L’évolution des hommes préhistoriques est souvent d’abord vue comme une évolution biologique. Elle est étudiée à partir des transformations anatomiques. Certes, les chercheurs considèrent la succession des cultures. Mais celle-ci semble être rythmée par les changements matériels.
Pour être encore plus précis, nous assistons à une histoire en trois temps. Au point de départ régnait « une vision biblique de nos origines » qui insistait sur l’altérité humaine. Puis, la révolution introduite par « Darwin » a souligné « les facteurs biologiques qui auraient régi l’évolution humaine ». Mais « après cette prise de conscience quant à notre composante évolutive naturelle, les dogmes ont changé de côté, mais n’ont rien perdu de leur force coercitive. Désormais, l’origine et l’évolution de l’humanité n’étaient plus que naturelles [1] ! ». La conséquence est qu’il faut multiplier « les combats […] pour reconnaître des ‘aptitudes’ à l’humanité primitive [2] » : l’art, la parole, etc. Pourtant, « ces comportements font partie de toutes les aptitudes humaines, partout et de tout temps [3] »
Pour le préhistorien belge Marcel Otte, la cause principale de l’évolution humaine n’est pas biologique, mais spirituelle : « l’évolution humaine se fonde essentiellement sur l’activité spirituelle propre à notre espèce [4] ».
Pour le préhistorien de Liège, l’argument principal tient au décalage temporel entre l’accélération des modifications techniques, culturelles, et la lente évolution matérielle, corporelle. Et cela à partir de l’arrivée massive des hommes anatomiquement modernes (homo sapiens sapiens) en Europe, il y a 50 000 ans, remplaçant les sédentaires néandertaliens. Or, ce décalage est lié non seulement à l’esprit, mais à la liberté comme « audace [5] » qui multiplie les « transgressions [6] » des lois, « s’oppose perpétuellement aux contraintes [7] », et à l’« imagination créatrice [8] ».
Alors que les sciences biologiques sont plutôt marquées par le continuisme, Otte retrouve « l’exception humaine », souligne l’originalité humaine, liant celle-ci à son esprit, en particulier sa liberté. En cela, il est résolument moderne, d’autant qu’il fait de la liberté ce qui s’arrache à la naturalité, voire ce qui s’oppose aux conditionnements naturels.
Pascal Ide
[1] Marcel Otte, L’audace de Sapiens. Comment l’humanité s’est constituée, Paris, Odile Jacob, 2018, p. 13. Cf. Id., À l’aube spirituelle de l’humanité. Une nouvelle approche de la préhistoire, Paris, Odile Jacob, 2012.
[2] p. 13-14.
[3] p. 14.
[4] p. 11.
[5] p. 9. Cf. aussi le titre de l’ouvrage.
[6] p. 16.
[7] p. 9.
[8] p. 10.