Louis Bouyer, La décomposition du catholicisme Présentation et plan 3/3

[125] III) Remèdes

A) Introduction

À partir de la métaphore médicale, Bouyer détermine l’objet de ce troisième chapitre : le remède.

L’histoire des catholiques, hier (ou demain) intégristes, aujourd’hui progressistes, que nous avons essayé de retracer, et pour autant d’expliquer, est somme toute assez banale. C’est celle de ces fils de famille, trop bien élevés, d’une éducation trop préservée. Quand le jour vient où il faut enfin leur lâcher la bride, ils ne voient pas d’autre usage possible de leur liberté que de courir au mauvais lieu le plus proche… où, naturellement, ils attrapent tout de suite la vérole. Je m’excuse de la vulgarité de la comparaison, mais elle correspond exactement à celle de cette histoire minable.

B) Remède négatif

Telle étant la situation, quels espoirs avons-nous d’en sortir ? Le premier, qui n’est encore que négatif, est que les yeux s’ouvrent enfin et qu’on en vienne à comprendre que le combat pour rire des intégristes et des progressistes n’a pas plus d’intérêt pour l’avenir de l’Église que celui des Jibis et [126] des Shadoks, tout en étant beaucoup moins divertissant.

C) Remède positif

Louis Bouyer va désormais développer le seul remède positif efficace, le remède étiologique. Puisque la racine de la décomposition est la relation entre autorité, liberté et vérité, il faut donc assainir cette relation.

1) En relation avec la fin visée

a) Identité de l’Église ad intra
1’) Le bien : la Tradition

a’) Énoncé

Ce faux problème écarté, c’est à la source du mal qu’il faut remonter. Si, comme nous le croyons, il procède tout entier d’une corruption du sens même de l’autorité et de la tradition (et, corrélativement, de la liberté chrétienne), c’est là qu’il faut en venir. Opposer dès le principe tradition et renouveau, autorité et liberté, c’est montrer qu’on a perdu totalement le sens chrétien de ces vocables.

b’) Exposé par Möhler

1’’) Qu’est-ce que la Tradition ?

La Tradition est une vérité vitale qui se développe, diachroniquement, dans l’histoire et, synchroniquement, dans tout le corps.

Comme Möhler l’a si bien montré, à l’heure même où « traditionalistes » et mennaisiens propageaient leurs théories ineptes, la vérité chrétienne étant vérité de vie, d’une vie essentiellement surnaturelle mais qui se développe par une imprégnation totale de la vie tout court, la tradition chrétienne ne se propage que dans la vie tout entière et la vie la plus personnelle de ceux qui s’ouvrent à sa vérité. Une tradition qui ne serait que la transmission extérieure de formules toutes faites ou de comportements imposés par un simple conformisme n’a rien de commun avec elle.

2’’) Conséquence pour l’Écriture

De cette tradition, l’expression inspirée de la Parole de Dieu dans les Saintes Écritures est comme le noyau, ou, pour mieux dire, le cœur. Dès qu’on pose le problème comme celui de l’Écriture et de la tradition, entendant par là deux objets non seulement distincts mais séparés, on le fausse. L’Écri[127]ture est elle-même l’élément central de la tradition, mais elle en fait partie. Inversement, une tradition chrétienne qu’on isolerait de l’Écriture serait un corps où les organes essentiels auraient été arrachés. L’Écriture est donc, de par sa nature, qui découle de sa genèse, non seulement incompréhensible, mais dévitalisée dès qu’on l’isole de la tradition de vérité vivante où elle a pris naissance et où seulement elle peut être gardée, comme une Parole de vie.

c’) Exposé par Newman

1’’) Énoncé : les deux traditions

Dans sa vie continuée, d’autre part, et cela Newman à son tour l’a montré mieux que personne dans une page justement célèbre du Prophetical Office of the Church, la tradition se présente sous un double aspect, également indissociable. Il y a d’une part ce qu’il nomme la tradition prophétique, et, de l’autre, la tradition épiscopale. Cette dernière correspond exactement à ce que la plupart des théologiens modernes ont pris l’habitude d’appeler le magistère. Mais on peut penser que la formule de Newman est meilleure, car elle souligne que le magistère lui-même n’est pas plus isolable de la tradition que l’Écriture.

2’’) Exposé de la première, la tradition prophétique

La tradition prophétique, en effet, demeure l’élément fondamental, car elle est la vie de la vérité dans le corps entier de l’Église. Mais, ce corps n’existant que dans des personnes concrètes, ceci revient à dire qu’elle est la vérité vécue par tous [128] les chrétiens, chacun individuellement, mais tous ensemble. Car il est essentiel à leur vie, comme à la vérité dont cette vie procède, d’être vie en communion, plus précisément vie dans l’amour surnaturel que l’Esprit-Saint ne cesse de répandre dans les cœurs. À cette vie de la vérité, chacun a sa part, à la mesure de ses lumières, de nature et de grâce, à la mesure avant tout de sa fidélité à la grâce. Elle vit dans le cœur des plus humbles fidèles aussi bien que dans celui des plus profonds théologiens. Et, pour la vivre comme il se doit, tous ont besoin les uns des autres. Les simples ne pourraient défendre leur foi, ni même l’expliciter comme ils en ont besoin, sans le secours des plus doctes. Mais les spéculations de ceux-ci se perdraient dans les nuées si elles ne faisaient sans cesse retour à la foi des plus simples et à ses expressions spontanées dans la vie de tous les jours.

3’’) Exposé de la seconde, la tradition épiscopale

Cette superbe page devrait être méditée par tous les évêques…

Cependant, cette vie de la vérité, reçue dans des esprits fragiles, faillibles et pécheurs, même avec tous les secours de la grâce, n’y a jamais que des développements mélangés, qu’il importe sans cesse de trier, de vérifier, de ramener à l’essentiel. C’est ici qu’intervient la tradition épiscopale. Elle n’est pas une autre tradition que la tradition prophétique. Ce n’est pas assez dire qu’elle y plonge par toutes ses racines : elle y est complètement immergée, elle lui appartient. Mais les évêques, ayant [129] reçu la responsabilité du développement de tout le corps dans l’unité de l’amour divin, ont aussi reçu une grâce spéciale : de juger, d’apprécier, d’authentifier les expressions fidèles de la tradition. D’où, non seulement leur pouvoir d’en donner, quand des controverses surgissent, des définitions solennelles qui s’imposeront à l’assentiment de tous, mais, d’une manière plus habituelle, ordinaire, d’en guider la formulation et les autres expressions, avant tout en sanctionnant les formes du culte où la foi de tous doit sans cesse se régénérer comme à sa source. Les évêques ne sont doués pour cela d’aucun pouvoir quasi oraculaire. Ils ne jouissent pas de l’inspiration, au sens fort, qui était celle des apôtres. Ils doivent, pour former leur jugement, user des moyens humains qui sont à la portée de tous les chrétiens : l’étude de l’Écriture sainte, avant tout, à la lumière de toute la tradition. Il est même fort possible que d’autres qu’eux, dans des circonstances particulièrement décisives aussi bien que dans la vie quotidienne, trouvent les expressions renouvelées de la vérité toujours la même dont l’Église a besoin. Mais c’est à eux qu’il appartient, c’est leur tâche et leur grâce propre, de reconnaître, de canoniser, c’est-à-dire d’authentifier, en présence de tous les fidèles, ces expressions, qu’elles soient ou non de leur cru…

d’) Conclusion

Les vues de Newman, comme celles de Möhler, [130] ne sont qu’un résumé saisissant de tout ce que la tradition chrétienne catholique a toujours dit d’ellemême, dès l’époque des Pères et particulièrement à cette époque, la plus vraiment créatrice de l’histoire de l’Église, après celle des apôtres.

2’) Le mal de l’erreur ou diagnostic

Il se réfracte autant dans l’intégrisme que dans le progressisme.

S’il en est ainsi, on voit aussitôt comme une ecclésiologie simplement de « pouvoir », glissant fatalement à la chimère blasphématoire d’un pouvoir absolu, d’un seul ou de quelques-uns, est peu catholique. Mais on voit aussitôt combien les tentatives ou les tentations d’arracher l’Écriture au contexte vivant de la tradition, ou d’émanciper la tradition de l’autorité des pasteurs légitimes sont peu chrétiennes.

3’) Le retour du bien par le remède

Bouyer traite ici de la juste autorité de l’évêque.

a’) Exposé de cette autorité

L’autorité de ceux-ci n’est point une simple délégation du corps, toujours révocable. Elle est un don permanent du Chef, le Christ, à son corps, et elle y doit être reçue comme venant de Lui. Mais elle ne doit point s’y exercer pour y comprimer la vie, pour en exténuer la liberté, la spontanéité jaillissante. À plus forte raison ne saurait-elle fonctionner séparément, comme en vase clos. Elle ne peut agir jamais qu’immergée dans le corps, attentive à tous les dons de l’Esprit qui s’y manifestent, mais attentive aussi à les distinguer de leurs contrefaçons, toujours possibles, à stimuler, à distinguer, à proclamer la valeur de tout ce qui est authentique, mais aussi, quand il le faut, à corriger, à [131] contrecarrer, et, s’il faut en venir à cette extrémité regrettable, mais parfois inévitable, à condamner tout ce qui est corruption ou déviation. Encore, dans ce cas, l’autorité devra-t-elle être attentive à ne pas éteindre la mèche qui fume encore, à distinguer soigneusement et à revendiquer ce qui peut se mêler de vérité à l’erreur.

b’) Conséquence en aval : la réponse de celui qui la reçoit (chrétien et théologien)

1’’) Exposé

a’’) L’écoute de tous (les dons des frères)

Réciproquement, chaque chrétien, et les théologiens autant et plus que les autres, car ils en ont des moyens qui ne sont pas donnés à tous, doit être, lui aussi, pour sa part, dans la mesure de ses possibilités, attentif à tous les dons de ses frères, et pas seulement de ceux qui vivent avec lui, mais à l’expérience de tous ceux qui les ont précédés dans la foi et la leur ont transmise.

b’’) L’écoute de l’Écriture

Chaque chrétien, cependant, doit toujours revenir à la source de tout cela, aux expressions centrales de l’Évangile à travers toute l’Écriture inspirée, telle qu’elle lui est livrée au cœur de cette expérience continuelle de la foi vivante et priante qu’est la liturgie traditionnelle.

c’’) L’écoute du Magistère

Là, en particulier, mais en toutes circonstances également, il doit se laisser guider, avec une docilité intelligente et sympathique à l’enseignement, à la conduite des pasteurs que le Souverain Pasteur, le Christ lui-même, a préposés, à la garde de tout le troupeau. Il sera spécialement attentif aux définitions ou aux enseignements solennels où le magistère a engagé toute son auto[132]rité. Mais il n’aura pas la réaction puérile de croire qu’il ne doit respecter que ces décisions qui se formulent sous le couvert de l’infaillibilité. Même si, et surtout parce qu’il cherche toujours à comprendre d’une façon vivante, et donc intensément personnelle, la vérité tout entière que l’Église tout entière, dont il fait partie intégrante, lui propose, il saura bien qu’en toute directive doctrinale de l’autorité, même si elle est toujours perfectible, même si elle peut être entachée de quelque erreur humaine, il y a pour lui une grâce de lumière, qu’il ne peut recevoir sinon dans un esprit de déférence à l’égard de ceux qui ont reçu, avec une charge qu’il n’a pas, des grâces spéciales qu’il n’a pas non plus. Ses difficultés, s’il en a, s’il a de solides motifs de juger qu’elles sont réelles, il les leur fera connaître, et, s’il le faut, il ne craindra pas d’insister, avec une hardiesse filiale, pour qu’elles soient convenablement examinées. Mais il se rappellera toujours qu’il n’est qu’un membre dans un corps qui le dépasse, que d’autres membres y ont des responsabilités qui ne sont point les siennes, qu’affaiblir l’autorité de ceux-ci c’est pour autant affaiblir l’unité du corps tout entier, et que la vérité évangélique ne peut ni se trouver ni moins encore subsister sinon dans l’unité, l’unanimité de l’amour surnaturel.

2’’) Conséquence : la fécondité

Ce sont là, certes, des conditions onéreuses, exi[133]geantes, mais elles sont le prix de la vraie liberté des enfants de Dieu, la seule liberté positive, la seule qui soit liberté de construire, de progresser dans l’amour, et non simplement liberté de détruire, de se replier sur soi, ou, inversement, de s’effondrer dans le chaos et le néant.

c’) Condition ou cause en amont : les exigences vécues par l’évêque

Mais, de leur côté, les chefs doivent se rendre compte qu’ils ne peuvent être des pasteurs fidèles s’ils n’acceptent pas pour leur propre compte des exigences plus radicales encore.

1’’) L’évêque comme docteur ou l’exigence du travail théologique

La première est de se convaincre que la vérité évangélique, dont ils sont non seulement les premiers témoins mais les gardiens et les propagateurs responsables, ne leur est pas accessible autrement ni à moindre frais qu’aux autres chrétiens. Ils ne sont pas les successeurs des apôtres en ce sens qu’ils jouiraient d’une inspiration spéciale semblable à la leur, mais en ce sens qu’ils sont assistés par l’Esprit-Saint pour conserver et développer ce que les apôtres ont enseigné, en usant d’abord au maximum de tous les moyens qui sont à la portée de tous dans l’Église pour cela, et en ayant l’humilité d’accueillir ce que d’autres, plus doués qu’eux, naturellement ou surnaturellement, peuvent en tirer. S’ils ne le font pas, ils ne seront pas simplement des chrétiens tièdes ou peu lucides, mais des prévaricateurs. Ils sont les docteurs-nés de l’Église parce qu’ils sont ses pasteurs. Mais, réciproquement, ils ne seront [134] des pasteurs fidèles que s’ils se préoccupent d’être vraiment des docteurs. Et ceci n’est point un simple don qu’ils auraient reçu ex officio mais une tâche à remplir, un travail à consentir, avec toutes ses exigences, qui ne sont pas purement intellectuelles mais qui le sont aussi, au plus haut sens du mot. Les théologiens de profession, certes, sont là pour les aider, mais ils ne peuvent pas plus se substituer à eux que les évêques ne peuvent se passer d’eux.

2’’) L’évêque comme pasteur

a’’) La charité

Mais les évêques doivent être encore non des autocrates, mais des guides, des stimulateurs et des conducteurs avertis de toute la vie de leur troupeau. Cette vie, ils doivent la connaître, s’y intéresser, s’y insérer, en vivre les premiers. Dire, comme les vieux théologiens le disaient, que les évêques sont dans un état de perfection acquise ne signifie nullement qu’ils n’ont pas à se faire de souci là-dessus, mais qu’ils doivent toujours se sentir sous le jugement de Dieu s’ils ne font pas tout ce qui leur est possible, avec le secours d’en haut, pour être des chrétiens parfaits, c’est-à-dire des hommes de Dieu, des hommes entièrement livrés à la charité surnaturelle et à ses exigences impitoyables.

b’’) La responsabilité

Ceci ne signifie nullement qu’ils doivent être simplement des suiveurs, prêts à tout bénir indifféremment. Ils sont des serviteurs, mais des serviteurs du Christ, pour le bien de leurs frères. Cela veut dire qu’ils ne peuvent abdiquer leurs respon[135]sabilités. C’est à eux que reviennent les décisions finales, même s’ils ne doivent jamais se leurrer de la commode illusion que nulle initiative ne saurait être bonne si l’idée ne leur en est pas venue, à eux les premiers…

c’’) Le service de l’unité

Mais, par-dessus tout, ils sont les responsables de l’unité de l’Église : l’unité d’abord de cette Église particulière qui leur est confiée, son unité ensuite avec toutes les Églises, sous la responsabilité suprême de l’Evêque successeur de Pierre. Cette unité, ils doivent toujours se rappeler qu’elle n’est pas une uniformité, une conformité simplement extérieure, obtenue à coup de décrets. C’est l’unité de la charité, l’unité d’un grand concert, d’une ample symphonie dont ils doivent être les conducteurs, où ils doivent avoir le souci que chaque voix se fasse entendre, mais à sa place et pour ce qu’elle vaut, se rappelant que le seul maître du chœur, en définitive, c’est le Christ lui-même, dont ils sont les simples représentants, et que le souffle qui doit passer par toutes les bouches, et d’abord dans tous les cœurs, c’est celui de l’Esprit dont ils ne sont qu’un des organes…

4’) Conclusion-transition

De tout ceci, qui ne nous dira : « Mais c’est justement ce que nous voulons ! » Le tout, malheureusement, n’est pas de le vouloir, il faut encore en vouloir les moyens. Avant de conclure sur quelques réflexions, peut-être intempestives, mais cer[136]tainement pas inactuelles, sur ce sujet, il faut cependant dire encore autre chose.

b) Identité de l’Église ad extra. Nécessité de la mission
1’) Diagnostic : l’Église n’est plus missionnaire

Nous n’avons jusqu’ici fait que décrire la vie idéale de l’Église sous son aspect intérieur. C’est là, assurément, ce qui est fondamental. Une Église sans vie intérieure, sans vie qui lui soit propre, bien qu’elle ne soit pas sa vie, notre vie, mais la vie du Christ, de son Esprit en nous, – qu’aurait-elle à apporter au monde ? Cependant, la vie, les dons de vie que l’Église a reçus, elle ne les a pas reçus pour elle, si par là on entend ses membres actuels, mais pour le monde. L’Église, en ce temps qui va de la Pentecôte à la Parousie, est dans une situation essentiellement missionnaire. Sur ce point encore, aujourd’hui, tout le monde est bien d’accord. Malheureusement, malgré tout ce qu’on dit et écrit là-dessus, on peut se demander si l’Église a jamais été, dans le passé, aussi peu missionnaire de fait qu’elle l’est aujourd’hui. Bloquée sur le conflit absurde, qui, encore une fois, n’est qu’un pseudo-conflit, entre intégristes et progressistes, sa mission en est stoppée et le restera tant qu’on ne sera pas sorti de ce cercle mortel. Comment les intégristes, tournant le dos au monde, pourraient-ils être missionnaires ? Et comment les progressistes, ouverts au monde mais n’ayant plus conscience d’avoir rien à lui apporter, pourraient-ils l’être davantage ?

2’) Le faux remède

[137] Il faut enfin secouer les illusions consolatrices, ou plutôt anesthésiantes. Il n’y a pas de « salut sans l’Évangile », il n’y a pas de « christianisme anonyme », il n’y a pas d’ « Église implicite ». Ce sont là autant de chimères que des chrétiens épuisés se sont forgées pour se dispenser d’œuvrer à une tâche qui s’impose à eux mais dont ils ont conscience d’avoir perdu les moyens.

3’) Le vrai remède

a’) En général

Pour que le monde soit sauvé, au sens évangélique, il faut d’abord croire qu’il a besoin de l’être. Il faut ensuite croire, je ne dis pas que nous en avons les moyens, mais que Dieu les a, qu’il nous les a révélés, sans que nous y ayons aucun mérite, et qu’il nous les a confiés. Nous ne croyons plus rien de tout cela, et une des tâches byzantines auxquelles la théologie contemporaine se consacre de préférence est de nous convaincre qu’en dépit des déclarations évangéliques ou apostoliques les plus claires à ce sujet, nous n’avons pas à nous en préoccuper. Tant que nous persisterons dans cette attitude, non seulement le monde ne sera pas évangélisé, mais le salut nous échappera à nous-mêmes. Le christianisme désacralisé dont nous rêvons est un christianisme où Dieu ne se manifeste plus ; un christianisme qui ne veut plus être une religion est un christianisme que Dieu a déserté ; un christianisme sans Dieu n’est plus le christianisme. Nous pourrons retourner la chose sous tous les [138] angles, et faire assaut de subtilités pharisaïques à son propos, Dieu sait si nous nous y sommes exercés de longue date ! Nous n’en sortirons pas.

b’) L’exemple de Madeleine Delbrêl

1’’) Énoncé

Je ne crois pas devoir m’étendre longuement à ce sujet : tout ce qu’il faut en dire, aujourd’hui comme jamais, à mon avis, a été dit, bien mieux que je ne saurais le dire, par une simple femme, qui est un des rares véritables apôtres de notre temps, et dont je pense, salvo meliore judicio, que l’Église pourrait bien un jour la canoniser. Je parle de Madeleine Delbrêl et de son livre sans prétentions : Nous autres, gens des rues. C’est la lecture la plus tonifiante qu’on puisse recommander à l’heure actuelle.

2’’) Exposé

L’ouverture au monde, la vraie, celle qui consiste à le connaître parce qu’on y a vécu à plein, les yeux et le cœur grands ouverts, je ne pense pas que personne l’ait jamais vécue plus courageusement, plus intégralement. Mais en même temps, et sans aucune contradiction, parce que cette femme savait le voir (et l’aimer, au vrai sens évangélique du mot) mieux que personne, elle n’a pas succombé un seul instant à la tentation de croire que le monde était déjà sauvé et qu’il n’y avait qu’à s’en réjouir avec lui. Mais c’est aussi que, pour elle, l’évangile de Jésus-Christ n’était pas simplement l’expression de l’expérience particulière d’un petit groupe, ni l’Église simplement ce petit groupe, avec ses qua[139]lités et ses défauts, ses bons côtés et ses tares. L’Évangile et l’Église du Christ, elle les avait reçus, elle les vivait comme le don de Dieu. Elle en savait plus long que personne sur tout ce qu’il y a d’« hommerie » dans l’Église, mais elle n’en croyait pas moins que l’Église est l’Epouse et le Corps du Christ lui-même. Elle n’était pas exégète de profession, mais elle savait bien tout ce que l’Évangile pose de problèmes historiques et de difficultés particulières aux hommes de notre temps, mais elle n’en croyait pas moins que l’Évangile est la Parole de Dieu, pas une parole parmi d’autres sur Dieu, mais sa Parole, dans une plénitude unique.

Quand nous en serons revenus, ou tout simplement venus là, nous pourrons repartir, mais pas avant.

2) En relation avec les moyens

o) Énoncé général

Mais pour cela, comme pour le reste, il ne faut pas se contenter de pieux désirs. Il faut voir clairement les moyens réalistes qui nous rendront une Église vivante et missionnaire, et il faut avoir le courage d’y recourir. C’est peut-être le plus difficile.

Les réformes dont l’Église a un besoin plus urgent que jamais se situent pour la plupart aux trois plans du clergé en général, du laïcat et de l’épiscopat. Mais elles sont toutes dominées par un problème de base, qui est un problème de culture.

a) Remèdes concernant les prêtres
1’) La culture

Pour ce premier moyen, Bouyer adopte un plan dialectique qui servira aussi pour le deuxième moyen : création-décréation (diagnostic du mal)-recréation (remède).

a’) L’importance

Le christianisme catholique, c’est-à-dire le vrai [140] et intégral christianisme, n’est pas plus une culture qu’il n’est une action politique, même en prenant ce dernier mot au sens le plus élevé, qui n’a, hélas ! pas grand-chose de commun avec ce qu’on appelle aujourd’hui la politique. Mais, s’il est vrai qu’on ne peut concevoir un christianisme qui ne se traduirait pas en action au plan de la cité, on peut encore moins le concevoir se développant autrement que dans une culture. Le christianisme, répétons-le une fois encore, est une vérité de vie, et la culture n’est pas autre chose que la pensée informant la vie humaine tout entière, ou cette vie devenant consciente d’elle-même, par tous les moyens de méditation et de réflexion qui sont à la portée de l’homme. Un christianisme qui ne se pense pas, ou qui voudrait se penser en dehors de la vie, de la vie tout entière, n’est pas viable. La pensée proprement chrétienne n’est pas seulement l’affaire de spécialistes, auxquels on pourrait la laisser, comme leur affaire propre. Elle intéresse, elle doit intéresser tous les chrétiens, à la mesure de leurs capacités. Mais elle intéresse au premier chef les clercs, qui ont la tâche de former et d’entretenir la vie de leurs frères.

b’) Le diagnostic

1’’) Avant le Concile

Saint François de Sales disait rondement que, dans sa jeunesse, « prêtre » était devenu synonyme d’ignorant et de débauché. Nous n’en sommes pas encore là, mais nous y courons. Le clergé est en train de perdre le sens des exigences ascétiques, et [141] tout simplement morales, de sa vocation. Il y a beau temps, un demi-siècle au moins, qu’il a commencé à perdre le sens de ses exigences intellectuelles. La répression du modernisme a eu comme résultat de persuader les responsables de sa formation que moins il en saurait et plus « sûr » serait son enseignement. N’a-t-on pas pu voir, quelques années avant le Concile, un document épiscopal affirmer que les hérésies étant l’œuvre des théologiens, il fallait les tenir étroitement en lisière, et les borner (under the las, comme disait Newman) à expliquer aux autres, purement et simplement, les énoncés que l’autorité aurait produits sans leur concours ?

2’’) Depuis le Concile

Depuis le Concile, la situation, loin de s’améliorer, a brusquement empiré. La plupart des séminaires ne sont plus que des écoles de bavardage, où l’on discutaille à perte de vue sur tout, sans rien étudier sérieusement, et surtout sans apprendre à étudier.

La tâche des facultés de théologie n’a jamais été de former les seuls professeurs de séminaires, mais d’entretenir dans le clergé une élite intellectuelle, aussi nécessaire à la vie des paroisses et des différents mouvements d’apostolat qu’à la formation des clercs en général. Le souci actuel de l’épiscopat, en France à tout le moins, semble être de les remplacer, dans cette dernière tâche, par des instituts practico-pratiques où les maîtres des clercs [142] futurs seraient formés seulement à ce qu’on appelle la catéchèse et la pastorale, ce qui, concrètement, signifie aujourd’hui, les trois quarts du temps, une pédagogie sans contenu doctrinal et la logomachie ésotérique où une trop grande part de l’Action catholique s’est empêtrée. Quant à leur autre tâche, il y a beau temps que les facultés ne peuvent plus la remplir, parce que les évêques semblent avoir depuis longtemps oublié qu’une bonne formation théologique n’est pas désirable seulement pour les futurs professeurs, mais pour tous les prêtres appelés à des responsabilités pastorales importantes. L’idée, admise par tous les Allemands, que tous les prêtres, aujourd’hui surtout, auraient besoin d’une formation théologique d’un niveau universitaire, en France, paraît encore, et plus que jamais, un pur scandale. Tant qu’on n’y viendra pas, l’avenir de toute l’Église restera pourtant bouché. S’il est un point sur lequel l’Église, chez nous, semble spontanément d’accord avec la république, c’est qu’elle aussi est persuadée qu’elle n’a pas besoin de savants. Nous n’en serions jamais venus au gâchis où nous sommes si nous n’en étions pas là sur ce même point. Mais loin que cela change, tout ce qu’on fait et projette actuellement ne tend qu’à aggraver la situation.

c’) Le remède

Il y aurait trop à dire là-dessus. Je préfère, pour [143] l’instant, m’en tenir là. Ce sera bien assez pour qu’on me crie : « Haro ! »

1’’) En général

Depuis Clément et Origène, la démonstration n’est plus à faire que la culture théologique ne peut se développer en dehors de la culture tout court. En particulier, si l’on veut que la tradition reste vivante, en se réadaptant sans cesse aux nécessités de l’heure, c’est une condition sine qua non. Mais, justement, on veut bien s’ouvrir au monde, on ne parle même plus que de cela, mais on ne veut pas en payer le prix. S’informer intelligemment des progrès de la recherche dans toutes les sciences humaines, philosophie, philologie, histoire, psychologie, ethnologie, histoire des religions comparées, c’est la tâche première pour cela. La réflexion sur les sciences physiques et biologiques, sur tous les problèmes soulevés par le développement des techniques n’est pas d’une moindre importance. Et, quand on s’est instruit de ces recherches, quand on s’est formé soi-même à les poursuivre. une réflexion chrétienne s’impose, qui est une des premières tâches des philosophes chrétiens, aidés par les théologiens.

2’’) Application critique

Qui s’intéresse à cela sérieusement parmi nous ? La lecture sans critique de quelques pages de Teilhard de Chardin paraît amplement suffisante à la plupart des « intellectuels catholiques » professionnels. Des rhapsodies sur le progrès techni[144]que, la dialectique marxiste ou une psychanalyse de livres de poche semblent le maximum qu’on puisse attendre des clercs destinés spécialement à s’occuper des laïcs qui ont quelque chose à faire avec ces problèmes.

2’) La vie liturgique

a’) L’importance

Cependant, la culture proprement chrétienne, et sa capacité de s’ouvrir à la culture humaine en général, ne repose pas seulement sur des recherches savantes, quelque importantes qu’elles soient. Elle suppose un soubassement, ou plutôt un humus vital, où tous, les chrétiens les plus cultivés comme les plus ignorants, doivent plonger leurs racines, et qui est lui-même le terrain de base de cette culture. Ce soubassement, cet humus, c’est la vie liturgique seule, dans toute sa plénitude humaine et sacrale, avec l’interprétation vécue de la Parole de Dieu qu’elle seule nous procure, qui peut le constituer.

b’) Le diagnostic

Une fois de plus, ici, il faut dire les choses sans ambages : il n’y a pratiquement plus de liturgie digne de ce nom, à l’heure actuelle, dans l’Église catholique. La liturgie d’hier n’était plus guère qu’un cadavre embaumé. Ce qu’on appelle liturgie aujourd’hui n’est plus guère que ce cadavre décomposé.

c’) Le remède

Une fois de plus, il y aurait trop à dire sur ce sujet. Nulle part peut-être la distance n’est plus grande, voire l’opposition formelle, entre ce que [145] le Concile avait produit sur ce sujet et ce qu’on en a fait. Sous le prétexte d’« adapter » la liturgie, on a simplement oublié qu’elle est et ne peut être que l’expression traditionnelle du mystère chrétien dans toute sa plénitude de source jaillissante. J’ai passé la plus grande partie peut-être de ma vie sacerdotale à tâcher de l’expliquer. Mais j’ai maintenant l’impression, et je ne suis pas le seul, que ceux qui ont pris en main d’autorité l’application (?) des directives du Concile sur ce point ont tourné le dos délibérément à tout ce qu’un Beauduin, un Casel, un Pius Parsch avaient entrepris, et à quoi j’avais essayé vainement d’ajouter ma petite pierre. Je ne veux pas apporter ou paraître apporter plus longtemps ma caution, si peu qu’elle vaille, à ce reniement et cette imposture. S’il y en a que la chose intéresse encore, ils peuvent lire les livres que j’ai écrits là-dessus, il n’y en a que trop ! Ou mieux, ceux des maîtres que je viens de citer, auxquels on a pu tourner le dos, bien que le Concile eût canonisé l’essentiel de leur œuvre, mais auxquels on n’a rien ajouté qui vaille, ces derniers temps. Quand on aura tout mis par terre, il faudra bien y revenir. En attendant, pour ma part, je m’occuperai désormais d’autres travaux, qui sont davantage dans mes cordes : « La nuit vient », pour moi en tout cas, « où personne ne peut plus travailler ». J’en ai assez fait en ce domaine, pour [146] rien, à en juger d’après les résultats présents. Je préfère ne pas m’obstiner et passer à autre chose.

3’) La formation humaine des prêtres

a’) Exposé

Tout ce qui précède porte directement sur la formation des clercs, et par contrecoup des laïcs. Mais je suis bien éloigné de croire que lorsqu’on a dit cela, on a tout dit. Rien ne me paraît plus urgent que d’avoir aujourd’hui des prêtres formés directement à leur ministère par des études solides et une piété nourrie à la source. Mais encore faut-il pour cela qu’ils soient d’abord des hommes, et des hommes de leur temps (pas des nigauds la bouche ouverte, bêlant à toutes les nouveautés, mais des hommes mûris par l’expérience de la vie).

b’) Conséquence pratique : ordination tardive

À cet égard, ordonner aujourd’hui des gamins de vingt-cinq ans, qui se précipiteront de se faire appeler « Père ! » (toujours Knock : « Appelez-moi Docteur ! ») par des hommes qui auraient pu les mettre au monde, c’est une absurdité sans nom. Aucune ordination aux ordres majeurs ne devrait plus pouvoir être donnée à des hommes de moins de trente ans, et personne ne devrait plus être admis dans un séminaire sans avoir fait des études supérieures complètes et exercé la profession à laquelle elles conduisent un an au moins, ou avoir reçu une formation manuelle également complète, ouvrière ou paysanne, et gagné son pain quelque temps à ces tâches. Tant qu’on n’en viendra pas là, je le crains fort, on n’aura dans le sacerdoce que [147] des eunuques, ou, ce qui ne vaut pas mieux, des adolescents prolongés, incapables de jamais sortir d’un état hébéphrénique.

Inutile d’ajouter que des garçons qui seraient passés par là ne supporteraient pas huit jours la vie des séminaristes actuels, de parlotes sans contenu, et d’ « expériences » sans objet !

b) Remèdes concernant les laïcs

Notons en passant un « Oui, mais » de Bouyer emporté par la polémique : il dit ne pas parler de l’Action catholique et il ne va faire que cela…

J’en viens au laïcat. Je ne traiterai pas ici du problème de l’Action catholique. Mais que son actuelle évolution pose un problème, c’est trop peu dire.

1’) Premier problème : la censure atterrée

Personne n’ose encore en parler ouvertement, car, comme me le disait récemment un des évêques de France les plus estimés : « L’Action catholique n’est plus guère qu’une Église à la Potemkine, une Église de carton, entretenue par les futurs évêques pour le confort intellectuel et spirituel des évêques actuels. » Je me borne à citer littéralement, sans commentaire, n’étant pas moi-même du bâtiment.

2’) Deuxième problème : la contradiction performative

Mais il n’y a pas besoin d’en être pour se rendre compte que l’Action catholique, après avoir propagé la saine pratique de la « révision de vie », si elle n’est pas capable de se l’appliquer rigoureusement à elle-même dans les plus brefs délais, ou bien mourra de sa belle mort, ou bien tuera l’Église qu’elle devait régénérer.

3’) Troisième problème : le caractère minoritaire

En attendant, personne ne peut nier un autre problème. La grande majorité des laïcs catholiques les meilleurs, à tort ou à raison, ne veulent plus [148] entendre parler d’entrer dans ces « mouvements », tels qu’ils sont devenus. Qu’est-ce que nous attendons pour prendre conscience du fait, qui crève les yeux ?

À l’heure où nous parlons de donner la parole aux laïcs, continuerons-nous longtemps de ne laisser parler qu’une poignée d’entre eux…, et d’ignorer l’existence des autres ?…

c) Remèdes concernant les évêques
1’) La nomination

a’) Diagnostic

1’’) Exposé

L’épiscopat, enfin ! Il y a quelques mois je m’entretenais de la situation actuelle dans l’Église avec un évêque africain, qui est non seulement un des meilleurs évêques du continent noir, mais un des meilleurs de l’Église contemporaine. Avec ce bon sourire malicieux dont Dieu a éclairé les visages les plus sombres de l’humanité, il me disait : « Que voulez-vous ! L’Église, après le Concile, est un peu dans la même situation que nos armées africaines. On y a fait, du jour au lendemain, des généraux de gens choisis et formés pour n’être jamais que des sergents-chefs. Cela ne pourra jamais marcher tant qu’on ne sera pas sorti de cette situation. » J’avoue qu’il me paraît que cet évêque mettait lui-même le doigt sur la plaie actuelle de l’épiscopat.

2’’) Gravité

Rome paie aujourd’hui pour ses fautes d’hier, mais nous avons tous à payer avec elle, et c’est pour les évêques eux-mêmes que la note est la plus lourde.

b’) Remède

[149] Les politiques dictées par la peur sont régulièrement les plus nocives, et, depuis le premier concile du Vatican, pour ce qui concerne les nominations épiscopales, Rome semble avoir été dominée par la peur d’un retour possible du gallicanisme. Partout où elle l’a pu, en conséquence, elle a écarté de l’épiscopat non seulement les hommes de pensée, mais plus encore les hommes de caractère, àcommencer par les pasteurs qui avaient paru trop bien réussir dans le sacerdoce du second rang. De bons administrateurs aussi peu portés que possible aux initiatives, ou des aumôniers d’Action catholique (celle-ci restant, jusqu’à nos jours, considérée avant tout, en Italie, comme une pépinière de Volontaires du pape, analogues ecclésiaux, avec le tonus en moins, des Camelots du Roi) : là, et là seulement, pouvaient être les épiscopables. Heureusement, les nonces ne sont pas omniscients, et il leur est arrivé plus d’une fois de laisser passer entre leurs mailles de petits poissons dont ils n’avaient pas prévu une seconde qu’ils pussent devenir grands : tel un Emmanuel Suhard et quelques autres, pour ne parler que des morts. Et puis il restait, ici ou là, comme en Allemagne ou en Suisse, des vestiges au moins de l’élection traditionnelle… et même des endroits où les gouvernements gardaient un pouvoir de présentation, qui n’avait pas toujours de si mauvais effets, et enfin quelques autres, comme [150] les Etats-Unis, où une nomination par cooptation s’est à peu près imposée de facto, ce qui risque d’entretenir « la république des camarades », mais pas toujours non plus.

2’) La collégialité

C’est très beau de parler de collégialité épiscopale, mais pour qu’elle devienne une réalité, il faudra d’abord qu’on refasse une doctrine de l’épiscopat (qui y découvre autre chose que des ronds-decuir mitrés, ou que des aumôniers généraux de l’Action catholique, telle qu’elle est devenue), et puis ensuite qu’on choisisse des gens qui ne soient pas seulement des braves gens (ils le sont tous !) mais des gens aptes à être, en réalité, et non seulement en principe, des pasteurs, des docteurs et des prêtres. C’est peu dire que nous n’en sommes pas encore là ! La doctrine est tout entière à repenser, et d’abord à redécouvrir. Des nominations qui y répondent, après cela, devront se faire par des voies évidemment tout autres que les voies actuelles. Ce n’est pas une élection du type démocratique, d’ailleurs, qui arrangerait les choses. Elle ne ferait, à l’heure actuelle, qu’intensifier dans l’Église le combat d’aveugles entre intégristes et progressistes. Un modus vivendi équilibré de consultations entre les chapitres (redevenus de vrais chapitres, et non des asiles de vieillards inoffensifs), des représentants du clergé à tous les degrés, des représentants de tous les laïcs, et finalement du Saint-Siège, comme [151] la chose existe en Suisse, serait probablement ce qu’on pourrait souhaiter de meilleur, à l’heure actuelle, comme semblent le montrer les résultats.

 

*

3) La fin réalisée

Dans cette page conclusive signalée par l’astérisque, le passage de l’idéal au réel joint les deux pôles qui viennent d’être traités, la fin visée (1) et les moyens (2).

Toutes ces choses ne sont pour le moment que de beaux rêves dont on s’enchante soi-même. Elles n’ont encore aucune amorce de réalisation, et, sur tous ces points, on paraît s’engager allègrement dans des voies tout autres. De l’excès du mal, espérons-le, sortira un jour, qu’on voudrait croire assez proche, sans oser le prédire, la réaction nécessaire. Il faudra bien alors, si je ne m’abuse pas complètement, et si ne s’abusent pas avec moi les prêtres innombrables, les évêques plus nombreux qu’on ne le croirait, et bien d’autres dans l’Église, qui pensent depuis longtemps et disent tout bas encore ce que je viens d’essayer de dire tout haut, s’orienter dans des voies qui ne seront peut-être pas exactement celles que je viens d’esquisser, mais qui ont de fortes chances d’y ressembler beaucoup.

[152] En attendant, l’expérience du ministère, de la fraternité de travail et de préoccupations avec tant de prêtres généreux, laborieux et clairvoyants que l’Église possède encore, bien qu’on ne les consulte guère et qu’on s’occupe surtout, dans les hautes sphères, à les tenir au pas et à leur faire verser régulièrement leurs contributions, et puis tant de fidèles dont la patience, la foi, la charité ne cessent de réconforter ceux qui les connaissent autrement qu’à travers des enquêtes sociologiques truquées, aideront ceux qui croient en l’Église fondée sur le Roc, et dont le Christ est la pierre angulaire, à persévérer dans l’assurance que son Esprit ne l’a point abandonnée et qu’elle ressortira, plus pure et plus radieuse, du barathrum innommable où elle est aujourd’hui plongée.

Et si les « vrais catholiques », de droite ou de gauche, s’obstinent à l’y maintenir, les orthodoxes et tant d’anglicans ou de protestants qui n’ont cessé d’aimer ou réappris à désirer l’unique véritable Église nous aideront bien à l’en tirer malgré eux.

Quant à ce qu’on nomme « le catholicisme », mot apparu seulement, si je ne m’abuse, au XVIIe siècle, si l’on entend par là le système artificiel forgé par la Contre-Réforme, durci par la répression à coups de trique du modernisme, il peut bien mourir. Il y a même de fortes chances [153] qu’il soit mort déjà, bien que nous ne nous en apercevions pas encore. L’Église une, sainte, catholique et apostolique, où Pierre et ses successeurs « président à la charité », elle, a les promesses de la vie éternelle, et sa foi ne sera pas déçue.

Pascal Ide (pour la présentation et le plan)

3.5.2025
 

Comments are closed.