Une approche psychologique du choix des oblats

Le théologien Jacques Joubert propose une intéressante relecture du choix du pain et du vin comme espèces eucharistiques et de la préférence de celui-ci pour celui-là. De fait, c’est au xiiie siècle que l’on a limité la communion au Précieux sang [1]. Un témoin de ce que l’on a progressivement fait disparaître le vin est l’histoire de la fresque de Raphaël, La Dispute du Saint-Sacrement, qui se trouve dans les Stances du Vatican. Dans un premier temps, le peintre avait représenté un calice surmonté d’une hostie. Mais la fresque définitive fut remplacée par un ostensoir mettant en valeur le corps et effaçant le sang-vin. Pourquoi le liquide est-il liquidé ?

La raison est empruntée à la psychanalyse : le pain est au vin ce que le solide est au liquide. Or, le solide demeure, par lui-même, dans un lieu clos, délimité, fini, alors que le liquide, par définition, est indéfinissable (au sens étymologique de non-délimitable), se répand. Mais la délimitation est sécurisante, comme aussi le signe d’une intégration des pulsions, alors que l’absence de limites en signale l’anarchie inquiétante. Certains diront aussi que cette limite est imposée par la structure, l’institution pour mieux la border, la canaliser. « Absence de limites ‘corporelles’ évoquant quelque inquiétante incertitude [2] ? » Bref, ce qui liquéfie est liquidé.

Une confirmation est donnée de ce que le sens chrétien ne s’est jamais totalement satisfait de l’accès à une seule des espèces eucharistiques. On a l’impression que le peuple de Dieu a cherché des compensations multiples : le Cœur de Jésus, le Saint-Graal (dans le troisième récit, la communion se fait au seul Corps, mais le sang est omniprésent), la dévotion aux plaies, au Corps exposé dans le Saint Sacrement. Celui-ci apparaît de manière contemporaine à la raréfaction de la communion sous les deux espèces. Peut-être doit-on lire ici une symbolique plus générale : masculin-féminin ?

Il demeure que, même ce désir d’avoir accès aux deux espèces contourne l’inquiétante étrangeté du liquide et le reconduit à une réalité bien enclose. Or, la réalité limitée en relation au liquide répandu est sa source, en l’occurrence le cœur. D’où une forte dévotion au Cœur du Christ plus qu’à son sang.

 

N’écartons pas trop vite ce genre d’explication assurément limitée. Mon expérience pastorale me montre combien le caractère très incarné de l’Eucharistie « répugne » sans le dire, combien la pratique de la communion dans la bouche n’est pas seulement justifiée par une volonté de plus grand respect ou d’obéissance à une certaine tradition, mais à la conviction que le corps et le sacré ne font pas bon ménage, que minimiser les relations entre le Corps du Christ et mon corps, c’est mieux respecter le premier, bref que notre corporéité est du registre de l’impur. Cette relecture de la signification symbolique des deux espèces, donc du corps-sujet, est complémentaire d’une approche plus objective, relevant du corps-objet, sur la nature physique, très concrète, de ces deux grands dons faits à l’homme du pain et du vin.

Pascal Ide

[1] Cf. Jacques Joubert, Le corps sauvé, coll. « Cogitatio fidei » n° 161, Paris, Le Cerf, 1991, p. 121-140.

[2] Ibid., p. 132.

16.5.2025
 

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