Contrairement à ce que l’on croit, l’œuvre (et la vie) de l’ex-stalinienne, anarchiste et gauchiste Marguerite Duras, parle de Dieu, sans cesse. C’est ce que, non sans paradoxe, tente de montrer un colloque organisé par l’Institut Catholique de Paris réunissant parmi les meilleurs spécialistes de l’œuvre durassienne [1].
L’existence de Dieu n’a jamais cessé de hanter l’œuvre, les lectures et l’existence de celle qui s’appelait Marguerite Donnadieu. « La seule pensée de l’humanité, c’est ce manque à penser là, Dieu [2] ». Comme Georges Bataille qu’elle a bien connu. Dieu est là, au moins en creux, ainsi que le dit Sylvie Germain : « C’est ce néant du monde, cette absence de Dieu, cette absence de sens et d’espérance, cet échec total de la communication, ce désert de l’amour ». Les lectures favorites de Duras ne sont-elle pas autant l’Ancien Testament que Pascal ou les grands mystiques ?
Passons de l’existence de Dieu à celle de sa créature, Marguerite. Lorsqu’elle se livra à l’alcoolisme, de son propre aveu, c’était là pour elle une manière de suppléer l’absence de Dieu. De même, les autres ersatz que sont ses recherches amoureuses, la politique, etc. Surtout, sa vie est malheureuse, toute vie est, pour elle, malheureuse [3], car elle est en recherche de ce qui pourra combler la béance une fois pour toutes ouverte lors de la défusion avec la mère. La quête mystique cherche à combler ce vide.
« Au-delà de toutes les religions, Marguerite Duras a donc gardé ce qui fait leur sens étymologique : relier les hommes entre eux, lutter contre cette séparation irréductible entre les hommes scellée dès la naissance, et dont l’enfant prend conscience dès qu’il passe de l’état de bébé à celui d’enfant, lorsqu’il doit accepter l’idée que sa mère et lui ne forment pas une seule et même personne [4] ».
Enfin, l’écriture est pour elle le lieu d’une tension spirituelle, un chant en quête d’essentiel. Il reste à Duras
« le fait de dire cet indicible par un repli réflexif de la parole sur elle-même, dire l’illimité du désir né du manque de Dieu, de l’infini, de ce vide intérieur débordé de soi qui trouve dans l’écrit l’épanchement de son excès. Cette quête de l’apaisement d’un désir absolu dans la reliaison avec Dieu place donc l’écriture de Marguerite Duras dans une perspective fondamentalement mystique [5] ».
Si Marguerite Duras ne fut pas entée sur Dieu, du moins fut-elle hantée par Dieu.
Pascal Ide
[1] Alain Vircondelet (éd.), Duras, Dieu et l’écrit, Colloque international organisé par la Faculté des lettres de l’Institut Catholique de Paris, les 20 et 21 mars 1997, Paris, Éd. du Rocher, 1998.
[2] Marguerite Duras, La Pluie d’été, Paris, P.O.L., 1990, p. 144.
[3] « Je crois que l’homme est malheureux, horriblement malheureux. Et c’est une pensée qui ne me quitte jamais » (Marguerite Duras, « Entretien », Jean-Marc Turine, Marguerite Duras (1914-1996). Le ravissement de la parole, 4 CD, INA/Radio France, 197).
[4] Aliette Armel, « Marguerite Duras et l’absence de Dieu », Duras, Dieu et l’écrit, p. 13-21, ici p. 16-17.
[5] Collectif d’étudiants, « L’Amant, un texte sacré », Duras, Dieu et l’écrit, p. 163-175, ici p. 174.