Les paradoxes de l’eau

Un ouvrage consacré aux grandes énigmes de la nature intitule un de ses paragraphes : « L’eau, une originale qui transgresse toutes les règles » [1]. Et il continue : « Voici la plus paradoxale des substances, la championne des capricieuses : l’eau ». Et d’égréner ces propriétés si étonnantes que nous connaissons désormais si bien.

On peut les présenter comme des records : l’eau est le corps possédant la plus haute capacité calorifique, la « température latente » la plus élevée, la plus grande capacité de dissolution, la plus grande puissance de capillarité, etc.

On peut les exposer comme des paradoxes : alors que, du fait de la contraction, tout corps solide est plus lourd que le même corps dans son état solide, la glace est moins pesante que l’eau liquide ; alors que, à la pression atmosphérique existant à la surface de la Terre, les quatre molécules structurellement les plus proches ont une température d’ébullition vers – 100° C et une température de congélation aux alentours de – 90 ° C, l’eau, dans les mêmes conditions de pression, est liquide, comme nous le savons, entre 0° C et 100° C ; etc.

Il est aussi possible de faire la liste des singularités. Le même paragraphe en nomme deux. Primo, « il semble, d’après les résultats les plus récents, qu’il se produise par paliers de véritables changements d’état à 15° C, à 30°, à 45° et à 60°…, des changements si caractérisés que certains chimistes vont jusqu’à distinguer quatre liquides complètement différents, avec chacun ses caractéristiques et ses propriétés particulières » [2]. Secundo, des savants russes ont découvert en 1962, qu’existe une eau de même formule chimique, mais qui se présente sous une forme très visqueuse et demeure à l’état liquide entre – 40° C et + 500° C. Cela tiendrait à sa polymérisation et proviendrait « d’un formidable dégagement d’énergie en un moment de l’histoire géologique ».

Nous pouvons enfin les approcher dans une perspective résolument finaliste, qui est loin d’être seulement anthropocentrée. Par exemple, la légèreté de la glace se comprend mieux à partir d’une expérience de pensée : si l’eau réagissait comme les autres liquides, elle gèlerait jusqu’au fond, autant dans les terres que dans les océans ; or, c’est l’eau liquide qui permet le cycle des climats et de la vie. Tout au contraire, en gelant en surface, l’eau non seulement forme une mince pellicule qui couvre toute la surface, mais elle piège l’air ; or, celui-ci est un excellent isolant ; donc, la glace permet à l’ensemble des volumes aqueux, fleuves, lacs et océans de continuer à circuler.

Le texte lui-même n’hésite pas à employer ce lexique téléologique : « Pourquoi [c’est moi qui souligne] est-elle [l’eau] dotée de cette capacité exceptionnelle de dissoudre plus de substanecs que n’importe quel autre liquide ? Avec le temps, elle est capable de réduire à merci presque toutes les substances minérales ; on trouve d’ailleurs dans les cours d’eau, les lacs et les mers, à peu près toutes les substanes connues, en dissolution. L’eau pure n’existe pratiquement pas à l’état naturel ».

Mais n’écartons pas les finalités anthropiques : que notre température corporelle soit à 37° C permet que les changements d’état nous affectent le moins possible et assurent le meilleur équilibre de notre métabolisme.

 

Nous avons bien conscience que notre source date d’il y a plus d’un demi-siècle et que nous abordons un sujet très touchy (que l’on songe aux polémiques autour de la mémoire de l’eau ou des expériences de Masaru Emoto) ! D’abord, j’espère bien écrire en détail sur ce sujet, dans le cadre d’une « cosmodologie ». Ensuite, les actuelles études sur l’eau n’ont fait qu’allonger la liste des propriétés paradoxales de l’eau (jusqu’à 51). Enfin, ce paradoxe fait signe vers un profond et fascinant mystère qui se présente encore sous la forme d’une polarité : comment un corps dont la structure moléculaire est si simple est-il si riche de ressources connues et encore insoupçonnées ?

L’aveu ancien d’un des plus grands spécialistes de l’eau à laquelle il a consacré des dizaines d’années d’études, un professeur de l’université de Miami, Walter Drost-Hansen, est donc toujours d’actualité :

 

« Personne ne connaît la structure fondamentle de l’eau, bien que ce ne soient pas les théories qui manquent. Physiciens, chimistes, ingénieurs, nous avons tous les mains liées par notre incapacité de comprendre le plus abondant, et en même temps le moins typique de tous les liquides sur la surface de la Terre [3] ».

Pascal Ide

[1] Michel Jaeger, Les grandes énigmes de la nature, Genève, Éd. Famot, 1974, p. 24-28.

[2] En cherchant sur Internet, j’ai trouvé l’article du chimiste cité plus bas : Lawrence Korson, Walter Drost-Hansen & Frank J. Millero, « Viscosity of water at various temperatures », Journal of physical chemistry, 73 (1952) n° 1, p.34-39.

[3] Cité [Hanse et non pas Hansen !] par Michel Jaeger, Les grandes énigmes de la nature, p. 27. Jaeger écrit en soulignant son propos : « Il n’existe à l’heure actuelle aucun explication de la structure moléculaire de l’eau qui soit acceptée par la majorité des savants » (Ibid., p. 25). Une autre recherche sur la Toile montre que ce chercheur a consacré pas moins de 43 articles à ce qu’il appelle « l’eau vicinale » (j’ignorais l’expression) (site consulté le 29 août 2025 : https://www.researchgate.net/scientific-contributions/W-Drost-Hansen-2039005551). Le dernier écrit est une contribution dans un collectif qui date de 2007 : Walter Drost-Hansen, « Vicinal Hydration of Biopolymers: Cell Biological Consequences », Gerald H. Pollack, Ivan L. Cameron & Denys N. Wheatley (éds.), Water and the Cell, Dordrecht, Springer, 2006, p. 175-218.

2.9.2025
 

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