L’importance de la synthèse selon le bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus
  1. Le bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus offre une précieuse mise au point méthodologique dans ses retraites, que je fais vivement mienne. En un mot, son idée est la suivante : lors d’une retraite, mais on pourrait élargir à une conférence ou à un cours, nous sommes tous tentés de ne retenir qu’un des aspects, parce qu’il nous touche, plus souvent, parce qu’il confirme une conviction, parfois aussi parce qu’il appuie sur notre culpabilité, etc. Il est déjà bien (et en fait plutôt rare) de transformer cette lumière et cette émotion en action. Mais nous courons un risque : de manquer l’ensemble ; voire, de déséquilibrer. En effet, la vérité réside dans la totalité (« La vérité est le tout », dit Hegel dans la préface de la Phénoménologie de l’Esprit). Il est donc nécessaire de demeurer attentif à la synthèse, de prendre en compte la totalité et de ne pas seulement se porter vers une partie.

Je précise encore un point. Respecter et prendre en compte le tout ne signifie pas non plus tout changer tout de suite. En effet, l’on sait qu’une des tactiques du démon est de nous faire tout embrasser, de nous noyer dans les informations ou les petites décisions, et ainsi stimuler notre compulsion actuelle à tout consommer, qui conduit à la dépendance, à la superficialité et enfin au découragement. Distinguons donc le plan de la lumière et le plan de l’action. Du point de vue de la lumière, allons vers la synthèse ; quant à l’action, commençons humblement par un bout, un petit engagement, et demeurons-y fidèle. De même, distinguons ce qui nous touche immédiatement et ce qui nous touche peut-être plus profondément, et qui peut venir de l’Esprit-Saint.

 

  1. Laissons maintenant la parole au Père Marie-Eugène. Le fondateur de Notre-Dame de Vie constate que, parfois, nous sommes frappés par une pensée, touchés par une idée qui rejoint nos préoccupations, nos désirs, etc.

 

« Il faut éviter de se laisser fasciner par une partie de cet enseignement, par un aspect particulier, au point d’oublier l’ensemble, et de ruiner en quelque sorte la synthèse, en faisant ue l’élément, bon d’ailleurs, domine complètement, et tellement qu’on oublie le reste. Alors l’enseignement peut diminuer de valeur, ou même devenir faux, par la mise en relief d’une vérité, aux dépens des autres, aux dépens de la synthèse [1] ».

 

Dans le même ordre d’idées, mais plus intellectuellement : « Vous donnez trop d’importance à telle pensée et vous vous appuiyez sur elle. Il faut faire la synthèse ». En effet, « nous nous arrêtons à un aspect particulier, et nous universalisons, nous le séparons de la synthèse où il est inscrit [2] ».

Le père Marie-Eugène précise une autre attitude : « Vous faites des objections, une pensée vous heurte et peut vous arrêter, vous n’arrivez pas à la situer dans la synthèse de la vie spirituelle – cela risque de vous aveugler [3] ». En effet, la synthèse est un tout ; or, il n’est pas rare que le tout unifie des aspects contrastés ou antinomiques ; tant qu’on en reste aux aspects partiels, nous ne voyons pas l’unité et nous choisissons.

 

  1. Face à ces risques d’unilatéralisme, quelle posture adopter ? La seule attitude adéquate, théoriquement mais aussi pratiquement, est la visée du tout, autrement dit la synthèse : « L’idéal est la synthèse de tout. Il faut en connaître les détails pour ainsi dire, pour que la synthèse soit riche [4]».

Chronologiquement, nous commençons souvent par la vision d’aspects contrastés ; c’est seulement au terme qu’advient l’unité synthétique : « Il faut d’abord saisir l’antinomie puis retrouver la synthèse. Nous n’avons pas le droit de nous appuyer sur une pensée, mais sur une synthèse générale [5] ».

Le théologien carme ajoute un moment une observation qui ne peut que me réjouir : cette synthèse requiert l’amour. La connaissance « saisit tous ces éléments évidemment par l’amour, par le regard, mais sub influxu amoris, comme disent nos saints, le regard contemplartif sous l’influence de l’amour [6] ». Comment ne pas entendre la parole de Benoît XVI : « La vérité est, en effet, lógos qui crée [instituit] un diá-logos et donc une communication et une communion [7] » ?

Pascal Ide

[1] 18 août 1958. Cité par Raphaël Outré, Discours de la méthode du Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus (1894-1967). But et moyens de la théologie spirituelle selon ses enseignements inédits, Rome, PUST, Faculté de théologie, 2009, notamment p. 347. Désormais cité DM.

[2] 17 août 1950. Cité dans DM, p. 347.

[3] 17 août 1950. Cité dans DM, p. 347.

[4] 17 août 1964. Cité dans DM, p. 349.

[5] 17 août 1950. Cité dans DM, p. 348.

[6] 17 août 1964. Cité dans DM, p. 349.

[7] Benoît XVI, Lettre encyclique Caritas in veritate sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, 29 juin 2009, n. 4.

4.10.2024
 

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