Le pardon. Une démarche 3/10

2) Importance éthique du pardon. Le pardon pour l’autre, pour la communion

Nous refusons donc les lectures seulement « psychologisantes » du pardon [1].

o) Le passage du psychologique à l’éthique

Un conte permettra de le comprendre. J’en ai lu différentes versions – musulmane, orientale – selon les auteurs. Voici la version musulmane rapportée par Henri Caffarel. « Un amant vient, une nuit, conquérant et plein d’audace, frapper à la porte de sa bien-aimée. Elle demande : ‘Qui est là ?’ Il répond : ‘C’est moi’. Elle refuse d’ouvrir et dit durement : ‘Va t’en’. Le jeune homme, fou de colère, s’éloigne en déclarant qu’il l’oubliera, qu’il l’a déjà oubliée. Il voyage à travers le monde immense. Mais ne trouve pas l’oubli. Et l’amour à nouveau, d’une main irrésistible, le ramène devant la porte de la bien-aimée. Même dialogue que la première fois. Elle ajoute seulement en le congédiant cette petite phrase mystérieuse : ‘Tu ne me dis pas le seul mot qui me permettrait de t’ouvrir’. Indigné, intrigué, accablé, il repart, ais non pas cette fois-ci pour chercher l’oubli en de lointains voyages. Il s’enfonce en des gorges solitaires pour longuement méditer. La colère et la passion peu à peu cèdent en lui à la sagesse. Son amour gagne en profondeur ce qu’il perd en violence et après bien des années conduit de nouveau notre amant, timide, humble et plus fervent que jamais, vers sa bien-aimée. Il frappe discrètement. ‘Qui est là ?’ A voix basse, il répond : ‘C’est toi’. Et aussitôt la porte s’ouvre [2] ».

On peut bien entendu y lire une évolution psychologique, le passage du captatif à l’oblatif, du narcissique à l’altruiste. Mais l’ouverture radicale à l’autre suppose le dépassement du plan seulement psychologique qui est centré sur le bien-être personnel.

a) Quant à la cause : rétablir la justice

Le pardon est important moralement d’abord du point de vue de la cause. Celle-ci est une offense. Or, une offense est un acte contre la justice, ce qui suppose que l’on identifie les fautes d’injustice. D’où la nécessité que la conscience morale soit formée.

1’) Preuve par la raison même

L’injustice ne dépend pas de ce que nous ressentons comme juste ou injuste, mais du tort objectif qui a été commis. Une personne à basse estime de soi sous-estimera le manque de respect de l’autre et laissera commettre des actes d’injustice à son égard. Elle paraîtra – faussement – miséricordieuse : « Ce n’est rien. N’en faites pas un casus belli ».

2’) Preuve par la conséquence

L’incapacité à formuler les offenses subies peut se transformer en culpabilité et plus encore en agressivité à l’égard des autres. C’est ainsi qu’on peut com­prendre la recrudescence des bizutages. Voici comment la psychanalyste Marie Balmary l’explique :

 

« La culpabilité névrotique apparaît alors, à mon sens, d’autant plus difficile à dénouer qu’elle est celle que nous éprouvons non, tout d’abord, consciemment, pour les offenses que nous avons faites, mais pour celles que, inconsciemment, nous avons subies. Ayant subi sans pouvoir attribuer l’offense à son auteur, nous avons porté cette offense qui nous était faite comme si nous en étions les auteurs.

« C’est alors, pour nous décharger de cette fausse culpabilité, que nous finis­sons par commettre les mêmes actes. Le Lévitique dit : nous nous vengeons. Mais bien souvent sans comprendre pourquoi, faisant le mal que nous ne vou­lons pas. […] Ainsi celui qui humilie a été humilié, le voleur a été volé, le violeur, violé, le menteur, trompé… Remettrons-nous les dettes à ceux qui nous doivent sans avoir connaissance de cette dette ? Certainement pas. Et bien souvent, nous ne pouvons savoir ce qui nous est arrivé qu’au moment où nous nous ap­prêtons à le refaire [3] ».

b) Quant à l’acte même : rétablir la communion

Cette nouvelle perspective ouvre la motivation à la relation à l’autre.

Boltanski note que la dispute s’arrête toujours tôt ou tard. Il y a donc bien en nous une aspiration à la paix, au pardon.

Le plus grand bien est l’unité, la communion, la communio personarum. C’est grâce à elle que nous sommes à l’image de Dieu-Trinité.

Or, le tort qu’est l’infidélité, le péché de trahison s’attaque à la communion – a fortiori dans le cadre de la relation conjugale. L’infidélité est donc le plus grand tort que l’on puisse commettre.

Or, le pardon efface le tort commis par l’autre. Par conséquent, le pardon sera le remède à la fois le plus urgent et le plus important dans les relations humaines. Le pardon permet de retrouver la personne dans l’offenseur.

 

Dans Proposition indécente, film d’Adryan Lyne (1992), David (Woody Harrelson) et Demi Moore (je n’ai pas retrouvé le nom du personnage), un couple qui s’aime follement, a un besoin urgent et vital d’un million de dollars. Le richissime milliardaire John Gage (Robert Redford) pro­pose alors de troquer une nuit d’amour avec la femme contre cette somme. « Croyez-vous que l’on puisse tout acheter avec de l’argent ?, demande-t-il. – Non, vous ne pouvez pas acheter des per­sonnes ». Mais le couple a présumé de ses forces et de son appât du lucre. Il acceptera la proposition indécente, s’imaginant que l’on peut donner son corps sans consentir librement et donc sans engager son âme.

Le couple connaîtra alors la rude épreuve de la suspicion. David voudra savoir ce qui s’est passé : « Tu veux savoir si j’ai pris mon pied avec lui ?, demande crûment sa femme. Mais si je te dis que non, tu ne me croiras même pas ». Ce qui est très vrai, car David n’a qu’une peur : avoir été préféré. Et Demi ne saura pas lui répondre, car il n’y a rien à répondre : son mari s’est enfermé dans une lo­gique d’accusation, donc de non-amour. Au fond, David ne lui pardonne pas d’avoir trouvé du plaisir ailleurs qu’avec lui. On voit combien le pardon refusé entraîne avec lui tout un cortège de consé­quences : perte de confiance, division, accusation, bref disparition de la communio personarum.

Le seul remède n’est certainement pas l’oubli. Le film est une excellente démonstration de l’illu­sion mortelle dans laquelle enferme le refoulement de l’événement traumatisant, l’oubli de ce qui est vécu comme une offense. Comme remarque David à la fin : « Je croyais qu’il était possible d’ou­blier. J’ai compris que la seule solution était le pardon ». Le couple s’aimait tant qu’il se croyait in­vulnérable et donc tout-puissant. Le creuset de cette rude épreuve donnera sa véritable unité au couple et son unique force à l’amour : le pardon lui permettra de passer de l’adolescence à l’âge adulte, de la passion à l’amour.

Enfin, la résolution du conflit suppose réparation. C’est l’argent qui les a perdus. C’est en le ren­dant que le couple achèvera son salut et recouvrera la liberté intérieure. David n’hésitera pas à re­donner le million de dollars contre l’achat dérisoire d’un hippopotame, animal qui, de plus, joue un rôle symbolique dans la rencontre avec la femme de sa vie. Sans oublier l’importance du retour à l’origine, au lieu fondateur. C’est d’ailleurs là que commence le film et qu’il s’achève, en une belle scène. Cette mémoire de l’alliance originelle (jointe à ce que l’on pourrait appeler leur gingle : « M’as-tu déjà dit que tu m’aimais ? – Non ! – Alors dis-le moi ».) permet de ressouder le ménage. Le rétablissement de la communion des personnes passe par le rétablissement de la communication.

 

Paul Houix remarque le réalisme effrayant de la règle de saint Benoît qui n’hésite pas à mettre dans sa Règle quelques préceptes parmi les plus graves du Décalogue : « Ne pas tuer ; ne pas commettre l’adultère ; ne pas voler » (Chap. 4, 3-6). Pourquoi cela ? Les monastères n’ont pas la réputation d’être des repaires de malfrats ; leurs murs ne sont pas couverts de sang. Il y a des manières plus subtiles de tuer que le crime de sang. Rappelons-nous la parole des Actes des Apôtres au sujet de Paul et Barnabé qui ont du finir par se séparer : « Leur désaccord s’aggrava tellement qu’ils partirent chacun de leur côté » (Ac 15,39). En fait, la seule raison pour laquelle la vie monastique ne se termine pas en tuerie est « l’expérience fondamentale de l’Evangile : le pardon ! » D’ailleurs, le test même que nous voulons vivre une vie évangélique : sommes-nous prêts à demander pardon à celui qui nous a offensé et à accorder le pardon à notre offenseur ? Pour cela, une seule manière, lorsque monte en nous le désir de vengeance ou l’angoisse d’être rejeté, nié : contempler « Jésus, en qui se révèle pleinement le Père » et « nous montre le cœur de ce Dieu en prononçant la parole qui déchire l’histoire et sauve le monde, la parole du pardon : «Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). A cet instant, du haut de sa croix de condamné rejeté, moqué, humilié, Jésus devient pour tout homme la source d’une espérance indestructible. Le pardon a tellement goût de paradis qu’un des malfaiteurs peut s’entendre dire : «En vérité, je te le dis, aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis» (Lc 23,43). Lorsque deux frères se pardonnent en vérité, ils expérimentent quelque chose de la joie du ciel [4] ! »

c) Quant au temps. Rouvrir le passé

1’) Exposé

Alors que le refus de pardon est profondément dé-créateur, le don du pardon produit des fruits recréateurs.

L’expérience du pardon est porteuse d’une merveilleuse expérience de renou­vellement.

 

« Par opposition à la vengeance – écrit Hannah Arendt –, qui est la réaction naturelle, réaction à laquelle on peut s’attendre et que l’on peut même calculer en raison de l’irré­versibilité du processus de l’action, on ne peut jamais prévoir l’acte de pardon­ner. C’est la seule réaction qui agisse de manière inattendue et conserve ainsi, tout en étant une réaction, quelque chose du caractère original de l’action. En d’autres termes, le pardon est la seule réaction qui ne se borne pas à ré-agir mais qui agisse de manière nouvelle et inattendue, non conditionnée par l’acte qui l’a provoqué, et qui par conséquent libère des conséquences de l’acte à la fois celui qui pardonne et celui qui est pardonné [5] ».

 

En effet, le pardon est à même de réparer ce que son refus avait détruit.

 

« Contre l’irréversibilité et l’im­prévisibilité du processus déclenché par l’action – continue la philosophe allemande –, le remède ne vient pas d’une autre faculté éventuellement su­périeure, c’est l’une des virtualités de l’action elle-même. La rédemption pos­sible de la situation d’irréversibilité – dans laquelle on ne peut défaire ce que l’on a fait, alors que l’on ne savait pas, que l’on ne pouvait pas savoir ce que l’on faisait – c’est la faculté de pardonner. Contre l’imprévisibilité, contre la chaotique incertitude de l’avenir, le remède se trouve dans la faculté de faire et de tenir des promesses.

« Ces deux facultés vont de pair : celle du pardon sert à supprimer les actes du passé, dont les ‘fautes’ sont suspendues comme l’épée de Damoclès au-des­sus de chaque génération nouvelle ; l’autre, qui consiste à se lier par des pro­messes, sert à disposer, dans cet océan d’incertitude qu’est par définition l’ave­nir, des îlots de sécurité sans lesquels aucune continuité, sans même parler de durée, ne serait possible dans les relations des hommes entre eux.

« Si nous n’étions pardonnés, délivrés des conséquences de ce que nous avons fait, notre capacité d’agir serait comme enfermée dans un acte unique dont nous ne pourrions jamais nous relever ; nous resterions à jamais victimes de ces conséquences, pareils à l’apprenti sorcier qui, faute de formule magique, ne pouvait briser le charme [6] ».

2’) Illustration cinéma : 8 mm (Huit millimètres)

8 mm (Eight Millimeter), thriller germano-américain de Joël Schumacher, 1999. Avec Nicolas Cage et Joachim Phoenix.

Ce film montre que, pour se venger, il faut d’abord déshumaniser l’autre.

La scène finale montre les dégâts, les conséquences désastreuses de la transformation du détective en justicier.

Il recherche la raison du mal. Cette curiosité vaine le conduira trop loin.

De plus, c’est une fausse compassion vis-à-vis de la mère qui le conduit à ressentir ce qu’elle ressent.

Cette scène est importante parce qu’elle met en scène comme rarement combien la haine vengeresse a d’abord besoin de déshumaniser l’agresseur.

a’) Histoire

Marié à Amy (Catherine Keener), Tom Welles (Nicolas Cage) est un détective privé heureux, réputé pour sa droiture et sa rigueur. Il est contacté par Daniel Longdale, l’avocat de Mme Christian (Myra Carter), une veuve très fortunée. Cette dernière a trouvé dans les documents de son défunt mari un mystérieux film 8 mm. Elle pense qu’il s’agit d’un snuff movie mettant en scène le meurtre d’une jeune fille. Bouleversée, elle demande à Welles d’enquêter sur l’authenticité du contenu du film. Aidé de Max California (Joaquin Phoenix), un vendeur dans un sexshop, Tom se lance sur la trace d’un dénommé Machine (Chris Bauer) qui semble être l’auteur du meurtre présenté dans la vidéo.

b’) Commentaire

Décidément un bon film mixe l’aventure extérieure et l’aventure intérieure, le structural et l’historique. Plus encore, il offre une réflexion métaphysique. 8 mm nous offre les trois.

 

En effet, l’aventure intérieure est la perte de l’innocence dont Orson Welles disait que c’est le thème par excellence du cinéma. Thème du mal, thème métaphysique par excellence. Est-ce pour cela que le héros se nomme Tom Welles ?

L’histoire raconte avec une logique implacable (plus qu’impeccable !) une descente aux enfers, selon le sens le plus étymologique du terme. Il passe de ce qui est imaginé à ce qui est vu, de la vente accessible à tous aux pratiques d’arrière-salle et enfin aux très sordides ventes de sous-sol (films de viols collectifs, etc.). Avant d’arriver à l’inouï qu’est le snuff movie

Tom Welles, aussi honnête que discret, est à la limite perfectionniste : toujours tendu, même chez lui, il ne supporte pas l’erreur. Surtout, il vit dans un univers domino, c’est-à-dire manichéen, où le blanc est soigneusement séparé du noir, à l’instar des voitures blanches et noires de sa première filature. Mais, pour résoudre la question posée par cette digne vieille dame, il devra s’engager jusqu’à se compromettre. En effet, le mal n’est pas un problème, mais un mystère, c’est-à-dire un problème qui mord sur ses propres données. Il devra donc payer de sa personne et faire l’épreuve de la violence. Son premier visionnement du film snuff où Mary Anne Powells (Jenny Powells) est assassinée de manière abominable à l’arme blanche, l’impressionnera considérablement. Dès lors, la frontière entre le bien et le mal va le traverser de plus en plus profondément : « Tu as rendez-vous avec le mal », dit son collègue devenu ami, le seul être, sans doute, à rester innocent.

Mais pourquoi Tom poursuit-il son enquête là où on s’attend à ce qu’il décroche ? Ceux qui ont prévu un piétinement de son enquête l’ont jugé à leur mesure, ils ignorent ce qu’est l’amour de la vérité et des personnes. Voire, Tom a-t-il une limite ? Là où Max California s’arrête, lui continue. Peut-être à cause de son exigence. Peut-être plus encore à cause de sa compassion pour celui qui souffre et qui lui a fait choisir cette profession. Tout nous montre sa sensibilité, son sens de l’autre. Comment ne ferait-il pas sienne la cause de cette mère solitaire soudain privée de son enfant ?

La bande-son souligne cette descente au shéol. Les moments de paix sont soulignés par une douce musique classique ; les moments de descente sont rythmés par une musique étrangère étrange ; et les deux styles de musique se mélangent lorsque Tom devient démon, en laissant libre cours à ses pulsions violentes.

 

C’est ici que l’interrogation métaphysique entre en jeu. De deux manières : sous l’angle de la vérité et sous l’angle du mal.

La question n’est rien moins que celle de la vérité : derrière l’interrogation « les snuff movies existent-ils ? », c’est la question de la vérité et de la vérité intérieure qui est posée : « qui peut tourner ces films ? et pourquoi ? » Il va découvrir qu’il n’y a pas de réponse à l’origine du mal, que celle-ci est un mystère. Certes, toutes les secondes mains s’inventent des motivations (l’argent, « l’esthétique »), mais les deux personnages les plus pervers n’ont pas d’autres réponses, pour le milliardaire au nom de famille malheureux, M. Christian, (« parce qu’il a les moyens de se l’offrir »), pour Machine (« Parce que cela me fait plaisir »). Autrement dit, Tom rencontre le mal à l’état presque démoniaque. D’ailleurs, le luciférien producteur ne nourrit-il pas une attirance inversée pour les symboles religieux, à commencer par sa manière de crucifier ses victimes ?

Alors que faire face au mal ? Notre attention se porte, en France, sur le coupable, outre-Atlantique, sur la victime. Mais la psychologie nous a appris que, même si on l’oublie souvent, le le témoin du mal ne reste jamais indemne. Tom croyait au début qu’il pouvait danser avec le diable, voire le transformer ; il découvre au terme que le diable l’a entraîné dans sa Méphisto-valse et l’a changé.

Max a trois axiomes. Les deux premiers sont : « 1. Il y a toujours une victime. 2. Ne sois pas cette victime ». Il a oublié le troisième. Ne serait-il pas : « Deviens justicier » ?

En effet, le choix humain est celui de la victime, du bourreau ou du justicier. Tom deviendra justicier, par désir de vérité, mais aussi pour liquider le trop-plein de vengeance qui l’enivre. Cependant, cette position ne saurait apporter un repos intérieur durable. Il lui faut un rédempteur. De la violence qu’il a subie et qu’il vient maintenant d’agir, du mal qui, d’obsédant, angoissant devient maintenant source d’une culpabilité infinie, il n’y a qu’un remède : le pardon. Voilà pourquoi il supplie son épouse : « Sauve-moi. » Leur amour est solide, éprouvé par ce qui a toute l’allure d’une trahison, et pourtant encore debout. Il est vrai que les deux époux vivent une relation de confiance et de communion très profonde. L’amitié passagère mais réelle entre les deux hommes a joué un rôle non négligeable dans l’avancement de l’enquête, mais seul l’amour peut porter le salut. Et celle-ci lui répondra quelques temps plus tard lorsque, recevant la lettre de remerciement de Mme Matthews, ils échangeront un sourire (le premier et seul sourire de Tom dans tout le film), dans le triste temps d’automne.

Bergman disait qu’un film commence avec un visage. Un film s’achève aussi par lui. Ici, le visage de Nick, blessé, qui, croisant le regard de son épouse aimante et aimée, espère et aspire à se relever. Les regards qui nous sauvent sont ceux qui nous espèrent.

 

– Les effets de la vengeance ; la sortie de la vengeance

En effet, le grand opposé à la justice est la vengeance ; mais rares sont les films qui en montrent les effets dévastateurs.

c’) Les leçons

La scène finale montre :

  • Le danger de vouloir comprendre le mal, de la question : « Pourquoi ? » Tom recherche la raison du mal. Cette curiosité vaine le conduira trop loin.
  • L’impossibilité spontanée de se venger.
  • Cette scène est importante parce qu’elle met en scène comme rarement combien la haine vengeresse a d’abord besoin de déshumaniser l’agresseur. Pour se venger, il faut d’abord déshumaniser l’autre.
  • Les conséquences déshumanisantes du pardon refusé, de la vengeance.
  • De plus, c’est une fausse compassion vis-à-vis de la mère qui le conduit à ressentir ce qu’elle ressent.

d) Les limites

Le pardon humain, éthique, si essentiel soit-il, présente toutefois deux limites :

Que faire en cas de torts manifestement graves ? Aristote mettait une limite à l’amitié en cas de trahison ; il estimait que l’on devait la déserter.

Même si l’on pardonne, le Catéchisme de l’Église catholique nous dit qu’« il n’est pas en notre pouvoir de ne plus sentir et d’oublier l’offense [7] ». Nous n’avons en effet pas le pouvoir de changer le fond de notre cœur.

3) Importance spirituelle du pardon. Le pardon pour Dieu. Suivre le Christ qui pardonne

a) Le passage de l’éthique au théologal

Dans l’Evangile, le Christ prescrit non pas deux, mais trois amours : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur […] et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». De même qu’il y a trois amours, de soi, de l’autre, de Dieu, de même existe-t-il trois regards différents sur l’amour.

De nouveau, commençons par une petite histoire :

 

Vivant en ermite dans quelque grotte du Désert de Juda, le jeune S. Jérôme s’était donné avec beaucoup de générosité à toutes les formes d’ascèse en usage chez les moines. Mais, aucune réponse du ciel ne semblait venir, et Jérôme en devenait désespéré. Les vieilles tentations montaient, comme la marée du découragement. Jérôme ne savait plus que faire, lorsqu’il avisa un crucifix fixé entre les branches desséchées d’un arbre. Il se jette sur le sol et se met à supplier Dieu. Jésus rompt le silence et s’adresse à Jérôme du haut de la croix : « Jérôme, qu’as-tu à me donner ? » A la voix du Christ, son ami crucifié, Jérôme prend courage : « La solitude dans laquelle je me débats, Seigneur. – Merci, Jérôme, répond Jésus. Mais peux-tu m’offrir quelque chose d’autre ? » Jérôme n’hésite pas et répond avec élan : « Mes jeûnes, la faim, la soif : je ne mange qu’au coucher du soleil. – Merci, Jérôme. Mais n’as-tu pas autre chose à me donner ? »

Jérôme réfléchit longuement, parle au Christ de ses longues veilles, de la récitation des psaumes, de son étude assidue de la Bible, de son célibat, de ses hôtes imprévus qu’il essaie d’accueillir sans grogner. A chaque fois, Jésus le remercie, car il sait bien que Jérôme veut faire de son mieux. Mais à chaque fois aussi, Jésus le presse davantage, un doux sourire aux lèvres : « Jérôme as-tu quelque chose de plus à me donner ? » A la fin, Jérôme, ayant épuisé toutes ses bonnes œuvres, ne peut plus que balbutier : « Seigneur, je t’ai tout donné. Il ne me reste plus rien ». Alors, dans le grand si­lence de la grotte et du Désert de Juda, Jésus répond une ultime fois : « Si, Jérôme, tu as oublié quelque chose : donne-moi encore tes péchés, afin que je puisse te les pardonner [8] ! »

 

On s’écrira qu’ici, il s’agit du pardon de Dieu et non pas du pardon à Dieu. Cette inversion de perspective dit tout : passer au plan théologal, c’est non seulement placer Dieu au centre, comme but (objet), mais aussi au commencement (source).

Lorsque Lady Macbeth erre dans la nuit en cherchant à essuyer le sang de ses mains, le mé­decin qui l’observe remarque : « L’âme malade a plutôt besoin du prêtre que du médecin… Dieu ! pardonne à tous [9] ! » Et l’on pourrait ajouter à « besoin du prêtre » : et du juge ».

b) La nouveauté du pardon divin

Voici ce que dit Emmanuel de La Taille : « La différence entre le pardon humain et le pardon divin, c’est que dans le pardon humain, on garde toujours une dent contre celui à qui on pardonne ; la personne pardonnée, on l’a toujours un peu sur l’estomac, le ressentiment est toujours prêt à reprendre. Comme c’est dur d’éviter le ressentiment avec ses proches ! Dieu, lui, pardonne en nous aimant totalement. C’est la parabole de l’enfant prodigue où l’anti-amour est transformé en amour [10] ».

c) Un exemple

Avant toutes choses, le Christ nous donne l’exemple du pardon. Soulignons-en trois exemples :

– Sur la Croix, la parole insondable : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34).

« Le pardon atteste qu’est présent dans le monde l’amour plus fort que le péché. En outre, le pardon est la condition première de la réconciliation, non seulement dans les rapport de Dieu avec l’homme, mais aussi dans les relations entre les hommes [11] ».

– Le pardon à Pierre : Jn 21 ; mais déjà le Jeudi Saint au soir (Lc 23).

d) Une prière

Ce que le Christ vit, il le dit aussi. Il nous invite à pardonner. Suivons le commentaire que donne le Catéchisme de l’Église catholique de la cinquième demande du Notre Père : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ».

Ici se pose une difficulté. Il semble que l’on se trouve dans l’Écriture devant deux séries de textes contradictoires : les premiers affirment que le geste divin du pardon est premier, et les seconds que notre pardon est condition du pardon de Dieu, le texte emblématique étant la cinquième demande du Notre Père. Le Catéchisme n’est pas un traité de théologie. Toutefois, en commentant cette demande en quatrième partie, il ébauche une réponse.

1’) Lecture

« 2839 Dans une confiance audacieuse, nous avons commencé à prier notre Père. En le suppliant que son Nom soit sanctifié, nous lui avons demandé d’être toujours plus sanctifiés. Mais, bien que revêtus de la robe baptismale, nous ne cessons de pécher, de nous détourner de Dieu. Maintenant, dans cette nouvelle demande, nous revenons à lui, comme l’enfant prodigue (cf. Lc 15,11-32), et nous nous reconnaissons pécheurs, devant lui, comme le publicain (cf. Lc 18,13). Notre demande commence par une « confession » où nous confessons en même temps notre misère et sa Miséricorde. Notre espérance est ferme, puisque, dans son Fils, ‘‘nous avons la rédemption, la rémission de nos péchés’’ (Col 1,14 ; Ep 1,7). Le signe efficace et indubitable de son pardon, nous le trouvons dans les sacrements de son Église (cf. Mt 26,28 ; Jn 20,23).

2840 Or, et c’est redoutable, ce flot de miséricorde ne peut pénétrer notre cœur tant que nous n’avons pas pardonné à ceux qui nous ont offensés. L’Amour, comme le Corps du Christ, est indivisible: nous ne pouvons pas aimer le Dieu que nous ne voyons pas si nous n’aimons pas le frère, la sœur, que nous voyons (cf. 1 Jn 4,20). Dans le refus de pardonner à nos frères et sœurs, notre cœur se referme, sa dureté le rend imperméable à l’amour miséricordieux du Père ; dans la confession de notre péché, notre cœur est ouvert à sa grâce.

2841 Cette demande est si importante qu’elle est la seule sur laquelle le Seigneur revient et qu’il développe dans le sermon sur la montagne (cf. Mt 6,14-15; 5,23-24; Mc 11,25). Cette exigence cruciale du mystère de l’Alliance est impossible pour l’homme. Mais « tout est possible à Dieu » ».

2’) Commentaire

Ainsi, le pardon humain est la condition, mais non la cause du pardon divin. En effet, en termes imagés, l’absence de pardon ferme le cœur. En termes théologiques, c’est un péché contraire à la grâce. Mais l’âme qui s’ouvre à nouveau au pardon ne le fait pas sans Dieu. Au fond, le pardon divin est déjà donné ; seulement la personne n’est pas dans les dispositions pour le recevoir. Ainsi se trouve sauvegardée la primauté du pardon divin au titre causal ; mais le pardon humain détient une primauté, celle que réserve Augustin au mal : première cause déficiente. L’amour de Dieu n’est pas conditionnel (en sa source), mais il est conditionné (en sa réception : en l’occurrence, par nos acceptations ou nos refus).

Voilà pourquoi, le disciple du Christ, qui n’est pas plus grand que le maître (cf. Jn 13, 16), est appelé au pardon. Il pardonne comme le Christ (Col 3, 13) et comme son Père : « Montrez-vous bons et compatissants les uns pour les autres, vous pardonnant mutuellement comme Dieu vous a pardonné dans le Christ ». (Ep 4,32) Etienne, suivant l’exemple de Jésus (Lc 23, 34), est mort en pardon­nant à ses bourreaux (Ac 7,60). D’ailleurs, nous l’avons dit, c’est par la force même de l’Amour répandu dans les cœurs, l’Esprit Saint (Rm 5,5) que le chré­tien, à la suite de Jésus, pardonne à son ennemi en qui il discerne un frère. Si Jésus n’avait donné l’exemple d’un tel pardon et ne nous avait envoyé l’Esprit, sa parole n’aurait pu être aussi radicale. Mais ce qu’il a fait, il nous donne de le faire à notre tour. à Pierre qui lui demande : « Seigneur, combien de fois mon frère pourra-t-il pécher contre moi et devrai-je lui pardonner ? Irai-je jusqu’à sept fois ? », Jésus peut donc répondre sans concession aucune : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois ». (Mt 18, 21-22)

La double branche de la Croix unit les deux dimensions de tout pardon que Jean-Paul II se refuse à séparer : « Le regard fixé sur le mystère du Golgotha doit nous rappeler sans cesse la dimension verticale de la division et de la réconci­liation dans le rapport homme-Dieu qui, dans une vision de foi, l’emporte tou­jours sur la dimension horizontale, c’est-à-dire sur la réalité de la division et sur la nécessité de la réconciliation entre les hommes. Nous savons, en effet, qu’une telle réconciliation entre eux n’est et ne peut-être que le fruit de l’acte ré­dempteur du Christ, mort et ressuscité pour vaincre le règne du péché [12] ».

Une illustration est donnée par Le comte de Monte Cristo. Le grand roman d’Alexandre Dumas est, on le sait, une histoire de trahison et de vengeance. L’on dit moins que la plus « dostoïevskienne » des œuvres de Dumas est aussi un roman du pardon. L’auteur connaît trop l’âme humaine pour croire que la vengeance soit un terme : car elle ne saurait donner la paix.

Lorsqu’Edmond Dantès consomme sa dernière vengeance, après que le premier est devenu fou et que le second est mort, voici comment il répond à Danglars qui lui demande qui il est : « Je suis celui que vous avez vendu, livré, déshonoré ; je suis celui dont vous avez prostitué la fiancée », etc. Mais il finit : « et qui cependant vous pardonne, parce qu’il a besoin lui-même d’être pardonné [13] ». Et, à la toute fin, dans la lettre qu’il a écrit à Maximilien, Dantès nomme exactement son péché, car il se voit dans la lumière de Dieu : « Dites à l’ange qui va veiller sur votre vie, Morrel, de prier quelque fois pour un homme qui, pareil à Satan, s’est cru un instant l’égal de Dieu, et qui a reconnu, avec toute l’humilité d’un chrétien, qu’aux mains de Dieu seul sont la suprême puissance et la sagesse infinie [14] ». La preuve de la vérité de ce qu’il appelle son « remords » est la dernière parole de la lettre qui est aussi l’ultime du roman : « Attendre et espérer [15] ! » Celui-là seul qui a épuisé tout espoir humain sait que la saveur de l’espérance est divine, car son origine – comme son terme – l’est.

e) Une force

La suite du commentaire du Catéchisme s’attaque à un autre aspect du pardon : sa possibilité, notamment face à des préjudices graves. Il montre qu’il est possible de tout pardonner.

1’) Lecture

« 2842 Ce « comme » n’est pas unique dans l’enseignement de Jésus: « Vous serez parfaits ‘comme’ votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48) ; « Montrez-vous miséricordieux ‘comme’ votre Père est miséricordieux » (Lc 6,36); « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ‘comme’ je vous ai aimés » (Jn 13,34). Observer le commandement du Seigneur est impossible s’il s’agit d’imiter de l’extérieur le modèle divin. Il s’agit d’une participation vitale et venant « du fond du cœur », à la Sainteté, à la Miséricorde, à l’Amour de notre Dieu. Seul l’Esprit qui est « notre Vie » (Ga 5,25) peut faire « nôtres » les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus (cf. Ph 2,1.5). Alors l’unité du pardon devient possible, « nous pardonnant mutuellement ‘comme’ Dieu nous a pardonné dans le Christ » (Ep 4,32).

2843 Ainsi prennent vie les paroles du Seigneur sur le pardon, cet Amour qui aime jusqu’à l’extrême de l’amour (cf. Jn 13,1). La parabole du serviteur impitoyable, qui couronne l’enseignement du Seigneur sur la communion ecclésiale (cf. Mt 18,23-35), s’achève sur cette parole : « C’est ainsi que vous traitera mon Père céleste, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur ». C’est là, en effet, « au fond du cœur » que tout se noue et se dénoue. Il n’est pas en notre pouvoir de ne plus sentir et d’oublier l’offense ; mais le cœur qui s’offre à l’Esprit Saint retourne la blessure en compassion et purifie la mémoire en transformant l’offense en intercession.

2844 La prière chrétienne va jusqu’au pardon des ennemis (cf. Mt 5,43-44). Elle transfigure le disciple en le configurant à son Maître. Le pardon est un sommet de la prière chrétienne; le don de la prière ne peut être reçu que dans un cœur accordé à la compassion divine. Le pardon témoigne aussi que, dans notre monde, l’amour est plus fort que le péché. Les martyrs, d’hier et d’aujourd’hui, portent ce témoignage de Jésus. Le pardon est la condition fondamentale de la Réconciliation (cf. 2 Co 5,18-21), des enfants de Dieu avec leur Père et des hommes entre eux ()cf. Jean-Paul II, Dives in misericordia,(cf. Dives in Div 14).

2845 ll n’y a ni limite ni mesure à ce pardon essentiellement divin (cf. Mt 18,21-22; Lc 17,3-4). S’il s’agit d’offenses ()de « péchés » selon (Lc 11,4) ou de « dettes » selon (Mt 6,12), en fait nous sommes toujours débiteurs: « N’ayez de dettes envers personne, sinon celle de l’amour mutuel » (Rm 13,8). La Communion de la Trinité Sainte est la source et le critère de la vérité de toute relation (cf. 1 Jn 3,19-24). Elle est vécue dans la prière, surtout dans l’Eucharistie (cf. Mt 5,23-24).

« Dieu n’accepte pas le sacrifice des fauteurs de désunion, il les renvoie de l’autel pour que d’abord ils se réconcilient avec leurs frères: Dieu veut être pacifié avec des prières de paix. La plus belle obligation pour Dieu est notre paix, notre concorde, l’unité dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit de tout le peuple fidèle (S. Cyprien, Dom. orat., 23: PL 4, 535C-536A) ».

2’) Commentaire

D’un mot, reprenant une intuition patristique, le Catéchisme montre que ce que le Christ exprime, l’Esprit l’imprime en nous. Dit autrement, si le Christ nous attire (de l’extérieur), l’Esprit, lui, nous transforme (de l’intérieur). Toutefois, n’opposons surtout pas les actions des deux Personnes divines envoyées : en effet, l’Esprit est l’Esprit du Fils et le Christ n’est tel que par l’onction de l’Esprit. Celui-ci nous fait participer. Le « comme » dit beaucoup plus qu’une analogie de proportionnalité, il dit une participation intrinsèque, ainsi que le note le Catéchisme.

Vatican II répète qu’il est nécessaire de rendre le monde plus humain [16]. Or, le pardon est nécessaire pour que le monde des hommes devienne toujours plus humain.

« Pour que notre vie mérite l’éloge, dit saint Augustin, demandons pardon ». A quoi il ajoute une remarque d’une grande profondeur psychologique : « Les hommes sans espérance, moins ils font attention à leurs propres péchés, plus ils sont curieux des péchés d’autrui. Ils ne cherchent pas ce qu’ils vont corriger, mais ce qu’ils vont critiquer. Et puisqu’ils ne peuvent pas s’excuser, ils sont prêts à accuser les autres [17] ».

f) Une gratitude

Il s’agit de la reconnaissance à l’égard du pardon reçu. Nous le reverrons en commentant la parabole du débiteur impitoyable.

Une illustration résumera bien des développements. Virgil Georghiu témoigne dans un beau livre autobiographique, Pourquoi m’a-t-on appelé Virgil.

 

« – La seule chose qui compte, c’est l’amour de l’ennemi, dit mon père. Le jour où tu arriveras à aimer ton ennemi, tu atteindras la perfection. Et la sainteté.

– Mais pourquoi aimer particulièrement son ennemi et non tous les hommes ?

– Parce que l’amour, la charité parfaite ne divisent pas l’unique nature humaine selon les diffé­rences qui existent dans les dispositions morales. Ne voyant jamais que cette unité, elle aime tous les hommes également, les fervents et les amis ». Bref, si l’on veut être saint, il faut vivre cet amour des ennemis.

Virgil, qui n’a que sept ans, veut bien être saint. Il n’y a qu’un inconvénient, de taille : « Je n’ai pas encore d’ennemi. Aucun. Et ma plus fervente prière est d’en avoir au moins un, et le plus vite possible [18] ».

 

Dieu va l’exaucer, mais pas comme il l’imaginait. Le père de Virgil sera victime d’un criminel qui, pour dérober de l’argent, blesse gravement son père. Une épidémie éclate dans le village. Virgil doit partir dans un hameau voisin… où apparaît l’agresseur de son père. Il découvrira le pardon et comprendra alors toute la profondeur de la parole de son père. Etant devenu prêtre, cinquante ans plus tard, il écrit :

 

« Maintenant, comme à l’âge de sept ans, je sais que pour devenir saint, il faut aimer ses ennemis. […] Aucun ami ne m’a rendu, et de loin, les services que me rendent mes en­nemis. Grâce à eux, qui me guettent de tous les côtés et à tous les instants, je suis tout le temps en état de vigilance. Grâce à mes ennemis, je suis obligé de réduire autant qu’il est possible mes fautes, mes péchés, mes erreurs. […] Si je n’ai pas commis d’erreurs très graves, c’est grâce à mes ennemis qui avaient les yeux braqués sur moi [19] ».

Pascal Ide

[1] Inversement, c’est en refusant la réduction de l’affectivité humaine à la seule libido qu’une relecture psycha­nalytique du pardon, telle que Julia Kristeva le conçoit, devient possible : « Au couple Eros/Thanatos se substitue le couple Eros/ Pardon qui permet à la mélancolie potentielle de ne pas se figer en retrait affectif du monde, mais de traverser la représentation des liens affectifs et menaçants avec l’autre ». (« Dostoïevski, l’écriture de la souffrance et le pardon », in Soleil noir, Dépression et Mélancolie, Paris, Gallimard 1987, p. 194. Cet article porte essentiel­lement sur le romn Crime et Châtiment)

[2] Henri Caffarel, Lettres sur la prière, coll. « Anneau d’or », Paris, Feu Nouveau, 1961, p. 142-143.

[3] Marie Balmary, Le Sacrifice interdit. Freud et la Bible, Paris, Grasset, 1986, p. 64-65.

[4] Paul Houix, La brisure du cœur, coll. « Voie spirituelle », Paris, DDB, 1995, « L’homme blessé témoin de la miséricorde », p. 65 à 67.

[5] Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne, trad. Georges Fradier, coll. « Liberté de l’esprit », Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 203.

[6] Ibid. p. 301.

[7] Catéchisme de l’Église catholique, n. 2843.

[8] Raconté par André Louf, Au gré de sa grâce. Propos sur la prière, Paris, Desclée, 1989, p. 199 à 201.

[9] William Shakespeare, Macbeth, Acte V, scène 1.

[10] Ils parlent de Dieu, Entretiens avec Bertrand Révillion, Paris, DDB, Le Jour du Seigneur, 1993, p. 14 et 15.

[11] Jean-Paul II, Lettre encyclique Dives in misericordia sur la miséricorde divine, 30 novembre 1980, n. 14.

[12] Ibid.

[13] Alexandre Dumas, Le comte de Monte Cristo, coll. « Le livre de poche » n° 1355, Paris, Librairie générale française, 3 tomes, vol. 3, p. 573. C’est moi qui souligne.

[14] Ibid., p. 592.

[15] Ibid., p. 592 et 593.

[16] Gaudium et spes, 40. Paul VI, Exhortation apostolique Paterna cum benevolentia, 1975, surtout n. 1 et 6.

[17] Saint Augustin, Sermon sur l’Ancien Testament, LH, III, p. 256.

[18] C. Virgil Gheorghiu, Pourquoi m’a-t-on appelé Virgil ?, Paris, Plon, 1968, p. 85 et 86.

[19] Ibid., p. 260 et 261. Souligné par moi.

3.1.2025
 

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