Comment mieux entrer dans cette importante fête liturgique ? En quoi est-elle actuelle ? Comment en vivre ?
- Pour entrer dans le mystère de la Pentecôte, il peut être éclairant de partir du mystère qui en est comme le symétrique : le mystère de l’Annonciation ou, mieux, de l’Incarnation. Autant celui-ci ouvre la vie du Christ, autant celui-là l’achève. En effet, le cycle de la vita Christi ne s’achève pas à l’Ascension, mais à la Pentecôte, ainsi qu’un signe liturgique l’atteste : avant la réforme liturgique conciliaire, le cierge pascal disparaissait à l’Ascension ; aujourd’hui, il persiste pendant les cinquante jours suivant la Pâques. En effet, l’Esprit n’est pas séparé du Christ, ainsi que nous venons de l’entendre : « L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître » (Jn 16,15).
Développons le parallèle. À l’Annonciation, le Fils est envoyé ; à la Pentecôte, c’est l’Esprit qui est envoyé. Plus précisément, lors de l’Incarnation, il façonne le corps physique du Christ qui est conçu en Marie ; lors de la Pentecôte, il façonne le Corps mystique du Christ qui est engendré par l’intercession de Marie autour de qui sont réunis les Apôtres. À Nazareth, « la puissance du Très-Haut », c’est-à-dire du Père a pris Marie « sous son ombre » qu’est l’Esprit ; à Jérusalem, le Père a envoyé « la force » promise par le Christ (Ac 1,8) sur l’Église naissante. Dans les deux cas, l’Esprit-Saint sature l’espace : Marie est « comblée de grâces » (Lc 1,28) et « la maison où le Apôtres étaient assis fut remplie tout entière » du Souffle pentecostale (Ac 2,2). Mue par le souffle de l’Esprit vivifiant, l’humble Servante du Seigneur sort « avec empressement » (comme les bergers qui « se hâtent » d’aller voire le roi nouveau-né, comme Zachée qui descend « vite » de son sycomore) communiquer la plus grande nouvelle jamais attendue, celle de la venue du Sauveur, au peuple de la Promesse ; poussée par le Souffle divin, l’Église à peine née sort annoncer le Ressuscité au monde entier. Débordant de l’Esprit de joie (« Qu’il m’advienne » signifie beaucoup plus qu’un consentement, ce verbe exprime un désir enthousiaste, la Vierge du Fiat chante son Magnificat ; comblée de l’Esprit pentecostal, l’Église jubile de sa sobre ébriété et de son allégresse contagieuse. Animée par le Don de l’Esprit, source de tous les charismes, Marie qui a reçu la prophétie de l’ange entraîne, par sa seule présence, sa cousine Élisabeth à prophétiser ; incendiée par les langues de feu, la jeune Église prophétise en toutes les langues.
Le sens et le fruit de la Pentecôte sont limpides : par la médiation de Marie, l’Esprit-Saint inaugure un commencement radicalement nouveau (cf. Ap 21,5), il donne au Fils de venir en ce monde. Et le disciple de Jésus qui en est rempli ne peut le garder pour lui. Débordé en amont par ce don in-ouï, il déborde en aval pour le faire entendre à ses frères assoiffés.
- Qu’en est-il aujourd’hui ? Malheureusement, la présence et le rôle de l’Esprit-Saint dans l’Église et dans le monde vont connaître une durable éclipse, au point que les théologiens diront de lui qu’il est le « grand Inconnu ». Ou plutôt le grand Méconnu.
À la fin du xixe siècle, c’est encore par la médiation d’une sainte femme, une religieuse italienne, aujourd’hui béatifiée, qu’il va s’inviter chez les chrétiens. La bienheureuse Elena Guerra a reçu du Ciel la mission de répandre la dévotion à l’Esprit-Saint. Elle fonda une communauté religieuse consacré à celui-ci et forma des groupes de prière qui portait le nom : « Cénacles de Pentecôte ». Leur mission était que l’Église soit unie dans une permanente supplication pour que l’Esprit vienne. Elena désirait que la prière « Viens Saint-Esprit » soit sur les lèvres de tous les catholiques. Et elle écrivit plusieurs lettres confidentielles au pape Léon XIII pour lui annoncer que Dieu désirait renouveler son Église par une redécouverte du Saint-Esprit. Or, contre toute attente, le pape écouta si bien ses demandes qu’il adressa une lettre encyclique à tous les évêques du monde pour que leur diocèse fasse une neuvaine à l’Esprit-Saint se terminant au jour de la Pentecôte, et cela chaque année jusqu’au passage du siècle, en l’occurrence l’entrée dans le xxe siècle [1]. Cette lettre, qui fut la première encyclique sur l’Esprit-Saint, porte un sous-titre significatif : « sur la présence et la puissance merveilleuse du Saint-Esprit [de praesentia et virtute mirifica Spiritus Sancti] ». Autre sujet d’étonnement : Léon XIII demanda de prier ces neuvaines à une intention particulière, l’unité des chrétiens – à une époque où le mot « œcuménisme » n’était employé ni par les catholiques, ni par les protestants. Et il ouvrit le vingtième siècle, le 1er janvier 1901, en entonnant l’hymne antique « Veni Creator Spiritus ». Dernier sujet d’étonnement : malheureusement, peu d’évêques répondirent à la demande du pape, alors que le siècle allait tant avoir besoin de l’Esprit de paix et d’unité.
Mais l’Esprit-Saint a toujours un plan B ! Surtout, il exauce toujours nos prières humbles et persévérantes. Totalement à l’insu des catholiques, exactement le même jour, à Topeka, au Kansas, un petit groupe de protestants, l’école biblique de Béthel, reçut une effusion de l’Esprit, comme à la Pentecôte, se mettant à parler en langues et exerçant différents charismes. Ainsi commença le réveil justement qualifié de pentecôtiste qui s’est répandu comme un feu de brousse et compte aujourd’hui plus de sept cent millions de personnes dans le monde entier [2].
Et la troisième Personne divine continue à agir avec puissance ! Au vingt-et-unième siècle, trois pasteurs protestants ont conduit, chacun, au Christ, tenez-vous bien : un million de personnes ! Soit trois millions de personnes qui ont rencontré Jésus Sauveur [3]. Trois histoires parmi beaucoup d’autres qui peuvent provenir de prêtres catholiques, de pasteurs épiscopaliens, mais aussi des laïcs, des mères au foyer, des banquiers, des médecins, etc. [4]
Si nous savions, frères et sœurs, combien l’Esprit de Jésus aspire à se répandre en nos cœurs (cf. Rm 5,5) ! Mais il ne peut forcer une porte fermée. Il ne peut que frapper, sans se lasser : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi » (Ap 3,20).
- Alors, comment vivre de cet Esprit de Pentecôte ? Trois conseils.
Puisqu’il ne veut jamais intervenir que par la médiation de la « femme » (Ga 4,4-6), prions Marie, elle qui n’a jamais « attristé le Saint Esprit de Dieu » (Ep 4,22), prions « la Servante du Seigneur » (Lc 1,38) qui lui a toujours été docile. Voilà pourquoi Dieu se donne à voir par Marie et le fait particulièrement en ces derniers temps où se multiplient ses venues sur Terre (plus de 2 400 !). À Lourdes, lors de la première apparition, sainte Bernadette a entendu et senti un puissant coup de vent sans que les arbres bougent. Notre Dame et notre Mère, intercédez pour que nous soyons toujours plus obéissants à l’Esprit-Saint, que nous cessions de le contrister par nos « œuvres de chair » que sont « impureté, idolâtrie, sorcellerie, haines, rivalité, jalousie », etc. (Ga 5,19-21), et que nous recevions son fruit qui est neuf : « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (v. 22-23).
Ensuite, partons des hymnes anciennes et nouvelles à l’Esprit-Saint, comme la belle séquence que nous venons de chanter. Avez-vous remarqué combien elles commencent le plus souvent par un impératif, comme un cri : « Viens ! » « Veni Creator Spiritus : Viens Esprit Créateur ! » ; « Veni Sancte Spiritus : Viens Esprit-Saint » ; « Viens, Esprit de Sainteté, viens, Esprit de Lumière ! » ; « Viens, Esprit-Saint, viens en nos cœurs, viens, Esprit-Saint, viens Consolateur » ; etc., etc. Cette demande est une de celle qui agrée le plus l’Esprit-Saint. Comment ne serait-il pas touché par une telle requête ? Comment, lui qui se joint à notre esprit, comme le dit saint Paul, ne se précipiterait-il pas si nous le lui demandons dans la foi ? Peut-être (j’espère !) avez-vous fait une neuvaine pour préparer cette fête de Pentecôte, suppliant chaque jour : « Viens, Esprit-Saint ! » Surtout, nous pouvons le faire maintenant, dans le secret de notre âme et, par exemple, préciser notre demande : « Viens, Esprit de douceur ! Viens, Esprit de patience ! Viens, Esprit de pardon ! » ; préciser pour qui nous demandons : « Viens, Esprit-Saint sur moi-même, mon enfant, mon couple, notre paroisse, nos dirigeants, etc. » Jésus dit : « Combien plus le Père du Ciel donnera-t-il l’Esprit-Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11,13).
Une deuxième constante dans ces prières est la supplication : « Remplis-nous ! » « Viens, Esprit Créateur, emplis [Imple] de la grâce d’En-Haut les cœurs que tu as créés » ; comble nos cénacles et nos demeures intérieures. Dans le Credo, nous lions l’Esprit-Saint à deux attributs : « Je crois en l’Esprit-Saint qui est Seigneur et qui donne la vie ». Il est Seigneur, parce qu’il est Dieu ; et si on ne dit pas Dieu, c’est seulement pour ne pas le confondre avec le Père. Et il est vivifiant. Que nous avons besoin de cette vie ! Je vous disais que, au début du siècle dernier, notre lenteur à croire a conduit l’Esprit à se répandre chez nos frères protestants. Le Renouveau dans l’Esprit-Saint au sein de l’Église catholique a démarré en 1967, deux années après la fin de Vatican II, lors d’une retraite à l’Université Duquesne, à Pittsburgh. Un participant de la retraite résumait ainsi ce qui s’est passé, lorsqu’ils se sont sentis submergés par l’Esprit-Saint :
« Notre foi est devenue vivante, notre coyance est devenue une sorte de connaissance. Tout à coup, le monde du surnaturel est devenu plus réel que le naturel. […] Jésus-Christ est une personne réelle pour nous, une personne réelle qui est notre Seigneur et qui est à l’œuvre dans nos vies [5] ».
Enfin, l’Esprit-Saint nous pousse hors de nos cénacles. Nous nous inquiétons parfois : comment faire pour annoncer le Christ ? Ma vie n’est-elle pas un contre-témoignage ? N’est-ce pas du prosélytisme ? De nouveau, mettons-nous à l’école de Marie. Qu’a-t-elle fait ? A-t-elle adressé à sa cousine une prédication éloquente ? Lui a-t-elle fait un exposé doctrinal ou une leçon de morale sur la bonne manière d’élever son enfant ? Elle l’a seulement saluée ! Mais cette parole provenait d’un cœur qui débordait de l’Esprit-Saint – jusqu’à retentir au plus intime d’Élisabeth, en Jean-Baptiste ! De même, demandons seulement d’être remplis de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire d’amour et d’humble amour. Nous chantons dans le Veni Creator : « Répands ton amour en nos cœurs ». L’amour rayonne : par lui, nous devenons « la lumière du monde » (Mt 5,12), comme dit Jésus, à partir du moment où, au lieu de juger, nous bénissons l’autre, tout autre, sans le juger, au lieu de nous plaindre, nous remercions, au lieu de prendre, nous cherchons à rendre service. Et « soyons toujours prêts à rendre raison » (1 P 3,15) de la Source divine de cet amour : le Christ.
Pascal Ide
[1] Cf. Léon XIII, Lettre encyclique Divinum illud munus sur la présence et la puissance merveilleuse du Saint-Esprit, 9 mai 1897. Si, malheureusement, on ne trouve pas de traduction française sur le site du Saint-Siège, en revanche, il y en a, avec moins de garanties de fiabilité, par exemple sur le site « Porte latine ».
[2] Cf. Marie Healy et Randy Clark, Les dons spirituels. Guide pratique. Foi, guérison, prophétie, discernement…, trad. Cathy Brenti, coll. « Pneumathèque », Nouan-le-Fuzelier, EdB, 2018, p. 111. Je lui dois un certain nombre de références de cette homélie.
[3] Le récit est raconté par Randy Clark dans There is More! The Secret To Experiencing God’S Power To Change Your Life, Chosen, 2013.
[4] Cf. Id., Changed in a Moment, Global Awakening, 2010 ; God Can Use Little Ole Me, Revival Press, 1998.
[5] Patti Gallagher Mansfield, Comme une nouvelle Pentecôte. Les débuts du Renouveau charismatique dans l’Église catholique, trad. inconnue, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 1992 : avec un nouveau sous-titre, Le renouveau charismatique courant de grâce dans l’Église catholique, coll. « Pneumathèque », Nouan-le-Fuzelier, EdB, 2016.