Le pardon. Une démarche 4/10

g) Illustration cinéma : Résistance et pardon. Maïti Girtanner

Résistance et pardon, Maïti Girtanner, autobiographie par Michel Farrin (1998).

Pas de découpage en scènes. De 1 h. 04 mn. 30 sec. à 1 h. 08 mn. 45 sec. (la fin).

Rappeler que, au terme, le Père Farrin, sj, commente avec elle le récit de la résurrection.

1’) Exposé bref

Maïti Girtanner, suisse naturalisée française à l’âge de 17 ans, voyant la France déchirée en deux sous la botte de l’occupant, décide d’entrer en résistance. Elle crée un réseau, directement relié au général de Gaulle. Son activité consiste notamment à faire passer des personnes en zone libre. Faite prisonnière, elle sera atrocement torturée notamment par un jeune médecin nazi, Léo, et restera la seule survivante de la trentaine de personnes avec qui elle est prisonnière. Handicapée à vie, elle arrache quelques heures par jour à la douleur permanente qui irradie de ses centres nerveux qui ont été savamment et cruellement atteints. Dès sa sortie, elle comprend qu’elle doit pardonner à ses bourreaux, surtout à Léo. Du coup, elle doit lâcher tout ce qui fait ses projets de vie, notamment le mariage, la carrière de pianiste. Mais comment être assurée que tous ces actes de pardon ont réellement porté leur fruit ? Maïti est hantée par la question : « Au fond, ai-je réellement pardonné ? »

La providence veille. En 1984, elle reçoit un coup de téléphone. Aussitôt, elle reconnaît la voix : Léo prend contact avec elle. Il n’a aucun regret parce qu’en fait il n’a aucune conscience du mal qu’il a fait. Seulement il se souvient que dans la cellule une jeune fille de 17 ans parlait de Dieu, une jeune fille très profondément catholique. Or, une peur terrible de la mort l’étreint. Il veut la rencontrer et, là encore, providentiellement, presque miraculeusement, il retrouve ses coordonnées. Elle va lui parler longuement de ce que c’est que la mort, et à travers ses paroles, petit à petit va émerger en lui la conscience qu’il a fait mal. Mais, et voilà où je souhaite en arrive, dans le même temps, va se produire chez Maïti un événement qu’elle n’attendait pas et qui est le pur fruit de la vertu de la charité pardonnante. Quand elle eut fini de parler, étant étendue sur son lit de souffrance, elle se sent soudain poussée se redresser, à le prendre dans ses bras et l’embrasser. Ayant posé depuis des années des actes intérieurs de pardon, va jaillir en elle l’inouï de cet acte qui à la fois achève et révèle l’amour surnaturel présent en elle. La vertu me permet de porter du fruit au-delà même de ce que je peux imaginer. Enfin, son acte de pardon est fécond : il incite Léo lui-même à lui demander pardon ; quand Maïti se lève et l’embrasse, Leo à son tour lui murmure : « Pardon ».

« Quand il me quitte, à l’instant où je m’embrasse, il me dit : «Pardon.» Pendant plusieurs jours, selon les mots du langage estudiantin, j’étais sciée d’avoir reçu cette preuve d’avoir eu la force de pardonner ». De même que la pierre du tombeau est trop grande pour être roulée, de même le pardon pour être donné. « Et, spirituellement, j’ai fait l’expérience : on n’est plus la même avant qu’après. Si Leo vient chercher le pardon, c’est qu’il est poussé par Quelqu’un. Ce fut ce geste de tendre les bras, surgi du fond de mon âme, qui en fut le signe. Ce geste était apparemment impulsif, mais il commençait à naître au fond de moi-même et il ne pouvait pas ne pas être ».

Quelques commentaires

– Le pardon est une résurrection, une re-création, un big bang.

– Ici nous avons le critère absolu, comme une effraction de l’intérieur : l’élan spontané, comme une consolation sans cause, le surgissement laisse affleurer non pas seulement l’intimité de l’âme, mais la grâce elle-même qui l’habite. Les trois ordres de Pascal sont embrassés dans une seule expérience.

2’) Exposé long
Sources

A La Marche du siècle du 13 novembre 1996, des millions de spectateurs ont été bouleversé par le témoignage d’une jeune fille, Maïti Girtanner, qui, brisée par les tortures nazies, vivait dans la force du pardon. Panorama a recueilli une partie de son témoignage que, pour l’instant, elle n’a jamais confié à un journal grand public [1]. Je mêle aussi avec des notes prises à partir du superbe film réalisé par Michel Farrin qui fait de la vérité si incarnée du geste final de pardon offert par Maïti Girtanner la clé de tout son récit. [2]

Sa jeunesse

Née en 1922, Maïti est de nationalité suisse. A 17 ans, elle a joué le concerto de Grieg avec l’orchestre de Genève.

La résistance

Elle entre dans la Résistance en 1940, alors qu’elle n’a que 18 ans. La ligne de démarcation passe au milieu de la rivière qui longe le « Vieux logis », sa maison familiale poitevine. Les allemands réquisitionnent les chambres de cette maison dont l’emplacement est stratégique et les services de Maïti qui est parfaitement bilingue. Mais c’est elle qui, très astucieusement, en profite pour faire passer les gens en zone libre. Sa famille suisse a pour devise : « Oser et tenir bon ». Ce sont les deux actes de la vertu de courage.

Octobre 1943, Maïti est arrêtée à Paris. Les Allemands sont stupéfaits et furieux : la jolie pianiste qui jouait à l’hôtel Lutetia pour les grands officiers nazis est en fait une « terroriste ».

L’emprisonnement

Elle est aussitôt transférée dans un lieu secret de représailles réservé aux résistants récalcitrants, non loin de La Rochelle. « Personne ne devait en sortir vivant. Les bourreaux sont des médecins. Maïti est confiée à Léo qui, par de «savantes et sadiques atteintes multiples au système nerveux sensitif de la moelle épinière», enferme définitivement cette jeune fille de 21 ans «dans une résille de douleur» [3] ».

Ils lui en ont voulu mortellement d’avoir été roulé par une gamine durant trois ans. On entrait dans ce camp mais on n’en sortait pas.

« Dans les tous premiers jours, ayant encore ma force de vie, j’ai questionné Leo : «Comment en êtes-vous arrivé là ?» » Comme la parole de l’évangile, avec compassion : « Il aurait mieux valu pour cet homme qu’il ne naisse pas ». Il lui a dit : « Je m’appelle Leo », il avait 26 ans. Il avait été pris dans les HitlerJugend. Par le lavage de cerveau, très brillant, il est devenu médecin. Il était très fier. «J’ai été choisi par Himmler. Vous les terroristes (non les résistants), vous méritez de mourir. Mais pas de n’importe quel moyen. Vous devez payer.»

« Je me suis dit que prostrés comme nous l’étions, il fallait parler. Nous avons discuté quelque temps entre nous, ce qui nous a beaucoup aidé. Lorsqu’une personne avait été torturée à mort, la parole permettait de survivre. Car nous étions 19, tous ensemble ».

Les Allemands ont beaucoup cherché à humilier cette femme, à détruire sa dignité, bien que cela ne serve à rien : c’était du temps perdu. Ils répétaient en les frappant : « Ce que vous avez fait n’avait pas de sens. C’était un jeu ridicule et mortel ». Le but n’était pas d’avoir des renseignements, mais de punir. Au fond, le but était de déséquilibrer, rendre l’autre fou. On était conduit au bord de la démence, soit par les coups, les paroles, les humiliations. Les phrases étaient lancées par les uns et les autes comme des javelots : ils étaient cinq et ces paroles vous blessaient en profondeur.

Une des humiliations était le dépouillement des vêtements : « C’est comme une perte d’identité. On n’est vraiment plus rien ». Les bourreaux les mettaient en très grande difficulté. Pour les faire craquer, le premier moyen était de dénuder, les hommes ou les femmes.

La libération

En février 44, se sachant perdus, les médecins battent à mort leurs prisonniers. Trois survivent : deux hommes et Maïti. Elle est récupérée de justesse. Huit années d’hôpital permettront un demi-miracle : elle sera remise debout, mais elle ne pourra plus jouer de piano. Les deux hommes mourront, fous de douleur. Maïti est physiquement brisée : « Mon corps souffre, mais ma tête est libre ». Elle continue la résistance, mais intérieurement. En effet, elle s’est remis à étudier la philosophie et obtient de nombreux diplômes. Elle est habitée par une profonde conviction : « aider les jeunes à être forts et droits dans la vie ». Elle donne des leçons de philosophie à des jeunes à domicile ; elle prend aussi du temps à écouter, conseiller.

Mais sa vie est d’abord toute tournée vers Dieu. Elle se rappelle qu’à l’âge de 16 ans, elle est entrée dans une église et s’est toute tournée vers Dieu, lui confiant sa vie. Elle a demandé à Dieu : « Est-ce une carrière musicale que vous voulez pour moi ? » Elle est habitée par une prière en permanence : « Seigneur, comme tu voudras. Ce que tu fais est bien fait ».

A l’occasion d’un pèlerinage à Lourdes, Maïti sera profondément touchée par la devise des dominicains : « Veritas ». Elle entrera dans les Fraternités dominicaines.

Le désir de pardon

Quand elle est sortie de sa prison, elle n’avait qu’un seul désir : pardonner à cet homme qui l’a détruite.

« C’est un long cheminement le pardon. Il faut le désirer, en avoir un désir fou. Ce désir est une grâce. Très vite, j’ai eu ce désir irrépressible de pardonner à cet homme ».

« Moi j’ai toujours pensé que le malheur est plus du côté des bourreaux que du côté des victimes. Depuis 20 ans, j’ai toujours dit : «Priez pour les bourreaux». Et je le fais encore ».

« Le miracle, le don est que je n’en veuille à personne. D’abord, quand j’ai commencé, j’avais conscience que je me mettais en situation périlleuse. Il y avait une logique : l’ennemi était en face ».

Depuis le début, elle a désiré pardonner. Mais comment savoir si on a pardonné ? Maïti ne le savait pas, elle faisait confiance à Dieu, mais n’en avait pas la certitude. Or, contre toute attente, elle en a eu la confirmation en revoyant Leo.

La souffrance aujourd’hui

En 44, elle pesait 37 kilogs. Normalement, en 1944, Maïti aurait dû mourir.

Mais elle a repris très vite, mais il a fallu 20 ans pour reprendre son poids.

Il est essentiel de voir que le pardon n’annule pas la souffrance. En revanche, il lui donne un sens et il permet aussi qu’elle ne soit pas rendue insupportable par la rancœur : « De tout ce qui me manque le plus, c’est le piano qui me manque encore. Quand j’entends quelqu’un qui joue, j’aurais encore envie de jouer le morceau dans la minute même ».

« Allons dans l’offrande de la chose totale. J’ai tourné la page ».

Un médecin allemand « s’est donnée à moi » ; « mais je sentais que ce n’était pas juste, y compris sur le plan spirituel » ; il fallait que je donne au Destin ce qu’il m’avait arraché.

Depuis 50 ans, Maïti ne dispose plus que de quelques heures par jour.

« Chaque fois que je vis une vague de souffrance, je suis dans un creux, plus rien ne me rejoint, je suis dans la détresse, la solitude. Je ne sais plus rien. Plus rien n’a de sens. Et pourtant, dans ce tableau totalement noir, il y a toujours une toute petite pointe de lumière, grosse comme une tête d’épingle. Mais je ne peux m’en sortir toute seule. Je pense avec un mot toutes les demi-heures. Mais il y a quelqu’un qui rétablit un contact, comme si j’étais une mourante. Or, personne ne tend la main à Jésus ».

La démarche de Leo

« Il a réapparu dans ma vie quarante ans après. Un beau jour, il a ressenti le besoin irrépressible de retrouver cette petite fille ». Car il avait une immense peur de la mort. Il ne cherchait pas Dieu.

« Leo se souvenait de m’avoir entendu parler de Dieu aux autres. J’avais dit que j’étais catholique et que cela avait beaucoup d’importance pour moi. Je leur parlais de l’amour fou de Dieu vers qui nous allons. Les chrétiens peu vivants ont alors été aidés à mourir, énormément. Leo entendait la petite prière que j’avais inaugurée l’après-midi. Donc, mourant, Leo s’est dit qu’il voulait entendre parler cette prière de l’après-mort : est-ce un trou noir ? Lui avait l’image d’un rideau de fer devant un garage : coupé de toute communication.

« Leo, en approchant de la mort, a revécu toutes ses horreurs. Au point de départ, en quittant l’Autriche, il n’a pas pensé au pardon. C’est en cours de route qu’il y a pensé. Il est resté une heure et demi. Il a changé. Quand j’ai fini ma démonstration sur le dolorisme, je lui ai parlé de Dieu qui attendait les plus grands pécheurs ».

« Le moment où il a décroisé les jambes. Ce grand homme, aryen, qui était beau, blond aux yeux bleus, s’est redressé dans son fauteuil, d’un ton humble, comme un enfant : «Qu’est-ce que je peux faire ?» Alors, je sais qu’il a eu l’idée de demander pardon. C’est alors que je lui ai parlé d’amour. Je lui ai dit : «Puisque vous n’avez plus que quelques semaines à vivre, il ne vous faut vivre que d’amour.» Il a dit qu’après la guerre, personne ne sait que j’ai été un bourreau.

« En revenant, il a fait deux grandes réunions. La première était avec toute sa famille, il a tout raconté : «Voilà quelle fut ma guerre. Je voudrais passer le temps qui me reste à aimer. Si certains ont des besoins matériels, affectifs, je vais m’occuper d’eux.» Pour chacun, il a fait quelque chose.

« Puis il a fait une réunion pour ses amis d’autrefois. Il a refait sa confession. «Dans mon cœur, je n’ai plus de haine et d’idéologie. Et si je peux faire quelque chose pour vous, dites-le moi. Je veux passer le temps qui me reste à aimer en acte et en vérité.»

« Il a pris à la lettre ce que je lui ai dit : «`Ne soyez qu’amour.» Au moment de sa mort, lui qui était catholique, il n’a pas voulu voir de prêtre. Il ne voulait que me voir ». Moment bouleversant.

« C’est drôle le parcours d’une vie ».

En 1984, Maïti reçoit un coup de téléphone. Aussitôt, elle reconnaît la voix de son bourreau, Léo qui, providentiellement, a réussi à retrouver sa trace. Léo est très malade, terrifié par la mort. Bien qu’alitée à cause d’un accès de douleurs, Maïti lui dit : « Venez ». Elle lui parle longuement de la mort. « Léo écoute et dit : «Cela fait du bien ce que vous me dites. Mais êtes-vous sûre que Dieu peut recevoir quelqu’un comme moi ?» Maïti rectifie : «Un homme qui a fait tant de mal.» Par ces mots, elle cherche à le mettre en vérité face à lui-même…

« Elle lui révèle que, depuis quarante ans, elle prie pour lui. Elle lui explique que l’amour de Dieu est tel qu’il peut tout transformer en amour. «Que puis-je faire maintenant ?», demande Léo. «Cherchez au fond de vous-même le lieu où vous avez laissé Dieu habiter en vous, car Il habite en ses créatures même les plus enténébrées. Parlez à Dieu comme un enfant, et donnez de l’amour, à tous ceux à qui vous le pouvez » ».

Cet exemple montre l’importance de dire à l’offenseur le mal qu’il a fait. Mais comment savoir si le temps est opportun, si l’offensé ne profite pas de l’occasion pour se venger et régler ses comptes ?

Deux conditions qui sont remplies par Maïti : Maïti n’a que de l’amour en elle pour Leo et elle sait que la démarche de Léo est le signe qu’il veut changer. on comprend aussitôt que cette parole n’est pas accusatrice, mais de miséricorde. Elle peut donc parler à l’offenseur, mais en participant de la patience divine.

Et les conseils de Maïti sont d’une grande justesse : absolu respect de la liberté de la personne ; invitation à tourner vers Dieu ; mais aussi ouverture au don, à la charité qui couvre une multitude de fautes.

Le geste

« Puis Maïti se soulève et embrasse Léo : «Je me suis sentie prise par un désir fou de prendre cet homme dans mes mains pour le déposer dans le cœur de Dieu», raconte-t-elle. Léo a murmuré : «Pardon.» Longtemps Maïti a téléphoné à sa veuve pour la soutenir ».

Le geste de Maïti Girtanner ressemble un peu à celui de la princesse de Clèves, commenté par Jean Nabert : il lui échappe, mais il naît du plus profond de sa volonté. Or, à chaque fois, il s’agit d’un geste de don (ici de par-don) :

« J’étais allongée car je souffrais beaucoup ce jour-là. Lorsqu’il s’est levé pour partir, il s’est penché vers moi. Rien n’était calculé, pourtant j’ai tendu mes mains vers son visage et je l’ai embrassé. Je me suis entendue lui dire : «Que le paix soit maintenant avec vous. Je vous pardonne». Là j’ai perçu, dans le murmure de sa voix, un tout petit «Pardon» [4] ».

L’extérieur n’a fait qu’exprimer un intérieur depuis longtemps déjà acquis : « Même si je lui avais, dans mon cœur, pardonné depuis longtemps, j’ai été bouleversée par ce pardon que je lui avais, enfin et vraiment donné [5] ».

« Quand il me quitte, à l’instant où je m’embrasse, il me dit : «Pardon.» Pendant plusieurs jours, selon les mots du langage estudiantin, j’étais sciée d’avoir reçu cette preuve d’avoir eu la force de pardonner ». De même que la pierre du tombeau est trop grande pour être roulée, de même le pardon pour être donnée. Et spirituellement, j’ai fait l’expérience, on n’est plus la même avant qu’après. Si Leo vient chercher le pardon, c’est qu’il est poussé par Quelqu’un. Ce fut ce geste de tendre les bras, surgi du fond de mon âme, qui en fut le signe. Ce geste n’était apparemment impulsif, mais il commençait à naître au fond de moi-même et qui ne pouvait pas ne pas être ».

Causes

Tout vient de cette vie de prière et de foi. De sorte qu’elle se refuse à faire de sa vie une tragédie. Rien, rien de victimaire dans sa manière de lire sa vie : « Je ne veux pas qu’on en parle comme d’une tragédie, parce que j’ai été habitée par la présence du Christ. Grâce à lui, j’ai pu vivre la détention, les sévices, et toute ma reconstruction beaucoup plus facilement que les autres [6] ».

) L’offrande de sa vocation contrariée

Parlant d’Elisabeth de la Trinité et à elle, Maïti Girtanner : « Souvent les personnes douées, dans son dessein, doivent se taire. Alors autre chose doit apparaître, venir au jour ».

Elle avait la vocation au mariage. « Mais cela fait partie des choses qui ont disparu, comme le piano ». C’est à 28 ans, elle a pris conscience que son physique ne serait plus robuste, alors qu’on lui disait qu’elle était faite pour avoir 12 enfants. C’est ma vie spirituelle, ma relation à Dieu qui m’a permis de tourner la page, d’ouvrir un autre chapitre. « Quand on s’en remet entièrement au Seigneur, on reçoit les grâces qu’il faut, mais pas plus qu’il faut, au jour le jour. Il m’est arrivé de vouloir plus de forces morales. J’ai plusieurs fois pleuré dans mon oreiller en voyant mes amies se marier. Mais le jour où face à Dieu, je lui ai dit : j’ai compris ton dessein sur moi, la nostalgie, les regrets ont disparu. J’ai toujours autour de moi beaucoup d’enfants, et c’est pour moi un bonheur. Maintenant, les naissances sont pour moi un bonheur ».

« Les deux cohabitent en moi : mon bonheur et mes souffrances.

« Une des plus grandes grâces de ma vie est que le mental, le psychologique aient été sauvegardées. Comme je suis très vivante au plan psychologique, 95 % des personnes ne se rendent pas compte de ma souffrance continuelle. Les nuits ne sont pas réparatrices des jours. J’arrache en permanence ce que je fais

« A 25 ans, une des premières choses que je me suis dite : «Je ne veux pas faire de ma vie une tragédie.» » Maïti a pensé à se suicider pendant quelques années ; mais une autre présence l’habitait, ce qui lui a permis de relire sa vie à une autre passion, celle du Christ.

) La foi

Maïti a toujours vécu avec une Bible sous le bras. Cela vient de sa famille protestante, du côté de son père.

Maïti n’en a pas voulu à Dieu : « Je n’y ai même pas pensé ».

) Le courage

Maïti Girtanner témoigne : « Depuis le début de la résistance, en 1939, jusqu’à mon arrestation en 1943, j’ai toujours vécu dans la peur. Mais j’avançais ». Elle se disait : « Il faut que j’aille jusqu’au bout ».

Effets : la fécondité actuelle

Maïti a choisi de servir en enseignant la philosophie.

Puis de vivre, dans les fraternités dominicaines, elle a pris beaucoup de temps à écouter les personnes en difficulté, notamment les personnes malades.

Son histoire était connue de dix personnes. Elle ne l’a jamais regretté, mais à l’aube de ses 75 ans, c’est son heure.

4) Exercice. Bien vivre une petite expérience de pardon

a) Quelques consignes préalables

– Le but est d’abord de faire l’expérience d’une véritable écoute de soi-même (et non pas d’un jugement volontariste) : s’écouter et s’accepter, comme l’on est ; et non pas se forcer à pardonner. Par exemple, il est possible que l’on sente monter en soi l’impossibilité de pardonner ; accueillons alors ce mouvement au lieu de le brutaliser, de se brutaliser, comme nous faisons si souvent.

– Commencer par une offense légère : le chauffeur impoli qui nous a attrapé, le patron de mauvais humeur qui nous a enguirlandé, etc. Non pas par l’offense grave.

– Il peut être très utile de noter ses impressions et plus encore de les partager avec une personne capable de les entendre.

b) Déroulement de l’exercice en plusieurs temps

L’exercice se déroule sur une vingtaine de minutes, dans un endroit calme, assis, les yeux fermés.

Entrez en vous-même. Mettez-vous en présence de Dieu qui est toujours avec vous.

Ressentez votre cœur, la chaleur, respirez à fond.

Posez-vous ces questions : « Qu’est-ce que le pardon représente pour moi ? Quelle nouvelle qualité de vie pourrait-il m’apporter ? »

Rappelez-vous une expérience heureuse où vous avez été pardonné. Prenez le temps d’en goûter la joie. Voire imaginez un monde où toutes les relations seraient d’amour et de réconciliation.

Maintenant, laissez monter le souvenir de l’événement et de la personne qui est source de ressentiment. Sentez : voyez-la ; écoutez-la. Puis ressentez. Accueillez les sentiments qui surgissent. Sans les juger. En vérité.

Avec grande écoute intérieure à votre égard et grande délicatesse pour vous -même, laissez approcher cette personne que vous avez rejetée car elle vous faisait trop souffrir. Prenez alors conscience des blocages, rejets qui montent en vous. Laissez émerger les émotions : prenez-en conscience ; puis, consentons-y.

Si les émotions sont trop fortes, prenez le temps de les digérer ; voire, vous pouvez arrêter l’exercice.

Si vous vous sentez assez bien, vous pouvez continuer de laisser la personne s’approcher. Demeurez attentifs à ce qui se passe en vous, aux sentiments qui affleurent. Et, comme toujours : nommez-les et acceptez-les.

Comme vous désirez pardonner à cette personne pour cet événement, maintenant, laissez-la entrer dans votre cœur. Murmurez-lui : ‘je te pardonne’. Parlez à son cœur. Vous pouvez encore préciser votre pardon, laisser jaillir ce qui vous vient dans le sens du pardon : ‘Je te pardonne telle chose qui m’a fait mal dans le passé, tel geste ou telle parole. Je te pardonne. Je te pardonne’.

Alors, vous pouvez prendre conscience de ce que la personne est elle-même vulnérable, souffrante.

Laissez à l’autre le temps de recevoir votre pardon et d’en être touché.

Goûtez maintenant la joie de la communion : il est grand que deux cœurs séparés se rejoignent, dans le respect et la paix.

Réalisez combien l’offense est alors bien finie, qu’elle n’a plus de prise sur vous.

Laissez l’autre maintenant s’en aller, continuer son chemin, souhaitez-lui le plus grand bonheur possible.

Enfin, rendez grâces à Dieu de la grâce de pardon qu’il vous a accordée. Donnez-vous le temps de savourer cette guérison, combien elle rajeunit le cœur ».

c) Quelques remarques à l’égard des résistances contre ce genre d’exercice

Les objections : cela fait « truc » ; cela fait mécanique; c’est trop général ; etc.

Pascal Ide

[1] Panorama. L’espérance chrétienne, janvier 1997, p. 42 à 44.

[2] Résistance et pardon, Maïti Girtanner, C.F.R.T./France 2, 1998, distribution « Voir et Dire », 45bis rue de la Glacière 75013 Paris.

[3] p. 43.

[4] Propos recueillis par Claire Villemain, Il est vivant !, n° 240, juillet août 2007, p. 44. Cf. Maïti Girtanner, avec Guillaume Tabard, Même les bourreaux ont une âme, Chambray-lès-Tours, CLD, 2006.

[5] Ibid.

[6] Ibid., p. 45.

8.1.2025
 

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