« Village-martyr » ou langue martyrisée ?

Redonnons aux mots leur sens. À l’occasion de ce si dramatique tremblement de terre dans la région de Marrakech, j’ai entendu un journaliste de FranceInfo parler de « village-martyr ». Non ! L’on sait aussi que l’on a pu aller jusqu’à étendre ce terme admirable aux kamikazes ou aux attentats-suicides. Non et non ! Contre le permier usage, rappelons que, provenant du grec, marturein, « témoigner », le martyre est le témoignage volontaire d’une personne qui consent à donner sa vie pour une Vérité supérieure. Contre le second, soulignons encore davantage que le martyre est un acte d’amour par lequel la personne verse son sang en se refusant à la violence de verser le sang d’autrui. Le séisme a causé des victimes, de nombreuses victimes. Il suscite aussi des sauveurs qui, de manière admirable, peuvent aller jusqu’à risquer leur vie dans les décombres et là, devenir martyrs.

Généralisons. Dans une interview donnée en 1970 à un journaliste canadien, l’académicien Étienne Gilson répond à un journaliste qui l’interroge sur l’évolution de la langue française et l’importance du travail faite par la vieille dame du Quai Conti [1]. Avec l’ironie et la vivacité qui le caractérise malgré ses 86 ans, l’éminent médiéviste affirme d’abord combien le travail des Immortels est discutable au sens le plus étymologique du terme : c’est ainsi qu’il ne trouve pas pertinent l’introduction du terme de « building » dans le Dictionnaire de l’Académie, alors que, avec cohérence, les Québécois se sont refusés à cet anglicisme qui est exactement traduit par le mot français « bâtiment ». Il a ensuite ajouté cette réflexion qui est digne d’être entendue : quel impact ont les élucubrations savantes de 40 personnes (qui ne sont d’ailleurs pas toujours toutes présentes) face aux 40 millions de personnes que touchent les médias (l’entretien date d’il y a un-demi siècle) ? Et de conclure qu’il est urgent que les journalistes prennent conscience de leur influence, de leur autorité et de leur responsabilité. Donc de la nécessité d’une formation permanente dans le bon usage du support linguistique – nous ne comptons plus les solécismes et barbarismes de nos journalistes. J’ajouterai : et d’une formation dans leur domaine de supposé compétence. Si je ne me trompe, nous ne disposons plus aujourd’hui, en France, de journaliste religieux diplômé en théologie, comme l’était, en son temps, au Figaro, le père Joseph Vandrisse.

Mais revenons à notre sujet : la langue martyrisée ! Plus que jamais vaut la fameuse équation de Marshall MacLuhan : « le médium est le message », si, avant de l’étendre à la technique, nous l’appliquons à la langue et à son bon usage.

Pascal Ide

[1] Archives de Radio-Canada 8 mn. 40 sec.). Sur le site consulté le 9 septembre 2023 : https://www.youtube.com/watch?v=MTqkKABPt9w

18.9.2023
 

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