Les paradoxes de la passion selon Stefan Zweig

Avec beaucoup de finesse, Stefan Zweig montre combien la passion adultérine de Marie Stuart et du comte de Bothwell (qui est marié) est animée par des logiques polaires. Et, selon la loi de l’universale concretum, l’individualité décrite au plus près de sa logique intime, fait toucher l’espèce.

1) L’amour destructeur et indestructible

D’un côté, l’histoire de ces amants offre une nouvelle illustration du caractère destructeur de l’amour-passion. De l’autre, cet érôs excessif immortalise, en les faisant entrer dans la légende : « Ce n’est que sous l’effet de sa passion démesurée qu’elle s’élève au-dessus d’elle-même, détruisant sa vie tout en l’immortalisant [1] ». Par le biais du temps – mais du temps raconté, le récit –, il est ainsi montré que la passion participe, mais par en-bas, à la logique d’éternité caractéristique de l’amour.

2) L’amour unit et isole

Ce que la passion fait avec le temps, elle opère de même avec l’espace : d’un côté, elle unit jusqu’à la fusion ; de l’autre, elle sépare jusqu’à la fission.

 

« Après la première étreinte le réveil a dû être effroyable, lorsque les deux amants, tels Tristan et Iseult au sortir de l’ivresse où les a plongés le philtre d’amour, se rappellent soudain qu’ils ne vivent pas seuls dans l’infinie de leur sentiment mais sont liés à ce monde par toute sorte de devoirs [2] ».

3) L’amour béatifie et abîme

Amoureuse, la passion est l’expérience de la plus haute félicité. Mais coupable, elle est la source des plus profondes angoisses. Plus encore, s’inscrivant dans un cadre qui semble le rendre fatal, il devient tragique.

4) L’amour élève et humilie

Comme l’érôs dont Diotime fait l’éloge, l’amour passion élève l’âme vers les contrées les plus sublimes. Mais il précipite de la cime vers l’abîme. En effet, l’amour n’aliène que parce que d’abord il possède. Zweig décrit admirablement comment cette femme si fière en est venue à s’abaisser de manière inimaginable pour ne pas perdre l’amour de cet homme : « C’est un spectacle atroce et poignant que cet anéantissement complet de l’amour-propre chez une femme fière comme elle, qui, après n’avoir craint jusqu’ici aucune puissance au monde ni aucun danger terrestre, en arrive maintenant aux pratiques les plus honteuses d’une jalousie envieuse et perfide [3] ». De son côté, Bothwell ne cesse d’aimer sa jeune épouse. Marie Stuart n’est que la passade d’un militaire brutal, sensuel, ambitieux.

5) L’amour accomplit la loi et la transgresse

D’une part, la passion d’amour est hors la loi, au-delà du bien et du mal. D’autre part, il se nourrit de la conscience de la transgression de ce qui constitue la limite par excellence (car c’est elle qui dit, plus que la limite ontologique, notre différence d’avec Dieu), qui est la limite morale : « Ce qui rend cette passion à la fois grandiose et effrayante, c’est que la reine sait dès le début que son amour est criminel et absolument sans issue [4] ».

Pascal Ide

[1] Stefan Zweig, Marie Stuart, trad. Halzir Hella, Paris, Grasset, 1936, rééd. 2008, p. 18.

[2] Ibid., p. 196-197.

[3] Ibid., p. 199.

[4] Ibid., p. 196.

1.2.2025
 

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