Triple 9
Triple 9, Film d’action policier américain de John Hillcoat, 2016.
Thèmes
Le mal ; le bien.
En sortant de 999, j’ai entendu trois personnes à cheveux blancs échanger, accablées : « D’un bout à l’autre du film, je n’ai rien, mais vraiment rien compris au film. Qui étaient les bons ? Qui étaient les méchants ? ». C’est une question d’autant plus légitime que l’originalité et l’intérêt du récit est de refuser autant le manichéisme optimiste (et naïf) que le cynisme pessimiste (et au fond tout aussi naïf). Pour autant, si le nouveau film, attendu, de John Hillcoat est ultra-violent (au point que je le déconseille vivement aux personnes sensibles), sa violence ne reflue jamais jusqu’à brouiller la distinction du bien et du mal, du juste et du malhonnête, au point d’en brouiller les frontières. Reste qu’il offre une sorte de dégradé presque continu du meilleur au pire : dans la subtile galerie de personnages, et dans la variété des rythmes, allant du plus brutal au plus léger, harmonisant heureusement le contenu et la forme (par exemple, .
Le côté le plus obscur est représenté par la glaciale et glaçante Irina Vlaslov remarquablement jouée par Kate Winslet (décidément, le talent d’un acteur se mesure à sa capacité à interpréter les rôles les plus contrastés, notamment selon les trois axes : dramatique-comique ; bon-méchant ; intelligent-sot). Elle n’est pas seulement narcissique (allant jusqu’à kidnapper son neveu pour faire chanter le père), assumant d’ailleurs pleinement sa solitude (certes, son mari, est le chef de l’organisation criminelle russo-israélienne, mais elle n’a nul besoin de lui pour décider et agir). Mais elle est perverse, c’est-à-dire jouit de faire souffrir (depuis la première image où elle jette avec mépris les dents qu’elle a fait arracher méthodiquement à deux dealers, jusqu’à la dernière où elle raconte goulûment ce qu’elle a fait subir à sa sœur et que je n’ose retranscrire).
Le côté le plus lumineux s’identifie à Chris Allen, innocent (c’est-à-dire intègre) sans être innocent (c’est-à-dire ingénu), droit sans être moralisateur (il ne juge pas Marcus lorsqu’il tire deux balles sur le malfrat déjà mort), faisant appliquer la loi en résistant à la tentation de se placer au-dessus. Le cinéaste a heureusement résisté à la tentation d’en fait une victime du système. Les raisons (qui sont en même temps autant de signes) de cette droiture sont suggérées sans être explicitées : l’existence d’une vie en dehors de son travail et cette vie se déroule avec sa femme ; l’amour fidèle (le passage par le bar à striptease montre qu’il ne se compromet pas), autrement dit la poursuite perpétuelle de hors-la-loi ne lui done pas l’autorisation de se placer au-desssus de la loi ; l’appartenance à un corps identitaire ; le refus de la vengeance ; l’idéal inentamé de la victoire du bien sur la corruption. Mais peut-être faut-il ajouter une raison, encore plus discrètement évoquée, en l’occurrence, par la croix qu’il porte autour du cou (voire dans son appartement familial, mais il faudrait vérifier) : la foi…
Entre les deux extrêmes, celui qui se rapproche le plus de Chris est son oncle Jeff : il n’a pas cédé à la destruction de l’autre qu’en sombrant dans l’autodestruction (par la drogue) et, plus subtilement mais plus radicalement, dans la désespérance (son premier message à son neveu n’est-il pas que l’on ne peut rien changer à la violence ? Autant Chris est montré avec sa femme, autant l’oncle est montré dans la solitude). Dans le prolongement du personnage qu’il interprète dans la série télé justement remarquée True detective, Jeff se pose ou en tout cas pose la question : comment est-il possible de côtoyer au quotidien la violence la plus sordide, sans être saisi par un vertige mimétique et être vaincu non pas du dehors, mais du dedans ? A force de poursuivre le dragon, tu deviens dragon toi-même, remarquait le plus fin observateur de la réactivité, Friedrich Nietzsche. Peut-être est-ce pour donner un ultime sens à sa vie qu’il risquera la sienne, voire l’offrira en tuant le plus ripoux des policiers, Jorge Rodriguez (Clifton Collins Jr.).
Plus bas vers les ténèbres, nous croisons Marcus. Enfermé dans sa logique utilitariste (« Entre notre vie et un flicard, il n’y a pas à hésiter »), il n’est toutefois pas sans code, ainsi que l’atteste l’attaque de la banque. Il commencera à basculer du côté lumineux de la force, grâce à un double moteur : extérieur, lorsque Chris lui sauvera la vie ; et surtout, intérieur, sa conscience morale, cette instance qu’il est possible de dénier, mais non d’étouffer. Gabe Welch (Aaron Paul) ne s’y trompe pas lorsque, même émèché, il lui lance : « Je le vois dans ton regard : tu ne le tueras pas ».
Enfin, il y a la triste théorie des flics ripoux. S’ils partagent avec les mafieux, la gravité des transgressions et l’absence coupable de remords, donc de possible réversibilité, ils n’en diffèrent encore un peu que par le refus du sadisme.
Ce continuum n’est pas sans rappeler le ternaire structurant les films de Sergio Leone (la surdétermination franc-maçonne en moins) : le bon, la brute (c’est-à-dire le méchant absolument méchant) et, intermédiaire, le truand. Même si cette dernière catégorie, répétons-le, est susceptible de déclinaisons dans la descente vers le mal, demeurons-en à ce triangle structurel (ce qu’attestent les trois femmes du film). Les relations multiples à la femme, la famille, à l’autre et soi-même, à la fois font système et confirment cette triangulation dramatique.
Chez les « méchants », la femme est une dominatrice vampirique, la famille instrumentalisée, autrui soumis jusqu’à être asservi et le moi réduit à un ego inflationnaire et clivé (le monstre à sang-froid qu’est Irina mourra comme elle a vécu : atomisée).
Chez les « truands », la femme – Elena (Gal Gadot) –, bien que respectée, n’est au fond qu’un objet (et un sujet consentant) de plaisir, la famile un réservoir de complicités, l’altérité tout aussi illusoire, tant la violence menace constamment de se retourner contre le groupe et le moi saccagé entre la culpabilité ou du moins les multidépendances destructrices.
Chez le « bon », la femme – Michelle Allen (Teresa Palmer) – est aimée, la famille respectée, les relations d’égalité, c’est-à-dire de fraternité, voire de communion, et le moi habité par une estime de soi et une confiance en soi mesurées. Anecdotique mais révélateur, dans la scène où l’on découvre la vie conjugale de Chris, sa femme vient le chercher en tenue légèrement (!) provocante et le taquiner sur sa possible infidélité numérique. Or, Chris ajourne délicatement l’invitation afin de poursuivre sa recherche d’informations pour l’enquête, manifestant ainsi sa tempérance, sa hiérarchie des fins, sa ténacité et sa droiture (pas moins que les quatre vertus cardinales…).
Aristote a formulé cette règle : une intrigue peut être dramatique, montrer le mal à partir du moment où elle purifie (le grec catharos signifie « pur »), c’est-à-dire apaise les passions en montrant le triomphe final de la justice. Si violent soit le film du réalisateur de La route (2009) et de Hommes sans lois (2012), il joue donc son office cathartique.
Pascal Ide
Ex-agent des Forces Spéciales, Michael Atwood (Chiwetel Ejiofor) s’est entouré d’une équipe de policiers corrompus avec laquelle il attaque, masqué, une banque en plein jour. Un ancien expérimenté, l’inspecteur Jeffrey Allen (Woody Harrelson), enquête sur le hold-up, lorsqu’il découvre que son propre neveu Chris (Casey Affleck) est rentré dans l’équipe. Pire, il est le coéquipier de l’un des ripoux, Marcus Belmont (Anthony Mackie). Par ailleurs, la mafia russo-israélienne, dirigée par la redoutable Irina Vlaslov (Kate Winslet) manipule l’équipe de policiers et lui ordonne d’effectuer un dernier braquage. Pour effectuer cette opération à haut risque, Michael ne voit qu’un seul moyen : détourner l’attention de l’ensemble des forces de police en déclenchant un code « triple 9 » (ou 999). En effet, cette alerte est lancée en cas d’extrême urgence quand un policier est touché lors d’une fusillade ; alors, toutes les forces de l’ordre des environs doivent alors cesser leur activité pour prêter main forte aux policiers en difficulté jusqu’à ce que le problème soit résolu. Pour Michael, le policier qui doit être sacrifié est le nouveau venu, Chris…