Mystérieuse fécondité du martyr

Tertullien a résumé la fécondité des martyrs dans une formule rimée qui est devenue célèbre : « Sanguis martyrum semen Christianorum : Le sang des martyrs est semence de chrétiens [1] ». Comment la comprendre ? Laissons la parole à ceux qui vivent cette mystérieuse fécondité des martyrs. Les premiers chrétiens l’ont très tôt vu à l’œuvre et, à travers elle, la maternité ecclésiale. C’est par exemple ce qu’atteste le récit des martyrs de Lyon (environ 177) qui redonne vie aux apostats :

 

« [45] Le délai ne fut pour eux ni inutile ni stérile ; mais par la patience des prisonniers se manifesta l’incommensurable miséricorde du Christ : par les vivants, en effet, étaient vivifiés les morts et les martyrs donnaient la grâce à ceux qui n’étaient pas martyrs. Ce fut une grande joie pour la vierge mère de recevoir vivants ceux qu’elle avait rejetés morts de son sein. [46] Par eux, en effet, la plupart des apostats se mesurèrent de nouveau ; ils furent une seconde fois conçus et ranimés : ils apprirent à confesseur leur foi ; et ce fut vivants désormais et affermis qu’ils se présentèrent au tribunal pour y être de nouveau interrogés par le gouverneur [2] ».

 

La causalité est-elle seulement exemplaire ou imitative ? Qui a vu le film Cristeros ou lu la narration de l’emprisonnement du cardinal Van Thuan sait combien ces exemples stimulent notre désir à nous donner de nous-mêmes. Mais le récit des martyrs de Lyon dit plus. Il parle de « la vierge mère », à savoir l’Église qui est à la fois vierge et mère [3]. Or, elle est Virgo, en tant qu’elle est épousée par le Christ qui la purifie et la revirginise (cf. Ep 5,21-33). Et elle est Mater, en tant qu’elle ne cesse d’engendrer de nouveaux enfants, certes par les sacrements, mais aussi par les martyrs. Comment le comprendre ? Peut-être en interrogeant l’admirable symbole mobilisé par Tertullien. Celui-ci ne dit pas platement, presque abstraitement : « les martyrs », mais « le sang des martyrs ». Or, le sang est le symbole de la vie qui coule en nos veines. Plus encore, il opère effectivement l’unité de l’organisme en communiquant cette eau qui porte le souffle qui porte le feu à chacune des cellules composant le corps : il est comme l’esprit vivifiant et aimant. Décidément, « tout est connecté », par l’amour qui donne et reçoit vie. Ainsi donc, les martyrs sont ceux qui font circuler l’Esprit d’amour au sein du corps du Christ.

Pascal Ide

[1] Tertullien, Apologeticus, 50 : PL 1, 535a.

[2] Lettre des communautés de Lyon et de Vienne aux Églises d’Asie, sur les martyrs de Lyon, dans Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, L. V, chap. 1, 45-46, trad., coll. « Sources chrétiennes » n° 41, Paris, Le Cerf, p. 18. Trad. légèrement différente sur le site consulté le 14 mars 2022 : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/eusebe/histoire5.htm

[3] Le thème de la maternité ecclésiale de l’Ecclesia-Mater apparaît très précocément (cf. Karl Delahaye, « Ecclesia Mater » chez les Pères des trois premiers siècles. Pour un renouvellement de la Pastorale d’aujourd’hui, trad. Paul-Georges Vergriete et Évelyne Bouis, coll. « Unam sanctam » n° 46, Paris, Le Cerf, 1964 ;  Joseph C. Plumpe, Mater Ecclesia. An Inquiry into the Concept of the Church as Mother in Early Christianity, coll. « The Catholic University of America Studies in Christian Antiquity » n° 5, Washington, The Catholic University of America Press, 1943).

2.4.2022
 

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