Le Traité de l’amour de Dieu est l’un des plus grands ouvrages de spiritualité de tous les temps. Avec L’introduction à la vie dévote et Les entretiens spirituels [1], il constitue l’œuvre majeure de Saint François de Sales. Sans en rien rentrer dans le détail de l’histoire du texte ni du contenu théologique, je souhaiterais simplement offrir une divisio textus (un plan), que j’ai élaboré il y a environ quarante ans et que je n’ai pas retouchée.
A) Remarques générales
1) Objet
Comme le nom de l’ouvrage l’indique, il traite de l’amour de Dieu. Tel étant l’objet matériel, quel en est l’objet formel. Autrement dit, sous quel point de vue notre auteur envisage-t-il l’amour de Dieu ?
Tout d’abord sous l’angle de la théologie spirituelle, ce qui est dire au moins deux choses : en premier lieu que son point de vue est bien sûr de foi (par opposition au point de vue de la pure raison) ; en second lieu que la perspective est pratique (par opposition à l’exposé spéculatif : même si Saint François ne dédaigne pas éclairer son propos par des rappels de théologie spéculative, la finalité qu’il recherche est non pas d’abord d’enseigner mais de mener à la pratique effective de l’amour de Dieu dans la vie du fidèle.
Ensuite, dans le domaine de la théologie spirituelle, quel domaine enviage-t-il davantage ?
Sainte Thérèse d’Avila dont l’évêque d’Annecy a connu les écrits n’a pas opté pour la répartition des étapes de la vie spirituelle en commençants, progressants et parfaits (pourtant classique en théologie spirituelle), mais lui a préféré une bipartition plus adaptée à son expérience, à savoir : la vie active (les trois premières demeures) et l’oraison passive (les quatre dernières demeures).
On peut répartir les deux œuvres spirituelles majeures de Saint François selon ce schéma (dont il ne faut cependant pas trop durcir l’application mais qu’il faut plutôt aménager) : aux trois premières demeures correspond L’introduction à la vie dévote et aux quatre dernières demeures notre Traité de l’Amour de Dieu.
2) Remarques relatives à la méthode de notre auteur
La pédagogie mise en œuvre par l’évêque de Genève est bien connue et très justement réputée. Elle use de différents moyens :
Tout d’abord, il multiplie volontiers les similitudes, ce qu’en logique on appelle les raisonnements par l’exemple (d’ailleurs on le surprend parfois, comme notre Seigneur à chercher des analogies). Pour cela il convoque toute la nature ; dresser une table de ces similitudes serait sans doute riche d’enseignement. Notons que le Saint évêque présente une prédilection pour les abeilles (les « avettes », comme il dit dans son délicieux vieux français) et pour les images tirées du mariage (on pourrait tirer de son texte un commentaire suivi du Cantique des Cantiques tant sont nombreuses et variées les citations faites à ce chant par excellence de l’amour de Dieu) et des relations de la mère et de son enfant (cela n’est guère plus étonnant que les emprunts faits au Cantique emprunté à Salomon, mais l’insistance et la richesse des images relatives à l’affection de la mère et de son enfant ne laisse pas de frapper).
Ensuite, il utilise souvent des exemples (au double sens d’illustration singulière d’un principe ou d’un précepte universel et d’exemplaire, de modèle, selon la raison apportée par S Thomas dans son commentaire sur Jean ch. 13 à l’importance du modèle : il montre que ce qu’il dit est applicable, possible).
Par ailleurs, la structure du traité est soignée. Les chapitres sont toujours courts : le plus souvent ils ne font pas plus de quatre pages (la durée idéale d’un sermon, en fait) ; ils sont unifiés autour d’une seule problématique (une thèse) bien claire et en général énoncée dans le titre du chapitre qui est très fidèle au contenu. Cela permet au chapitre d’être lu d’une traite avec le minimum de tension dans l’attention et autorise aussi une lecture cursive, survolée quand l’objet du chapitre n’intéresse guère.
De plus, notre auteur aime bien agencer tout ou partie des livres selon une ascension qui rappelle la dialectique platonicienne : cela invite à une progressve spiritualisation à la fois de l’esprit et du désir (qu’il faudra alors faire couler en amour effectif).
En outre, saint François est bien au courant de la théologie classique et nous offre une présentation simple de thèses couramment reçues depuis Saint Thomas (même si pour le détail il est moliniste, comme on le sait). Mais son exposé ne se transforme jamais en traité abstrait : toujours il est attentif à la multiplication des illustrations, à ne pas rentrer dans les discussions d’école et à tirer rapidement des conclusions pratiques. Le seul point rhéologique non sans intérêt pratique sur lequel il est disert est la question des relations entre la grâce de Dieu et la liberté de l’homme (ce qui s’explique sans doute par son itinéraire personnel et par la confrontation avec les calvinistes).
Enfin, nous avons affaire à un psychologue qui multiplie les analyses très fines sans jamais se rendre prisonnier de ses catégories (philosophiques ou théologiques).
B) Plan général des douze livres
Autant l’ordre à l’intérieur des livres apparaît en général clairement, autant le plan des différents livres ne semble pas décisif. Par exemple, n’aurait-on pu déplacer ou intervertir les livres X et XI ? Toutefois privilégions l’état final du texte, faisons confiance à l’ordre adopté par l’évêque de Genève et tentons de déterminer une intelligibilité dans l’ordonnancement entre ces douze livres qui par certains côtés constituent autant de traités.
1) Notion prérequise (préparation)
Ce qu’est l’amour naturel (L. I : ce chiffre romain indique le numéro du livre).
2) Développement sur le sujet du traité : l’amour surnaturel de Dieu
a) Finalité : Dynamique, devenir de l’amour de Dieu dans l’âme
1’) Sa naissance, sa génération (L. II).
2’) Sa croissance (L. III).
3’) Sa décadence et sa ruine (L. IV).
b) Moyens, pratique pour réaliser cette présence en l’âme
1’) En général : deux pratiques (L. V).
2’) En particulier, réalisation de ces moyens
a’) La prière
1’’) En général (L. VI).
2’’) En particulier, sa relation à l’amour : les différents degrés de l’amour dans la prière (L. VII).
b’) L’union à la volonté de Dieu
1’’) Premier degré : l’amour de conformité (L. VIII).
2’’) Second degré : l’amour de soumission (L. IX).
c) Importance et mesure de l’amour de Dieu
1’) Quant à l’objet : sa relation aux autres amours (L. X).
2’) Quant au sujet : sa relation aux autres perfections de l’âme (L. XI).
3) Conclusion
Avis pratiques résumant ce qui fut dit (L. XII).
C) Plan particulier des chapitres [2]
1) Premier livre : l’amour naturel de Dieu
Selon un plan classique, l’auteur procède du plus intérieur au plus extérieur (faculté-acte, en l’occurrence l’amour-objet, en l’occurrence Dieu) :
a) Relations des facultés à l’amour
1’) La diversité des facultés gouvernée par la volonté
a’) Les facultés en général
1’’) Existence de ce gouvernement (1).
2’’) Nature de ce gouvernement (2).
b’) L’appétit sensible (donc l’autre affectivité que la volonté) en particulier (3).
2’) Or, relation de l’amour aux facultés (la volonté en particulier) : il les domine.
a’) De manière générale (4 et 5).
b’) En particulier, l’amour de Dieu (6).
b) L’amour
1’) En général
a’) Nature (7).
b’) Cause efficiente (8).
c’) Finalité (9 et 10).
2’) Les différentes espèces d’amour
c) Objet particulier de l’amour : Dieu
1’) Existence de cet objet (15 et 16).
2’) Cause (17).
3’) Importance (18).
2) Deuxième livre : la naissance de l’amour de Dieu
Saint François nous donne lui-même quelques indications sur le plan qu’il suit en XII, 11.
a) Notion prérequise
1’) Trinité immanente : Dieu en lui-même
a’) Unité d’essence, des perfections (1).
b’) Unité de l’être même (2).
2’) Trinité économique : Dieu en sa Providence
a’) Naturelle (3).
b’) Surnaturelle
1’’) En général, par rapport à toutes les créatures raisonnables (4).
2’’) En particulier, par rapport aux hommes
a’’) Admirable réalisation dans la Rédemption (5 et 6).
b’’) Effets de cette Providence (7).
b) Application à notre sujet : Dieu veut que l’homme l’aime
1’) Naissance de cet amour en l’homme
a’) Côté Dieu (8).
b’) Côté de la réalisation en l’homme
1’’) Ce que Dieu cause en nous (9).
2’’) Ce que l’homme fait
a’’) Négativement : le possible refus (10).
b’’) Positivement : l’acceptation (11).
3’’) Relation entre l’action de Dieu et celle de l’homme qui est respectée (12).
2’) Les différents degrés conduisant à la charité parfaite
a’) L’amour lié à la foi (13 et 14).
b’) L’amour lié à l’espérance
1’’) Nature de l’amour donné par l’espérance (15).
2’’) Pratique de cet amour (16).
3’’) Limite de cet amour (17).
c’) L’amour lié à la pénitence
1’’) Nature de l’amour lié à la pénitence (18).
2’’) Limite de cet amour (19).
3’’) Conséquence : la contrition (20).
d’) Résumé (21).
3’) Le terme : la charité (22).
3) Livre troisième : la croissance, le progrès de l’amour
a) Sur cette terre
1’) Croissance de l’amour sacré
a’) Durant la vie
1’’) Existence de cette croissance (1).
2’’) Cause de cette croissance (2).
3’’) Nature de cette croissance (3).
b’) Lors de la mort
1’’) Nature de la persévérance finale (4).
2’’) Cause de cette persévérance (5).
2’) Perfection de la charité
a’) En général : elle n’existe pas ici-bas (6).
b’) En particulier : celle des saints, dont celle de Marie (7 et 8).
b) Au ciel
1’) Notion prérequise (9).
2’) Exposé
a’) Cause de l’union de charité au ciel (10).
b’) Nature de cette union : la vision béatifique
1’’) Son objet : l’essence divine (11), la génération du Fils (12) et la procession de l’Esprit-Saint (13).
2’’) Sa cause formelle : la lumière de gloire (14).
c’) Propriété : degrés de cette union (15).
4) Quatrième livre La décadence et la ruine de la charité
a) Possibilité de cette dégénérescence de la charité (1).
b) Cause de cette décadence et ruine de la charité
1’) Mouvement de « refroidissement » (2 et 3).
2’) Mode de la perte : instantané (4).
3’) Cause de cette perte
a’) Thèse (5).
b’) Exposé (6).
c’) Conséquence : Exposé (7) et confirmation (8).
c) Effet de la ruine
1’) Exposé (9).
2’) Pronostic : Danger de cet effet (10).
3’) Diagnostic de cet effet (11).
5) Livre cinquième : les deux principaux exercices de l’amour sacré
a) Le premier exercice est la complaisance
1’) En général
a’) Nature de la complaisance (1).
b’) Deux effets (2 et 3).
2’) Forme particulière : la compassion
a’) Exposé général (4).
b’) Une forme particulière (5).
b) Le second exercice est la bienveillance
1’) Exposé de sa nature générale (6).
2’) Différents actes en particulier
a’) Premier acte : le désir d’exalter Dieu (7).
b’) Second acte la louange divine :
1’’) Nature (8).
2’’) Objet
a’’) Les créatures : inférieures (9), l’homme (10), le Rédempteur et la Vierge Marie (11).
b’’) Dieu même (12).
6) Livre sixième : Les exercices du saint amour en l’oraison
a) Nature de l’oraison (1).
b) Les différents degrés de l’oraison
1’) Premier degré : la méditation (2).
2’) Second degré : la contemplation : différence avec le premier
a’) Première différence (3 et 4).
b’) Seconde différence (5).
c’) Troisième différence (6).
c) Les différents effets de l’oraison
1’) Le repos
a’) Existence de ce repos (7).
b’) Nature de ce repos (8).
c’) Sa pratique (9).
d’) Ses différents degrés (10 et 11).
2’) L’écoulement (12).
3’) La blessure
a’) Exposé (13 et 14).
b’) Conséquence (15).
7) Septième livre : l’union de l’âme dans l’oraison
a) Nature de l’union due à la prière (1).
b) Différentes espèces ou degrés de cette union
1’) Distinction de ces différentes espèces (2).
2’) Exposé particulier du degré suprême qu’est le ravissement
a’) Nature du ravissement (3).
b’) Ses diverses espèces
1’’) Première (4).
2’’) Seconde espèce (5).
3’’) Troisième (6 à8).
c’) Effet de cette union (par amour affectif) : la mort spirituelle
1’’) Première espèce de mort : mort en amour (9).
2’’) Seconde et troisième espèces de mort : mort par et pour l’amour (10).
3’’) Quatrième espèce de mort : mort d’amour
a’’) Premier exemple (11).
b’’) Second exemple (12).
c’’) Troisième exemple, par excellence : la Vierge Marie (13 et 14).
8) Huitième livre : L’amour de conformité
a) Causes de l’amour de conformité
1’) Première cause : l’amour de complaisance (1).
2’) Seconde cause : l’amour de bienveillance (2).
b) Objet : la volonté signifiée
1’) Objet en général (3).
2’) Ses différents objets
a’) Objet général de la volonté signifiée : le salut (4).
b’) Objets particuliers de cette volonté
1’’) Les commandements (5).
2’’) Les conseils
a’’) Nature (6 et 7).
b’’) Devoir de les pratiquer (8 et 9).
3’’) Les inspirations
a’’) Nature (10).
b’’) Trois critères de discernement (11 à 13).
3’) Méthode de discernement de la volonté signifiée de Dieu (14).
9) Neuvième livre : l’amour de soumission (ou d’union à la volonté de Dieu)
a) Cet amour en général : volonté de bon plaisir (1).
b) Cet amour en particulier : union de notre volonté au bon plaisir de Dieu dans les tribulations
1’) Exposé général (2).
2’) Deux espèces (qui sont des degrés) d’union
a’) Par résignation (3).
b’) Par indifférence
1’’) Nature de cette union de la volonté (4).
2’’) Objet de cette union
a’’) En toutes choses (5).
b’’) Dans la vie spirituelle, le service de Dieu
1- En positif (6 et 7).
2- En négatif, par rapport aux péchés (8).
3’’) Pratique : les différents degrés de cette union
a’’) Le premier degré (9 et 10).
b’’) Le second degré
1- Exposé général (11).
2- Le degré suprême : le trépas de la volonté
a- Exposé : En général (12 et 13) et par analogies (14).
b- Pratique : différents moyens (14 et 15) et exemples (16).
10) Livre dixième : Commandement d’aimer Dieu sur toutes choses
a) Exposé de ce commandement
1’) Commandement même de l’amour de Dieu
a’) Existence
1’’) Preuve (1).
2’’) Différences quant au statut du sujet : sur terre et au ciel (2).
3’’) Différence quant à l’objet, les autres amours (3).
b’) Ses différents degrés, au nombre de quatre (4 et 5).
c’) Mesure de cet amour
1’’) En général
a’’) Exposé général (6 et 7).
b’’) Exemples et analogies (8 et 9).
2’’) Mesure par rapport à l’amour de nous-mêmes (10).
2’) Commandement de l’amour du prochain (11).
b) Effet de l’amour : le zèle
1’) Preuve que l’amour en général cause le zèle (12).
2’) Cas particulier de l’amour de Dieu
a’) Côté de Dieu (amour de Dieu au sens subjectif) (13).
b’) Côté de l’homme (amour de Dieu au sens objectif)
1’’) Nature de cet amour (15).
2’’) Mode de cet amour : exposé (16) et difficulté (17).
c) Conclusion générale (18).
11) Onzième livre : Souveraineté de l’amour sur toutes les perfections de l’âme
a) Souveraineté à l’égard des habitus
1’) D’abord à l’égard des vertus
a’) Exposé
1’’) La charité rend les vertus agréables (1 et 2).
2’’) La charité rend les vertus plus excellentes
a’’) La charité cause cette excellence (son existence)
1- Pour les vertus infuses (3).
2- Pour les vertus acquises (4 et 5).
b’’) Nature de cette excellence (6).
3’’) La charité inclut tout vertu (7).
4’’) La charité donne la perfection (l’achèvement) à toutes les vertus
a’’) Exposé (9).
b’’) Conséquences
1- Imperfection des vertus des païens (10), des pécheurs (11).
2- Reviviscence des vertus du pêcheur par la charité (12).
b’) Conséquence pratique (13 et 14).
2’) Ensuite à l’égard des dons du Saint-Esprit
a’) Par rapport à tous les dons (15).
b’) Par rapport au premier don en particulier : la crainte
1’’) La crainte amoureuse (16).
2’’) La crainte servile (17 et 18).
b) Souveraineté à l’égard des actes
1’) D’abord, par rapport aux fruits de l’Esprit-Saint et aux béatitudes (19).
2’) Ensuite par rapport aux passions de l’âme
a’) En général (20).
b’) En particulier, la tristesse (21).
12) Livre douzième : quelques avis pratiques
a) Avis sur les conditions de l’amour
1’) Erreur : la complexion naturelle (1).
2’) Vérité : le désir (2 et 3).
b) Avis sur la pratique de l’amour
1’) De la pratique de l’amour de Dieu dans nos œuvres
a’) Négativement : nos œuvres n’empêchent pas cet amour : en général (4) et exemple (5).
b’) Positivement : comment pratiquer cet amour pendant nos activités présentes (6 et 7).
2’) De l’application de nos œuvres à l’amour de Dieu
a’) Moyen général (9).
b’) Autres moyens (10 et 11).
c) Enfin avis sur les raisons, les motifs de l’amour
1’) Les différents motifs : exposé (12) et pratique (13).
2’) Motif par excellence et le plus parfait : le Calvaire (14).
Pascal Ide
[1] Les trois ont été regroupés par André Ravier dans sa précieuse édition de Saint François de Sales, Œuvres, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1669.
[2] Les chapitres sont indiqués par un chiffre arabe placé entre parenthèses.