Le Christ, Roi de la création ?

(Alouette, 2020)

 

Le Christ, Roi de la création ? Quelle idée curieuse, voire dangereuse ! En effet, depuis qu’il est enlevé dans la gloire du Père, le Christ trône dans les Cieux et ne marche plus sur la Terre ! De plus, il règne sur les hommes et non pas sur la nature. D’ailleurs, il est appelé à devenir le roi de nos cœurs et non pas sur nos corps et dans la matière. Enfin, la monarchie qui est le gouvernement d’un seul a heureusement laissé place à la démocratie qui est le gouvernement de tous.

 

Pourtant, triple en est l’attestation d’une certaine continuité entre le Christ glorieux et notre Terre. D’abord et avant tout l’Écriture. Le Christ transfiguré ou ressuscité se présente avec une chair humaine, ayant une figure reconnaissable, spécifiquement et individuellement (les stigmates de la Passion lui sont propres), et pouvant exercer les mêmes opérations que nous : parler, manger (cf. Lc 24,41-43), transmettre des objets (cf. Jn 21,13), etc. Qu’il est significatif que, pour signifier la réalité de la résurrection, saint Pierre emploie non point une expression abstraite, mais cette formule si concrète, qui convoque l’acte biologique le plus élémentaire, donc le plus indubitablement matériel, la nutrition : « Après sa résurrection d’entre les mots », Jésus s’est manifesté « à nous qui avons mangé et bu avec lui » (Ac 10,41). Le fait que Jésus ressuscité ait vécu avec nous pendant quarante jours montre que le corps glorieux n’est et ne sera pas d’une autre nature que le nôtre.

Ensuite, la Tradition. Là aussi, qu’il est riche de sens qu’elle ait opté pour saint Augustin contre Origène. Pour faire simple, le Père alexandrin s’est représenté une résurrection de la chair calquée sur l’esprit, de sorte que la nature même du corps importe peu. Certaines origénistes imaginaient même un corps glorieux sphérique, à l’image des astres, considérés alors comme les substances matérielles les plus parfaites ! Tout à l’inverse, le Père latin, beaucoup moins platonicien qu’on veut le dire, souligne combien Jésus « a surgi » du tombeau non pas « avec un autre corps, mais avec un corps qui ne doit plus mourir [1] ». Toute la fin de son monumental ouvrage La cité de Dieu est consacrée à une méditation sur la résurrection où notamment il part du principe paulinien selon lequel seule la charité demeurera (cf. 1 Co 13,8-13) ; dès lors, demeurera ce qui, chez le corps, signifie l’amour.

Enfin, le Magistère s’est prononcé très clairement en faveur de cette continuité. Par exemple, contre l’hérésie manichéenne des albigeois et des cathares qui diabolise la matière, le quatrième concile du Latran affirme que « tous ressusciteront avec leurs propres [propriis] corps qu’ils ont maintenant [nunc] [2] ».

Pascal Ide

[1] Saint Augustin, Homélie pour l’octave de Pâques aux nouveaux baptisés, dans Liturgie des heures, Paris, Le Cerf et al., 1980, tome 2, p. 484-485.

[2] Concile œcuménique de Latran IV, Heinrich Denzinger, Symboles et définitions de la foi catholique, éd. all. Peter Hünermann et éd. fr. Joseph Hoffmann, Paris, Le Cerf, 1996, n. 801, p. 292.

27.8.2022
 

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