Dans un texte justement fameux, « L’efficacité symbolique », Claude Lévi-Strauss [1] nous livre le cœur même de l’intuition qui anime sa propre vision du structuralisme qui est une anthropologie philosophique. Il procède en deux temps très pédagogiques : il expose un exemple (1) ; puis, il l’interprète (2). Dans un troisième temps, nous nous permettrons d’introduire deux autres interprétations, l’une au plus près des faits décrits (3) et concernant immédiatement l’anthropologie, l’autre plus globale, qui touche directement l’anthropologie philosophique (4).
1) Exemple : un texte de cure shamanistique
Pour illustrer son propos, Lévi-Strauss fait appel à un ancien texte magico-religieux de cure shamanistique [2] panamien qui a été publié deux années avant la publication de son article [3]. Il s’agit d’une longue incantation de 535 vers dont le but est d’aider la femme dans un accouchement difficile – et, de fait, « la méthode thérapeutique […] est souvent efficace [4] ». Je ne rentrerai pas dans le détail qui est complexe [5] et qui n’est pas utile à la compréhension.
a) Exposé [6]
L’accouchement difficile s’explique pour la raison suivante. Le Muu est la puissance responsable de la formation du fœtus. Or, le Muu a outrepassé ses attributions en s’emparant de l’âme (purba) de la mère – et même plus que le purba, le nigapurbalele (composé de purba et d’un mot que nous verrons, niga : « l’âme de la vie »). Précisons que le Muu est indispensable à l’accouchement. Il va donc s’agir de s’attaquer non pas au Muu, mais à ses abus, pour qu’il libère le purba maternel. C’est le shaman (nele) [7] qui officie. Dans un premier temps, le chant décrit le désarroi de la parturiente et les préparatifs de la cure comme la confection d’images sacrées (nuchu) représentant les esprits protecteurs. Dans un deuxième temps, le nele appelle les nuchu à s’incarner dans les figurines. L es esprits protecteurs acquièrent invisibilité, voyance et niga, c’est-à-dire « force », « vitalité » et « résistance », faisant d’eux des nelegan (pluriel de nele), c’est-à-dire « pour le service des hommes » [8]. Avec leur aide, le shaman peut entreprendre son voyage dans le monde surnaturel pour arracher le double à l’esprit malin, puis il restituer le nigapurbalele à sa propriétaire. Au terme, la femme est guérie et l’accouchement se déroule normalement.
b) Problème [9]
Surgit donc une difficulté, surtout en comparaison des cures shamanistiques habituelles : comment opère la guérison de la femme dystocique ? Il ne s’agit pas d’une méthode physique, puisque le malade n’est pas touché, ses organes ne sont pas manipulés, le nele ne lui administre aucun remède. Il ne s’agit pas non plus d’une méthode psychologique, puisque le chant n’a rien à voir avec sa souffrance : il parle d’un combat spirituel dramatique entre les esprits bienfaisants les esprits malfaisants, en vue de la reconquête d’une âme.
2) Interprétation straussienne
Le reste de l’article va proposer une interprétation de ce texte et, plus largement, une nouvelle approche des mythes.
a) Interprétation particulière de l’incantation [10]
Lévi-Strauss va en fait plaider en faveur d’une « médication purement psychologique », mais d’un genre particulier, dont il va qualifier l’efficacité de « symbolique ».
En effet, il n’y a rien d’original dans ce que ce texte amérindien décrit. En revanche, « l’intérêt exceptionnel de notre texte » est ailleurs, ce qui ressort de l’édition critique que cite Lévi-Strauss : « Mu-Igala, c’est-à-dire ‘la route de Muu’, et le séjour de Muu, ne sont pas, pour la pensée indigène, un itinéraire et un séjour mythiques, mais représesentent littéralement le vagin et l’utérus de la femme enceinte [11] ». Montrons-le à partir d’un exemple.
Accroupi sous le hamac de la malade, le shaman finit de sculpter les nuchu. Alors, ceux-ci se dressent « à l’entrée du chemin ». Le schaman se met alors à les exhorter :
« La malade gît dans son hamac, devant vous ;
son blanc tissu est allongé, son blanc tissu teumue doucement.
Le faible corps de la malade est étendu ;
quand ils éclairent le chemin de Muu, celui-ci ruisselle, comme de sang ;
le ruissellement s’écoule sous le hamac, comme du sang, tout rouge ;
le blanc tissu interne descend jusqu’au fond de la terre ;
au milieu du blanc tissu de la femme, un être humain descend [12] ».
Or, les différentes métaphores renvoient, de manière imagée, à autant de parties des organes génitaux féminins : le « blanc tissu interne » correspond à la partie externe ; « le chemin de Muu » à la fois obscur et ensanglanté, c’est bien évidemment la filière génitale, le vagin ; enfin, le « séjour de Muu », la « source trouble », à l’utérus – ce que confirme un autre passage qui associe « la trouble menstruation des femmes » à « la profonde, sombre source [13] ». D’ailleurs, à deux reprises, le chan parle du « Muu de la malade ». Or, l’organe malade est la matrice. Donc, de manière très étonnante, « ‘Muu’ désigne directement l’utérus et non pas le principe spirituel qui en gouverne l’activité [14] ».
La géographie étant ainsi mise en place, l’histoire peut se dérouler. Dans un premier temps, les nelegan (c’est-à-dire, on l’a vu, les puissances bienfaisantes) vont s’introduire dans le chemin de Muu. Ils y pénètrent, identifient chaque point de résistance :
« Les nelegan se mettent en route, les nelegan marchent en file le long du sentier de Muu, aussi loin que la Basse Montagne ;
les nelegan se mettent en route aussi loin que la Courte Montagne ;
les nelegan se mettent en route aussi loin que la Longue Montagne [15] […] ».
Puis, les nelegan luttent contre tout un peuple de monstres fantastiques et féroces. Mais les formes de cet enfer à la Jérôme Bosch sont reconnaissables par la patiente. Par exemple, « Oncle Alligator, qui se meut ça et là, avec ses yeux protubérants, son corps sinueux et tacheté, en s’accroupissant et agitant la queue […] la Pieuvre, dont les tentacules gluantes sortent et rentrent alternativement [16] ».
Les nelegan continuent à avancer et rencontrent d’autres obstacles, non plus animaux, mais matériels : « fibres, cordes flottantes, fils tendus, rideaux successifs [17] » et polychromes. Et ils doivent appeler à la rescousse d’autres renforts. Or, ces fils représentent les parois muqueuses de l’utérus [18]. Donc, le purba et, plus encore, le nigapurbalele a été libéré.
Enfin, après cette dangereuse montée vient une descente tout aussi périlleuse. En l’occurrence, le shaman exhorte le niga à se diriger vers l’orifice extérieur :
« Ton corps gît devant toi, dans le hamac ;
son blanc tissu est étendu ;
son blanc tissu interne se meut doucement ;
ta malade gît devant toi, croyant qu’elle a perdu la vue.
Dans son corps, ils replacent son nigapurbalele [19] ».
Faut-il le préciser ? Après tout ce travail de guérison en amont jusqu’à l’utérus, maintenant, l’on peut procéder à l’accouchement.
b) Interprétation plus générale : l’efficacité symbolique [20]
Que s’est-il déroulé ? Dans la dernière partie de son article, Claude Lévi-Strauss explique l’efficacité de cette cure en particulier et de la cure shamanistique en général. Pour cela, il va comparer deux procédés thérapeutiques.
1’) Comparaison avec la médecine allopathique
Le premier est notre médecine organique, allopathique et mécaniste. Le point commun – qu’il nous dérange ou non – est que les deux médecines, shamanistique et conventionnelle, sont efficaces. Le point de divergence ne réside pas seulement dans les moyens employés, ou l’existence de la cause invoquée (par exemple, monstres et démons d’un côté, microorganismes de l’autre), mais dans l’attitude du patient. Dans la médecine dite officielle, le patient croit, voire sait qu’il y a une relation entre sa maladie et cette bactérie. Toutefois, quand on lui explique cette corrélation, il ne guérit pas. Or, tout au contraire, dit notre auteur, « la malade, ayant compris, ne fait pas que se résigner : elle guérit [21] ».
Et la raison en est les mécanismes en jeu. Pour la médecine allopathique, il s’agit d’une « relation de cause à effet », mais qui demeure « extérieure à l’esprit du patient ». Pour la médecine parallèle qu’est la médecine chamanique, « la relation entre monstre et maladie est intérieure à ce même esprit, conscient ou inconscient : c’est une relation de symbole à chose symbolisée, […] de signifiant à signifié [22] ».
2’) Comparaison avec la psychanalyse
Cette comparaison, plus élaborée, occupe toute la fin de l’article. D’un mot, pour Lévi-Strauss, les deux cures, shamanistique et psychanalytique, fonctionnent de manière analogue. Trois parallèles, de plus en plus profonds, l’attestent :
a’) Ressemblances avec la cure freudienne proprement dite [23]
En psychanalyse, 1. la souffrance psychique provient d’un conflit endopsychique refoulé et donc inconscient ; 2. le traitement est dû non pas à une simple connaissance de ce conflit qui résiste à se conscientiser, comme on le croit souvent, mais d’une abréaction, c’est-à-dire d’une expérience spontanée de résolution-dissolution du conflit qui opère par une autre voie que la conscience ; 3. la cause de la guérison n’est liée ni à une intervention provoquée de l’analyste, ni à une volonté de l’analysant, mais au mécanisme de transfert par lequel celui-ci rejoue la situation traumatique avec celui-là.
Or, il en est de même dans la cure shamanistique, non sans déplacement. 1. Si le problème n’est pas psychique, mais organique, toutefois, le refoulement psychique est équivalent à la résistance physique. 2. Le processus libératoire est aussi une dissolution passant par une expérience, ce que Lévi-Strauss appellera l’efficacité symbolique et qui mobilise la mythologie que nous avons vue. 3. Enfin, le shaman joue le rôle médiateur et curatif, non, là encore, sans une différence notable : alors que le psychanalyste se contente d’offrir son écoute non jugeante et de laisser se dérouler le transfert, le shaman intervient activement en parlant et en parlant beaucoup, par son incantation (au point que Lévi-Strauss parle d’adréaction versus abréaction). « Le malade fait parler le psychanalyste en lui prêtant des sentiments et des intentions supposées ; au contraire, dans l’incantation, le shaman parle pour sa malade [24] ». Quoi qu’il en soit, à chaque fois, le patient s’identifie au thérapeute, et – en droit – en guérit.
b’) Ressemblances avec un traitement apparenté à la cure freudienne [25]
Lévi-Strauss fait appel à un travail de Marguerite Sechehaye [26] qui, pour traiter la schizophrénie dont elle est spécialiste, s’inspire de la psychanalyse en ce qu’elle fait appel aux mêmes concepts interprétatifs, mais s’en différencie par le moyen utilisé : en l’occurrence, elle fait appel au corps. En effet, même si la psychanalyse laisse parler le patient, elle passe encore par le discours ; or, celui-ci se heurte à la barrière de la conscience qui interdit d’atteindre les traumas profondément enfouis dans l’inconscient. Mais, le corps, lui, est en contact direct avec l’inconscient au lieu de lui faire obstacle. La psychanalyste décide donc de passer par le corps. Par exemple, Marguerite Sechehaye ose metttre en contact son propre sein avec la joue de la malade. Court-circuitant le conscient, elle peut ainsi dissoudre des mécanismes de défense.
Or, « les gestes de Mme Sechehaye retentissent sur l’esprit inconscient de sa schizophrène comme les représentations évoquées par le shaman déterminent une modification des fonctions organiques de la parturiente [27] ». Toujours avec la disparité : « Dans la cure de la schizophrénie, le médecin accomplit les opérations, et le malade produit son mythe ; dans la cure shamanistique, le médecin fournit le mythe, et le malade accomplit les opérations [28] ».
Il se produit donc un parallèlisme, et c’est en lui, estime Lévi-Strauss, que consiste l’efficacité symbolique : « C’est l’efficacité symbolique qui garantit l’harmonie du parallélisme entre mythe et opérations [29] ».
c’) Ressemblances avec une suggestion de Freud [30]
Passons des pratiques au discours. Lévi-Strauss relève que, à deux reprises, dans son essai Au-delà du principe de plaisir, Freud lui-même affirme que la psychologie devrait un jour s’effacer devant une conception purement physiologique, voire bio-chimique des pathologies psychiques. Or, nous avons vu que la cure shamanistique passait par le corps. Donc, l’anthropologue estime que le fondateur de la psychanalyse a affirmé que les deux cures pourraient devenir « rigoureusement semblables [31] ». Précisons. Ce qui intéresse notre auteur n’est pas le matérialisme, la réduction du psychique au corporel, mais, tout au contraire, l’homologie entre les plans, en l’occurrence trois plans, du plus corporel au plus psychique : « processus organiques, psychisme inconscient, pensée réfléchie ». Or, en cela réside l’efficacité symbolique selon lui : le lien structural existant entre ces plans, c’est-à-dire « des structures formellement homologues pouvant s’édifier, avec des matériaux différents, aux différents étages du vivant [32] ».
Ainsi Lévi-Strauss tente de mettre entre parenthèses le matériau pour ne garder que les ressemblances de forme. En effet, ce qu’il observe dans ces deux processus de guérison, c’est l’efficacité liée au passage d’un plan à l’autre : du mythe que se construit le psychanalysant à la résolution de sa névrose ; du mythe que construit le shamane à la guérison de la dystocie. Or, les deux mythes sont aussi irréels, sans fondement dans la réalité, que la sanation est effective ; de plus, les contenus peuvent être organiques, mais aussi psychiques. Donc, ce qui compte n’est pas le contenu, réel ou non, psychique ou corporel, inconscient ou conscient, mais les structures, précisément le mouvement que permettent ces structures.
Dans les dernières pages de son article programmatique [33], Lévi-Strauss ébauche même une certaine conception de l’inconscient qu’il identifie à un ensemble de structures vides, qui seraient animées par des lois universelles. Et en cela réside l’efficacité symbolique : « La fonction symbolique, spécifiquement humaine » qui, « chez tous les hommes, s’exerce selon les mêmes lois ». Et ces lois (il vaudrait mieux dire : ces dynamismes, car la loi est ce qui formule le dynamisme) s’exerce sur un matériau : « pulsions, émotions, représentations, souvenirs », bref, autant de contenus qui s’articulent par exemple dans les récits mythiques. L’inconscient est à ce contenu, comme la forme (la structure) au matériau ou, selon une image qu’il utilise, « l’estomac aux aliments qui le traversent [34] ».
3) Évaluation critique scientifique
Un premier étonnement concerne l’explication avancée par Lévi-Strauss. Comment se fait-il que, pour rendre compte de la guérison opérée par le shaman, il ne recoure pas à une explication beaucoup plus évidente et, de fait, beaucoup plus proche des faits eux-mêmes, à savoir l’hypnose ? En effet, nombreux sont les points communs entre transe shamanique et transe hypnotique : visée thérapeutique, psychique, mais aussi physique ; compétence du thérapeute ; dissociation psychique ; état de conscience modifiée ; emploi de métaphores [35]. Aujourd’hui, de nombreux thérapeutes et chercheurs le reconnaissent ouvertement : les moyens mis en œuvre par le shaman sont les mêmes que ceux de l’hypnothérapeute.
Alors, pourquoi l’anthropologue, qui n’ignore pas les écrits scientifiques américains, ne convoque-t-il pas cette thérapie élaborée avec génie par Milton Erickson ? Sans doute, parce qu’il l’ignore. Sans doute aussi parce que, comme tous les chercheurs français de l’époque, il est fasciné par la psychanalyse freudienne et que celle-ci a malheureusement préféré la parole et le transfert au corps et à l’hypnose.
4) Évaluation philosophique à la lumière de l’esprit d’amour
Concédons enfin à Lévi-Strauss sa notion d’efficacité symbolique. Il demeure toutefois deux taches aveugles : comment opère-t-elle ? pourquoi ce pur formalisme est-il si abstrait, c’est-à-dire nie-t-il le rôle du contenu et de l’histoire (voire réduit les actants à des pures positions) ?
a) La structure, formalisation de l’esprit
En effet, l’anthropologue montre bien que les structures, identiques et universelles, mettent en interaction différents niveaux du vivant, son corps, son psychisme avec ses émotions et sa pensée. Mais comment ces niveaux interagissent-ils ? Comment communiquent-ils de sorte qu’ils exercent une action efficace et, en l’occurrence, thérapeutique ? Cela, notre auteur ne l’explique pas.
Nous émettrons l’hypothèse que le symbole (en son efficacité) que Lévi-Strauss tente de penser est le pneuma dont nous montrons longuement ailleurs qu’il est l’esprit (immanent) d’amour [36]. En effet, comme la structure, l’esprit : paraît vide ; met en corrélation différents éléments et différents niveaux ; est nié au profit de l’évidence de ces mêmes instances « solides » et « stables » ; agit efficacement ; est rythmé par le battement de la réception et de la donation ; fait circuler la vie et donc guérit.
Citons intégralement un passage évoqué ci-dessus. Nous allons y retrouver les différents éléments que nous venons d’analyser :
« la cure shamanistique et la cure psychanalytique deviendraient rigoureusement semblables : il s’agirait chaque fois d’induire une transformation [voilà pour l’efficacité] organique, consistant essentiellement en une réorganisation [voilà pour le matériau organique] structurale [voilà pour la forme vide], en amenant le malade à vivre intensément [voilà pour la vie qui circule] un mythe, tantôt reçu, tantôt produit [voilà pour la pulsation réception-donation], et dont la structure serait, à l’étage du psychisme inconscient, analogue à celle dont on voudrait déterminer la formation à l’étage du corps [37] ».
Mais, mieux que la structure qui évoque souvent le fixe et le figé, le pneuma dit la vie subtile et organisatrice, bref, l’efficacité symbolique.
b) Le joachimisme straussien
L’esprit présente une autre richesse : il dessine en creux le risque de son hypostasie exclusive et donc excluante. Par comparaison avec le suprême analogué trinitaire, nous avons dénommé cette pneumolâtrie, qui est ici le structuralisme, joachimisme philosophique (Joachmin de Flore étant ce moine franciscain qui a rêvé une ère de l’Esprit, trop séparée du Fils et du Père). En effet, l’esprit est cette vie circulant entre le donateur et le receveur, il est le tiers médiateur qui, dans l’espace ouvert par leur altérité, communique ce qui est donnable et ce qui est recevable. Or, Lévi-Strauss a totalement découplé ce pneuma de la double instance dative et réceptive. Fasciné par ces structures dans leur combinatoire et leur dynamique de réorganisation, il les a abstraites de l’origine qui les a engendrées, le don du donateur, de la finalité qui les accomplit, la communion des personnes, et de l’histoire qui procède du principe au terme. Ainsi les angles morts de l’anthropologie structurale proviennent de son joachimisme.
Ce diagnostic est confirmé par l’interprétation straussienne du hau. En effet, celui-ci est, pour les maori, tels que Marcel Mauss en rend compte dans son Essai sur le don, l’équivalent de l’esprit. Or, ce hau circule non seulement entre les trois actes du don (donner, recevoir, rendre), mais entre les différents acteurs. Tout au contraire, si Lévi-Strauss voit bien son importance essentielle pour permettre la circulation des dons, il le formalise et le dévitalise, c’est-à-dire le sépare des agents.
Le diagnostic contient le remède : il ne s’agit surtout pas de perdre les acquis du structuralisme aujourd’hui trop négligé (il a subi ce qu’il a fait subir à la phénoménologie, etc. : l’exclusion), mais de l’intégrer à une philosophie des organismes vivants et de leur histoire. Or, c’est ce que permet une ontodologie à la fois ternaire, quaternaire et trinitaire.
Pascal Ide
[1] Claude Lévi-Strauss, « L’efficacité symbolique », Revue de l’histoire des religions, 135 (1949) n° 1, p. 5-27 : repris dans Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, chap. 10.
[2] Nous écrivons aujourd’hui, de manière plus simple, « chamanique ».
[3] Notre auteur se réfère à l’ouvrage de deux chercheurs qui ont publié le chant, l’ont traduit et commenté dans une perspective linguistique et américaniste : Nils M. Homer et Henry Wassen, Mu-Igala or the Way of Muu. A medecine song from the Cunas of Panama, Göteborg, 1947.
[4] « L’efficacité symbolique », p. 211.
[5] J’ajouterai que l’exposé n’est guère pédagogique, car il n’est pas bien structuré : il anticipe son explication au lieu de décrire en détail la cure, puis de proposer les autres interprétations, et enfin d’exposer la sienne.
[6] Ibid., p. 205-210.
[7] En fait, il s’agit d’un shaman particulier, car son talent, la voyance de la maladie, est considéré comme inné. Il ne fait donc pas appel à la connaissance des chants et des remèdes acquise par l’étude et validée par des examens, comme c’est usuellement le cas chez les shamans. Mais peu importe ici.
[8] Ibid., p. 207.
[9] Ibid., p. 210-211.
[10] Ibid., p. 211-217.
[11] « L’efficacité symbolique », p. 209.
[12] Cité Ibid., p. 209-210.
[13] Cité Ibid., p. 210.
[14] Ibid., p. 214.
[15] Cité Ibid., p. 215.
[16] Cité Ibid., p. 215 et 216.
[17] Ibid., p. 216.
[18] Cf. Nils M. Homer et Henry Wassen, Mu-Igala or the Way of Muu, p. 85.
[19] Cité dans « L’efficacité symbolique », p. 216.
[20] Ibid., p. 217-226.
[21] Ibid., p. 218.
[22] Ibid.
[23] Ibid., p. 218-220.
[24] Ibid., p. 220.
[25] Ibid., p. 220-222.
[26] Marguerite Sechehaye, « La réalisation symbolique (Nouvelle méthode de psychothérapie appliquée à un cas de schizophrénie) », supplément au n° 2 de la Revue suisse de psychologie et de psychologie appliquée, Berne, Éd. Médicales Hans Huber, 1947. L’auteur (1887-1964) est une psychologue suisse et une psychanalyste de la Société suisse de psychanalyse spécialiste de l’approche psychanalytique de la schizophrénie, qui s’est fait connaître en publiant Journal d’une schizophrène (Paris, p.u.f., 1950, 112003) qui, traduit dans le monde entier, associe pour la première fois témoignage de la malade et commentaire du thérapeute.
[27] « L’efficacité symbolique », p. 221. Souligné dans le texte.
[28] Ibid., p. 222.
[29] Ibid.
[30] Ibid., p. 222-226.
[31] Ibid., p. 222.
[32] Ibid., p. 223.
[33] Ibid., p. 224-226.
[34] Ibid., p. 224.
[35] Pour le détail, cf. Pascal Ide, Des ressources pour guérir. Comprendre et évaluer quelques nouvelles thérapies : hypnose éricksonienne, EMDR, Cohérence cardiaque, EFT, Tipi, CNV, Kaizen, Paris, DDB, 2012, chap. 1.
[36] Pour une introduction, cf. Pascal Ide, « Pour une approche philosophique des champignons », Revue des questions scientifiques, 193 (2022) n° 3-4, p. 1-104. Texte accessible en ligne gratuitement sur le site de la revue.
[37] « L’efficacité symbolique », p. 222-223.