La Résurrection du Christ (Risen) , péplum américain de Kevin Reynolds, 2016.
Thèmes
La résurrection, le Christ
Il est aisé de faire la liste de toutes les infidélités au texte évangélique – les dialogues avec Thomas (Jn 20) et Pierre (Jn 21) sont amputés ou leur pointe est émoussée, Marie de Magdala n’est pas prostituée, mais possédée, etc. – et les critiques chrétiennes n’ont pas manqué de le faire, pour s’y apesantir ou les excuser. Et, lorsque les faits sont respectés, elles ont parfois affirmé qu’elles n’appréciaient pas leur interprétation, par exemple, l’effacement de témoins capitaux comme Jean, l’affaissement de la médiation sacramentelle – le baptême n’est pas mentionné et l’Eucharistie est banalisée – ou ecclésiale – les Apôtres autour de Jésus (Cliff Curtis) ressemblent plus à une bande de joyeux hippies –. On pourra encore regretter le caractère trop spectaculaire (par exemple de la bataille initiale ou de l’Ascension finale) en décohérence avec la sobriété caractéristique du style biblique. Pourtant, bien des traits du péplum classique ont été atténués.
Mais ces observations ou ces critiques me paraissent passer à côté de l’essentiel. Revenons au genre parfois si injustement décrié du péplum biblique ou chrétien. Celui-ci n’ignorait pas que, pour dramatiser l’histoire, il fallait lui donner une intériorité et une profondeur, donc passer par le regard – et par le cœur – d’un témoin, direct ou indirect. Que l’on songe à Ben Hur, Quo Vadis, La tunique, pour en rester à quelques-uns, parmi les plus connus, qui ne sont pas les moins riches.
Et telle est l’heureuse idée, mise en scène de manière rigoureuse. Risen s’inscrit dans ce sillage, en nous contant par le menu le cheminement du tribun militaire romain Clavius (Joseph Fiennes), cheminement singulier et universel, ancien et toujours nouveau, qui le conduit de l’incrédulité (vis-à-vis de la résurrection de Jésus de Nazareth) à la foi. Égrénons-en quelques étapes.
Au point de départ, lors de son attaque contre le rebelle zélote Barabbas (une nouvelle incongruité, puisqu’il est présenté comme un résistant, alors qu’il est un brigand) qui, à peine libéré, s’attaque à l’envahisseur romain au nom d’un Dieu instrumentalisé, Clavius apparaît comme un chef prudent (il analyse la scène avec recul, jauge le point faible), juste (il épargne ses hommes, punit les coupables), courageux (il monte en première ligne, risque sa vie), modéré (la punition n’est pas une vengeance) ; mais aussi sans pitié (il tue Barabbas de sa propre main). C’est pour cela que le gouverneur Ponce Pilate (Peter Firth) en a fait son bras droit – au point que le leitmotiv « Ponce Pilate te fait demander » devient un jingle comique pour le spectateur qui, anticipant l’histoire qu’il sait inachevée, anticipe aussi son retour). Plus tard, on découvrira qu’il est animé par d’autres vertus : son ambition (qui le pousse à désirer monter jusqu’à Rome) est le revers d’une énergie qui le fait aller jusqu’au bout de la vérité (même lorsque l’enquête est officiellement close) ; sa droiture (qui l’invite aussi à désirer paix et vie de famille) ; sa piété envers le dieu Mars (qui est le symbole de son âme éminemment virile).
Voire, dès la crucifixion qu’il conduit avec rigueur et obéissance, j’ai cru percevoir chez Clavius comme un dégoût à l’égard de cette débauche de violence en vue d’intimider ces Juifs rebelles et une interrogation à l’égard de l’identité de ce Crucifié pas comme les autres : qui est ce Roi décédé si vite qui croise fixement son regard ?
L’interrogatoire serré causera un premier ébranlement. Clavius est passé maître dans l’art de vulnérabiliser les témoins et de leur obtenir des aveux par la seule terreur : c’est ainsi qu’il décrit par le menu la crucifixion à un Barthélemy (Joe Manjó), aussi sympathique qu’allumé. Quelle ne sera pas sa stupéfaction de constater que ces hommes et ces femmes ont été si profondément changés par leur rencontre avec le Nazaréen que ces menaces ne mouillent plus sur eux ! Ce qu’il peut leur offrir (la liberté toute extérieure) est sans commune mesure avec ce qu’ils ont déjà reçu. Dans un plan bref et superbe, Marie Madeleine (Maria Botto) dont le visage baigné d’une lumière surnaturelle, répond : « Il m’a déjà libérée »…
La prochaine étape sera la rencontre troublante avec le témoin troublé le plus proche (temporellement) de la résurrection : le garde romain préposé à la garde du tombeau. Je regrette que le récit nous donne accès à un quasi reportage, alors que les Évangiles font – avec les apparitions du Ressuscité dont il est dit, non pas qu’on le voit, mais toujours qu’il « est vu, ophtè », ce qui est un passif divin rapportant toute l’initiative à celui qui apparaît – du tombeau vide et non pas plein, le signe par excellence de la résurrection. Quoi qu’il en soit, Clavius ressort profondément secoué, comme par un tremblement de terre, de ce face à face, qui le renvoie à un autre face à face, encore plus décisif, avec le visage gravé sur le saint suaire du Christ qui, dans une superposition voulue, s’est lui-même substitué à la statue de Mars.
L’étape suivante est, bien entendu, la rencontre avec le Ressuscité lui-même. La survenue, un tantinet trop banalisée, de Thomas, lui permet de voir que le stigmatisé aux poignets et au côté percés, est bien le même homme que celui dont il a présidé avec minutie à l’exécution : aucun doute n’est donc possible. Bien entendu aussi, tout bascule alors. Pourtant, il est heureux que le scénario ne mette pas en scène un Clavius accédant brutalement à la confession de foi. Ce faisant, il nous montre que l’envers de la raison (la rationalité expérimentale et argumentative) n’est pas la foi, mais l’irrationalité. Comment Clavius dont le pas hésite comme sa raison vacille, ne sombre-t-il pas dans la folie ? S’il y a assez de lumière pour résister aux mensonges du Sanhédrin et aux compromissions de Ponce Pilate qui tremble face à la prochaine venue de Tibère, y en a-t-il assez pour croire ? En tout cas, à travers la douceur non jugeante des Apôtres de Marie Madeleine qui l’accueillent inconditionnellement comme un « frère », il y a assez de chaleur pour que Clavius puisse tenir malgré la perte totale de points de repère. L’amour contient sa raison avant qu’elle ne (dé)tienne la vérité. Thomas n’a cessé d’être incrédule pour devenir croyant que parce qu’il a expérimenté, au jour le jour, que la lumière de la foi est celle d’un Amour qui l’enveloppe et le sauve.
Maintenant, l’enquête officielle du Tribun devient la quête personnelle de l’homme Clavius. Elle le mène sur les bords du lac de Tibériade, baignant dans une somptueuse lumière aurorale. Toutefois, le basculement décisif ne viendra pas des deux miracles que Jésus accomplira (la pêche miraculeuse, la guérison du lépreux), mais du dialogue serein et si respectueux avec celui qu’ils appellent du doux nom de Iéshoua, sous le doux firmament étoilé de Galilée – autre scène particulièrement réussie. En entendant répétées mot pour mot les paroles qu’il échangea avec Pilate dans la douceur de son Tepidarium et qui révèlent son désir profond (« La paix », « Un jour sans voir la mort »), Clavius comprend que, non seulement le Ressuscité « sait tout » (Jn 21,17), donc qu’il est Dieu, mais qu’il accomplit l’attente la plus profonde de son cœur.
Approche trop subjective de la foi (que semble confirmer cette autre parole : « Ouvre ton cœur et tu verras ») ? Mais comment une approche plus institutionnelle, seulement objective, voire plus documentaire – bien entendu, il ne s’agit pas d’opposer ces deux approches, mais de les intégrer –, ne fera-t-elle pas violence à l’adhésion qui, répondant au don venu du Cœur même de Dieu, doit venir du plus profond du cœur humain ? De même, son compagnon Lucius (Tom Felton) sera lui-même touché et refusera de le livrer à Pilate : non par la rencontre avec le Nazaréen, mais par son effet par excellence, la mutation que celui-ci a déjà opérée en Clavius : le « sans pitié », désormais capable de renoncer à la violence et d’affirmer que l’avenir n’est pas dans la fausse gloire de Rome, mais ces onze témoins désarmés et pourtant intrépides. Veritas ne rime plus avec severitas.
Pourtant, malgé tout ce chemin, Clavius n’affirme pas encore qu’il croit. Une toute dernière étape, subtile, mais profondément biblique, est suggérée par le film qui, construit en inclusion, se présente comme un récit. Nous retrouvons le narrateur qui est le tribun lui-même. Or, quelle métamorphose entre l’homme hagard, hébété, errant dans le désert de Galilée, en quête d’identité, sur lequel ouvre le film, et cet homme désormais apaisé dont le visage s’illumine quand, à une question de son hôte, il répond que désormais, il croit. L’une des caractéristiques de l’art du récit biblique (qu’ont mis en lumière ce qu’on appelle les lectures pragmatiques) est qu’il vise non pas seulement ni d’abord à informer le lecteur, mais à le transformer – et cela, non point en le manipulant, mais en invitant sa liberté à prendre position. Cette transformation opérée en Clavius s’atteste doublement : directement par l’abandon de l’anneau, signe de sa charge de tribun, qui est identiquement l’abandon de son ancienne vie et mission ; indirectement, par la vision de son départ, à travers l’humble fenêtre quadrillée par la croix…
Je me suis laissé toucher par ce film à plusieurs reprises. Les critiques ont souvent souligné l’originalité de la perspective adoptée par le réalisateur qui est aussi co-scénariste (a-t-il lu L’Évangile selon Pilate, d’Éric-Emmanuel Schmitt, avec qui il partage, sinon le point d’arrivée, du moins le point de départ ?) : en prenant le point de vue de ce Romain épris de vérité, donc en transformant la résurrection en enquête policière (mais qui a volé le cadavre ?), le récit permet au chrétien trop habitué – sur « l’âme habituée », « la grâce ne mouille plus », affirme Péguy – à l’incroyable au sens propre, d’adopter un point de vue qui ne lui est pas coutumier et d’ainsi mesurer l’inouï de la Résurrection pour qui ne partage pas sa foi. Mais, plus encore, je fus rejoint par cette présence si proche, si incarnée de Jésus, notamment sur le lac de Tibériade. Lors d’un échange avec Pierre, dont il est si proche par le tempérament entier et sans concession, Clavius entend l’Apôtre lui dire tout son étonnement que, dans son corps, Jésus ait vécu avec eux. Jésus, Emmanuel, Dieu-avec-nous…
Pascal Ide
Clavius, un puissant tribun militaire romain, et son aide de camp Lucius sont chargés de résoudre le mystère entourant ce qui est arrivé à un Hébreu nommé Yeshua après sa crucifixion. S’ils veulent empêcher une insurrection à Jérusalem, ils doivent à tout prix mettre fin aux rumeurs assurant qu’un Messie est revenu d’entre les morts…
Pingback: La résurrection du Christ : critique du Père Pascal Ide
Pingback: Cinéma: La résurrection du Christ - Communauté de Paroisses du Haut VallespirCommunauté de Paroisses du Haut Vallespir