de l’Innocent. J’ai aimé la théorie des quatre manières de recevoir ou ne pas recevoir le Rédempteur – sur fond de saintes femmes qui, elles, se refusent au déchaînement ingrat de violence collective – : le doute du Pilate trop politique, le désespoir de Judas que crucifie une culpabilité apparemment sans rémission, la dureté arrogante de Caïphe (Jeff Broussoux), les larmes annonçant la conversion prochaine de Pierre. J’ai aimé – boutade – la conversion du démon qui, lors des vivat finaux, était le plus zélé des comédiens à mimer le tube La Bonne Nouvelle, dont le refrain a fait se lever la salle : « La Bonne nouvelle, c’est Lui, la Bonne nouvelle, c’est nous » (j’ai la vidéo !). J’ai aimé vivre, de manière très conforme à saint Bernard, la Passion de Jésus à travers la compassion de sa Mère (Anne Sila), et ainsi l’intérioriser pour la laisser me transformer.

J’ai moins aimé notamment la résurrection sans le Ressuscité. Mais il y va peut-être d’un sens plus profond qu’il n’y paraît. Si Jésus n’est pas dans toutes les scènes, il est dans tous les cœurs (des protagonistes). Plus que cela, Jésus ne doit pas être sans cesse présent (physiquement), parce qu’il veut être aimé intérieurement comme notre meilleur ami. « Il vous est bon que je parte », affirme Jésus la veille de sa Passion (Jn 16,7), phrase paradoxale qui ne se comprend que parce que son départ lui donne d’envoyer l’Esprit « qui vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14,26) ; davantage, l’Esprit qui imprime en nous ce que Jésus exprime hors de nous.

 

Au terme, enfants, jeunes, adultes et vieux, hommes et femmes, restaient là, jusqu’à être invités à sortir, silencieux ou parlant non pas d’autre chose, mais du spectacle… En sortant, je suis tombé sur l’une des affiches multi-taguées de remerciements enthousiastes. « Et ils changent les affiches régulièrement », me disait une personne qui avait déjà assisté au spectacle le mois dernier. En songeant à ces modernes ex-votos que sont les tags, je me disais que c’était Jésus qui venait de taguer mon cœur. Toi qui as gravé nos noms dans les paumes de tes mains (Is 49,16), tu désires tant t’inscrire dans le fond de nos âmes.

Pascal Ide

18.12.2017
 

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