Universitaire spécialiste des écrits mystiques médiévaux et baroques, et spécialiste de Jean-Jacques Olier, Mariel Mazzocco explore dans un ouvrage la riche symbolique des pierres précieuses dans la mystique chrétienne. Sa thèse se résume dans le titre en forme de jeu de mots (Le joyau de l’âme) : l’âme est un joyau.
Le symbole permet de dire l’âme en elle-même, dans sa préciosité et sa vulnérabilité (dans sa beauté fragile, il [le cristal] évoque autant la splendeur divine que la caducité humaine [1] »). Beaucoup d’auteurs font du diamant, de la perle, le symbole non pas de l’âme, mais du centre de l’âme, c’est-à-dire le lieu le plus précieux : « Cherche la noble perle, elle est plus précieuse que ce monde. Elle ne s’éloignera jamais de toi, et où sera la perle, là sera aussi ton cœur [2] » ; « L’âme est un cristal, la Déité sa lumière : le corps où tu vis est leur écrin à tous deux [3] » ; « L’âme est la perle [4] » ; « Une âme est un composé de feu et de cristal de roche [5] ». Jean de la Croix compare la transformation de l’âme opérée par l’amour divin à un cristal : « Nous voyons cela en un crital pur et net, lequel est assaillé par la lumière : car, tant plus il reçoit de degrés de lumière, tant plus la lumière se concentre en lui [6] ».
Par ailleurs, le symbole du joyau permet d’exprimer la générosité de Dieu qui brille dans l’âme. Mais surtout, il révèle la relation entre l’âme et Dieu, c’est-à-dire la transparence de l’âme appelée à la pureté et ainsi sa transformation en Dieu. En voici un florilège : « Plus l’âme est pure, plus elle s’unité parfaitement avec Dieu […]. De même, à peu près que plus le cristal et le verre exposées au soleil sont purs et sans taches, plus le soleil les éclaire, les pénètre de ses rayons et y exprime ses qualités propres [7] » ; l’âme se perd en Dieu « tel qu’un cristal qui serait perdu dans le soleil [8] » ; « Notre âme doit être comme une glace nette et polie où Dieu se puisse représenter à son plaisir [9] » ; « Cette âme est si brûlante en la fournaise du feu d’amour qu’elle est devenue feu, à proprement parler, si bien qu’elle ne sent pas le feu, puisqu’elle est feu en elle-même par la force d’Amour qui l’a transformée en feu d’amour [10] ». C’est peut-être Jean-Jacques Olier qui nomme le plus précisément la raison de cette métamorphose de l’âme en Dieu. L’âme qui aime Dieu, l’Amour infini, se transforme en cet amour : « Elle est l’amour même […]. Elle est l’amour substantiel, essentiel, amour immense, infini, éternel, immuable. Elle est tout et trouve tout en Dieu, qui est cet être pur, cet être qui est tout à elle, et elle est tout à lui et en lui [11] ».
Pascal Ide
[1] Mariel Mazzocco, Le joyau de l’âme. Diamants et autres gemmes mystiques, Paris, Albin Michel, 2019, p. 22.
[2] Jakob Böhme, Des trois principes de l’essence divine, ou de l’éternel engendrement sans origine, IX, 46, trad. Louis-Claude de Saint-Martin, Paris, Imprimerie de Laran, 1802, p. 145.
[3] Angelus Silesius, Pèlerin chérubinique, I, 60, trad. Henri Plard, coll. bilingue des classiques étrangers, Paris, Aubier, 1946, p. .
[4] Jakob Böhme, De la signature des choses, XI, 69, trad. Pierre Deghaye, coll. « Les Écritures sacrées », Paris, Grasset, 1995, p. 230.
[5] Etty Hillesum, « Journal », 12 octobre 1942, Les écrits d’Etty Hillesum, Paris, Seuil, 2008, p. 759.
[6] Saint Jean de la Croix, La Vive Flamme d’amour, I, 3, trad. Cyprien de la Nativité, Œuvres complètes, Paris, DDB, 1967, p. 724-725.
[7] René Rapin, Abrégé de la théologie mystique, in La théologie du cœur, éd. Pierre Poiret, Cologne, Chez Jean de la Pierre, 1696, tome 2, p. 270.
[8] Jean-Jacques Olier, L’âme cristal. Des attributs divins en nous, éd. Mariel Mazzocco, Paris, Seuil, 2008, p. 77.
[9] François Malaval, La belle ténèbre, Grenoble, Jérôme Million, 1993, p. 60-61.
[10] Marguerite Porete, Le miroir des âmes simples et anéanties, Paris, Albin Michel, 1997, p. 87.
[11] Jean-Jacques Olier, L’âme cristal, p. 70.