- Dans l’un des derniers opus de la saga James Bond, Skyfall, le méchant (joué par Javier Bardem) demande, moqueur, à 007 : « Et toi, James, quel est ton hobbie ? » Ayant réfléchi un instant, celui-ci répond, lui, sans ironie : « La résurrection ! »
En fait, l’agent de sa très gracieuse Majesté s’est trompé. Certes, au début du film, alors que tout le monde le croit mort, il revient, de la manière la plus improbable, à la vie. Toutefois il ne s’agit pas d’une résurrection, mais d’une réanimation. Comme celles que Jésus a accomplies pendant son existence publique : il a ramené à la vie trois personnes, le jeune de Naïn (cf. Lc 7,11-17), la fille de Jaïre (cf. Mc 5,22-24. 35-43) et son ami Lazare (cf. Jn 11,1-44). Or, elles ont repris le cours ordinaire de la vie et, après un temps, elles sont décédées, une deuxième fois, de manière définitive.
Pour Jésus, il n’en est pas du tout de même. La Résurrection du Fils de l’homme n’a absolument rien de commun avec quoi que ce soit qui s’est déjà produit avant lui et qui s’est produit depuis. Le phénomène est tellement unique que les évangélistes sont très embarrassés à le décrire. Ils avaient déjà été totalement surpris à cause de la mort et, plus encore, de la mort ignominieuse du Messie par crucifixion – ils n’ont compris que plus tard que cet homicide scandaleux avait été annoncé par les prophètes. Mais ici ils sont autant, voire encore davantage stupéfaits par cette résurrection – qui, elle aussi, avait été prophétisée par Jésus, suscitant d’ailleurs chez les Apôtres beaucoup de questions (cf. Mc 9,9 s).
Ainsi, déroutés, les Écritures expriment les caractéristiques de Jésus ressuscité de manière paradoxale. D’un côté, ils affirment de la manière la plus limpide qu’il a de nouveau son corps, un corps physique. Soyons bien clair, frères et sœurs, il ne s’agit pas d’un corps ectoplasmique, dématérialisé, comme quelqu’un me disait hier, mais d’un organisme vivant, matériel. Le Ressuscité a voulu en donner les plus claires attestations, en se laissant toucher (cf. Lc 24,39 ; Jn 20,27) ou en partageant un repas avec ses Apôtres ou ses disciples (cf. Lc 24,30. 41-43 ; Jn 21,9. 13-15 ; Ac 1,4). De l’autre, comme l’écrit le Catéchisme de l’Église catholique, il possède des « propriétés [radicalement] nouvelles » (n. 645), celles d’un corps glorieux (cf. 1 Co 15,42-44). Par exemple, agile et puissant, il transcende l’espace : il se rend présent en toute liberté où et quand il veut, peu importe les obstacles matériels comme les portes fermées (cf. Mt 28,9. 16-17 ; Lc 24,15. 36 ; Jn 20,14. 19. 26 ; 21,4). De plus, spirituel, bien qu’il garde toujours sa figure humaine, il peut apparaître sous l’apparence d’un jardinier (cf. Jn 20,14-15) ou « sous d’autres traits » (Mc 16,12). Enfin, glorieux, il se donne à voir au futur saint Paul dans la lumière : « soudain une lumière venant du ciel l’enveloppa de sa clarté » (Ac 9,3). C’est pour cela que nous avons ouvert la vigile pascale, hier soir, par la liturgie du Lucernaire : le feu nouveau, c’est le Christ lui-même dans sa gloire.
La vie du Ressuscité est donc d’une absolue nouveauté qui dépasse toutes nos catégories et toutes nos capacités de représentation et de description. Comme il le dit à la Marie-Madeleine, il monte désormais vers son Père (cf. Jn 20,17) : il participe à la vie divine, il est cet « homme céleste » (cf. 1 Co 15,35-50). Contemplons, émerveillons-nous et désirons : car c’est l’état glorieux qui nous est promis. À la même Madeleine, Jésus dit : « je monte vers mon Père et votre Père ».
- Pourtant, quand nous entendons les évangiles de la résurrection, et nous allons le faire toute cette semaine, nous ne pouvons nous défaire de l’impression qu’il y a comme une erreur de scénario, ou plutôt deux. D’abord, comment se fait-il qu’aucune scène ne montre Jésus en train de ressusciter et aucun témoin ne raconte la résurrection ? Nous arrivons toujours trop tard : le tombeau est déjà vide. Certes, c’est une attestation nécessaire de la résurrection, mais elle n’est pas suffisante ; certains se sont imaginés que le corps avait été déplacé. Ensuite, dans tout bon film, après avoir été humilié par les méchants, le bon revient et leur fait au minimum la leçon pour leur montrer combien ils ont été injustes et se sont fourvoyés. Or, ici, rien de tel. Jésus apparaît à quelques hommes, une poignée (cf. 1 Co 15,3 s). Là encore, c’est suffisant pour nous assurer de la véracité de la Résurrection. Mais c’est insuffisant pour une histoire crédible qui devrait s’achever par le triomphe du Christ sur tous ses ennemis, voire par leur conversion !
Permettez-moi un souvenir personnel. Voici plus de trente-cinq ans, je me trouvai sur le plateau de Gizeh, face à la vieille ville du Caire. Je découvrais les trois grandes pyramides de Khéops, Khéphren et Mykérinos. J’ai passé plusieurs heures à contempler notamment la première, qui est aussi la première des Sept Merveilles du monde, admirant son ancienneté (plus de 4 500 ans), son immensité (2,3 millions de blocs de pierres pour près de cinq millions de tonnes), la prouesse technique (un carré parfait). Mais, soudain, une différence, abyssale, m’a saisi. Avec le tombeau du Christ. D’un côté, un invraisemblable amoncellement de pierres enveloppant une momie, c’est-à-dire un cadavre desséché ; de l’autre, un tombeau vide. D’un côté, un homme qui se protège pendant sa mort ; de l’autre, un homme qui sort libre et vainqueur de son sépulcre. D’un côté, un homme qui s’élève en se prenant pour Dieu ; de l’autre, Dieu qui s’abaisse en se faisant homme. D’un côté, un homme qui a sacrifié pour lui une génération entière de ses compatriotes (des dizaines de milliers d’entre eux sur une durée d’environ trente ans) ; de l’autre, un homme-Dieu qui a donné sa vie pour la multitude.
Revenons à nos objections. Pourquoi Jésus ne s’est-il pas montré aux puissants afin de montrer qu’il leur était infiniment plus puissant, selon la parole de saint Paul : dans l’exaltation du Ressuscité, le Père a « déployé la vigueur de sa force « et manifesté « quelle extraordinaire grandeur revêt sa puissance pour nous les croyants » (Ep 1,19-22) ? Tout simplement, parce qu’il ne voulait pas se compromettre avec les puissants de ce monde. C’est justement parce que ces « grands font sentir leur pouvoir » (Mt 20,25) qu’il fut crucifié, qu’il s’agisse des chefs des Juifs prisonniers de l’egoïsme de leur autorité, qu’il s’agisse de Pilate tremblant devant César. La royauté de Jésus s’établit puissamment, mais humblement, non pas au dehors, mais au dedans, sur les cœurs, en les transformant, en les convertissant, en les ressuscitant.
Pourquoi Jésus n’est-il pas apparu à tous ? Parce qu’il a voulu faire de nous des témoins. Il nous a donnés rien moins que « la dignité de cause », comme dit saint Thomas d’Aquin. Si nous avons reçu le don inouï et immérité de la grâce à notre baptême, c’est pour qu’à notre tour, nous la transmettions. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Mt 10,8).
- Tirons deux leçons de ce que nous venons de méditer.
Si nous sommes appelés à être témoins, comment témoignerons-nous ? De quoi allons-nous parler ces prochains jours, en commençant sur le parvis de notre église ? Dans nos maisons, nos appartements, cela se voit-il que nous sommes chrétiens, que notre vie ne nous appartient plus, mais à celui qui est mort et ressuscité pour moi ? Sans les transformer en reliquaires, peut-on voir dans les pièces communes un crucifix, une image du Sacré-Cœur, une statue de la Vierge ?
Pendant ces quarante jours, voire cinquante jours, la liturgie du temps pascal est une liturgie de la joie. Mais pas de n’importe quelle joie. Ce n’est pas la joie de celui qui apprend une heureuse nouvelle : la naissance d’un enfant, le mariage d’un ami célibataire, une prime inattendue au travail. C’est beaucoup plus et surtout très différent. La joie de la résurrection jaillit de la Passion, comme Jésus surgit du tombeau. Cette joie est un passage : notre passage de la mort à la résurrection. C’est ce qu’ont vécu hier soir les 7 catéchumènes de notre paroisse, les 350 catéchumènes adultes à Paris, les 3 500 en France. C’est ce que nous vivons en renouvelant nos promesses de baptême qui comportent non pas un volet : « Je crois », mais deux : « Je renonce », puis « Je crois ». Alors, frères et sœurs, les renoncements que nous avons vécus pendant le Carême, qui sont, en dernière analyse, un jeûne du péché, sont-ils des promesses sans lendemain ou, au contraire, des mises en orbite pour le restant de notre vie ? Si nous voulons goûter cette joie pascale, qui est le passage de la mort à la vie, donc du péché qui est la mort de l’âme, à l’amour, qui en est la vie la plus profonde, qu’allons-nous continuer à vivre comme mort à nous-même qui conduit à une joie surabondante ?
Rappelons-nous la parole si profonde du psaume : « Rends-moi la joie d’être sauvé » (Ps 51[50],14). Notre joie est proportionnelle à notre conscience d’être sauvé ! Esprit-saint, « rends la moi » cette joie, car je la perds tout le temps, j’oublie sans cesse que je suis sauvé. Esprit-saint, que ma joie, mon unique joie, ce soit d’avoir été sauvé, arraché au pouvoir des ténèbres que je méritais, pour désormais vivre, en Jésus, ressuscité. Jésus, Tu l’as fait pour moi !
Pascal Ide