Le hasard en huit propositions

Le hasard pose de multiples questions : existe-t-il ? qu’est-il ? quel en est le fondement ? a-t-il une signification ? En fait, ces interrogations se présentent comme des apories, c’est-à-dire comme des opinions contraires également argumentées. Le monde est-il déterminé ou soumis au hasard ? Pour un croyant, ne serait-il pas « le pseudonyme de Dieu [1] » ? L’inopiné est-il subjectif (lié à notre seule ignorance) ou objectif (fondé dans l’être des choses) ? Est-il une coïncidence entre des séries causales (selon la célèbre définition de Cournot) ou bien est-il lui-même une causalité (la sagesse du langage courant dit d’un événement qu’il s’est produit « par hasard », c’est-à-dire par le hasard) ? Se distingue-t-il de la contingence, c’est-à-dire est-il fondé sur la seule rencontre des enchaînements eux-mêmes nécessaire ou aussi sur la facticité des choses ? Est-il insignifiant (néant de fin, est-il néant de sens, voire d’être ?) ou signifiant (sous certaines conditions, est-il riche d’une secrète intelligibilité ?) ?

Spontanément, le quidam identifie le hasard, plus précisément le phénomène hasardeux, à deux notions, qui ne se recouvrent pas totalement, même si elles sont souvent confondues : d’un côté, le surprenant ou l’inattendu ; de l’autre, ce qui est sans cause, c’est-à-dire ce qui n’a été ni provoqué ni voulu, donc est indéterminé. Nous allons voir que, si elle dit quelque chose, cette approche ne livre pas le cœur même du hasard. Synthétisant une partie d’un long article paru dans un collectif [2], nous souhaiterions faire quelques propositions qui non seulement le résument, mais soulignent les déplacements opérés à l’égard de ces convictions communes (qui sont en grande partie partagées par les approches scientifiques). Demandons-nous successivement ce qu’est le hasard (1-3), en amont, ce qui le fonde (4-6) et en aval, ce à quoi il conduit (7-8).

1. Le hasard est une cause efficiente par accident

Le cœur de l’intuition (au sens étymologique qui vient de intueor, « je vois ») aristotélicienne réside dans la notion de « par accident » ou « par rencontre » [3]. D’un mot, il y a hasard quand, au processus naturel ou libre, s’ajoute, est joint un effet qui se trouve en dehors de la visée ou de l’intention de ce processus. Reprenons l’exemple inusable de celui qui creuse une tombe et découvre un trésor : mon intention, ma finalité est par soi de creuser une tombe ; à cette fin s’ajoute un effet qui est totalement en dehors de mon intention et donc de la nature même de mon acte ; le hasard consiste dans cet effet surajouté. Or, dans son lexique, Aristote appelle cet ajout par accident, expression qui s’oppose à par soi.

Par certains côtés, tout est dit. En tout cas, tout le propos qui suit se fonde sur cette vision très profonde du Stagirite : pour, en aval, en tirer les conséquences et, en amont, en éclairer les présupposés.

2. Ce qui se produit par hasard est inconnu, surprenant, imprévisible

Nous retrouvons la première conception, qui est de loin la plus fréquente, selon laquelle le casuel est le nom que nous donnons à ce que nous ignorons. Cette approche peut se déduire de la définition aristotélicienne du hasard. En effet, ce que je connais et ce que j’attends est mesuré par la fin que je vise, c’est-à-dire l’objectif que je me donne. Or, ce qui est joint par accident excède ce que je cherche. Donc, le hasard est à la fois inconnu et inattendu. Par exemple, celui qui creuse le sol espère raisonnablement réaliser une tombe, mais sera étonné de découvrir le trésor.

Étant une conséquence de l’essence du hasard, l’ignorance, la surprise et l’imprévisibilité n’en sont pas, au sens propre, une nouvelle définition. Mais, l’accompagnant de manière quasi-constante, ils en sont comme un aspect ou, mieux, la réfraction. Précisément, le par accident est la face objective du hasard, alors que ignorance, surprise et imprédictibilité en sont la face subjective. En effet, triple est notre intériorité, cognitive, affective et active (volitive ou conative). Donc triple sera le retentissement intérieur du hasard : cognitif, l’ignorance ; affectif, la surprise, l’inattendu ; actif, l’imprévisibilité ou l’imprédictibilité.

3. Un phénomène hasardeux peut être connu et produit

Nous pouvons tirer une autre conséquence. Au ras même des processus naturels ou humains, nous devons disjoindre hasard et ignorance. Ne contredisons-nous pas la proposition précédente ? Nullement, si nous distinguons deux perspectives : la première est interne à l’événement fortuit (ou des événements fortuits, si nous prenons le point de vue de chacun des êtres qui se rencontrent) ; la seconde lui est externe. Prenons l’exemple de la rencontre du capitaine Haddock et du général Alcazar à la sortie du cinéma [4]. Pour chacun des deux hommes, la rencontre est imprévisible. D’où le choc, au double sens du terme, actif (le heurt frontal) et affectif (la surprise). Mais imaginez maintenant que quelqu’un soit posté sur le trottoir d’en face et jouisse d’un poste d’observation qui embrasse les deux avancées, celle du capitaine et celle du général. En calculant leur vitesse de progression, il pourrait prédire la rencontre, voire le coup (non intentionnel, donc involontaire). Il suffit, pour cela, que cet observateur ne soit pas seulement un tiers extérieur à la scène, mais possède un savoir englobant les deux savoirs particuliers et partiels des deux acteurs de la rencontre. On peut aussi qualifier ce savoir de supérieur parce qu’il a accès à plus d’information.

Allons plus loin et prenons maintenant l’exemple tout aussi canonique que le creusement du tombeau : celui des deux domestiques envoyés par le même maître dans un même lieu pour que, à leur insu, ils se rencontrent. Ici, le tiers qu’est le maître est également doué de ce savoir total qui est supérieur aux connaissances seulement partielles des domestiques. Mais, en outre, il suscité cette rencontre. Donc, en ce cas, le phénomène hasardeux est à la fois connu et causé. Dit autrement, pour celui qui le vit, le hasard est dénué de cause, mais pour celui qui le produit, le hasard est causé. Et ce qui est vrai pour l’homme l’est aussi, mutatis mutandis, pour les processus naturels.

Cette distinction entre le point de vue interne et partiel, et le point de vue externe et global permet, par extension, de résoudre la question de savoir si, pour le croyant, le hasard existe. Nous venons de distinguer le point de vue de celui qui est engagé dans le processus aléatoire et le point de vue du tiers observateur : le hasard existe pour le second, mais non pour le premier. Or, Dieu est omniscient, alors que le savoir humain est toujours non seulement limité, mais limité à l’action qu’il vise. Donc, analogiquement, si pour Dieu le hasard n’existe pas, pour la créature, il existe réellement. De plus, non seulement Dieu sait tout, mais il veut tout d’un vouloir efficace, c’est-à-dire est la cause première qui meut toutes les causes secondes selon leur modalité, nécessaire ou contingente, naturelle ou libre. Il faut donc affirmer que Dieu veut autant le déterminisme des causes singulières que le hasard de leur coïncidence.

4. Le hasard se fonde sur l’indépendance des phénomènes

Remontons maintenant aux fondements du hasard. Celui-ci suppose que certains processus se produisent de manière indépendante. Cette proposition, sur laquelle Cournot a insisté à juste titre, découle, là encore, nécessairement de notre définition du hasard. En effet, est fortuit un processus auquel se joint par accident un effet non voulu, non visé. Or, si l’on adopte non plus le point de vue individuel d’Aristote, mais celui, systémique, de Cournot, cet effet par surcroît est, pour le processus qui le produit, non plus un simple effet, mais le but visé. Reprenons une autre illustration inoxydable et enrichissons-la. Pour celui qui creuse le tombeau, la découverte du trésor est un hasard. Représentons-nous maintenant celui qui a enfoui le trésor. Son intention était probablement de le cacher. Il a donc estimé que personne n’aurait un jour l’idée de creuser un trou à l’endroit où il a dissimulé son trésor et a écarté cette possible intention de son intention. Ainsi le creusement de la tombe est, symétriquement, pour lui, un ajout accidentel. D’ailleurs beaucoup plus importun que la découverte du trésor, il relève de ce qu’Aristote appelle la mauvaise fortune. Or, l’on appelle indépendants des processus que rien ne lie. Donc, les événements hasardeux supposent l’existence de phénomènes (libres ou naturels) indépendants.

Une telle proposition est, surtout aujourd’hui, devenue plus difficile à saisir. En effet, en réaction contre une perception atomistique de la nature, une approche analytique du réel et une pratique individualiste de la société, de plus en plus de personnes se tournent vers la vision holistique, jusqu’à être moniste, proposée par les sagesses orientales de la non-dualité, les civilisations plus cosmocentrées et les peuples premiers. Ce n’est pas une coïncidence (sic !) si Jung qui a si fortement valorisé la synchronicité défendait aussi l’existence d’un inconscient collectif et était fasciné par l’occultisme dont la métaphysique implicite est panthéiste. A minima, nous allons répétant que « tout est lié ». Une telle proposition n’est vraie que si elle est interprétée. Du point de vue de Dieu, assurément tout est connecté dans sa sagesse et son amour providentiels. Du point de vue des créatures en leur relation à Dieu, c’est-à-dire des causes secondes en leur relation à la Cause première, tout lui est lié quant à l’origine, la fin, la conservation dans l’être et l’exemplarité. Mais, du point de vue des créatures en elles-mêmes, toutes ne sont pas liées : certaines sont et demeurent assurément indépendantes (elles ne seront jamais connectées et ne se rencontreront jamais), d’autres sont nouées entre elles, soit causalement, c’est-à-dire par soi, soit aléatoirement, c’est-à-dire par hasard ou par accident.

Plus généralement, alors qu’une physique athée est affine de l’indéterminisme, non sans paradoxe, une métaphysique panthéiste, elle, est allergique au hasard. Seul le monothéisme permet de conjuguer finalité et hasard, tout en conjurant les excès du déterminisme et de l’indéterminisme.

5. Le hasard se fonde aussi sur l’indéterminé, c’est-à-dire le contingent

Continuons à explorer les fondements du phénomène aléatoire et venons-en au second fondement qui est aussi la seconde définition commune (et d’ailleurs scientifique) du hasard : l’indéterminé. Pour les différentes sciences, mais aussi pour la connaissance « vulgaire », la question est de savoir si cette indétermination est seulement épistémologique ou aussi ontologique, ce qui rejoint, mais seulement en partie, la distinction du subjectif et de l’objectif.

Nous répondons en introduisant une seconde notion, elle aussi empruntée à Aristote : la contingence. Est contingent ce qui peut ne pas être ; inversement, est nécessaire ce qui ne peut pas ne pas être. Ajoutons que le possible est ce qui peut être. Il se se distingue donc du contingent : celui-ci existe déjà, alors que le possible n’existe pas encore.

Double est le fondement de la contingence comme doubles sont les êtres, naturels et humains. Dans les processus de la nature, la contingence se fonde dans la potentialité de la matière. Il est hors de question de détailler cette notion qui heurte de plein fouet notre conception actuelle de la matérialité. Relevons seulement une propriété décisive de la matière : sa capacité aux contraires. L’eau peut se réchauffer ou se refroidir. La roulette peut tomber sur une case noire ou sur une case blanche. Chez les personnes, la contingence s’enracine dans la liberté. Derechef, nous ne pouvons le développer. Contentons-nous de constater que nous expérimentons la liberté comme capacité à agir ou ne pas agir (liberté d’exercice) et, une fois décidé d’agir, comme capacité à faire ceci ou faire cela (liberté de spécification), donc, à nouveau, comme puissance aux contraires.

Ainsi le contingent recouvre en partie l’indéterminé, tout en s’en distinguant. Pour le comprendre, il faut revenir à la notion de potentialité évoquée ci-dessus. Est déterminé ce qui est terminé, achevé ou du moins en cours d’achèvement. Or, tel est, selon le Stagirite, le sens du terme acte. Pour nous, il s’est le plus souvent réduit à sa signification éthique : l’acte, c’est l’action (humaine). Pour Aristote, le sens est physique ou métaphysique : l’acte (énergéia ou entéléchéia, en grec) est ce vers quoi tend un processus et ce qui l’accomplit. Par exemple, la reproduction tend vers un acte : l’apparition d’un nouveau vivant. Or, acte s’oppose à puissance. Là encore les termes sont trompeurs : pour nous, puissance évoque pouvoir, donc, paradoxalement, acte, et même parfois excès de pouvoir ou domination, alors que, pour le philosophe grec, il désigne potentialité, privation d’acte. L’eau qui n’est pas encore chaude est en puissance à cet acte qu’est la chaleur. Dès lors, l’indétermination se fonde sur cette potentialité, autrement dit cet inachèvement. Il en est de même pour la liberté, sauf qu’ici la potentialité qui fonde l’indétermination n’est plus matérielle, mais spirituelle : c’est parce que la volonté libre est une puissance de l’esprit qu’elle n’est déterminée par aucun bien particulier et doit donc se déterminer elle-même, sans que son motif ne suffise à rendre compte totalement de son acte qui le déborde toujours.

Enfin, comment penser la relation entre le hasard, c’est-à-dire la cause par accident, et l’indéterminé ? Tout d’abord, les deux notions sont distinctes. Le hasard pourrait exister sans indétermination. C’est ce qu’avait bien compris Cournot qui faisait du fortuit la coïncidence de deux séries causales pour lui entièrement gouvernées par des lois déterministes. Ensuite, la contingence est le fondement du hasard. Pour nous, qui suivons Aristote et Thomas sur ce point, le hasard se définit bien par cette jonction ou plutôt par cette causalité par accident. Mais, en plus, il prend sa source dans la matière qui est principe ontologique d’indétermination ou dans la liberté qui est puissance d’autodétermination.

6. Les sciences actuelles peinent à comprendre le hasard

Tirons une conséquence en épistémologie. Nous venons de voir que, en son essence, l’aléa était cause efficiente par accident et que, en son fondement, il requerrait la présence de processus indépendants et l’indétermination, c’est-à-dire la potentialité et la liberté. Or, il n’y va pas que d’une question de terminologie et de mise au point lexicale. Derrière les mots vit toute une conception de la nature. Et celle-ci est devenue largement incompréhensible aux discours scientifiques et à la connaissance ordinaire (qui n’est pas la connaissance commune), en tant qu’elle est façonnée par cette vulgate scientifique. Brièvement : décrivant la quantité ou la relation, la physique semble impuissante à penser l’essence, donc la distinction du par soi et du par accident ; amarrée à la formalisation mathématique, elle réduit la potentialité à du possible ou à une succession d’états, donc d’actes ; rivée à l’abstraction physique ou mathématique, elle est impuissante par nature à dire la profondeur spirituelle de la liberté. La « physique mathématique » est « continuatrice de la métaphysique nécessitarienne et unitaire », constate farouchement Jean Largeault qui poursuit en citant René Thom : la physique « s’est fascinée sur le problème de l’unification des causes… C’est le problème inverse de la scission et de la relative indépendance des types de facteurs causatifs qu’il importerait au contraire d’élucider [5] ».

Ainsi, comme toutes les autres notions premières en philosophie de la nature – la matière, la causalité, la finalité, le devenir, le temps, le lieu, la vie, etc. –, le hasard – nous parlons de son essence – échappe au discours empirico-formel des sciences. Voilà pourquoi le hasard demeure une énigme pour celles-ci. En revanche, elles le décrivent avec beaucoup plus de précision que la cosmologie philosophique et en détermine l’ampleur du champ d’application, notamment chez les êtres vivants.

7. Si le hasard est dénué de finalité, il peut être doué d’une sursignification

Si le hasard est un néant de fin, il n’est pas un néant de signification : il permet au contraire, l’avènement de la nouveauté.

On pourrait dire que si le hasard échappe toujours aux causes efficiences humaines ou naturelles, donc à leur visée finale et ainsi au sens, en revanche, à celui qui se laisse interroger par lui, il arrive (sic !) qu’il n’échappe pas quant à son sursens, qui est un équivalent de la finalité, mais plus globale. Pour le saisir, il convient d’élargir le point de vue non plus synchroniquement (comme pour le tiers-observateur), mais diachroniquement (et réversiblement). En effet, d’abord, il n’est pas rare que l’on réserve le terme de « hasard » aux seuls événements signifiants. Combien de rencontres faisons-nous dans une journées ? combien demeurent en notre mémoire ? Ensuite, c’est rétrospectivement que le phénomène survenu à l’improviste apparaît comme porteur d’une chance (fortune) ou d’une malchance (infortune) ; et si la finalité (le sens) relève de l’explication homogène au processus qui la produit, la sursignification qui déborde le déterminisme des processus naturels et des intentions humaines, elle, relève de la relecture, c’est-à-dire de l’interprétation. Enfin, cet événement se présente toujours comme un rapprochement. Alors que l’indépendance des séries causales pourrait conduire au mieux à les rendre parallèles, au pire à les faire diverger, le hasard conduit à leur intersection (l’atome crochu des stoïciens). Or, ce faisant, elle engendre une nouveauté transgressant. Certes, le monde déterminé des causes nécessaires laisse émerger de l’inédit. Mais il est mesuré par ce déterminisme. Le monde indéterminé du hasard, lui, peut laisser jaillir à une innovation autrement plus insoupçonnée. Certes aussi, grand est le gâchis ; non négligeable est aussi le risque d’un accident destructeur. Mais le péril est largement compensé par le bénéfice qu’est la surprise aléatoire. C’est ce que le darwinisme illustre avec tant de brio. Puissance de rassemblement, le hasard est donc une puissance de renouvellement.

Dorénavant, nous sommes à même de comprendre que non seulement Dieu seul connaît et peut maîtriser l’intégralité des causes efficientes secondes en leur jeu indépendant et interdépendant, donc le hasard, mais aussi qu’il le veut. Transcendant la différence contingent-nécessaire, il conduit avec sagesse et par amour, dosant exactement la part réservée à ces deux types complémentaires de causalité afin de laisser émerger l’inouï d’une nouveauté qui échappera toujours à la logique créée, mais jamais à sa main providente. L’homme, quant à lui, peut participer non pas à la production de l’aléa, mais à sa raison d’être, c’est-à-dire au déchiffrage (interprétation), toujours grevé d’incertitude, de son intention et donc de sa sursignification.

8. Le hasard en clé d’amour

Nous venons de prononcer le mot « amour ». Qui dit hasard dit rencontre ; qui dit rencontre dit préparation intérieure ou désir ; qui dit désir dit don ; qui dit don promet communion. C’est ce qu’atteste une expérience, qui est banale et ne l’est pas.

Assis sur un banc public du jardin du Luxembourg, entr’apercevant une personne qui s’approche puis s’éloigne, je me dis que, dans une grande ville, le croisement des personnes n’est pas seulement le fait du hasard, mais est un hapax, donc redouble la facticité du purement donné par un « jamais plus ». La seule manière de conjurer la perte est de transformer cette contingence et cette coïncidence en rencontre, donc en opportunité : alors, apparaît la répétition qui est invention métamorphosant le donné en don.

Pascal Ide

[1] « Le hasard, c’est peut-être le pseudonyme de Dieu, quand il ne veut pas signer » (Delphine de Girardin, Théophile Gautier, Jules Sandeau et Joseph Méry, Lettre III, « À monsieur le prince de Monbert », La Croix de Berny, Paris, Pétion, 1846, 2 tomes, vol. 1, p. 28). « Il faut, dans la vie, faire la part du hasard. Le hasard, en définitive, c’est Dieu » (Anatole France, Le jardin d’Épicure, Paris, Calmann-Lévy, 1894, p. 132).

[2] Cf. Pascal Ide, « Le jeu du hasard et de l’amour », Philippe Quentin (éd.), Hasard et création, Colloque de l’ICES, La Roche sur Yon, 7 et 8 mars 2022, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2022, à paraître.

[3] Cf. Aristote, Physique, B 4-6.

[4] Cf. Hergé, Les Aventures de Tintin. 19. Coke en stock, Tournai, Casterman, 1958, p. 5.

[5] René Thom, « Actualité du déterminisme », janvier 1987, cité par Jean Largeault, Principes classiques d’interprétation de la nature, Publication de l’Institut Interdisciplinaire d’Études Épistémologiques, Lyon, Institut Interdisciplinaire d’Études Épistémologiques, diff. Paris, Vrin, 1988, p. 126. Cf. tout le chapitre 5.

20.6.2024
 

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