L’amour et les roses

Il y a plus de vérité et même parfois de vérité philosophique que l’on ne croit dans une chanson… Elle peut, par exemple, exposer la loi centrale de l’amour qu’est la loi de symbolisation selon laquelle celui qui aime se donne à aimer à travers de multiples signes qui sont autant de symboles représentant le donateur aimant.

Dans une chanson dont elle a aussi composé les paroles, Lucienne Delyle [1] déploie la loi de symbolisation dès la première phrase du refrain : « Prenez mon cœur et mes roses ». Loin d’être juxtaposés, les deux dons, celui de la fleur et celui de la personne aimante, sont intimement tressés comme symbolisant et symbolisé, ainsi que le dit la suite du refrain : « Dans ces roses à peine écloses […] C’est mon cœur que je propose ». Le reste de la chanson détaille : le don qui semble être « peu de chose », mais qui « veu[…]t dire tant de choses », notamment à travers sa fraîche éclosion (« ces roses à peine écloses ») qui est promesse « d’un grand bonheur » ; la personne donatrice qui s’y offre de manière indéterminée, donc libre, « à tous les passants », avec discrétion et respect (ce que suggèrent le « petit panier » et le prénom lui aussi floral de Violetta qui contraste avec la rose triomphale) et plus encore avec amour, ainsi que la joie (« gaiement ») – qui en est le premier fruit – le signale et ainsi que bientôt, la pudeur rougissante – qui en est l’attestation plus précise – l’exprimera bientôt ; enfin, la relation qui, tout en étant de signification, n’est rien moins que de causalité (« ça peut être la cause »).

Mais la symbolisation est à double sens : du cœur du donateur aimant au don offert ; du don reçu au cœur du receveur aimé. Et la chanson inclut aussi de manière dialogale la réponse de la personne potentiellement aimée : ici « un grand seigneur de Castille / Jeune et brillant, comme il se doit » qui passe du bouquet à la bouquetière dont il remarque la beauté. Elle achève ainsi la circulation du don : d’abord en recevant non pas seulement le don, mais la donatrice (« Je prends ton cœur et tes roses »), ensuite en se l’appropriant (ce que signale le délai : « demain »), enfin en y répondant symétriquement par un don (« t’offrir ») libre (« je te propose ») où il propose aussi rien moins que lui-même, c’est-à-dire un don de soi (« Mon nom, ma vie, mon amour ! »).

Bien évidemment, il y a quelque chose d’illusoirement romantique à faire oublier que Violetta, loin de seulement offrir ces roses, en a besoin pour vivre, et à nous faire rêver au mariage de la bergère et du prince. Mais il y a aussi une profonde loi de vie qui est ici évoquée dans ce climat festif où tout est « joie » et « émoi ». C’est parce que Violetta fait de sa profession le lieu où elle se donne gratuitement sans retard, sans retour et sans restriction (le sourire peut remplacer la rose !) que naît autour d’elle cette même joie aimante et bénissante qui attire et pacifie. « Ne rendez point mal pour mal, ou injure pour injure ; bénissez, au contraire, car c’est à cela que vous avez été appelés » (1 P 3,9).

Pascal Ide

[1] Accessible par exemple sur le site : https://www.paroles.net/lucienne-delyle/paroles-prenez-mon-coeur-et-mes-roses

26.8.2021
 

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