« Ne crains pas, crois seulement » (Mc 5,36). Cette brève exhortation de Jésus au chef de la Synagogue résume tout notre chemin de la crainte paralysante à la foi-confiance dynamisante. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, c’est celui qu’a arpenté Martin Luther King Jr [1]. Il se déroule « une nuit » qu’il « n’oubliera jamais ». Il rentre tard d’une rencontre avec le Comité exécutif. Tombant de fatigue, il veut prendre du repos.
« C’est alors que le téléphone sonna. Je décrochai et j’entendis une horrible voix qui disait en substance : ‘Écoute, sale nègre, on en a marre de toi et de ton merdier. Si dans trois jours tu n’a pas quitté cette ville, on te fait sauter la cervelle, et la maison avec’.
« J’avais souvent entendu cela avant, mais, je ne sais pourquoi, cette fois-ci ces paroles m’atteignirent. Je me retournait et j’essayai de dormir, mais en vain. J’étais atterré, égaré ».
Il cherche à se calmer en prenant du café, mais en vain. Voilà pour la peur.
« Je me mis alors à réfléchir à beaucoup de choses. À la théologie et à la philosophie que je venis d’étudier à l’université, en essayant de trouver des raisons philosophiques et théologiques à l’existence et à la réalité du mal et du péché, mais la réponse ne vint pas tout à fait de ce côté-là ».
Et, soudain, Martin Luther passe du « il » distancié au « tu » engagé. Il s’interpelle, il s’exhorte :
« Tu ne peux qu’en appeler à ce quelque chose, à cette personne dont ton Père t’a maintes fois parlé. Cette force qui peut ouvrir un chemin là où il n’y a pas d’issue. Je me rends compte alors qu’il fallait que la religion devienne pour moi une réalité et que je connaisse Dieu pour moi-même ».
Puis, il va du « tu » humain, lui-même, au « Tu » divin, c’est-à-dire il se met à prier, prier Jésus et surtout prier en vérité, c’est-à-dire en toute confiance. Et voilà pour la foi-confiance dont l’acte par excellence est la prière : « J’inclinai la tête devant cette tasse de café – ça, je ne l’oublierai jamais ! – et je me mis à prier » à haute voix dans la nuit :
« Seigneur, me voici – essayant de faire ce qu’il faut faire. Je pense que j’ai raison. Je pense que la cause que nous représentons est juste. Mais, Seigneur, je dois avouer qu’aujourd’hui je suis faible, je suis en train de craquer, de perdre courage. Je ne peux pourtant pas laisser les gens me voir ainsi, parce que s’ils me voient faible et découragé, eux aussi vont commencer à faiblir. Interviens, Seigneur, et donne-moi la force nécessaire pour que je puisse demain matin me présenter devant le Comité exécutif avec le sourire ».
Apparemment, Martin Luther King demande peu : la force de sourire. En fait, il se produit beaucoup. Il s’agit d’une véritable révolution, une seconde conversion. Il passe d’une vie seulement pour Dieu à une vie aussi par Dieu. Autrement dit, il passe de chauffeur à passager (c’est désormais Dieu qui prend les rênes). La conséquence est l’élargissement radical de la fécondité : il passe d’une action à taille humaine à une action à taille divine. On connaît la suite :
« À cet instant, j’entendis une voix intérieure me dire : ‘Martin Luther, lève-toi. Lève-toi pour le droit, lève-toi pour la justice, lève-toi pour la vérité. Et je serai avec toi. Même jusqu’à la fin du monde’.
« Oui, je vous le dis, j’ai vu l’éclair. J’ai entendu le grondement du tonnerre. J’ai entendu les forces du mal se jeter sur moi, essayant de s’emparer de mon âme. Mais j’ai entendu la voix de Jésus me disant de poursuivre le combat. Il promit de ne jmais m’abandonner, de ne jamais me laisser seuil. Jamais seul. […] Et maintenant je marche en croyant en lui ».
C’est souvent au bout du désespoir que nous trouvons la véritable espérance. « Ne crains pas, crois seulement ». Et la fécondité avec elle.
Pascal Ide
[1] Raconté par Martin Steffens, Dieu, après la peur, coll. « La foi au cœur », Paris, Salvator, 2023, p. 152-153.