Le don secret, secret du don (Trait d’union, dimanche 7 novembre 2021. 32e dimanche du TO)

« J’ai bien connu à Paris un vieux professeur – raconte Maurice Zundel –. Il n’allait jamais à l’Église. Il pensait que, lorsqu’il mourrait, ce serait fini. Il me disait : ‘Ce serait trop beau, ce serait trop beau de croire, pour revivre à nouveau.’ Mais voilà que le vieux professeur avait aimé quelqu’un d’une manière unique et exemplaire : son père. Et il me demandait, inquiet : ‘Qu’est-ce que je pourrais faire pour mon père ?’ Et je revois encore ce vieillard, assistant à la messe avec une attention extraordinaire, pour son père. Il y venait sou­vent, mais pour son père. Il priait ardemment, mais pour son père. Mais il n’était pas encore satisfait : ‘Je voudrais faire encore quelque chose pour mon père.’ Je lui dis : ‘Eh bien, voulez-vous que nous récitions ensemble le Notre Père pour votre père ?’ Comme il avait oublié le Notre Père, il l’a répété mot à mot après moi. Avec cette prière qui était si gratuite, cette prière dite complètement pour assurer à son père tout ce qu’il pouvait lui donner de lumière et d’amour, je pense qu’il avait changé, je pense qu’il avait vraiment dans son cœur la présence de Dieu. Quelques jours plus tard, il était tout près de la mort. Je n’ai pas hésité un instant à lui donner les sacrements car je savais qu’il avait trouvé Dieu puisqu’il avait trouvé l’amour à ce degré ». Le spirituel suisse, ami de saint Paul VI, conclut : « Quand quelqu’un s’oublie, recherche uniquement le bien d’un autre, comme ce vieillard, on est sûr que Dieu est là ».

En écho à la première lecture, l’évangile de ce jour nous offre l’exemple bouleversant d’un veuve qui donne « tout ce qu’elle avait pour vivre ». Le texte grec est encore plus radical : « toute sa vie [holon ton bion autês] ». Ce don de soi, inspiré par l’amour de Dieu (cf. Rm 5,5), nous apparaît peut-être écrasant. Toutefois, nous pouvons nous mettre à l’école d’une autre leçon de vie donnée par cette humble femme : ce qu’elle donne, personne ne le voit, sauf Jésus qui sait tout (Jn 21,17). Combien de fois, nous touchons notre récompense en racontant un acte généreux que nous avons fait, ne serait-ce qu’à nos proches, ne serait-ce qu’à une seule personne. Alors que les pharisiens, si généreux soient-ils, donnent en cherchant à être « glorifiés par les hommes » (Mt 6,2) et sont donc au sens le plus propre de l’expression des « m’as-tu-vu », la veuve que Jésus donne en exemple est mûe par un désintéressement radical.

Chaumel, un homme « remarquable », dont Hélie de Saint-Marc raconte sa rencontre au camp de déportation de Buchenwald, s’inscrit dans cette lignée évangélique : « Opérateur radio dans la banlieue de Lyon, il avait été arrêté en pleine émission par la Gestapo. Salement interrogé, il n’avait pas parlé. À Buchenwald, sous un aspect parfois bourru et abrupt, d’un caractère caustique et critique, il refusait l’ordre SS. Mais il était d’un grand secours pour les autres détenus. Un mot drôle, une phrase acerbe à l’égard de nos geôliers ramenaient le sourire sur le visage des malheureux. Je l’ai surpris un jour à l’écart, partageant sa ration de pain avec plus démuni que lui. Ceux qui ont souffert de la faim savent ce qu’un tel geste révèle d’altruisme et de grandeur. Chaumel ne se racontait pas. Il avait cette sorte de courage qu’il faut pour garder en soi son aventure, pour n’être rien aux yeux du monde. Bien après la guerre, je l’ai revu à Lyon dans des assemblées où chacun se poussait du col. Il restait silencieux, refusant d’entrer dans le jeu de la fatuité et du paraître ».

Le secret du don, c’est le don secret : « Quand tu fais l’aumône, ne va pas le clai­ronner devant toi, afin que ton aumône soit secrète ; ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra ». (Mt 6,1-4).

Pascal Ide

 

6.11.2021
 

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