Que dit l’Évangile de nos besoins ? (Jn 6,24-35) (Homélie de la 18e semaine du Temps ordinaire, année C, dimanche 3 août 2003, Brive la Gaillarde)

« Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura plus jamais faim. Celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif ». (Jn 6,35) Or, la faim et la soif sont les besoins les plus fondamentaux de l’être humain. C’est donc que le Christ se présente à nous comme celui qui vient combler nos désirs les plus fonciers.

Nous procéderons en trois temps : écouter nos besoins, les évaluer, les abreuver.

1) Écouter ses désirs-besoins

Ce premier point semble saugrenu, tant un besoin paraît évident. Il s’impose à nous par le manque dont nous souffrons. Comment ignorer que l’on a faim, que l’on manque de sommeil ?

Pourtant, nous nous camouflons beaucoup de nos besoins. Je ne parle pas déjà des besoins spirituels, mais de besoins de la vie quotidienne. Or, le plus souvent, nous employons le même procédé de camouflage : la colère. Celle-ci n’adopte d’ailleurs pas toujours une forme spectaculaire, volcanique. Beaucoup de nos colères sont à bas-bruit : ce sont des ruminations, des murmures, des bouderies, des rancœurs, parfois entretenus pendant des années.

Or, derrière une colère sommeille toujours un besoin, mais un besoin que l’on oublie de nommer. Deux exemples de la vie courante : « Chérie, quand est-ce que tu vas conduire avec l’accélérateur et non au frein ? » « Chéri, j’en ai assez. Tu arrives toujours à des heures impossibles. Et pour te plonger dans ton journal ». Derrière ces colères, il y a deux besoins : dans le premier cas, celui de la sécurité ; dans le second, celui de se sentir aimé.

Arriver à dire son besoin, c’est donc sortir de l’accusation, de la relation de force. C’est aussi dire « je » : « J’ai besoin de », au lieu d’exiger de l’autre qu’il nous comble.

Mais, vous le sentez, il faut beaucoup d’humilité pour passer de l’accusation à l’aveu de ses besoins. Il faut aussi de la confiance dans l’autre : croire qu’il ne va pas profiter de notre humilité, perdre les avantages de l’accusation, bref, sortir des relations dominant-dominé.

Résumons-nous. Nous sommes tous habités par des besoins. Mais combien les écoutent ? Combien peu les formule : à eux-mêmes et à l’autre. Pourtant, là se trouve l’une des clés de la réussite de nos relations.

Dans l’Évangile du jour, Jésus voit la foule venir à lui, exigeante, lui interdisant le repos légitime. Et c’est lui-même qui fait le travail de nommer leurs besoins : la foule cherche quelqu’un qui satisfasse ses désirs. « Panem et circenses ».

2) Évaluer (et purifier) ses désirs

Après avoir formulé ce besoin, Jésus va plus loin. Notez qu’il ne refuse pas ce premier niveau de besoin. Seulement, il n’en reste pas là. Au contraire, en continuité avec ce besoin, s’étayant sur lui, comme dirait la psychanalyse freudienne, il va creuser à un niveau plus profond.

De même, dans nos vies, nous en restons trop souvent à nos besoins les plus superficiels. Mais nous ne mesurons pas combien notre âme a soif. Par exemple, mesurons-nous combien notre intelligence a soif de vérité : cela fait combien de temps que vous n’avez pas lu un véritable livre et non un magazine ou regardé la télévision ? Cela fait combien de temps que nous n’avons pas entendu quelqu’un nous dire : « Je t’aime », gratuitement ? (je songe à l’histoire du Père Bro : « La seule demande en mariage dont je crois qu’elle n’encombre pas inutilement mon cœur est celle de cette petite fille de six ans me demandant de l’épouser ! ») Mais retournez la proposition : votre cœur a aussi besoin d’aimer et de le dire.

Il y a plus. Non seulement nous n’écoutons pas nos besoins plus profonds, mais nous sommes traversés, assiégés par de faux besoins. Ceux que créent les médias, la publicité, etc. Surtout, ceux qui ont pénétré notre intimité et nous aliènent. Le critère est qu’ils deviennent le centre de notre vie et de nos préoccupations : la musique, la philatélie, la chasse, Internet, voire l’autre (dans la passion amoureuse), etc. La Bible les désigne d’un nom : les idoles.

Il est donc normal d’avoir des désirs, des besoins. La question est : quelle est leur hiérarchie ? Acceptons-nous aussi de les purifier ?

Soyons clair : nous ne pouvons pas être comblés. Nous ne pouvons pas ne pas ressentir la soif et la faim. L’euphorie perpétuelle est un leurre et le pire des esclavages. Le manque, l’absence de l’autre, la solitude, le délai (la différence de rythme), la maladie, la faiblesse font partie de la vie. Application : danger du portable (de la solitude de l’avion à l’autobus soudain transformé en standard téléphonique), de l’Internet (d’où vient donc cette fausse injonction selon laquelle il faut répondre tous les jours à son courrier ?), etc.

3) Rassasier ses désirs « Je suis le pain de vie ».

Il est normal que nous soyons des êtres inquiets ; car nous sommes des êtres de désir. Il y a peut-être pire encore que celui qui est prisonnier de faux besoins : celui qui n’a plus de désir ni de besoin, qui a tout tué. Mais de quoi sommes-nous inquiets ? Surtout, qui peut donc nous rassasier, combler nos besoins ? Nous avons de la chance, quelqu’un a répondu : « Je suis le pain de vie ». Si Jésus se dit pain, s’il se fait nourriture dans l’Eucharistie, c’est bien pour dire qu’il vient à la rencontre de nos aspirations les plus cordiales. Le psaume du bon berger a cette formule étonnante : « Le Seigneur est mon berger, avec lui, rien ne saurait me manquer ». Personne ne peut dire cela à l’autre ; seul Dieu peut le dire : car seul l’infini peut submerger les attentes de notre cœur.

Mais comment Jésus rencontre-t-il notre désir ? Jésus répond aussi à cette question. Il utilise deux verbes : « celui qui vient à moi » et « celui qui croit en moi ». Venir à lui, c’est se convertir ; croire en lui, c’est lui être uni. C’est par la foi, en remettant ma confiance entre ses mains

Un doute demeure en vous : si je crois en Jésus, il répond à mes besoins, il doit me combler ; or, je continue à ressentir un manque, il m’arrive d’être inquiet, triste ; c’est donc que, soit je ne crois pas assez, soit Dieu m’a trompé.

En fait, la foi en Dieu ne comble pas. Seule nous rassasiera la vision de Dieu. Nous ne pouvons pas obturer le manque en cette vie. Il demeure que nous ne nous trompons pas en attendant cela de Dieu et on attend, dans l’espérance que donne la foi.

D’ailleurs, seule la centralité du Christ peut nous guérir de nos dépendances profondes, de nos addictions. C’est ce que montrent les douze étapes des Alcooliques Anonymes.

En attendant, en cette vie, il est essentiel de nourrir notre foi. À cet égard et pour fini, je vous poserai trois questions :

– Cela fait combien de temps que vous n’avez pas fait de retraite, je veux dire pris plusieurs jours pour Dieu ? Pourtant, les propositions ne manquent pas en France : pélerinages diocésains, pélerinages à Lourdes, sessions à Paray-le-Monial, retraite dans un monastère, etc.

– Jésus est pain de vie avant tout dans l’Eucharistie. Cela fait combien de temps que vous n’êtes pas sorti pour rendre visite à Jésus ici dans l’Eglise. « Jésus dans le tabernacle ne fait pas la prière du solitaire mais du délaissé », disait Marthe Robin.

– Notre âme a besoin de prière, donc d’intimité et de silence. Combien de temps par jour vivez-vous dans un véritable silence radio, extérieur, mais plus encore intérieur ?

Pascal Ide

 

14.7.2025
 

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