La robe de mariée (1976) est l’un des tableaux les plus représentatifs de l’inspiration de Paul Delvaux, peintre belge. L’inspiration, très personnelle de ce grand artiste de notre siècle le situe à mi-chemin entre Surréalisme et Symbolisme.
On y voit deux thèmes toujours présents dans ses toiles : d’une part le tramway, d’autre part, la jeune femme, ici habillée (!), car c’est une jeune mariée. Mais le train sur des rails venant de nulle part et menant vers un but ignoré, ainsi que la douce jeune femme solitaire au regard mélancolique expriment la même attente vide, la même espérance sinon déçue, du moins absente. Les femmes ne sont pas des objets de contemplation érotique, mais le symbole d’un éternel féminin, isolé et inaccessible qui ne peut pas plus rencontrer le bonheur qu’elle ne peut être rencontrée. La mère de Delvaux ne lui inculqua-t-elle pas la terreur des femmes ?
Pourquoi cette mélancolie omniprésente ? L’explication psychologico-biographique est tentante et n’est sans doute pas une réduction : Delvaux était d’une extrême timidité et sa réserve n’excluait pas une bonté et une douceur légendaires. « Fils d’un avocat et d’une mère assez possessive, il fut élevé par une famille bourgeoise plutôt étroite et conformiste. Ses parents lui firent toujours sentir qu’il éait un incapable ». Surtout, la grande blessure du peintre fut l’interdiction opposée par ses parents à ce qu’il épouse le grand amour de sa vie, rencontrée alors qu’il avait déjà 31 ans, une jeune anversoise, Anne-Marie de Martelaere, car elle était sans fortune. Paul fit un mariage de raison avec Suzanne Purnal, une riche divorcée qui le trompait ouvertement, ce qui lui fut cause de grands chagrins ; il peut heureusement épouse Anne-Marie toujours célibataire, en 1952, après avoir divorcé en 1949 de Suzanne. Etrangement, le climat parfois pessimiste, toujours onirique, de ses toiles ne changea guère, les squelettes n’ont pas disparu : son âme avait été profondément, indélibilement, blessée par une enfance sinistre et un premier mariage intérieurement très éprouvant. Sans oublier qu’il dut vivre avec Anne-Marie une période de misère noire suite à un divorce qui le dépouilla entièrement, avant que la renommée ne vint enfin couronner son talent.
Mais la blessure la plus profonde n’est-elle pas plutôt l’absence de foi ? Bien qu’il se soit marié et fait enterrer à l’Eglise (il est mort le 20 juillet 1994, à Furnes, en Belgique), il s’est toujours déclaré tranquillement non-religieux. Est-ce sûr ? Les âmes d’artiste connaissent des élévations qu’ils n’arrivent parfois pas à nommer. Sa douceur, malgré les longues années de culpabilisation, d’inhibition, son courage, son absence de toute plainte, lorsqu’il perdit Anne-Marie (« Tam »), en 1978 et la vue en 1983 (la plus grande épreuve que puisse connaître un peintre ; un musicien, même sourd, peut continuer à composer, comme Beethoven nous en donne l’exemple génial), serait-elle un témoignage de la présence secrète de la grâce opérant dans son cœur, et, pourquoi pas, dans une inspiration qui s’est toujours refusée à la violence, facile, trop présente en ce siècle trop enclin à prendre l’authenticité de l’impulsion pour la vérité ? [1]
Pascal Ide
[1] Marie-Gabrielle Leblanc, « Paul Delvaux dans le dernier train », in Famille chrétienne n° 867, du 25 août 1994. Cf. Maurice Debra, Promenades et entretiens avec Paul Delvaux, Paris, Duculot, 1991. Marcel Paquet, Paul Delvaux, l’essence de la peinture, 1982.