Pâques, la clé de l’histoire universelle (dimanche de Pâques, 31 mars 2024)

Frères et sœurs,

 

La Résurrection de Notre Seigneur est la clé qui ouvre l’histoire universelle. Mais pas comme nous l’imaginons. Pour comprendre comment, parcourons cette histoire.

 

  1. Cette nuit, pendant le long et splendide office des lectures de la veillée pascale, nous avons entendu la traversée de la Mer Rouge. Encore faut-il bien comprendre quelle en est la signification !

Souvent, nous lisons cet épisode comme la victoire écrasante de Dieu sur Pharaon l’usurpateur qui maintenait injustement son peuple (celui de Dieu, pas de Pharaon) en esclavage. Certes, tuer toute son arme et son chef lui-même, c’est violent. Certes, faire mourir tous les premiers nés d’Égypte est terrifiant. Mais, comme disent les enfants en cours de récréation, « c’est bien fait » : lui-même, Pharaon n’avait-il pas commencé ? Lui-même n’entendait que ce langage de surenchère dans la violence et la puissance. Le Dieu de l’Alliance n’avait-il pas multiplié les avertissements en multipliant les miracles (les fameuses plaies d’Égypte), avant d’en arriver à ces ultimes démonstrations de toute-puissance ?

Mais en rester là serait passer à côté de l’essentiel : si Dieu veut faire passer à son peuple la Mer Rouge, c’est pour quitter ce pays d’Égypte, la grande puissance de l’époque, qui est un pays de mort : non seulement, c’est un pays idolâtre (la première idole est d’ailleurs le Pharaon lui-même qui se croit divin et sacrifie toute une génération de ses sujets pour se construire une demeure le protégeant de la mort, la pyramide), mais c’est un pays profondément compromis avec les pratiques ésotériques et même sataniques (les tours de magie pratiqués par les magiciens de Pharaon lors de la multiplication des plaies l’attestent). Dieu veut avant tout libérer le Peuple élu, celui qui doit préparer la venue du Messie, de ses compromissions pécheresses avec les divinités païennes et les pratiques dévoyées. Bref, déjà alors, l’exode extérieur de l’Égypte vers la Terre promise vise l’exode intérieur du bonheur mensonger qu’est le péché à la Béatitude suprême qu’est la promesse de Dieu.

 

  1. Nous le savons, cet exode du Peuple élu prépare et préfigure celui du Christ hors du tombeau, et celui du « nouvel Israël » qu’est « l’Église du Christ [1]». D’ailleurs, il porte le même nom : pâques, c’est-à-dire « passage ». Mais, là encore, ne nous trompons pas de sens.

Un certain nombre de représentations picturales de la Résurrection pourraient nous tromper. À commencer par le tableau peut-être le plus célèbre, présent sur le retable ouvert d’Issenheim composé par Matthias Grünewald. Nous contemplons un admirable Ressuscité dont le Corps glorieux est tellement lumineux qu’il semble diaphane et dont toute la gloire, qui est celle d’aimer, provient de ses cinq plaies qu’il montre pour toujours à l’univers entier. Ce qui est gênant, est que nous voyons, à ses pieds, trois gardes, l’un, au dernier plan, culbutant sous le choc, l’autre, au premier plan, s’effondrant en se protégeant de l’insoutenable lumière, le troisième, au plan intermédiaire, qui, se retourne, à terre, incapable de contempler Celui qui pourtant se donne à voir. Tous s’effondrent, terrassé par la fulgurance de l’instant et la puissance du Christ transfiguré.

Pourtant, relisez bien les quatre évangiles, aucun ne raconte la Résurrection, à aucun moment nous ne voyons Jésus surgir du tombeau, libre et vainqueur. Certes, il est dit dans le premier d’entre eux : « Les gardes tressaillirent d’effroi et devinrent comme morts » (Mt 28,4). Mais c’est à la vision de l’Ange venant annoncer la Résurrection, et non à celle du Ressuscité. Certes aussi, dans un bon scénario de film, le héros bon et innocent ne manque pas, au terme de l’histoire, de revenir pour attester la vérité, montrer aux méchants qui est le véritable vainqueur et, dans le meilleur des cas, obtenir d’eux leur amendement. Mais, justement, nous ne sommes pas dans un script hollywoodien qui, presque toujours, nourrit nos compromissions avec la violences et nos désirs victimaires d’externaliser la conversion : le monde irait tellement mieux si tous les méchants (des gouvernants à notre conjoint, en passant par nos voisins…) se convertissaient ! Et si le Ressuscité se refuse à cette pseudo-histoire triomphante, c’est pour que s’accomplisse une toute autre résurrection qui est une victoire sur la mort autrement plus définitive. Nous y reviendrons. Pour l’instant, il nous faut continuer à relire notre histoire, dont la Résurrection est la clé.

 

  1. Après le passé et bientôt le présent, considérons l’avenir. Ou plutôt l’avenir tel que certains se le présentent !

Nous connaissons bien aujourd’hui le fantasme du transhumanisme qui rêve d’une humanité 2.0 presque immortelle. Dans une conférence tedx, Laurent Alexandre prophétisait sans vergogne que, non pas lui, mais certains de ses auditeurs vivraient mille ans [2]. Mais pourquoi pas lui ? L’on sait pourtant que le Christ n’est crédible, c’est-à-dire n’est digne de foi, que parce qu’il est le premier Ressuscité, le « premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8,29) ! Ensuite et surtout, ce n’est pas comprendre que cette immortalité est une « éternullité », un prolongement sans fin d’une vie qui n’est désirable que parce qu’elle s’arrête un jour pour s’ouvrir sur la seule vie qui mérite de durer toujours, celle qui, justement fait l’objet du premier dialogue du prêtre avec les catéchumènes (ou les parents d’enfants) : « Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? – La vie éternelle ! » Oui, c’est ce que nous recevons par notre baptême. Mais l’acquisition ou plutôt l’accomplissement de cette vie éternelle demande de passer par la mort (physique) au lieu de la refouler comme la plus grande des abominations. Autrement dit, elle passe (toujours la Pâque !) par notre résurrection. Donc, par la seule victoire sur l’ultime ennemi qu’est la mort : celle que le Christ nous a obtenue (1 Co 15 en entier).

Vous direz que ce rêve du transhumanisme (qui est, en réalité un cauchemar) ne fait pas rêver grand monde. Est-ce si sûr ? Dans un essai retentissant écrit il y a presque un tiers de siècle, mais qui est toujours d’actualité, Lucien Sfez montrait que nos sociétés marchandes militaient en faveur d’une utopie, la santé parfaite, dont l’accomplissement était l’abolition de toute maladie, donc de toute mort [3]. L’ensauvagement de la mort qui conduit à ce que 80 % des morts se déroulent à l’hôpital, donc soient cachées, participent du même processus de déni [4]. A minima, la fétichisation de la vie qui fut au cœur du confinement de tout l’Occident en 2020 a fait passer cette vie physique, et donc la crainte absolutisée de la mort, avant tout autre bien, comme la relation à nos proches, à commencer par les plus vulnérables (par exemple en Ephad) ou la pratique publique de notre foi.

Une romancière contemporaine inspirée l’a compris, mais j’en parlerai dans un très prochain billet !

 

  1. Les trois Pâques dont je viens de vous entretenir et qui embrassent tous les temps de l’histoire n’ont de sens que si elle conduit à la pâque par excellence, la nôtre, et dès aujourd’hui.

Hier soir, nous avons aussi entendu une autre lecture, celle de saint Paul (cf. Rm 6,3b-11). Cet immense génie spirituel a compris que la Pâque du Christ s’accomplit en nous par notre passage de la mort du péché à la vie de sainteté, donc par notre conversion : « si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. […] Vous aussi, pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus Christ » (v. 6 et 11). Cessons de faire de ces mots une belle image pieuse. Oui, nos péchés sont de véritables morts spirituelles qui nous incarcèrent dans nos tombeaux, nous et d’ailleurs aussi les autres qui nous entourent. Pensons à tous nos égoïsmes, jalousies, orgueils, intempérances, paresses, etc., qui emprisonnent et tuent la vie, c’est-à-dire l’amour qui circule.

Nous disions que la vie éternelle requiert de passer par la mort corporelle. Il faut ajouter que, beaucoup plus, elle exige la mort spirituelle de nos morts spirituelles, c’est-à-dire de nos péchés. C’est ce dont témoignent les catéchumènes : plus de 12 000 d’entre eux ont été baptisés dans cette nuit pascale ! Un tiers de plus que l’an passé ! Quelle espérance ! Voici le témoignage de l’un d’entre eux, voici quelques années :

 

« Je suis un fils de l’Eglise qui, étant parti faire un voyage loin de chez lui, décide enfin de rentrer. J’étais pourtant dans l’ignorance de son existence, essayant de construire moi-même la maison de mes rêves. Comment donc savoir que l’Eglise avait une place pour moi ? Je me trouvais alors dans ce que saint Augustin appelle un ‘adultère spirituel’. Il m’avait été expliqué plus jeune que Dieu n’existait pas, et je ne sais pas trop pourquoi, je crus bien volontiers ces paroles, quoi que j’aurais pu croire de la même manière le contraire s’il me l’avait été soufflé.

« Alors puisque Dieu n’existait pas, il fallait bien combler ce vide et je me suis mis à la recherche d’une autre vérité, m’écartant du même coup de la seule véritable. Je me dirigeai vers l’armée en quête d’une vérité dans les relations humaines qu’elle seule pourrait m’offrir…

« À l’issue d’un été de débauche – j’emploie le terme dans sa signification la plus étendue – je fus pris en plein milieu d’une nuit, d’un besoin de prier. J’en fus le premier surpris puisque Dieu, c’était pour les autres. Et puis, me dis-je, tu ne sais même pas prier. Tu es ridicule tout seul au milieu des bois (au loin la fête battait son plein), si les gens te voyaient, ils riraient bien.

« J’aurais pu mettre ça sur le compte de l’alcool mais j’étais désespérément sobre et désespérais tout court. Soudain, je ne me sentais plus seul et une chaleur bienveillante s’empara de mon coeur et me plia les genoux pour la première fois. Et pour la première fois, je lui adressais officiellement ma demande de pardon et de miséricorde. Dans ma prière sans issue, une lumière venait de m’indiquer une porte. J’allais mettre six ans à l’ouvrir.

« Six années de tâtonnements, de questions, de renoncement et surtout cette rencontre avec celui qui deviendra mon parrain. Ce porteur de lumière qui m’a tendu la main et m’a indiqué le chemin sans même s’en rendre compte. Cet apôtre du Christ qui m’a donné les clés pour ouvrir la porte que je contemplais maintenant depuis trop longtemps. Trente petites minutes devant la croix auront suffi à mettre un trait sur 26 années passées à l’ombre de son Amour… [5] ».

 

En déclinant les différents sens de la Résurrection et en parcourant l’intégralité de l’histoire, nous avons parcouru les quatre sens de l’Écriture : littéral (le passage de l’Égypte, terre de mort, à la Terre promise où coulent le lait et le miel), typologique (son accomplissement par le Christ qui, dans sa Pâque, passe du tombeau à la vie glorieuse), eschatologique ou anagogique (le passage ultime dans la vie éternelle par la résurrection de la chair), éthique ou tropologique (notre propre passage de la mort spirituelle du péché à la conversion). Alors, demandons-nous : de quelle mort le Christ veut-il aujourd’hui me délivrer ? A quelle liberté nouvelle et quelle vie le Ressucité m’appelle-t-il en ce temps béni de Pâques ? « Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts » (Rm 6,4).

Pascal Ide

[1] Concile Œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium sur l’Église, 21 novembre 1964, n. 9, § 3.

[2] Cf. Laurent Alexandre, « Le recul de la mort – l’immortalité à brève échéance ? », TEDxParis 2012, vidéo toujours en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=KGD-7M7iYzs

[3] Cf. Lucien Sfez, La santé parfaite. Critique d’une nouvelle utopie, coll. « L’histoire immédiate », Paris, Éd. du Seuil, 1995.

[4] Cf. Philippe Ariès, L’Homme devant la mort. 1. Le Temps des gisants ; 2. La Mort ensauvagée, coll. « Points. Histoire » n° 82-83, Paris, Éd. du Seuil, 1985.

 

 

[5] Pierre, catéchumène, Pâques 2009, « Soudain, je ne me sentais plus seul… », Témoignages de catéchumènes, site de l’Église catholique en France, consulté ce dimanche de Pâques : https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/les-grandes-fetes-chretiennes/careme-et-paques/371358-temoignages-de-catechumenes/#:~:text=Libre%20d’aimer%2C%20prêt%20à,ses%20différences%20et%20ses%20défauts.

31.3.2024
 

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