L’amour conjugal. Chemins de sainteté Chapitre 1.2

2) Philia

Loin de s’opposer à l’éros, la philia (« amitié ») l’enrichit de ses trois notes : l’objectivité, c’est-à-dire la bienveillance (a) qui, pour être protectrice (b), toute adaptée (c) et délicate (d), n’est pas moins exigeante (e) ; la réciprocité, c’est-à-dire la mutualité (f et g) et la convivialité, c’est-à-dire la durée (h et i).

a) L’amour veut le bien de l’autre

L’amour d’amitié est un amour bienveillant, c’est-à-dire, étymologiquement, un amour qui veut le bien de l’autre. C’est ainsi que nous voyons Zélie donner des conseils à son mari.

1’) Témoignage de Baudouin et Fabiola

Le 16 septembre 1960, plus de deux mois après la merveilleuse rencontre à Lourdes, donc après une longue séparation, les fiancés se retrouvent à Ciergnon, une propriété royale chère à Baudouin. Fabiola est partie la veille avec sa mère et son frère aîné. La pluie ne cesse de tomber et les prestigieux hôtes espagnols sont en retard. Baudouin est inquiet et fait les cent pas sous la puie pour être le premier à accueillir sa bien-aimée. Enfin, la voiture s’immobilise. Il se précipite, aide dona Bianca à descendre. Puis, il se tourne vers Fabiola et balbutie : « Vous… vous… enfin ! » Et il ajoute : « Quel temps affreux pour voyager. Vous devez être épuisée, rentrons vite à l’intérieur ». Fabiola se rend compte alors qu’il est trempé et s’inquiète : « Vous nous avez attendus dehors, ce n’est pas raisonnable. Vous aller prendre mal » [1].

Tout, dans cet échange, dit l’amour attentif à l’autre, la recherche du bien de l’autre. Cette attitude est programmatique de tout ce que sera la vie du couple royal ; elle est aussi prophétique de l’essence de l’amour, au sens où la prophétie révèle l’essence des choses, délivre la vérité de Dieu sur le monde et l’histoire. D’ailleurs, Baudouin notera le soir même dans son journal : « Pourquoi, Seigneur, as-tu bougé le Ciel et la terre pour me donner cette perle précieuse qu’est ma Fabiola ? Elle a une manière d’être avec les gens, qui est idéale. Elle est tellement attentive, tellement toute aux autres que je comprends qu’on l’adore, Seigneur merci [2] ». C’est parce qu’elle vit de cet amour décentré de soi et centré sur l’autre que Fabiola aimera si vite et si fort le peuple belge. Et celui-ci le lui rend avec chaleur. D’ailleurs, un signe éloquent de ce zèle d’amour est que, dès avant même la rencontre avec Baudouin à Lourdes, Fabiola, en grand secret, s’est mise à apprendre le néerlandais… Quelle délicate et exigeante attention !

Un autre exemple entre mille. Le jour de leur mariage, le 15 décembre 1960, la foule a longuement attendu, dans le froid glacial que le couple sorte de la cathédrale de Saints-Michel-et-Gudule et ovationne longuement les nouveaux mariés : « Fa-bio-la », « Vive le roi ». Très émue par cet accueil si enthousiaste, la toute nouvelle reine sourit, mais souhaiterait pouvoir s’exprimer plus chaleureusement. Or, la longue gerbe de fleurs blanches l’en empêche. C’est alors que, sans que nul mot ne soit échangé, Baudouin comprend et lui prend le bouquet des bras. Alors, Fabiola ouvre largement les bras et salue longuement la foule, tandis que le roi porte les fleurs. Là encore, combien un geste dit tout de l’amour comme avancée et extase. D’ailleurs, elle dira en mots ce qu’elle n’a fait qu’exprimer en geste, lorsque, de manière totalement inattendue, elle fera une courte déclaration au Journal télévisé de vingt heures, juste avant de s’envoler pour son voyage de noces : « Merci pour votre inoubliable accueil. Désormais mon cœur et ma vie appartiennent non seulement à mon époux, mais à vous tous ».

2’) Témoignage de Luigi et Maria

Maria témoigne de cette bienveillance dans Radiographie d’un mariage. Pour cela, elle convoque la métaphore connue de la trame conjugale :

 

« Vie terrestre, vécue dans la pensée permanente inspirée par Dieu lui-même de rendre heureuse la personne qu’on aime, pour ce qui dépend de soi. 166 D’embellir, avec sa propre trame de délicatesse et d’amour, la chaîne faite d’une consistance virile moins tournée vers les détails mais toute portée au don de soi. Et partage profond de tout le reste, même des nuances qui étreignent le cœur de la femme, partage qui grandit avec les années, à mesure que la trame est mieux ressentie et mieux comprise, fil par fil, pour former le tissu merveilleux qui résulte de l’ensemble des deux […] Fil par fil ; la trame en fonction de la chaîne ; la chaîne, raison de la trame, et tout comme l’un sans l’autre ne peut réussir à former un tissu, ainsi l’autre prend du premier sa force et son soutien. Voilà ce qu’est le mariage : ce n’est qu’ainsi qu’on peut obtenir un résultat valable qui soit une récompense en soi et fruit du bien. Fil par fil, entrelacés en Dieu l’un avec l’autre, sans intervalles, jamais, jusqu’à l’éternité [3] ».

 

Maria voit Luigi comme son « bon ange gardien [4] » ; en retour, elle se considère comme son « infirmière [5] ». De fait, les époux se conseillent mutuellement. Ainsi, lorsque Luigi doit quitter Rome pour Catane à cause de son travail, Maria craint qu’il n’attrape le typhus à cause de la chaleur estivale et lui conseille de ne pas manger de glace, surtout qu’elles sont délicieuses :

 

« Depuis le jour de mon arrivée, j’ai suivi ton conseil de ne pas prendre de boissons glacées : et tu peux être tranquille, je ne le transgresserai pas ! La pensée de tomber malade ici me terrifie à tous égards ; tu peux donc avoir confiance [6] ».

 

Mais cela ne signifie pas que Luigi obéisse en tout à Maria !

 

« Pour tes recommandations à propos de l’hygiène, j’essaierai de te faire plaisir mais, comme je te le disais hier, ici on ne résiste pas. D’ailleurs pourquoi veux-tu qu’une glace me fasse du mal ? Et ici, elles sont tellement bonnes ! À Rome on n’en a pas idée [7] ».

 

Qu’ils veillent l’un sur l’autre, ne veut surtout pas dire qu’ils se surveillent l’un l’autre… Combien de femmes voient – faussement – dans leur mari un énième enfant, et combien de maris ne sont que trop heureux de cette infantilisation… Complémentarités utilitaires et parfois perverses…

Il demeure que j’ai interverti l’ordre des citations. Car les époux veulent tellement le bien de l’autre, qu’ils ont pleinement confiance dans l’autre et n’ont aucune difficulté à sécouter et, le cas échéant, s’obéir : « Pour ce qui est de ton ordre, au sujet des glaces, j’y avais obéi avant même que tu ne l’exprimes [8] ».

b) L’amour protège l’autre

Nous l’avons noté, Luigi reconnaît volontiers en Maria quelqu’un qui le protège comme une mère. N’est-ce pas régressif et infantilisant ?

Nous répondrons d’abord que Maria est pleinement consentante, voire prend l’initiative :

 

« Mon saint amour, viens, viens te réfugier en moi ; je t’accueillerai entre mes bras, je te tiendrai sur mes genoux, je te caresserai tellement, mon amour, que tu te calmeras tout de suite, mon amour, et tu ne pleureras plus. Car je veux être aussi ta petite maman, et, bien souvent, tu me sembles être un cher grand bébé, qui vole les baisers et les caresses même d’une personne aussi sérieuse que moi. Cela te fait sourire, mon amour [9] ? ».

 

Ensuite, cette relation est réciproque. L’enfant protégé qu’est Luigi joue aussi le rôle de « protecteur » qui apporte affection et soutien [10]. Autrement dit, s’il voit en Maria comme une mère, il sait lui aussi la consoler et agir en adulte responsable. Et Maria le reconnaît : « Ton amour, affirme Maria à Luigi dans une lettre de 1905, qui m’a rendu la vie morale d’une manière absolue, me redonnera aussi la vie physique ; j’espère tout de toi, je crois en toi, comme je crois en Dieu. »

Enfin, loin d’être univoques, les relations au sein du couple tissent ensemble la triple symbolique parentale (par laquelle nous donnons), filiale (par laquelle nous recevons) et conjugale (par laquelle nous échangeons). Elles permettent d’intégrer cette triple dimension, contre une vision centrée sur la seule autonomie, typiquement héritée des Lumières (le Moderne a tellement surévalué l’indépendance qu’il en est venu à suspecter notamment toute réception de rimer avec aliénation). Mais nous le comprendrons encore mieux plus loin, lorsque nous parlerons de la vocation du couple.

Ne voyons pas dans ce support ou cette aide une fonction adventice ou, encore moins, humiliante. Elle n’est rien moins que l’expression la plus haute de l’amour en acte : « la charité est serviable » (1 Co 13,4). Et on peut y lire en écho la parole trop souvent mal interprétée de la Genèse : « Faisons-lui une aide ». C’est ce que signale humblement Frédéric Ozanam dans un poème composé à l’occasion de la fête de Pâques, le 27 mars 1842, convoquant l’image biblique qui lui est chère de Tobie [11] :

 

« Et je comprends enfin qu’un ange fraternel

Me fut donné d’en haut, comme au jeune Tobie [12] ».

c) L’amour s’adapte à l’autre

Zélie s’adapte à chacun de ses enfants. En particulier, elle a repéré, sans le nommer comme tel, que la seconde, Pauline est plutôt du soir, à la différence de l’aînée, Marie. Elle en tire des conséquences pour l’organisation de la messe dominicale :

 

« Marie t’aura dit qu’elle ne va plus à la Messe seule. C’est fini ; elle n’a jamais pu s’y habituer et je tiens moi-même à ce qu’elle n’y retourne jamais, elle est trop timide. Puis, elle est trop bien mise, cela ne convient pas. Quand tu seras chez nous, ma Pauline, ce sera plus difficile ; tu aimes à dormir le matin et à te coucher tard, et encore bavarder avec Marie jusqu’à onze heures du soir. Cela me préoccupe comme cela m’a déjà tourmentée bien des fois. J’aviserai donc au moyen de vous faire conduire toutes deux à des heures différentes ; si, dans ce temps-là, je ne fais plus de point d’Alençon, ce sera très simple, sinon, je serai encore dans l’embarras ; enfin, on s’arrangera pour le mieux [13] ».

d) L’amour est délicat

Cette incarnation suppose de la délicatesse, surtout à une époque où « les choses de la vie » n’étaient pas enseignées par les parents. Tel fut le cas pour Zélie Guérin. Elle épouse Louis Martin le 13 juillet 1858. Or, la veille, Louis a dû lui expliquer ce qu’il en était de la sexualité dans le couple. Elle en est suffoquée. D’ailleurs, le jour du mariage, Zélie a présenté son mari à sa sœur visitandine, sœur Marie-Dosithée, qu’elle passe la journée à pleurer ! Aussi, avec grande délicatesse, Louis lui propose de vivre comme frère et sœur. Triple était sa motivation : assurément le respect de sa future épouse ; assurément le souvenir de leur commune aspiration à la vie religieuse ; mais aussi le désir de la sainteté sous la forme de ce que l’on appelle parfois un mariage « joséphin », sur le modèle du plus fameux d’entre eux, celui de Marie et de Joseph. Que ce désir soit inspiré par une vision un rien manichéenne de la sexualité, voire du mariage, comme le dira saint Jean-Paul II, cela paraît vraisemblable en ce siècle rigoriste qu’est le xixe siècle. Mais il est aussi animé par une grande générosité et un admirable renoncement.

Quoi qu’il en soit, voici comment Zélie raconte sa première journée de mariage à son aînée Pauline : « Ton père me comprenait et me consolait de son mieux, car il avait des goûts semblables aux miens ; je crois même que notre affection réciproque s’en est trouvée augmentée, nos sentiments étaient toujours à l’unisson [14] ». Derrière la discrétion des mots, l’on comprend combien la délicatesse de l’époux en ce sujet qu’est la sexualité a conduit à accroître l’amour.

Pour la vérité de l’histoire et l’évolution de leur amour conjugal, il faut ajouter trois points. D’abord, ils n’étaient nullement fermés à la vie, puisqu’ils adoptèrent un petit garçon qu’un père débordé leur a confié pendant quelques années. Ensuite, ils vécurent ainsi pendant dix mois et cessèrent leur abstinence à la demande de leur confesseur ; plus encore, ce temps leur a permis d’y consentir en pleine conscience et en toute liberté : ils comprennent alors que leure vocation n’est pas celle d’une vie consacrée dans le monde, mais d’être parent. Enfin, la venue d’enfants change leur avis sur l’intimité… du moins partiellement : « Quand nous avons eu nos enfants, nos idées ont un peu changé ; nous ne vivions plus que pour eux, c’était tout notre bonheur, et nous ne l’avons jamais trouvé qu’en eux. Enfin, rien ne nous coûtait plus ; le monde ne nous était plus à charge [15]. ». Certes, elle avait dit de manière négative : « Oh ! va, je ne me repens pas de m’être mariée [16] ». Mais il faut y lire une litote, plus qu’une concession. C’est ainsi que, après cinq ans de mariage, Zélie écrit : « Je suis toujours très heureuse avec lui [17] ».

e) L’amour corrige l’autre

L’amour d’amitié n’est pas seulement un amour qui accomplit le bien, mais il écarte aussi le mal. Pour saint Thomas, la correction fraternelle n’est pas seulement un acte vertueux, mais un acte de la plus haute vertu, la charité [18]. Or, de fait, les époux Beltrame-Quattrocchi se font parfois de doux reproches. En effet, à croire Maria, Luigi est tenté de râler. Alors, elle le lui fait remarquer avec gentillesse et humour : « Nous attendons avec impatience que tu reviennes, en espérant pourtant que tu ne seras pas trop sur les nerfs [19] ». Maria le traite même de « râleur » ! Ce que Giulia, la maman, confirme en utilisant le même mot : « Nous sommes perdus sans notre troisième râleur, donc reviens-nous vite, vite, et s’il te plaît, ne rate pas la naissance [l’anniversaire] de Fanny, autrement tes yeux courent un sérieux danger [20] ».

Lors de leurs fiançailles, une incompréhension a opposé Luigi et sa future belle-mère. Conjuguant amour et vérité, Maria invite son fiancé à se corriger :

 

« Crois-moi, mon saint amour, ce n’est ni s’humilier ni plier par faiblesse que de chercher à conformer nos désirs à ceux de nos aînés. Nous sommes plus forts n’est-ce pas ? Et c’est dans cette force, qui nous vient de la jeunesse de l’âme et du corps, que nous devons justement puiser ce saint courage qui, par des sacrifices – pas si grands que cela ! – égaye les jours de ceux qui n’ont vécu que pour notre vie. Je pense que, si ta pauvre tante était encore vivante, j’aurais cherché avec attention à me rendre le plus possible conforme à ses goûts, à ses tendances ; car, mon amour, tout ce qui t’appartient en quelque sorte, tous ceux qui t’aiment me sont chers presque comme s’ils étaient un reflet de toi [21] ».

 

Une autre fois, Maria tire même une leçon spirituelle :

 

« Crois-moi : le plus sage dans la vie est de supporter ces petites contrariétés, plutôt que de s’élever contre elles ; et puis, au fond, toutes ces minuscules et innombrables convenances sociales, qui constituent une grande part de la vie en société, tous ces sacrifices microscopiques qui nous coûtent, ne servent qu’à affiner sans cesse, à arrondir les angles de notre caractère, de manière bénéfique [22] ».

 

Comment Luigi reçoit-il cette leçon morale qui, de l’extérieur, pourrait sembler moralisante ou trop exigeante ? Il en reconnaît la profonde vérité, à savoir la nécessité qu’il a de sortir de lui-même. Il joint à cette humble reconnaissance le besoin d’être consolé : « J’accours vers toi comme un enfant se réfugie dans les bras de sa mère pour être consolé [23] ».

f) L’amour d’amitié est communion

Jusqu’ici, nous avons analysé la première note de l’amour d’amitié qui est la bienveillance. Sa deuxième note est la réciprocité. Autrement dit, l’amitié est un amour mutuel, autrement dit encore, une communion.

Maria fait une expérience si forte de la réciprocité qu’elle l’exprime spontanément dans la langue de la pudeur qu’est, pour elle, l’anglais : « I love you, I adore you, and that’s all ; no that is not all because to complete the phrase, I must add that you love me. Now it is all [Je t’aime, je t’adore et c’est tout. Non, ce n’est pas tout, pour compléter la phrase je dois ajouter que tu m’aimes. Cette fois c’est tout] [24] ».

Quand elle relit ses années de mariage, l’épouse fait mémoire de leur profonde communion conjugale :

 

« Nous avions tout en commun, dans un échange constant de valeurs effectives et affectives, avec une unique vie, faite des mêmes aspirations et des mêmes buts, dans un respect réciproque et un immense amour. Chaque moment de conversation, d’échanges, d’attentions mutuelles, de proximité avait une saveur de nouveauté. Au cours de ce presque demi-siècle de vie commune, je l’affirme devant Dieu, nous n’avons jamais connu un moment d’ennui, de satiété, de fatigue [25] ».

 

Sa communion avec Luigi est affective :

 

« Ils supportaient et même accueillaient à l’unisson [les épreuves], chacun faisant sienne la douleur de l’autre, ou bien unis sous le poids d’une souffrance commune et cherchant à se soutenir mutuellement. Même chose pour les déceptions, les contradictions, les injustices que les hommes – ceux-là même à qui il avait fait du bien – lui infligeaient pour toute reconnaissance de son mérite et de sa générosité. Il était toujours bienveillant, même envers les plus faux ou les plus méchants, partageant la douleur des autres avec une sympathie, une chaleur, qui le portaient à rechercher tous les moyens possibles pour la soulager, la secourir, lui venir en aide [26] ».

 

L’on notera d’ailleurs que cette compassion empathique s’étend bien au-delà du couple.

Encore davantage, la communion des époux Quattrocchi est effective :

 

« Mon saint amour, regarde quel pouvoir tu as sur mon âme […] Si tu savais comme cet amour est fort et puissant, comme il est fier de lui-même, lui qui est né spontanément et qui s’est manifesté à moi alors qu’il était déjà le maître de mon âme et alors que, même si ton amour ne m’avait pas aimée, je ne serais plus parvenue à m’en défendre [27] ».

 

Luigi décrit leur communion comme un échange de dons bienfaisants et de gratitude. Et cet échange se fait rythme :

 

« Comme je te suis reconnaissant pour le bien que me procure ton amour qui m’encourage pour la vie et pour ses luttes, car il représente pour moi l’unique but de la vie, du travail et de la lutte ! Tu as été ma fée bienfaisante, celle qui a sauvé mon âme du scepticisme, et en échange j’ai fait de toi la Madone que je vénère et que j’adore. Aime-moi toujours de cette manière, Maria, et tu trouveras toujours dans mon affection et ma dévotion le plus grand réconfort que l’amour d’un homme puisse donner, car je t’ai dédié et consacré toute ma vie. Je sens que ton amour me poussera toujours davantage à la bonté et à l’activité, car je trouverai toujours dans cet amour l’approbation la plus noble et la plus précieuse de chacun de mes efforts. Je rêve à une vie de travail et d’amour : me fatiguer dans le travail, et me reposer dans les joies de notre amour et de notre famille : voilà le rythme de vie auquel j’aspire, en puisant dans ton affection la force et le courage de supporter chaque douleur et de dépasser toute adversité. La réalisation de ce rêve dépend de toi [28] ».

 

Et cette communion se nourrit d’une gratitude réciproque. C’est ainsi que les époux Beltrame Quattrocchi se remercient souvent. En voici un exemple parmi tellement :

 

« Je n’ai pu faire autrement que de te comparer aux plus belles créations de Dieu […], en tout ce qui est beau, saint, divin, je vois quelque chose de toi ; j’ai presque l’impression que tout cela existe grâce à toi, mon amour […] Ma maman, vois-tu, est ce que la terre est pour les fleurs. Il fallait la chaleur du soleil, et ce fut ton amour saint et fort qui était nécessaire à ma vie. Et pour cela je te bénis et te suis reconnaissante, mon amour, et je ne pourrai pas oublier cette reconnaissance, pour toute l’éternité [29] ».

 

La conséquence de la communion amoureuse est l’harmonie : « Je chanterai après ma mort », répétait Raoul Follereau [30] ; et, de fait, il aimait chanter, de sa belle voix. Il chantait quand il était content ; et il chantait pour rendre heureux, les lépreux et d’abord Madeleine à la maison [31]. Selon sa devise : « Être heureux, c’est rendre les autres heureux. Vivre, c’est aider les autres à vivre [32] ».

g) Un amour qui complémentarité des sexes

La communion conjugale présente cette particularité d’être la plus hautement complémentaire : elle unit les deux sexes.

1’) Observation préliminaire

Avant d’entrer dans le détail des exemples, observons d’abord que ce concept de complémentarité n’est pas dénué d’ambiguïté [33]. Pour aller aussitôt à l’essentiel : il peut recouvrir une forme subtile de fusion ou d’utilitarisme. De fusion, parce qu’il soutient l’imagination d’une sorte d’emboîtement, tel que celui qui ajointe deux pièces de puzzle ou les corps dans l’union intime. D’utilitarisme, parce qu’il peut conduire à ce que l’échange de dons qu’est la communion s’avilit en un échange donnant-donnant : « Il est manuel, je suis relationnelle ». Un double signe permet de repérer cette instrumentalisation d’autrui d’autant plus méconnue qu’elle n’est jamais nommée, se met en place progressivement et comporte plein d’avantages secondaires. Primo, secrètement, une partie de nous compte ce que nous donnons et ce que l’autre donne ou plutôt ne donne pas en matière de services, de langage de l’amour, etc. Secundo, la tristesse de ne pas recevoir ou de ne pas communier (qui est totalement légitime) se transforme progressivement en amertume (qui est un sentiment ou plutôt un mélange de sentiments, tristesse, colère, découragement, culpabilité, etc., éminemment toxiques et souvent n’est pas repéré).

Pour le dire brutalement, et c’était davantage vrai autrefois, mais le demeure encore parfois aujourd’hui, si bien des épouses supportaient l’insupportable en matière de violence conjugale (en paroles ou en gestes), c’est parce qu’elles étaient insuffisamment indépendantes, par exemple financièrement, et donc trouvaient un bénéfice non négligeable à demeurer auprès de leur conjoint.

2’) Louis et Zélie Martin

Louis et Zélie Martin s’aident mutuellement à vivre dans l’abandon confiant entre les mains de Dieu. Par exemple, lorsque Zélie s’inquiète, ce qui arrive assez souvent, Louis la rassure : « Encore une fois, ne te tourmente pas tant [34] ». Mais, elle le lui rend aussi, lorsque Louis craint pour sa santé : « J’ai vu bien des fois mon mari se tourmenter à ce sujet pour moi, qui restais on ne peut plus tranquille ; je lui disais : “N’aie pas peur, le bon Dieu est avec nous” [35] ». Ainsi se soutiennent-ils mutuellement.

3’) Luigi et Maria Quattrochi

Luigi et Maria expriment leur besoin vital de l’autre, à la limite de la dépendance. Maria : « J’attendais la consolation d’une de tes lettres comme une pauvre affamée désire une bouchée de pain [36] ».

Il en est de même de Luigi, et ce qu’il ressent est tellement puissant qu’il passe automatiquement à l’anglais dont nous avons vu qu’il permet autant de se dérober à l’indiscrétion des autres que de se soustraire à sa propre pudeur : « How many times I told to you that without your love I am not a man, but a miserable thing without life. And I always think so. Certainly it is not a sign of strongness, but it is so : only your love can give to me the force of living [Combien de fois t’ai-je dit que sans ton amour je ne suis pas un homme mais une misérable chose sans vie. Et je le pense toujours. Ce n’est certainement pas un signe de force, mais c’est comme ça. Seul ton amour peut me donner la force de vivre] [37] ».

4’) Baudouin et Fabiola

« La reine a tenu indiscutablement une très grande place auprès du Roi [38] ».

Fabiola a raconté l’anecdote suivante :

 

« Un jour au cours d’une visite dans un hôpital, une malade lui a dit : ‘Madame, savez-vous pourquoi nous vous aimons tellement ?’ Sans attendre ma réponse, elle ajouta, ‘Madame, c’est parce que vous rendez le roi si heureux [39]‘ ! »

 

Par exemple, elle veille sur lui lors de son éprouvante pathologie cardiaque, la maladie de Barlow. Pour sa convalescence, en 1992, elle l’entourera de toute sa fraîcheur et de sa ferveur dans leur résidence espagnole, à Motril, en Andalousie.

La médiation de Fabiola dans la vie du roi Baudouin est telle que, dans l’allocution radiotélévisée qui suit l’annoncer de son décès, le Premier ministre a dit : « La reine […] a d’abord été un soutien merveilleux pour son mari pendant toute leur vie commune que les épreuves n’ont pas épargnée [40] ».

4’) Exemple de Raoul et Madeleine Follereau

Leur exemple, particulièrement riche, permet d’individuer, me semble-t-il, cinq manières différentes et… complémentaires de vivre cette complémentarité :

  1. Dans le couple Follereau, c’est Raoul qui parle, voire qui brille. Madeleine n’est en rien jalouse, mais se tient discrètement dans la salle, admirative pour l’éloquence et la puissance de conviction qui émane de son époux. Pour autant et à l’inverse, elle n’est pas à ce point enthousiaste qu’elle s’auto-exclut ou se place en position de seule réceptivité. Au contraire, elle écoute attentivement et le discours de son mari et les réactions du public, pour, une fois en tête-à-tête, multiplier les retours, faire ses observations et lui prodiguer des conseils – ce que Raoul attend et accueille avec gratitude. « Au fil des années s’est créée entre eux une complicité positive et silencieuse, sur laquelle Raoul s’appuie totalement. Il n’est pas rare que, de loin, pendant qu’il parle, elle lui fasse un petit signe qu’il comprend [41]».

Cela nous vaut une savoureuse anecdote racontée par Raoul lui-même [42]. En 1943, au théâtre municipal d’Annecy, il conquiert son public qui s’est déplacé massivement et parfois de loin, et les convainc d’aider les lépreux. Enthousiastes, éclatant en ovation à chaque phrase, les Savoyards sont autant touchés par les talents de l’orateur qui, comme toujours, parle debout et sans papier, que par le contenu de son propos qui, en ces temps déprimants de guerre, les invite enfin à une action patriotique positive, aider les plus exclus des plus exclus. Or, les organisateurs repèrent au premier rang du balcon une femme seule, habillée de noir, n’applaudissant jamais et néanmoins très attentive à chaque parole du conférencier. Quelqu’un prévient celui-ci en pleine conférence de ce comportement suspect : « C’est certainement une espionne à la solde de l’ennemi. Ne la perdez pas de vue ». Raoul lève les yeux et éclate de rire : « C’est ma femme ! Elle est toujours très effacée. Elle ne veut jamais qu’on la remarquer quand je parle en public ».

  1. Si Madeleine est précieuse en aval des conférences, elle l’est plus encore en amont :

 

« Un ami a dévoilé que pendant les quelques heures qui précèdent ses conférences, Raoul est souvent anxieux. Il a besoin de marcher longuement au bras de Madeleine. Ils sont seuls. Elle lui parle pour le détendre, mais lui dispense aussi les conseils et les suggestions qu’il lui demande. Elle a beau admirer chez lui des dons exceptionnels d’orateur, elle sent bien qu’il a toujours besoin d’elle avant d’affronter le public et d’être suffisamment persuasif pour obtenir des dons importants. Ce sont des moments où l’union de leur couple est particulièrement intense [43] ».

 

Ainsi, la parole de Raoul est comme enveloppée par l’amour de Madeleine. De même que l’enfant est procréé par son père et sa mère, de même l’extraordinaire fécondité de cet apostolat est bien le fruit conjoint et différencié des Follereau, mari et femme.

  1. Madeleine joue aussi un autre rôle : elle représente la France à l’étranger et donc on attend d’elle ce qu’on attend de notre pays : l’élégance et la courtoisie. Elle est par exemple habillée à la dernière mode parisienne. Elle séduit par son amabilité et sa culture. Par exemple, lorsque, en 1930, le ministère de l’Instruction publique confie au couple une mission importante, se rendre en Amérique latine et mesurer l’existence et, le cas échéant, l’impact de la langue et de la culture françaises, « la plupart du temps ils sont accueillis officiellement à l’égal de chefs d’État, comme s’ils étaient un couple présidentiel [44]». Leur voyage ne durera pas moins d’un an et demi. Ils y ont connu bien des aventures, ont failli mourir (lors de la traversée de la Cordillère des Andes, avec Jean Mermoz lui-même), Madeleine a manqué de périr d’une péritonite aiguë généralisée sur appendicite, lors de leur expédition sur le fleuve Amazone : « Les grandes joies et les difficultés vécues ensemble les ont rapprochés plus que jamais [45]».

D’ailleurs, ironie de la situation, ceux qui les accueillent et qui assurent cette présence de la langue et de la culture françaises sont les nombreuses communautés religieuses qui, expulsées hors de France depuis la promulgation des lois laïques en 1901, ont continué leur ministère notamment dans les nombreux pays catholiques qui constitue l’Amérique du Sud.

  1. Raoul est aussi celui qui prend des initiatives, parfois avec une folle audace. Par exemple, lorsque, sous l’Occupation, ils doivent s’enfuir et trouvent refuge dans la maison mère des sœurs de Notre-Dame-des-Apôtres à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise, ils sont accueillis par la supérieure générale, Mère Eugenia. Or, cette femme généreuse veut venir en aide aux lépreux dont la situation, par exemple sur l’ôle Désirée, au large d’Abidjan, la scandalise. Elle rêve de construire une véritable ville, à Adzopé, dans le même pays, où les victimes de la lèpre pourraient être heureux. Bien évidemment, quand les Follereau arrivent, la religieuse leur parle de son projet. Et, sans étonnement, ce qui lui manque, c’est l’argent. Raoul réagit avec sa générosité habituelle : « Qu’à cela ne tienne, je m’en charge ! » Madeleine le regarde avec perplexité : elle connaît l’audace compatissante de son mari ; elle sait aussi que son mari mise tout sur son très réel don d’orateur ; mais elle sait enfin qu’il est recherché par l’occupant et donc risque alors de se faire repérer.

Toutefois, d’abord elle sait que « Raoul est animé dans tout ce qu’il fait par les paroles du Christ », en particulier : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12,9). De plus, « elle sait aussi qu’elle sera à ses côtés avec toute sa fidélité et tout son amour ». Et Bernadette Chovelon y lit la présence de la grâce du sacrement de mariage : « Le ‘oui’ du couple, renouvelé d’un commun accord à chaque nouvel appel de Dieu, est pour eux la vocation du mariage chrétien, […] sans savoir sous quels cieux ce combat va les mener [46] ». De fait, en faveur d’Adzopé, son association de lutte contre la lèpre, il prononcera pas moins de 1 200 conférences en quelques mois, en 1947 dans toute la France [47]. Il irai jusqu’à parler à la Comédie Française, dans la salle Luxembourg, face à une salle bondée, lors d’une soirée présidée par Mgr Roncalli. Lors de ses conférences, toujours gratuites, Raoul Follereau met tout son talent rhétorique au service de la générosité, il stimule la charité des cœurs, avec un zèle impressionnant et une réussite indéniable, non moins qu’un véritable sens pratique : au terme des conférences, deux sœurs de Notre-Dame-des-Apôtres se tiennent à la sortie avec des valises vides où le public est invité à déposer tout ce qui’l veut, de l’argent jusqu’aux vêtements et les ustensiles de cuisine.

Superbe complémentarité des charismes fondée sur la confiance en Dieu et en l’autre, ainsi que sur le sacrement de mariage.

  1. Leur complémentarité se manifeste dans leur compassion. Certes, les deux conjoints éprouvent ensemble de la compassion, par exemple, lors d’une rencontre dans une léproserie malgache qui est un mouroir. La responsable leur dit sa joie, un enfant est né. La maman s’approche, son enfant allongé sur son ventre. Raoul prend le bébé, le berce et veut le redonner à la maman qui, étonnamment, détourne le regard. Alors la femme finit par écarter le drap : la lèpre a dévoré les bras, laissant deux moignons lui interdisant de caresser son enfant. Alors qu’elle se tait, elle se met à pleurer. Les Follereau aussi : « Alors, j’ai posé l’enfant contre elle, sans rien pouvoir dire. Puis je suis reparti. Et jamais je ne me suis senti aussi triste [48]».

Toutefois, Madeleine en présente un visage singulièrement important et rassurant. Raoul témoigne de l’amour et de la fécondité de son épouse avec une admiration symétrique à celle qu’elle manifeste à son égard :

 

« Ma femme était là, c’était un couple qui leur rendait visite. Et puis naturellement les enfants avaient moins peur d’une femme que d’un monsieur. Elle s’occupait des enfants. La voyant caressant les enfants, les mamans lépreuses sourianet, les hommes n’étaient pas loin. Et c’est ainsi que, en réalité, c’est en grande partie sa propre tendresse qui a permis cette réussite, c’est-à-dire ce climat de confiance, puis ce climat d’amitié et d’affection qui m’a entouré toute ma vie ; et c’est pour ça que des millions, je dis des millions de lépreux dans le monde l’appellent ‘Maman Madeleine’. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir pour elle une plus belle, une plus douce récompense que de voir ces pauvres gens les plus douloureux du monde, tendre vers elle des mains sans doigts, des bras sans mains, en disant : ‘maman Madeleine, nous t’aimons bien’ [49] ».

 

Un témoignage, souvent rapporté par Raoul, dit combien la compassion particulière de Madeleine a transformé un jeune garçon de 15 ans. Dépisté comme lépreux, il fut aussitôt non seulement exclu de son collège, mais de sa famille qui l’a expédié dans un dépotoir où se concentrent toutes les maladies de la région, syphilis, lupus, démences. Quand elle le voit, elle constate qu’il a perdu l’usage de la parole.

 

« Lorsqu’il essayait de dire un mot, sa pauvre gorge s’étranglait et la syllabe s’achevait et se noyait dans un long sanglot.

« Et c’est alors que Maman Madeleine est intervenu, c’est alors qu’elle a pris le petit enfant sur ses genoux et elle l’a bercé longtemps, elle l’a entouré de ses bras elle a fait de se bras comme une sorte de couveuse artificielle. Il a fallu qu’elle lui parle longtemps, longtemps et qu’elle l’embrasse longtemps pour qu’un premier sourire éclairât enfin la terrible nuit de ce petit visage.

« Ce qu’il en advint par la suite ? Nous l’emmenâmes à Adzopé, l’enfant fut guéri en moins d’un mois [50] ».

 

  1. En ces différentes complémentarités, il se dit quelque chose des polarités masculine et féminine, très présentes chez les Follereau : force et beauté, audace et sécurité, extériorité et intériorité, parole et geste d’amour, etc. « Pour les lépreux et peut-être encore davantage pour les lépreuses, la présence d’une femme représente une compréhension plus intime de leurs problèmes, un sourire, une tendresse maternelle, un partage. Raoul incarne la force d’une aide masculine officielle, déterminée, efficace [51]».

Il se dit aussi quelque chose de l’efficacité de la grâce sacramentelle qui est une grâce non pas seulement personnelle, mais d’abord interpersonnelle.

Il se dit enfin quelque chose de la communion féconde liée à la double présence de « Papa Raoul » et de « Maman Madeleine ». Nous pouvons donc conclure avec la biographe :

 

« La complémentarité de ce couple et l’amour qui visiblement les unit ont été leur force toute leur vie. Ils ont été aussi la source de leur fécondité spirituelle et humaine. Un couple uni et heureux qui continue à s’aimer malgré les années, qui est attelé à une mission commune au service des autres est un témoignage magnifique aux yeux de ceux qui les rencontrent [52] ».

h) L’amour surmonte les crises

Enfin, l’amour d’amitié en général se caractérise par sa convivialité, et l’amour d’amitié conjugal par sa capacité à durer ensemble en surmontant les crises. Ce qui ne signifie pas que ces couples se disputent. L’un de leurs points communs les plus frappants est justement leur refus de sombrer dans la dispute, et donc dans la violence (même si elle est seulement verbale). Plusieurs années après la mort de son père, Rosalia Jägerstätter, la fille aînée, se demandait à haute voix si elle se marierait un jour. Elle se souvient que sa mère lui a raconté que les couples mariés se disputent souvent. Elle lui a alors répondu : « Mais papa et toi, vous ne vous disputiez pas ».

1’) Exemple de Louis et Zélie Martin

Cet amour ne nie ni ne permet d’éviter les crises ou, plutôt, les frictions. C’est ainsi que, dans une lettre, on peut deviner entre les lignes, disons une conception différenciée de l’ordre dans la maison…

 

« Quand tu recevras cette lettre, je serai occupée à t’arranger ton établi ; il ne faudra pas te fâcher, je ne perdrai rien, même pas un vieux carré, pas un bout de ressort, enfin, rien, et puis ce sera bien propre dessus et dessous ! Tu ne diras pas que ‘j’ai seulement déplacé la poussière’, car il n’y en aura plus [53] ».

 

Comment Zélie affronte-t-elle ce léger différend ? 1. En disant la vérité : je range ton établi ! 2. En prévenant, ce qui ne manque pas de courage : elle avoue à l’avance pour qu’il puisse se préparer ; 3. En sécurisant et répondant au besoin de Louis : « je ne perdrai rien, même pas un vieux carré, pas un bout de ressort, enfin, rien » ; 4. En expliquant sa motivation positive : « ce sera bien propre dessus et dessous ! » ; 5. En ne dramatisant ni en ne minimisant ; 6. En lui adressant une demande implicite : « il ne faudra pas te fâcher » ; 7. Avec humour : « Tu ne diras pas que ‘j’ai seulement déplacé la poussière’, car il n’y en aura plus ». Belle leçon de vie !

D’ailleurs, on retrouve cet humour qui commence comme humilité et finit comme amour, dans deux piquantes anecdotes :

 

« Louis, pourtant voyageur aguerri, oublie un jour de descendre du train qui le ramène de Lisieux à Alençon avec ses filles, laissant sa femme l’attendre anxieusement avec un inutile déjeuner, qu’elle avait passé la matinée à préparer. La première contrariété passée, on s’empresse d’en rire en écrivant l’aventure à Isidore !

« Il leur arrive de se disputer sans que toutefois cela envenime leur relation, comme le montre l’anecdote suivante. Pauline, alors âgée de sept ans, entendant un jour le ton monter, s’approche de sa mère : « Maman, est-ce que c’est cela un mauvais ménage ? » Zélie éclate de rire et s’empresse de raconter à son mari, qui en rit à son tour, le bon mot qui devient dès lors une plaisanterie familiale [54] »

 

. Comme dans beaucoup de couples, le sujet majeur de désaccord concerne les enfants. Si, sur les lignes directrices de l’éducation, Louis et Zélie s’entendent parfaitement, leurs avis peuvent diverger quant aux menues décisions à prendre : Zélie emmène un jour le bébé Céline à Lisieux alors que Louis pense que c’est une « folie ». Lui-même renvoie Marie malade en pension contre l’avis de sa femme (ce qui provoque d’ailleurs une belle épidémie de rougeole dans toute l’école…). Les récits de Zélie ne portent pas trace de rancune de tout cela et mettent au contraire en lumière un bel équilibre.

 

On pourrait aussi s’interroger sur la manière dont Zélie gère certaines crises : elle semble manipuler son mari. Voyons le cas plus en détail.

2’) Exemple de Charles et Zita

Écrivant sur les heures dramatiques des Habsbourg, Paul Morand parle d’un « grand amour conjugal transi, contre quoi la misère et la mort ne pouvaient rien [55] ».

Charles et Zita n’ont jamais connu de dispute. Ah si, une ! Alors qu’ils sont fiancés, ils visitent un terrain d’aviation (ils sont tous deux passionnés par les avions). Reconnus, ils sont ovationnés. Zita ressent un malaise et « sur un ton emporté, elle explique à Charles que sa famille aussi avait été ovationnée, avant d’être chassée de ses États. […] Charles resta silencieuse », puis il répondit : « Je comprends ce que tu veux dire. Mais en Autriche, c’est différent. Je t’en prie, n’en parlons plus ». Et Jean Sévillia de commenter : « Ce fut la seule dispute qu’ils eurent jamais [56] ».

De plus, quand on sait combien les difficultés extérieures (par exemple, le décès d’un enfant) peuvent se transformer en divisions intestines (par projection, culpabilité, etc.), les monarques demeurent oujours unis dans la tourmente. Par exemple, lorsque les souverains, quittant la Hongrie, se retrouvent en Roumanie, le 6 novembre 1921, les autorités alliées proposent à Zita de repartir librement », sans l’empereur. Commentaire de Sévillia : « Abandonner Charles ? Impensable. L’impératrice continuera [57] ».

3’) Exemple de Maria et Luigi Quattrocchi

Les Quattrocchi usent volontiers d’humour. Par exemple, Maria écrit à Luigi : « Si tu ne viens pas tout de suite, tu me trouveras envolée [58] ». Ou bien :

 

« J’attends tes lettres avec impatience ; hier quand je suis rentrée à la maison […] quel cafard de ne pas avoir mon cher petit mari. J’aurais payé cher pour avoir au moins une rouspétance, mais au moins l’avoir avec moi et lui donner des tas de beaux baisers [59] ».

 

Ils utilisaient l’humour notamment pour désamorcer ou dédramatiser une tension entre eux. Par exemple, de Poggio Mirteto, donc éloignée de Luigi, Maria écrit :

 

« Monsieur mon mari, il me semble bien audacieux de votre part de m’accuser de laconisme, alors que vous en êtes réduit à m’écrire à onze heures et demi, et deux petites lignes seulement. Vous auriez pu trouver un quart d’heure à sacrifier à votre épouse durant la journée, avant ou après le déjeuner, peut-être chez les Mortera. Notre état de santé est inchangé, c’està-dire passable. J’espère qu’il en est de même pour vous et pour votre promenade à dos d’âne, je vous salue ainsi que votre collègue l’âne et vous assure que je suis votre dévouée Maria Beltrame Quattrocchi.

« P.S. : Papa a oublié de poster le courrier. Mais il m’a apporté les cinq cartes postales. Merci beaucoup de l’absence de lettre […] Salutations distinguées et pincements de cœur. Maria [60] ».

 

Mais l’humour – et, plus encore, l’ironie – ne peut-il pas être blessant ? Non, lorsqu’il fait jaillir la vérité et qu’il est conduit par l’amour : « Dans ta lettre il y avait de l’ironie et de l’affection, et celle-là sautait aux yeux, coquine et impertinente, sans que celle-ci réussisse à la laisser en arrière, et du reste l’une était sincère […] tout comme l’autre [61] ».

4’) Exemple d’Élisabeth et Félix Leseur
a’) Son intention : libérer Élisabeth de la foi

Mais le plus bel exemple en est donné, assurément, par Élisabeth Leseur. Elle, très profondément chrétienne, en même temps que très amoureuse de son mari, elle découvre seulement la veille de son mariage, que celui-ci a renié la foi de sa famille très catholique. Quel choc ! Plus encore, elle apprend qu’il lui a caché à elle et à sa famille son agnosticisme, d’autant plus difficile à connaître qu’il l’accompagne à la messe et en garde toutes les apparents extérieures. Et n’allons pas accuser Félix d’hypocrisie et, encore moins, de manipulation. Le jeune homme, qui est lui aussi intensément amoureux et généreux, agit ainsi pour deux raisons : d’abord, pour ne pas faire souffrir ceux qu’il aime, parents et future épouse ; ensuite, il est convaincue que cette jeune fille naïvement chrétienne est le jouet de son éducation et que, comme lui et aussi par lui, elle quittera bientôt sa foi, croyance et crédulité, qui n’est qu’un refuge pour les faibles et les ignorants ! Enfin, pour être agnostique, Félix est un humaniste altruiste. Voilà pourquoi il souhaitera devenir médecin et embrasser une carrière coloniale, certes, parce qu’il est passionné de voyages (comme les Follereau !), attiré par les récits d’explorateurs depuis l’âge de dix ans, mais aussi parce qu’il désire ardemment soigner les populations indigènes affligées de maladies endémiques et leur apporter les bienfaits de la médecine française.

Sans rentrer dans tout le détail d’une vie désormais largement connue par de nombreux écrits, Élisabeth a donc dû subir non seulement l’agnosticisme de son mari, mais aussi son prosélytisme. En effet, Félix fréquente tout un cercle d’amis anticléricaux et lui-même travaille dans cette ambiance. Par exemple, en 1892, jeune marié, il est embauché comme journaliste à la République française, un quotidien politique à gros tirage, qui « affiche les plus fortes tendances anticléricales de France [62] » ! Il y a encore plus : le militantisme de Félix se tourne contre son épouse qu’il souhaite faire une femme « libérée », comme on le disait à l’époque.

Voici comment, rétrospectivement, Félix résume cette posture qu’il définit lui-même comme « antireligieuse » et qui se rencontre si souvent sous la iiie République :

 

« J’avais commencé cette lutte détestable contre ses croyances, de façon sourde et insidieuse d’abord, lutte que je devais mener ouvertement et activement dans les années suivantes, notamment en 1896, 1897. Au moment de notre mariage, je m’étais déclaré très respectueux de la foi et de la religion catholiques, et j’accompagnais même quelquefois Élisabeth à la messe. Mais c’était tout. Je ne pratiquais pas. À vrai dire, je n’attachais aucune importance à des convictions que je partageais pas et qui me laissaient parfaitement indifférents. Pourquoi ai-je changé d’attitude ? Comment avais-je perdu le sens religieux et étais-je devenu de sceptique, antireligieux ? […] Avec la tournure de mon esprit, je métais appliqué à chercher des motifs d’incrédulité, comme un vrai chrétien recherche ses raisons de croire. L’histoire des religions m’a toujours intéressé et je puisais dans l’exégèse de combat, des armes contre le catholicisme que j’avais appris à détester. J’étais exclusivement nourri de tous les adversaies de l’Église et des écrivains modernes : Strauss, Havet, Renan, Sabatier, Réville, Loisy, Houtin et autres. Je m’étais constitué une abondante bibliothèque d’ouvrages protestants, modernistes et rationalistes, et j’étais féru de ces systèmes négateurs Si, au début de mon mariage, j’accompagnais quelquefois Élisabeth à la messe, très vite, j’arrivais à supporter impatiemment à mes côtés des convictions autres que mes négations. La neutralité est un mythe ou une duperie [63] ».

 

Précisons son attitude plus particulière à l’égard d’Élisabeth. Là aussi, Félix la décrit a posteriori :

 

« Je pris Élisabeth pour objet de mon prosélytisme à rebours, insidieusement d’abord, mais peu à peu avec plus de netteté. Pendant les premières années, je n’obtins aucun résultat ; la formation religieuse exceptionnelle de son enfance était encore trop vivace ; mais, vers la fin de 1896, et le commencement de 1897, j’arrivai à éveiller certains doutes qui se précisèrent [64] ».

b’) Première étape : lui faire abandonner la pratique

Le plus grand succès de Félix fut d’arriver à ce que, temporairement, Élisabeth soit à ce point ébranlée qu’elle ne pratiquât plus, qu’elle ne vînt plus à la messe dominicale. D’abord, au point de départ, Élisabeth est tellement emportée par le tourbillon d’activités qu’elle n’a plus le temps, et bientôt plus le désir, d’aller à la messe et de prier longuement. Par exemple, elle se rend aux Grands magasins, au Bon marché ou au Printemps pour y acheter les tissus, passementeries et autres accessoires afin d’embellir chaque pièce de leur appartement parisien. Elle consacre tout son temps et toute son énergie à transformer ce lieu en un hâvre de paix où Félix se sent accueilli, aimé et peut accueillir ses amis (d’ailleurs en grande majorité anticléricaux virulents).

Mais les occupations d’Élisabeth sont, plus encore, intellectuelles. D’abord, elle se met au latin : pour des raisons non point religieuses, mais philologiques : cette langue « morte » est la source de la nôtre. Félix la pousse, y voyant une occasion d’accaparer l’esprit de son épouse et d’ainsi la détourner de la foi. De fait, Élisabeth suivra des cours particuliers, progressera rapidement et en deux ans, maîtrisera si bien le latin classique qu’elle pourra donner des leçons de latin à son neveu. Ensuite, en 1895, Paris vit à l’heure russe, du fait de la construction des chemins de fer russes, de l’immigration d’intellectuels russes à Paris et des traductions de la littérature russe (Dostoïevski, Tolstoï, Tourgueniev, Pouchkine, Gorki). Mais comme ces traductions sont très inégales, Élisabeth émet le désir de pouvoir s’abreuver à la source. Félix y voit aussitôt une nouvelle occasion de détourner son épouse de cette religion infantilisante et l’encourage vivement. De fait, grâce à son assiduité et son excellente mémoire, Élisabeth apprendra à lire les caractères cyrilliques et même à s’exprimer en russe en moins de deux années. Ce qui suscite non seulement l’admiration de son époux, mais des invitations : c’est ainsi qu’Élisabeth a failli s’adresser à Alexandra, l’impératrice de Russie quand, lors de la venue officielle à Paris du jeune tsar Nicolas II et de son épouse, en 1896, pour la pose de la première pierre du plus beau pont de Paris, qui portera le nom de son père récemment décédé : le pont Alexandre III. Mais, au dernier moment, le Conseil des ministres a décidé d’annuler ce speech qui, de l’aveu même d’Élisabeth l’« aurait amusée [65] ».

Enfin, Félix multiplie les voyages. Et, là encore, son intention est claire : elle désire non seulement détourner son attention de la foi, plus encore, la séculariser. Là où Élisabeth discernait une attestation de Dieu, par exemple dans le témoignage des martyrs, elle ne voit plus qu’un fait de culture. Ainsi, à Carthage en Tunisie, il triomphe :

 

« De Carthage, elle ne voit que le côté pittoresque. Même lorsqu’elle évoque le souvenir de saint Louis et celui des martyrs de l’amphithéâtre, elle le fait de façon pour ainsi dire anedotique. Saint Augustin, saint Cyprien sont, on le dirait, absents de sa mémoire et ces lieux qui jouèrent un si grand rôle dans l’histoire de l’Église ne lui inspirent aucune élévation. C’est que son esprit, sous ma pression continue ‘s’éclairait’ comme je le désirais et se transformait [66] ».

 

Machiavélique ? Oui, pour nous, croyants, en sa fin et en son inspiration ultime qui est diabolique. Mais non en son intention immédiate, pour les raisons que nous avons dites : la conviction inébranlable que son épouse est enfermée dans l’infantilisation de la foi ; le désir aimant de la libérer de cette aliénation. Et, d’ailleurs, il remplace les « pseudo-vérités » de la foi par la culture réelle en laquelle ils communient. De fait, à Bayreuth, ils connaissent un moment d’intense émotion en vivant et vibrant ensemble à l’écoute – deux fois de suite ! – de l’ensemble de la Tétralogie de Wagner, Parsifal en plus : « Pendant quelques heures, nous avons vécu dans un rêve, auquel il nous a semblé dur de nous arracher. Tout ce qu’il y a de meilleur en nous a été remué [67] ».

Quoi qu’il en soit, Félix a atteint son objectif. Il triomphe :

 

« À ce moment-là, je gagnais la misérable partie que j’avais engagée contre ses croyances. L’absence de recueillement, la mondanité, les lectures que je lui faisais faire, l’influence du milieu où je la faisais vivre, avaient fortement ébranlé sa foi ; elle cessa de pratiquer, et sa famille, témoin de ce désastre intime, en était désolée [68] ».

 

Il faut tout de même ajouter deux motivations qui ne sont guère nobles : d’abord l’égoïsme, car il désire avant tout pouvoir partager tout avec sa femme ; ensuite, l’orgueil, car il ne supporte, notamment vis-à-vis de ses amis, que sa femme si intelligence et si cultivée, adhère à ces archaïsmes que sont les croyances bibliques ; enfin, la jalousie, car il trouve insupportable que sa femme puisse trouver son bonheur hors de lui.

c’) Seconde étape : lui faire abandonner la pratique

Une fois arrachée à la pratique de sa foi, Élisabeth devient une proie facile. Maintenant, Félix va s’attaquer au fondement de la foi pour déraciner les raisons même de croire. L’occasion lui en est offerte par une demande de son épouse. N’ayant plus rien d’intéressant à lire, elle demande conseil à son mari ; plus encore, elle lui demande de choisir un livre qu’il aime particulièrement. Elle est donc toujours mue par la plus altruiste des motivations : partager avec celui qu’elle aime ses centres d’intérêt, et ses centres les plus profonds qui sont d’ordre intellectuel.

Félix jubile : il n’en demandait pas tant. Il va chercher un des ouvrages les plus en vogue à son époque, l’un aussi qui a le plus fortement attaquer le christianisme : un livre de Renan. Cet ancien séminariste cherche à saper ce qu’il y a de plus précieux dans la foi chrétienne. Avec la rigueur qu’on lui connaît, Élisabeth dévore d’abord les multiples volumes des Origines du christianisme, puis La vie de Jésus. Elle découvre la hargne avec laquelle le voltairien Renan s’attaque en particulier à Jésus qu’il accuse d’orgueilleusement s’attribuer le titre de Fils de Dieu.

Derrière cet Attila de la foi, plus rien ne peut repousser ! Voilà ce qu’espère Félix.

 

Or, c’est au moment où tout semble perdu que tout va être sauvé.

 

« En effet, Renan la fait réfléchir et même beaucoup réfléchir. Mais pas dans le sens que son mari souhaitait. Elle comprend bien l’argumentation de l’ancien séminariste ; elle l’analyse intelligemment en essayant de saisir le fond de sa pensée et d’étudier les documents falsifiés sur lesquels il s’appuie souvent. À mesure qu’elle avance dans cette longue étude, elle découvre la fragilité de ses arguments et réfléchit sur la manière de les réfuter, rien que pour elle, pour ses propres convictions [69] ».

 

Comment comprendre ce renversement ? D’abord, ne l’oublions pas, Renan est un rhéteur qui fascine par la magie de son verbe. Autant il est brillant, autant il est superficiel. Ensuite, n’oublions pas qu’elle s’est formée à la philosophie. Même si cela fait des années qu’elle s’est détournée de la foi vers des lectures profanes qui la nourrissent, elle a aussi appris à penser par elle-même et elle va critiquer, point par point tous les arguments (au fond, très fragiles) de Renan.

 

« Avec son intelligence hors ligne et très équilibrée, son jugement sûr, son extrême bon sens, sa forte culture, elle ne fut pas abusée par la magie des mots, mais, au contraire, frappée par l’indigence du fond. Elle perçut rapidement le perpétuel balancement, la fragilité des hypothèses contestables et souvent contradictoires, le caractère artificiel et le manque de sincérité qui se rencontrent à chaque détour de cet ouvrage. Elle voulut contrôler les assertions du sophistes ; elle se reporta aux sources ; elle revint tout d’abord à l’Évangile, et c’en fut fait de mon œuvre criminelle [70] ».

 

Par ailleurs, avec la persévérance qui la caractérise, elle va beaucoup lire : des ouvrages d’apologétique (notamment ceux du père Gratry qui est un profond pourfendeur du positivisme qui règne au xixe siècle et sur l’esprit libre penseur de son mari [71]), de théologie (par exemple, Robert Hugues Benson, Le Christ dans l’Église), de témoignages de Saints et de convertis. Ajoutons à ce propos que les bibliothèques

Puis, le christianisme est une religion paradoxale. Et le paradoxe des paradoxes est la Croix : ainsi que l’énonce la parabole du grain de blé tombé en terre (cf. Jn 12,24), lorsque tout est perdu, mort, enfoui au secret de la terre, alors que tout est gagné, vivant, prépare la plus imprévisible des résurrections.

Enfin, souvenons-nous que la motivation d’Élisabeth est toujours demeurée élevée (généreuse) et pure : ici, plaire à son mari. Et de ce germe de charité, tout peut renaître. En réalité, par cet amour et cette longue pratique de la foi durant son enfance et sa jeunesse, la foi s’est enkystée, mais ne s’est pas dissoute. C’est au fond ce qu’elle exprime dans cette réflexion d’une grande richesse anthropologique :

 

« Lu avec intérêt Les Sources du père Gratry, et maintenant un autre volume de lui où je rencontre bien souvent mes pensées. Elles sortent ainsi du fond de moi-même jusqu’à la surface, puis retournent aux profondeurs d’où il leur faut ensuite, transformées par Dieu, jaillir en actes et en paroles vivantes ».

d’) L’absence de dispute

Plus encore que sur sa courageuse et très lucide perspicacité, c’est sur son humilité et son amour qu’Élisabeth apparaît admirable.

  1. D’abord, elle ne dit rien de son retour à la foi. Ensuite, elle ne se venge pas en dénonçant les manœuvres au fond peu glorieuses de Félix. Elle ne veut pas non plus triompher en montrant qu’il a échoué en tout. Elle ne ferait que l’humilier. Puis, elle ne cherche surtout pas à argumenter. Elle sait que cela ne pourra conduire qu’à des discussions sans fin, puis à des disputes sans fond.
  2. Mais il y a davantage. Il va lui falloir renoncer très coûteusement à plusieurs désirs fondamentaux. D’abord, celui de faire retraite : « J’ai eu pendant quelques jours, soif de retraite, de calme, un ardent désir d’aller tout près de la nature […] et là de prier, travailler, méditer dans la solitude ou tout au moins (car Félix est toujours de ma solitude) avec quelques cœurs amis qui me laisseraient de temps à moi-même et à Dieu [72]».

Ensuite, celui de pouvoir partager son chemin, sa foi, ou du moins les souffrances qu’elle porte. C’est ainsi que, à son retour de Rome en septembre 1903, Élisabeth n’ose se confier à son époux pour ne pas l’inquiéter, éprouve pour la première fois le besoin de s’épancher sur la gravité invalidante de sa maladie et, pour cela, écrit à madame Duvent, une jeune femme en qui elle a confiance [73].

Plus encore, celui de communier : « Mon Dieu, me donnerez-vous un jour cette joie de la solitude à deux, unis dans une même prière une même foi et un même amour ? Pour le moment, chassons ces pensées. Dieu veut de moi autre chose et, quand je veux médier, ma solitude est tout intérieure [74] ». Quel « douloureux sacrifice que celui de ma grande solitude d’âme [75] » ! Et, loin d’être égocentré, ce désir naît du don, par conséquent, de l’amour : « Passer sans cesse à côté d’êtres chers sans pouvoir entrouvrir un instant son âme, sans rien donner de son être intime, c’est une souffrance bien intense [76] ».

  1. Enfin, le plus profond réside sans doute dans l’offrande de soi. De fait, Félix voit bien qu’Élisabeth a changé et, même s’il l’aime profondément, il lui arrive de railler celle dont il voit bien qu’elle a changé, et cela jusque devant ses amis, en la surnommant ironiquement « madame Péchin », nom d’une bigote que, dans un de ses romans, Anatole France gausse pour sa foi dans la vie éternelle ; pire, il invite ses amis le vendredi, obligeant sa femme à leur servir de la viande ; voire, il parle avec mépris de ses activités charitables. Ces méchancetés multipliées doublées d’humiliations atteignent ce qui est le plus cher à Élisabeth. Avec héroïsme, elle répond à la violence par la douceur, à la parole par le silence, assurée qu’un jour, l’époux qu’elle n’a jamais autant aimé d’agapè reviendra à Dieu. En changeant en elle, par sa coopération avec Dieu, la méchanceté en bonté, elle prépare l’action par laquelle Dieu changera, hors d’elle, le cœur de son époux. D’ailleurs, cette attitude à l’égard de son mari, elle l’adopte aussi à l’égard de ses amis qui, redisons-le, sont eux de même presque toujours athées :

 

« Beaucoup causé et discuté avec de chers amis qui ne croient pas. J’aime plus que d’autres ces êtres que la lumière divine n’éclaire pas ou plutôt qu’elle éclaire d’une façon que nous ignorons, pauvres petits esprits que nous sommes. Il y a un voile entre de telles âmes et Dieu, un voile qui laisse seulement passer quelques rayons d’amour et de beauté. Dieu seul peut, de son geste divin, écarter ce voile ; alors la vraie vie commencera pour ces âmes. Et moi qui vaux si peu pourtant, je crois à la puissance des prières que je fais sans cesse pour ces âmes chères [77] ».

 

Ces quelques lignes lumineuses résument toute l’admirable attitude d’Élisabeth qui n’est pas sans rappeler celle que dicte le pape François dans son interview début janvier 2020 : amour (« ces âmes chères ») et l’amour d’élection de l’incroyant (« J’aime plus que d’autres ces êtres ») ; humilité (« pauvres petits esprits que nous sommes » ; « moi qui vaux si peu ») ; foi confiante que Dieu ne cesse d’agir en eux (« la lumière divine […] éclaire [ces esprits] d’une façon que nous ignorons »), ce qu’elle exprime dans la métaphore du voile versus celle de la cécité ; certitude que seul Dieu a l’initiative (« Dieu seul peut, de son geste divin, écarter ce voile ») ; l’espérance qui s’incarne dans « la puissance » de la prière et, plus encore, dans la persévérance (« sans cesse »), donc dans la supplication.

 

Plus encore, en avril 1900, un nouveau long voyage par l’Espagne jusqu’à Tanger et un splendide désert, va devenir pour Élisabeth une retraite où, totalement à l’insu de Félix, se produit une rencontre décisive avec le bon Dieu ou plutôt une sorte d’admirabile commercium (« admirable échange ») :

 

« Après un voyage de cinq semaines en Espagne Pendant ce voyage, j’ai beaucoup pensé et prié et j’ai vu clair en moi et dans ma vie. Cette vie, je l’ai consacrée à Dieu ; je me suis donnée à lui dans un élan de tout mon être ; j’ai ardemment prié pour ceux que j’aime, pour celui que j’aime par-dessus tout », c’est-à-dire, bien entendu, Félix. « Il y a autour de moi beaucoup d’âmes que j’aime profondément, et j’ai une grande tâche à remplir auprès d’elles. Beaucoup ignorent Dieu ou le connaissent mal. Ce n’est ni en polémiquant ni en discourant que je pourrai leur faire connaître ce qu’Il est pour l’âme humaine. Par la sérénité et la force que je veux acquérir, je prouverai que la vie chrétienne est belle et grande et qu’elle apporte la joie avec elle [78] ».

 

Commentons ce moment si important. Il s’agit d’une sorte d’effusion de l’Esprit, qui la réconcilie définitivement après ces années d’éloignement, comme si Dieu se réconciliait avec elle pour toujours. De plus, alors qu’elle ne peut échanger avec aucun père spirituel ou ami de cœur ce qu’elle vit, Dieu lui parle directement, comme il fait avec la petite Thérèse. Enfin, dans son immense générosité, il la bénit avec surabondance : elle comprend qu’elle a une mission auprès des incroyants. Si je puis dire, elle, la femme stérile, y trouve une très singulière fécondité.

Plus encore, Dieu lui donne progressivement de dessiner les grandes lignes d’une attitude missionnaire. Chaque mot mériterait un commentaire :

 

« Aller de plus en plus aux âmes et les aborder avec respect et délicatesse, les toucher avec amour. Chercher toujours à ‘comprendre’ tout et tous. Ne pas discuter, agir surtout par le contact, par l’exemple ; dissiper les préjugés, montrer Dieu et Le faire sentir sans parler de Lui ; aimer sans se lasser malgré les déceptions et l’indifférence [79] ».

 

Enfin, toutes ces attitudes, loin d’être spiritualisantes ou volontaristes, n’éteignent en rien l’amour et l’admiration qu’Élisabeth éprouve à l’égard de Félix. C’est ainsi qu’elle écrit à sa mère : « Quelques bonnes journées de joie, causé par un cadeau de Félix, et plus encore par le mot qui l’accompagnait, mot si plein d’amour que j’en suis remuée et heureuse. Je ne mérite pas d’être aimée ainsi, mais j’en jouis bien pleinement [80] ».

e’) La générosité de Félix

Il faut aussi bien comprendre que le jeune et brillant anticlérical demeure un homme non seulement très amoureux de sa femme, mais aussi généreux. Par exemple, en 1894, le ministre des colonies, Théophile Delcassé le nomme membre du conseil supérieur des colonies : enfin, son rêve colonial dont on a vu qu’il remonte à l’âge de 10 ans, va pouvoir se concrétiser ! Mais aussitôt bien des objections vont se lever : ce poste suppose une résidence dans une colonie lointaine ; or, la santé d’Élisabeth est fragile et requiert des dispositifs hospitaliers et des médecins compétents inexistants à l’autre bout du monde. De plus, madame Arrighi est veuve et, surtout à l’époque, ne peut imaginer être séparée de sa fille bien-aimée.

Or, non sans de longues conversations avec sa belle-famille, Félix finit par consentir à renoncer à cette nomination. Cet immense sacrifice est aussi une immense preuve d’amour à l’égard d’Élisabeth. D’ailleurs, sa belle-famille en a tellement conscience qu’elle se sent redevable et lui proposera, par la médiation de l’oncle d’Élisabeth, un poste très envié : la direction d’une prestigieuse et très rémunératrice compagnie d’assurance sur la vie (encore un troisième métier !) : Le Conservateur.

Un autre exemple montre l’amour plein de bonté de Félix à l’égard de son épouse. Juliette, la jeune sœur d’Élisabeth, est aussi sa confidente depuis longtemps (notamment de son hostilité à l’égard de la foi et de son ironie). Or, en 1904, alors qu’elle a 32 ans, lui est diagnostiquée une tuerculose pulmonaire avancée. Aucun médicament, aucun sanatorium ne parvient à l’éradiquer. Élisabeth en est profondément affectée – « Elle est pour moi à la fois une enfant, une amie et une sœur, l’être qu’avec Félix et maman j’aime plus que tout [81] » – et Félix, qui nourrit une réelle affection pour sa belle-sœur, la console en lui offre un petit bureau pour que son épouse, qui a besoin d’écrire à l’abri de son regard, puisse le faire. Il accompagne son cadeau d’un petit mot plein de tendresse.

Cette bonté de Félix doit être soulignée pour la vérité des faits, mais aussi pour prévenir une objection. Si Félix est maladroit et manipulateur jusqu’à être ironique et méchant, néanmoins il n’est jamais destructeur. Et il aurait été très périlleux pour Élisabeth d’autant se donner si, bien qu’égoïste et conscient de sa valeur, son époux avait été une personnalité narcissique.

i) L’amour demande pardon

Une crise ne se surmonte définitivement que si le couple se pardonne. Nous en avons déjà vu quelques exemples. En voici d’autres.

De Catane, Luigi écrit à Maria et lui demande pardon :

 

« Songe que si je te trouve l’air abattu, cela me met dans tous mes états, comme mercredi matin et peut-être pis encore. Si tu savais combien de fois j’ai regretté cette sortie où je suis parti d’une si vilaine manière, mais tu m’auras déjà pardonné n’est-ce pas ? Je suis sûr que je trouverai dans ta lettre d’aujourd’hui tant de bonnes choses affectueuses qui me feront du bien [82] ».

 

Après sa conversion, Cyprien doit demander pardon à Daphrose pour ses multiples infidélités et aussi pour l’avoir constamment comparée à Xavérine, la belle fiancée assassinée en 1963 [83]. Renata, une des sœurs Benebikira (« les enfants de Marie ») dont Daphrose est très proche, depuis l’époque où elle vivait, enfant, dans leur couvent, raconte ce pardon.

 

« Je me rappelle qu’un soir, nous étions rassemblés, avec des religieuses, des prêtres et quelques autres personnes. Rugamba est venu au milieu de nous, s’est mis à genoux et a dit : « J’ai la chance de vous trouver rassemblés. Je viens demander pardon pour mes péchés. J’ai été infidèle envers Daphrose. » Alors, Daphrose s’est mise à genoux, devant les yeux ébahis de ceux qui les entouraient, et a murmuré : « Mais, Rugamba, en vérité, je t’ai pardonné. Moi aussi j’ai sûrement été fautive envers toi, mais Dieu nous a tous pardonné ! » Plus tard, j’ai demandé à Cyprien : « Qu’as-tu fait, là ? » Il m’a répondu : « Toi, tu savais que j’étais un infidèle, mais les autres avec qui tu es, ils me voient comme un saint. Je voulais leur montrer que je suis un pécheur et j’ai demandé pardon. » Ce que je raconte, je ne l’ai pas entendu dire par les autres, je l’ai vu de mes yeux [84] ».

 

Cyprien prend aussi l’habitude d’aller se confesser avec Daphrose et avec leurs enfants une fois par semaine, le samedi après-midi. Parfois, la famille invite aussi un prêtre pour manger, prier, puis confesser chacun à tour de rôle.

Pascal Ide

[1] Raconté par Bernadette Chovelon, Baudouin et Fabiola, p. 84-85.

[2] Cité par Cardinal Léon Joseph Suenens, Le Roi Baudouin, p. 66.

[3] Radiographie d’un mariage, p. 18-19. Le texte avait d’abord paru sous le titre : La Chaîne et la Trame.

[4] Cf. Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 8 juillet 1905.

[5] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 27. 02. 10.

[6] Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 16 août 09.

[7] Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 3 août 09.

[8] Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 31 juillet 1905.

[9] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 2 août 1905.

[10] Cf. Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 1er août 1905.

[11] Cf. Frédéric, Lettre à Amélie, décembre 1842, Correspondance Frédéric Ozanam et Amélie Soulacroix, p. 244 ; Lettres, tome 2, n° 466, p. 406.

[12] Correspondance Frédéric Ozanam et Amélie Soulacroix, p. 774.

[13] Zélie Martin, À sa fille Pauline 3 novembre 1876, CF 172.

[14] Zélie Martin, À sa fille Pauline, 4 mars 1877, CF 192.

[15] Ibid.

[16] Zélie Martin, À Isidore Guérin, 23 avril 1865, CF 13

[17] Zélie Martin, À Isidore Guérin, 1er janvier 1863, CF 1.

[18] Cf. saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 33, a. 1.

[19] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 23 août 1909.

[20] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 2 mars 1910.

[21] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 1905.

[22] Cette lettre prouve la capacité de Maria à aider Luigi dans son chemin vers la perfection, mais plus généralement son accueil bienveillant de la correction fraternelle, qui a certainement dû être réciproque et a dû concerner les différents aspects de la vie.

[23] Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 7 août 1905.

[24] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 8 juillet 1905.

[25] Radiographie d’un mariage, 17.

[26] Radiographie d’un mariage, p. 16.

[27] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 5 août 1905.

[28] Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 29 juillet 1905.

[29] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 6 août 1905.

[30] Cf. Raoul Follereau, Je chanterai après ma mort. Écrits posthumes et entretiens radiophoniques, Madeleine Follereau et Françoise Brunnschweiler (éds.), Lausanne, Association suisse Raoul Follereau, 1982.

[31] Cf. Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau. L’itinéraire spirituel d’un couple, Perpignan, Éd. Artège, 2019, p. 234.

[32] Cité Ibid., p. 23. Par exemple Raoul Follereau, Le livre d’amour, p. 58.

[33] Cf. Jacques Gauthier, Les défis du jeune couple. Vivre heureux en couple, « Guide Totus », Paris, Le Sarment-Fayard, 1991, p. 28-30.

[34] Louis Martin, À Mme Martin, 8 octobre 1863, Lettre 2 bis.

[35] Zélie Martin, À sa belle-sœur, 5 mai 1871, Lettre 65.

[36] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 28 juillet 1905.

[37] Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 8 août 05

[38] Philippe Verhaegen, Une vie au souffle de l’Esprit, Éd. Racine, 1995, p.

[39] Cardinal Léon Joseph Suenens, Souvenirs et espérance, Paris, Fayard, 1991, p. 303.

[40] Cité par Bernadette Chovelon, Baudouin et Fabiola, p. 191.

[41] Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau, p. 138.

[42] Françoise Brunnschweiler, Raoul Follereau, p. 30.

[43] Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau, p. 138.

[44] Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau, p. 72.

[45] Ibid., p. 79.

[46] Ibid., p. 121.

[47] Chiffre dans Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau, p. 125.

[48] Raoul Follereau, Trente fois le tour du monde, p. 32.

[49] Est-ce Raoul Follereau, La seule vérité, c’est de s’aimer, tome 2, p. 10-19 ? Cité par Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau, p. 150-151.

[50] Raoul Follereau, Émission radiodiffusée, 20 juin 1975. Citée par Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau, p. 151-152.

[51] Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau, p. 184.

[52] Bernadette Chovelon, Raoul et Madeleine Follereau, p. 184.

[53] Zélie Martin, À M. Martin, en voyage d’affaires (1869), CF 46.

[54] Hélène Mongin, Louis et Zélie Martin. Les saints de l’ordinaire, Paris, Presses de la Renaissance, 2008, 22015, p. 37.

[55] Paul Morand, La dame blanche des Habsbourg, Paris, Robert Laffont, 1963.

[56] Jean Sévillia, Zita, p. 37-38.

[57] Jean Sévillia, Zita, p. 189.

[58] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 25 août 1909.

[59] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 24 février 1910.

[60] Maria Beltrame Quattrocchi, Lettre à Luigi, 22 août 1910.

[61] Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 13 juillet 1905.

[62] Bernadette Chovelon, Élisabeth et Félix Leseur, p. 50.

[63] Élisabeth Leseur, Lettres à des incroyants, Paris, J. de Gigord, 1923, p. 108.

[64] Félix Leseur, Vie d’Élisabeth Leseur, p. 108.

[65] Ibid., p. 115.

[66] Ibid., p. 121.

[67] Ibid., p. 123.

[68] Ibid., p. 125.

[69] Bernadette Chovelon, Élisabeth et Félix Leseur, p. 85.

[70] Félix Leseur, Vie d’Élisabeth Leseur, p. 125.

[71] Élisabeth Leseur, Journal et pensées de chaque jour, p. 90.

[72] Ibid., p. 92.

[73] Élisabeth Leseur, Lettre du 3 septembre 1903, citée dans Félix Leseur, Vie d’Élisabeth Leseur, p. 164.

[74] Élisabeth Leseur, Journal et pensées de chaque jour, p. 92.

[75] Ibid., p. 111.

[76] Ibid.

[77] Ibid., p. 88.

[78] Ibid., p. 86.

[79] Ibid., p. 109.

[80] Cité par Bernadette Chovelon, Élisabeth et Félix Leseur, p. 98.

[81] Élisabeth Leseur, Journal et pensées de chaque jour, p. 109.

[82] Luigi Beltrame Quattrocchi, Lettre à Maria, 13 août 1909, 2.

[83] Cyprien doit d’ailleurs aussi faire le deuil de Xavérine, ce qui est un long et douloureux chemin. C’est-à-dire choisir Daphrose.

[84] Amaury Guillem, Cyprien et Daphrose Rugamba, p. 113.

4.3.2020
 

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