Le Roi Lion
Loading...
Country:
Américain
Category:
Culpabilité, Enfant prodigue, Le héros, Jalousie, philosophie de la nature, La relation père-fils, Sacré
Release date:
23 novembre 1994
Duration:
1 hours 29 minutes
Writers:
Culpabilité, enfant prodigue, héros, jalousie, nature, sacré.
Évaluation:
****
Director:
Roger Allers, Rob Minkoff
Actors:
Matthew Broderick, Jonathan Taylor, James Earl Jones ...
Age restriction:
Tout public

Le Roi-Lion

The Lion-King : Le Roi-Lion, dessin animé et drame américain de Roger Allers et Bob Minkoff, 1994.

Thème principal

Relations père-fils

Thèmes secondaires

Culpabilité, enfant prodigue, héros, jalousie, nature, sacré.

Le succès du dernier-né des studio Disney ne se dément pas outre-Atlantique (en 1994, Le Roi-Lion est l’un des six plus grands succès cinématographiques américains de tous les temps) et en France (puisqu’il dépasse les sept millions d’entrée). Certains s’en inquiètent, car ils croient y voir mis à l’œuvre certaines idées Nouvel Age (le cycle de la vie, etc.). D’autres s’alarment d’y retrouver certaines allusions cachées ou non à la foi chrétienne. Qu’en penser ?

Plutôt que de rentrer dans le détail de la discussion, ce qui déborderait cette simple mise au point, je voudrais donner deux principes plus généraux de discernement qui éclaireront les deux questions posées. Premier critère : contrairement aux schémas que le positivisme a voulu nous imposer le siècle dernier et ce siècle-ci, l’homme est naturellement, c’est-à-dire spontanément, toujours et partout, religieux. La question n’est donc pas de savoir si l’homme est tourné vers l’Absolu, mais de reconnaître où le religieux s’investit (et pour beaucoup de nos contemporains, agnostiques ou athées, c’est dans le sport, le culte des top modèles). Or, le Roi-Lion ne fait que mettre en scène, avec discrétion, ce fond religieux qui est le bien propre de l’homme : d’où la fonction sacerdotale du sage babouin Rafiki, le rituel d’onction du roi Simba, le culte des ancêtres (qui est la forme prise par la croyance en l’immortalité de l’homme), etc.

Le second critère vient aussi heurter de plein fouet une autre idée reçue et irrecevable dans notre société : le sécularisme qui voudrait cloisonner foi et culture pour mieux éliminer celle-là. Or, Jean-Paul II, comme Benoît XVI ne cessent de le répéter, la foi chrétienne est appelée à vivifier toute la réalité humaine et notamment la culture. Il n’est donc pas étonnant que certaines vérités humaines pleinement mises en valeur par l’Evangile inspire de l’intérieur des œuvres artistiques. La Révélation chrétienne manifeste ainsi qu’elle est la plus riche source de symboles, même si elle ne se réduit surtout pas à cela. Réjouissons-nous en. N’oublions pas que l’une des créations mythologiques les plus riches de notre temps, Le Seigneur des anneaux, fut écrite par un écrivain profondément catholique, J. R. R. Tolkien, et est intimement habitée, vivifiée par la foi de son auteur, sans qu’il y soit jamais fait allusion à Dieu ou au Christ. Pour ma part, le Roi-Lion me fait songer, plus encore qu’à un croisement d’Hamlet et du Livre de la jungle, à l’une des plus belles paraboles de l’Evangile : celle du fils prodigue, ou, mieux, du père miséricordieux (Évangile selon saint Luc, chap. 15, v. 11-32).

Pascal Ide

Lorsqu’il est sorti, le Roi-Lion fut l’un des six succès majeurs cinématographiques américains de tous les temps [1] et le plus grand de l’année et peut-être le film le plus rentable de l’histoire du cinéma (815 millions de dollars pour un coût initial de 40 millions de dollars). Depuis, on le sait, il y a eu Titanic. Ce succès a dérangé. Il est significatif que, dans Télérama, celui qui s’enthousiasme pour le Roi lion soit aussi celui qui estime « encombrante » « la tradition Disney » (portant des jugements tels que : « la gentillesse mièvre de Bambi a disparu ») et qu’inversement, celui qui le boude estime « papa Walt définitivement éteint [2] ». Les spectateurs, en tout cas, ont fait leur choix. Cela suffit pour que je m’interroge sur les raisons du succès phénoménal du trente-deuxième long métrage animé produit par les Walt Dysney Pictures.

On s’est extasié à juste titre devant les prouesses techniques : par exemple, la mort du roi Mufasa, due à la fuite de milliers de gnous affolés, fut entièrement réalisée en images de synthèse (la multiplication des mêmes images, dessinées en 3D, autorise une grande variété de trajectoire). Elle ne dure que deux minutes trente, mais a demandé à cinq infographistes du Computer Animated Production Systems un travail de deux ans, exploit unique, quoique depuis lors bien dépassé, dans le domaine de l’animation (même s’il y eut deux précédents, dans la célèbre séquence du bal de La Belle et la Bête et la caverne d’Aladdin). Mais la raison du plaisir éprouvé à la vision du Roi-lion, plaisir que les adultes sont loin d’avoir boudé est ailleurs. Systématisons, même si la structure ainsi mise en évidence est à la poésie et au charme du dessin animé, ce que le squelette est à un homme vivant en force de l’âge.

1) Un fils heureux

Le film commence au moment où Simba qui vient de naître est en quelque sorte « sacré », voire « oint » successeur du roi Mufasa, par Rafiki, le babouin (et non pas le ouistiti, comme dit le français) : le soleil qui, à l’instar de la vie, se lève sur une scène de parade splendide, salue le roi-soleil de l’empire des Hautes Terres.

Mais Simba n’est encore qu’un lionceau insouciant et irresponsable qui trouve sa joie à suivre ses caprices. Son père lui désigne-t-il un lieu tabou, la Colline du Nord, que le plaisir de la découverte se double de celui de la transgression des interdits parentaux. La curiosité avivée, Simba entraîne son amie Nala braver inconsidérément le danger. D’autant qu’un lâche tentateur, son oncle Scar, lui apprend qu’il s’y trouve un cimetière d’éléphants. Voilà pour la curiosité. Mais ce n’est qu’une partie de la vérité : le cimetière est aussi le repère des trois hyènes, Shenzy (à qui Whoopi Goldberg ne fait pas que prêter sa voix) et ses deux compagnes, Banzai et Ed. Néanmoins, si Simba est imprudent, il ne manque pas de courage : il est prêt à donner sa vie pour celle qu’il aime et qu’il a imprudemment entraînée. Les hyènes vont-elles se repaître de l’héritier ? Heureusement, le père veille.

Mais d’où Simba l’imprudent tire-t-il son courage ? De Mufasa. Certes, il admire ce père grandiose, le plus courageux des animaux, devant qui tout genou fléchit ; ce vrai roi qui gouverne son pays avec un sens aigu de ses responsabilités. D’ailleurs, en retour, côté de sa colère, Mufasa doit éprouver une secrète fierté de voir son fils affronter les hyènes pour sauver Nala. Mais, plus encore, Simba aime son père plus que tout au monde : il veut en suivre les traces, mais sans se mettre prématurément à sa place : sa petite patte semble bien perdue dans l’empreinte géante de Mufasa ; mais qu’il est désirable d’un jour s’égaler à elle. Car le Roi-lion est d’abord un père. De celui-ci, il a l’autorité. Il apprend à son fils à reconnaître ses torts et sa responsabilité : « Tu m’as désobéi délibérément ». « Je voulais être brave comme toi, explique naïvement Simba ». Du père, il a le sens du réel, donc il connaît prix de la vie : « Etre brave ce n’est pas risquer sa vie pour n’importe quoi ». Du père, il a aussi la vulnérabilité, car il n’est pas tout-puissant : « Alors, même les rois ont peur, demande Simba qui va de découverte en découverte ». Il existe une crainte qui n’est pas lâcheté, dont il n’y a pas à avoir honte : en effet, la crainte qui naît de l’amour a peur non pas pour soi mais pour l’autre. Du père, il a aussi la capacité à dépasser sa déception d’avoir été trahi dans sa confiance et à pardonner. Enfin, prophétique, le roi-lion est le vrai père qui ne garde rien pour lui et prépare son fils à la succession : se refusant au narcissisme de la prétention à l’immortalité comme à la demande fusionnelle d’être le « super-copain », Mufasa prépare Simba à sa mort. Celle-ci acceptée, le « rien ne nous séparera » qui va suivre apporte une sécurité qui n’est pas une illusoire anesthésie : « Chaque fois que tu te sentiras seul, n’oublie pas que du haut du ciel, les autres rois te contemplent et t’aident ».

Un tel père ne peut pas ne pas graver profondément son image au fond du cœur de son fils. Le départ sera d’autant plus douloureux, mais le rebond d’autant plus haut.

En face de Mufasa, Scar constitue l’anti-figure paternelle et souligne, en contrepoint, ce que celle-ci est appelée à être. Mû par la jalousie encore plus que par l’ambition, il se caractérise notamment par trois propriétés qui sont autant de notes contre-paternelles : l’absence de fiabilité, l’absence de responsabilité (« La génétique n’a pas joué en sa faveur », s’excuse-t-il : mais l’humour ne doit pas dissimuler le report de responsabilité sur autre que sa liberté), l’absence d’amour pour ceux qu’il gouverne (dans quel état laissera-t-il le royaume ? avec qui gouvernera-t-il ?)

2) Le fils perdu

L’abominable trahison de l’oncle (« Tu vas aimer ma surprise à en mourir ! ») va laisser Simba prématurément seul. Mais cette solitude extérieure, loin de son royaume et de la présence sécurisante de ceux qui l’aiment, n’est rien face à l’esseulement intérieur. En effet, par jalousie autant que pour écarter définitivement Simba du trône, Scar s’est s’ingénié pour culpabiliser le lionceau : « Je ne voulais pas le tuer, balbutie Simba. – Personne ne peut vouloir une telle chose. Mais sans toi, le roi serait vivant. Pars très loin et ne reviens pas ». Plus sûrement que les hyènes, la honte va assassiner le cœur de Simba. Bien symboliques de son état intérieur sont la forêt de buissons épineux infranchissables, et le désert inhospitalier grâce auxquels Simba échappe aux hyènes chargées de le tuer.

Comment, sans père, loin de sa mère, intensément angoissé et surtout en haine de lui, Simba va-t-il pouvoir survivre ? Une seule solution, bien connue des psychologues : refouler le passé, faire table rase de sa trop douloureuse histoire. L’occasion va lui être offerte, au-delà de ses espérances, par la rencontre de deux nouveaux amis qui feront, au moins pour instant, figure de sauveurs : Timon le suricate (le suricate est une espèce de mangouste) et Pumbaa le phacochère.

De prime abord, ceux-ci se contentent de lui présenter une vie faite de plaisir, sans obstacle. La seule loi se résume dans le mot magique qui aplanit toute difficulté : « Hakuna-matata » (avec l’accent, s’il vous plaît), expression swahili qui signifie à peu près : « pas de problème », « vivre sa vie sans souci ». On pense bien évidemment à Baloo (« il en faut peu pour être heureux »). Simba accepte joyeusement et sans difficulté, cette nouvelle vie, faite d’insouciance et dénuée d’engagements où tout est occasion de calembours et de bons gueuletons : le seul mal que l’on connaisse est « le mâle qui ronge ».

Pourtant cette sécurité ne va pas sans se payer très cher. Simba se coupe de ses racines : « On ne revient jamais en arrière », expliquent ses deux amis qui lui proposent leur vision New age d’un monde délié de toute attache, de tout enracinement historique et culturel, et finalement de toute altérité (« Quand le monde entier te persécute, persécute-le ».). Plus encore, il en perd son identité. Un changement très symbolique d’attitude le signale : le lion Simba se met, comme ses amis, à manger des larves (« un peu gluant, mais appétissant »). Certes, il y a de la régression orale dans cette identification de son bonheur à la jouissance d’un ventre repu. Mais on sait combien l’identité de l’animal passe par le régime alimentaire ; de même une part de notre personnalité se structure à partir de la relation à l’oralité. Bref, Simba ne se vit plus comme un lion. De la négation-refoulement de son enracinement, il en est arrivé à nier son être.

Conséquence de cette double rupture à l’égard de son origine et de son identité : Simba perd sa destinée, le sens de sa vie, sa vocation. Peut-on vivre longtemps heureux sans finalité ? Il s’est identifié à ses compagnons ; mais si eux ne simulent pas un personnage, lui, Simba, a dû renoncer à ce qu’il est, ressent, désire. Pour combien de temps ? A côté de l’ours Baloo, veille la sage, parfois stressée et un rien sentencieuse Baghera.

Un jour, attirée par la faim et la nécessité de sauver son peuple, surgit Nala. En un instant, toutes les angoisses soigneusement enfouies réapparaissent avec la même soudaineté que son amie d’enfance et admiratrice, compagne et complice de ses incartades.

N’est-ce pas juger trop négativement ce temps de fraternité sans attache, ni faille ni souffrance ? Régression fusionnelle sans doute ; mais période nécessaire pour permettre la survie à un Simba profondément traumatisé : « J’ai essayé de vivre ma propre vie, explique-t-il à Nala ». Cette existence ne lui a-t-elle pas au moins permis de grandir et se fortifier sans heurt ? Nous aurons bientôt la réponse.

Nala va droit au fait en rappelant à Simba qui il est et plus encore sa destinée : désormais, son père mort, il est roi. Son ancien ami refuse en se réfugiant dans l’individualisme qui est sa nouvelle vie. Mais Nala souffre trop pour être dupe : « Tu dois être roi ». Simba est trop accablé par son inavouable culpabilité et, à l’instar de Scar, s’excuse en faisant appel au jeu impersonnel des causes : « Il y a une fatalité ». Faisant appel à un autre argument, Nala repart à la charge : « Tu es notre seule chance. Tu as des responsabilités ». Sans le savoir, elle éveille maintenant l’image du père qui manque trop ; d’ailleurs, son intense remords lui interdit de s’identifier à ce père tant chéri : « Tu parles comme mon père, lance-t-il, plus douloureux que méprisant, à Nala ».

Nala a épuisé tout argument. Ne pouvant plus rien pour Simba et son pays, elle s’en va. Mais de quoi est capable le jeune lion ? Seul, il est impuissant à affronter son oncle indigne. Nala a donné l’orientation (l’oméga) ; Simba a maintenant besoin de l’impulsion (l’alpha). Ce sera le rôle de Rafiki. Aussitôt qu’il comprend que Simba est vivant, le singe se met en route : « Tu es le fils de Mufasa, lui déclare-t-il, dès qu’il l’aperçoit ». Réponse immédiate qui traduit la mentalité de Simba : « Mon père est mort », autrement dit : moi aussi, puisque je l’ai tué. « Erreur, reprend Rafiki, il est vivant ». Alors se déroule ce qui constitue pour moi la scène décisive du film qui est aussi la plus belle. Rafiki conduit Simba jusqu’à un étang pour lui donner une merveilleuse leçon de vie. Il demande au Roi-lion de regarder.

Tout d’abord, replié sur sa souffrance, Simba ne voit que son reflet : « Regarde mieux, insiste le vieux sage. Ton père vit en toi ». Soudain, son portrait se brouille et, au-delà, Simba distingue le visage tant aimé. En effet, l’eau réfléchit le ciel qu’un jour Mufasa lui avait montré. Son père résume tout le mal en une phrase : « Tu m’as oublié en oubliant qui tu étais ». En quittant son pays, en quittant son identité, Simba a oublié la parole d’espérance que son père a un jour prononcé : « Chaque fois que tu te sentiras seul, n’oublie pas que du haut du ciel, les autres rois te contemplent et t’aident ». Alors Simba comprend d’un coup que tout ce qu’il est n’est pas enfui, mais seulement enfoui.

Mais, une fois mieux compris qui il était, comment affronter la culpabilité ? La guérison suppose que Simba accepte trois points : 1. non plus refuser, mais accepter le passé (« il te faut affronter le passé ») ; 2. s’ouvrir à l’avenir en reprenant sa place dans le grand cycle de la vie ; 3. adhérer au présent, c’est-à-dire à son propre être qui n’est pas insectivore : « N’oublie pas qui tu es ». Il est celui que son père appelle : « Tu es mon fils ».

Certes, le lion s’est amolli en lui – telle est la première leçon de combat contre Rafiki. Mais Simba apprend vite, à la mesure de son désir. Mais cette éducation à la hâte aurait-elle suffi à décider Simba de se préparer à revenir en son royaume si son père – sans oublier la présence d’une mère protectrice, la douce Sarabi – n’avait durablement gravé une empreinte suave et forte tout à la fois ?

Le décor accompagne et exprime le chemin de Simba. Le royaume de Mufasa était une féerie multicolore, une danse de la vie où chaque être occupait sa place. L’anti-royaume de Scar est un gouffre de ténèbres, d’aridité, « chaos de hurlements sauvages » – ceux des charognards que sont les hyènes. A l’image de l’âme de l’oncle dévoyé, qui est assassinée par la jalousie et la haine vengeresse, le pays n’est plus que mort et désolation. La nature désertifiée ne joue pas qu’un rôle symbolique. Elle pâtit de ce roi de la nuit qui, en s’alliant avec les hyènes – « au bout de la chaîne alimentaire » –, s’est dérobé au respect des lois de la vie et a bouleversé l’harmonie des différents maillons constituant la nature en une totalité.

3) Le fils retrouvé ou « Le roi est de retour »

Simba revient par le cimetière des éléphants, symbole de sa désobéissance, mais aussi du salut et du pardon de son père. Maintenant il doit, lui et lui seul, reconquérir le pouvoir. Pour cela, il doit affronter pire que Scar : la mauvaise conscience qu’il incarne : « Tu te soumets ou tu te bats ». A son oncle qui lui rappelle le passé honteux, Simba répond : « Je ne me sens pas coupable ». C’est un premier pas. Mais la parole peut-elle ainsi changer d’un coup toute son affectivité ? D’ailleurs, le roi félon est d’une duplicité infinie : il somme Simba de reconnaître devant tous qu’il est l’assassin de son père : « C’est moi qui suis le coupable ». Cet aveu à la face de tous atterre Simba et révèle combien la blessure est encore vive. Symboliquement acculé par Scar sur le rocher royal, il s’apprête à tomber dans le feu. Scar le rattrape, en enfonçant sauvagement ses griffes dans les pattes avant. Ce faisant, il renouvelle le geste abominable par lequel il a consommé le régicide de Mufasa. Plus encore, Scar ne peut s’empêcher de révéler tout le plan machiavélique qu’il a monté : il a besoin d’être reconnu par son rival, pour que son triomphe soit complet. Mais cet orgueil lui sera fatal : la haine qu’il suscite en Simba suscite l’énergie du désespoir. D’un bond, le prétendant légitime se rétablit, dans tous les sens du terme, sur l’enjeu qu’est le rocher royal, et renverse Scar. Plus encore, avec toute l’amertume accumulée par une culpabilité se retourne contre son perfide auteur. Dans le même temps qu’il recouvre son identité plénière en bannissant tout remords stérile, Simba venge la mémoire de son père. Mais en digne fils du magnanime Mufasa, il renonce à toute vindicte sanguinaire : « Je ne vais pas te tuer. Pars très loin et ne reviens jamais ». L’exil de Scar ne durera pas : les hyènes qu’il a trahis n’auront pas la même clémence.

Deux critères signent l’accès à l’âge adulte ou à la guérison, selon Freud : lieben und arbeiten (aimer et travailler). Une fois réintégré sa fonction royale, il reste à Simba à découvrir la valeur de l’amour. « On ne peut pas se marier », expliquait le lionceau Simba à Zazu, « c’est ma copine ». Il sait maintenant que l’amour ne s’oppose pas à l’amitié, mais se fonde sur elle.

Après le vent prophétique et le feu purificateur, la pluie apaisante vient laver le mal, emportant symboliquement un squelette. Alors, Simba, le nouveau Roi-lion peut prendre possession du rocher royal (dernier des quatre éléments fondamentaux : air, feu, eau, terre) et y pousser son rugissement seigneurial.

En une heureuse inclusion, la dernière scène présente le successeur de Simba. Sommes-nous pour autant revenus au point de départ ? Si le sage babouin manifeste la continuité, désormais la présence de ses deux amis, Pumbaa et Timon, introduit cette altérité et cette nouveauté constantes que chante Elton John dans un hymne à la responsabilité et à la solidarité des créatures au sein du monde : The Circle of life, Le cercle de la vie. En se refusant au cycle sans fin de la violence, le nouveau Roi-lion a opté pour le cycle vraiment novateur de la vie.

4) Le triangle homme-nature-sacré

Ce film nous touche à cause du parcours humain de Simba et de la belle image de père incarnée par Mufasa. Jusque maintenant, les productions Dysney fondait le drame et son suspense sur une histoire d’amour. Pour la première fois, un de leurs films met en scène la relation de filiation : « Le ressort émotionnel du Roi-Lion est la relation père-fils », explique l’un des deux réalisateurs, Roger Allers. Voilà pourquoi, et c’est encore une première étroitement corrélée, le scénario du film, très travaillé, est entièrement original. D’ailleurs cet intérêt porté à la paternité n’est-il pas révélateur d’un besoin typique de l’Amérique actuelle [3], besoin plus urgent que le seul rêve auquel convie l’histoire d’amour.

Il nous rejoint aussi en nous réconciliant avec la nature. Nous avons déjà vu le jeu cosmique des quatre éléments. Autre exemple : dans son chemin de réconciliation intérieure avec lui-même, Simba ne fut-il pas aussi porté par l’aide, subtile, du vent (et de quelques humbles feuilles mortes), ce vecteur du grand cycle de la vie, de l’amour et de la sagesse ? Zazu, digne majordome, secrétaire et bouffon de sa majesté Mufasa, n’est-il pas un un Calas, un oiseau, donc un être qui habite les airs ?

Enfin, Le Roi-lion ne dédaigne pas la dimension du sacré. Certains furent offusqués par le geste par lequel Simba est oint roi. Loin d’être une parodie de sacrement, il s’agit d’un rite d’institution universellement pratiqué dans les religions archaïques ; le geste sacramentel présente une part d’enracinement naturel, ainsi que l’a montré le théologien Louis-Marie Chauvet. De manière plus générale, du propre aveu des réalisateurs, « le Roi-Lion est une fable généreuse qui remet à l’honneur les grands archétypes du récit initiatique : le cycle de la vie, l’action, l’aventure, le rapport père-fils, le premier amour [4] ».

5) Conclusion

Plus encore, je ne peux m’empêcher de songer que le Roi-lion est davantage qu’un croisement incertain d’Hamlet et du Livre de la jungle ; il reprend l’une des plus belles paraboles de l’Evangile : celle du fils prodigue, ou, mieux, du père miséricordieux [5]. Les parallèles sont nombreux, qui ne doivent pas effacer les différences. Ces deux fils ont dû recevoir beaucoup d’amour de la part d’un père que le récit montre si attentionné. Tous deux, un jour, s’en vont, loin de leur père : certes, Simba subit cet éloignement alors que le fils prodigue le choisit ; mais on ne saurait totalement annuler la part de responsabilité de Simba : son infidélité à soi et son désespoir n’est que partiellement excusé par l’amnésie liée au refoulement. Dans les deux cas, l’éloignement du père, plus, sa perte, cause une perte d’identité ; celle-ci se traduit par un changement radical et humiliant d’alimentation. Enfin, dans les deux cas, le salut opère en deux temps : le retour en soi-même et la mémoire de plus que soi-même, le père. Rappelons-nous la si belle parole de Mufasa, soulignée par l’admirable symbolique de l’étang miroir : « Tu m’as oublié en oubliant qui tu étais ». De même, c’est « en entrant en lui-même » (Lc 15,17), que le fils prodigue se rappelle la maison de son père. « Entre en toi-même, dit à peu près saint Augustin, et tu trouveras plus que toi-même ».

Cette bijection qui entrelace si étroitement les deux récits alarmera certains qui crieront à la confusion des genres. Bien au contraire, elle manifeste l’inépuisable puissance symbolique de la parole du Christ. L’inspiration est sans doute religieuse et le résultat profane. Mais justement, Dieu n’est pas venu seulement pour sauver le monde, mais aussi pour le récapituler et le parfaire [6].

Voire, la structure implicite du film est-elle, plus que ternaire (homme-nature-Dieu), quaternaire ? Ne rappelle-t-elle pas le fameux Quadriparti de Heidegger : humains et divins, Terre et Ciel ?

[1] Après les films, tous américains, et dont les trois premiers sont des histoires de science-fiction E.T., Jurassic Park, La Guerre des étoiles, Maman j’ai raté l’avion et Forrest Gump.

[2] Télérama, n° 2341, 23 novembre 1994, p. 50 et 51. Pour Bernard Génin et Contre Marie-Elisabeth Rouchy.

[3] Cf. par exemple Robert Bly. Plus généralement, Elisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine,

[4] Notes de production réalisée par Michèle Darmon, Communication et Relations Presse, 4 rue de Penthièvre 75008 Paris, 1994, p. 9.

[5] Lc 15, 12-31.

[6] On sait combien le christianisme a fécondé l’art. Erich Auerbach ne l’a-t-il pas montré pour le roman réaliste et Maritain pour l’art en général ?

Le roi lion Mufasa (doublé par Jean Réno) est assassiné par Scar (admirablement campé, sous les traits et la voix de Jeremy Irons que double Jean Piat), son propre frère, jaloux. Simba le lionceau, fils de Mufasa et légitime successeur, est écarté par son oncle qui tue Mufasa et accuse Simba de cette mort. Intensément culpabilisé, Simba fuit pour vivre une vie d’insouciance et d’oubli. Mais, sans un vrai roi, le pays de Mufasa périclite. Comment Simba pourra-t-il trouver le courage pour revenir affronter et détrôner le roi félon, et plus encore ses démons intérieurs ?

Comments are closed.