2) Propriétés de la charité
a) L’absence de juste milieu
La loi du juste milieu ne vaut que pour les vertus morales, non pour les vertus théologales ; or, la charité est une vertu théologale ; elle ignore donc la mesure. Il en est d’ailleurs de même de la foi et de l’espérance.
Le commencement du Traité de l’amour de Dieu de saint Bernard de Clairvaux le dit lumineusement :
« Vous voulez que je vous dise pourquoi et comment on doit aimer Dieu. Je réponds brièvement : la raison pour laquelle on aime Dieu, c’est Dieu lui-même ; et la mesure de cet amour, c’est de l’aimer sans mesure [1] ».
De même, le don, qu’il soit reçu ou offert, est sans fin : le cœur peut toujours plus se dilater à recevoir, à s’abandonner dans la confiance et à se livrer dans l’amour. « Donnez, et l’on vous donnera ; c’est une bonne mesure, tassée, secouée, débordante, qu’on versera dans votre sein » (Lc 6,37-38).
Ecoutons saint François de Sales nous le dire dans sa belle langue : « Nos cœurs ont une soif qui ne peut être étanchée par les contentements de la vie mortelle, contentements desquels les plus estimés et pourchassés, s’ils sont modérés, ils ne nous désaltèrent pas ; et s’ils sont extrêmes, ils nous étouffent. On les désire néanmoins toujours extrêmes, et jamais ils ne le sont qu’ils ne soient excessifs, insupportables et dommageables ». Il illustre son propos par un exemple parlant :
« Alexandre ayant englouti tout ce bas monde, tant en effet qu’en espérance, ouït dire à un chétif homme du monde qu’il y avait encore plusieurs autres mondes. Et comme un petit enfant qui veut pleurer pour une pomme qu’on lui refuse, cet Alexandre, que les mondains appellent le Grand, plus fou néanmoins qu’un petit enfant, se prend à pleurer à chaudes larmes de quoi il n’y avait pas apparence qu’il pût conquérir les autres mondes, puisqu’il n’avait pas encore l’entière possession de celui-ci ». Alexandre ne « montre-t-il pas que la soif de son cœur ne peut être assouvie en cette vie, et que ce monde n’est pas suffisant pour le désaltérer ? ».
Et de conclure avec la délicate douceur qui le caractérise :
« O admirable, mais aimable inquiétude du cœur humain ! Soyez à jamais sans repos ni tranquillité quelconque en cette terre, mon âme, jusqu’à ce que vous ayez rencontré les fraîches eaux de la vie immortelle et la très sainte divinité, qui seules peuvent éteindre votre altération et accoiser [apaiser] votre désir [2] ».
Inversement, commencer à mesurer l’amour, c’est commencer à l’étouffer. Voici ce qu’écrivait le père Henri Caffarel :
« Prendre son parti de ne pas faire plus pour celui qu’on aime, c’est là, j’en suis convaincu, non seulement le signe mais d’abord la cause du déclin de l’amour. […] Considérez un jeune amour, un amour vrai : une de ses caractéristiques, et sans doute sa caractéristique essentielle, est un élan qui le pousse à vouloir le bonheur de l’être aimé. Mais, parce que ce bonheur peut toujours être plus parfait, il y a en celui qui aime comme une tension, une certaine anxiété, une constante impatience du bonheur de l’autre, et une souffrance de ne pouvoir y contribuer davantage. Je vois là le signe irrécusable d’un amour vivant, vivace. Pour l’amour vrai, il n’est jamais de repos [3] ».
La raison, décisive, est christologique. Aimer de charité, c’est aimer comme Dieu ; or, en Jésus, Dieu nous aime « jusqu’à l’extrême » (Jn 13,1). Sœur Emmanuel (des Béatitudes) montre que le don de la miséricorde, c’est-à-dire de l’amour, va jusqu’à l’extrême, en étudiant l’attitude de Jésus à l’égard de celui qui l’a, selon l’auteur, le plus fait souffrir : Judas [4]. Or, Jésus adresse pas moins de cinq gestes de miséricorde à l’encontre de cet apôtre, gestes qui sont autant d’invention de l’amour infini du Seigneur, de « perches à saisir » par le pécheur, de pas grâce auxquels il s’approche de celui qui se perd par son péché :
– Premier : la parole de Jésus, « L’un de vous me livrera » (Mt 26,21), est une invitation explicite à la conversion [5].
– Deuxième : la bouchée à Judas devant tout le monde. D’abord, car ce geste est une manière très explicite, dans le monde juif, de dire à quelqu’un sa grande affection, sa tendresse ; de plus, ce geste ne fut possible que si Judas se tenait tout près du Christ, comme le Bien-aimé, Jean ; enfin, il est très probable que la première bouchée soit de la laitue (le pain ne vient que plus tard) ; or, laitue se dit rasereth en hébreu, terme qui vient de la racine rehem, la miséricorde [6].
– Troisième : le baiser de Jésus à Judas, baiser qui, estime l’auteur sans le démontrer, fut probablement un baiser sur la bouche ; or, Jésus est encore imprégné de la sueur de sang de Gethsémani ; donc, Judas (a-t-il communié ?) a goûté au Sang rédempteur de l’Agneau [7].
– Quatrième : la parole de Jésus, « Ami, fais ta besogne ». (Mt 26,50) Or, l’ami est celui qui est aimé [8].
– Cinquième : on sait que Judas est parti se pendre ; or, selon ce que dit le Père Finet, rapportant les confidences de Marthe Robin, Jésus fut pendu presque deux heures pendant la nuit, entre jeudi et vendredi saint, par un bras à une corde. Ce pendu par désespoir et ce suspendu par amour sont unis, comme, du côté de Jésus, pour « épouser la pendaison de Judas [9] ».
b) Le ressenti de la charité
Comment savoir si l’on aime, lorsqu’on sent son cœur sec ? Dans un beau et riche sermon sur la charité, Saint Claude La Colombière remarque : «
Nous avons quelquefois de bonnes âmes qui s’inquiètent, parce que, disent-elles, elles ne se sentent point d’amour de Dieu, qu’elles se trouvent froides dans leurs prières, que leur cœur n’a pas une étincelle de ce feu dont les saints ont été embrasés. Elles doutent ensuite si elles sont dans la grâce de Dieu, si Dieu les aime, vu qu’elles l’aiment si peu. Consolez-vous, âme chrétienne. Vous avez plus d’amour que vous ne pensez ». En effet, « ces deux amours ne se séparent point [10] ».
Autrement dit, continuez à prier, bien entendu, et ne vous tracassez pas de l’amour que vous avez pour Dieu, votre charité effective vous garantit qu’il est en votre cœur.
Par ailleurs, l’amour de charité n’est pas désincarné. Si en Dieu, il n’existe pas d’affectivité sensible, il n’en est pas de même pour l’homme. Aussi, dans l’amour humain de charité, l’effectif ne va jamais sans l’affectif. Cela est particulièrement vrai de la miséricorde ou de la compassion. Celle-ci ne fait pas l’économie de la souffrance. Au contraire, celle-ci fait partie de la compassion. Voici l’exemple raconté par une infirmière, Odile Terra :
« À la sortie de l’école d’infirmière, je travaillais en service de neurologie. Michel avait trente ans. Atteint d’un cancer de la moelle épinière, tout son corps était paralysé. Seul son visage pouvait encore bouger. On attendait sa mort et il souffrait atrocement. À l’hôpital, on apprend par la force des choses et par l’obligation des horaires à être efficace. Le temps est compté, il faut donc agir et agir vite ! Rares sont les services hospitaliers où les gestes et les moments gratuits offerts aux malades font partie intégrante du travail de l’équipe soignante… À cause de ce qu’il vivait, Michel nous faisait peur. Quand nous n’avions pas de soins à lui donner, nous n’osions pas entrer dans sa chambre. Un soir pourtant, avant de quitter le service, j’allai le saluer. Il me parla de sa femme, de ses enfants, de sa détresse et de sa mort prochaine. Que pouvais-je répondre ? Je n’avais pas le droit de lui mentir et il avait plus besoin d’écoute que de paroles.
« Dans sa chambre, j’étais restée calme et attentive le plus possible pour pouvoir écouter tout ce qu’il avait besoin de dire. Mais dès que je fus dans le couloir, je me suis mise à pleurer. Je rentrai chez moi épuisée et toujours en larmes. Il n’y avait pas de révolte en moi mais une obscurité totale. La détresse de Michel me bouleversait et je n’avais pas de réponse à lui proposer. Une amie avec qui j’habitais me fit remarquer que si je pleurais, c’était parce que je manquais de foi. Cette réflexion me troubla et me bouleversa encore un peu plus. Je ne comprenais plus rien du tout.
« Aujourd’hui encore, je crois qu’elle avait tort. Mes larmes ne remettaient rien en cause et surtout pas ma foi en Dieu Père, Sauveur et Tout Puissant. Mais, ce soir-là, j’avais vu le Corps du Christ cloué sur un lit d’hôpital… Et comment Le regarder souffrir en Michel sans en être profondément émue ?! Non ! Les larmes de compassion ne sont pas un obstacle à la Foi. Cet homme souffrait et quelque part j’avais un peu mal avec lui ».
Odile cite à juste titre l’attitude de Jésus pleurant lorsqu’on lui apprend la mort de son ami Lazare ; l’entourage, en revanche, en comprit le sens : « Voyez comme Il l’aimait ! » (Jn 11,35-36) [11]
Il faut éviter deux interprétations erronées de ces pleurs : psychologique – elles sont liées à une réactivation de souffrances antérieures –, ou spiritualisante-culpabilisante – elles sont dues à un manque de foi. Une juste relation à son affectivité n’est donc pas éliminée de l’attitude profonde de charité. Au contraire, elle lui donne une incarnation et un dynamisme réel.
c) Le fruit par excellence de l’amour : l’unité
L’amour a pour fruit propre d’unifier (cf. Ep 2,13). L’œuvre du Christ est de rapprocher, faire l’unité. D’ailleurs, les chapitres 2 et 3 de l’épître aux Éphésiens parle du Christ brisant les murs entre les hommes.
Cette communion vaut d’abord de la relation entre Dieu et les hommes. Mais elle se vérifie particulièrement de la relation entre les hommes. Le signe le plus assuré de la charité est l’unité qu’elle fait régner entre les frères du même Père. Nous le savons bien. Exprimons-le avec les mots de deux experts de la charité, Vincent de Paul et Louise de Marillac, qui ont beaucoup insisté sur l’importance de l’union des esprits et des cœurs : « Le devoir des filles de Notre Seigneur, qui vivent et qui le servent ensemble et qui n’ont qu’une même intention de se rendre agréable aux yeux de Dieu, est de s’entre-chérir, de se supporter, de se respecter et de s’aider mutuellement [12] ».
Ce devoir de « s’entre-chérir » est un bien pour Dieu, pour soi et pour les autres. Elle est un bien pour Dieu car « l’union réjouit ou contente Dieu qui est toujours là où la paix est. Au contraire, la désunion réjouit le diable ; le cœur divisé est semblable à l’enfer ; il est toujours dans l’inquiétude, le trouble et la discorde, qui naît de la désunion, le met en continuel désordre [13] ».
Saint Vincent fait appel à une parabole très parlante :
« Un empereur avait plusieurs fils, dix ou douze, je ne sais. Avant de mourir, il voulut leur montrer combien l’union importe à la paix d’un État et au bonheur de tous. Il se fit apporter au lit un grand faisceau de flèches et dit au plus petit : «Viens, mon fils, prend ce faisceau de flèches et romps-le en deux. – Mon père, dit celui-ci, je ne saurais.» Il s’adressa à un autre qui répondit de même, puis aux autres, qui reconnurent tous leur impuissance. Alors le père dit à l’aîné : ‘Prends-en une part et vois si tu la rompras’. Ce que l’aîné fit fort aisément. Le père ajouta : ‘Mes enfants, ceci vous enseigne que tant que vous serez unis et étroitement liés ensemble, toutes les puissances du monde ne pourront rien contre vous ; mais, dès lors que vous commencerez à être divisés, vous serez aisément défaits’ [14] ».
3) Les « objets » de la charité
« Les commandements – écrit Ghislain Lafont – dessinent ce qu’on pourrait appeler le «triangle saint» des objets de l’amour : Dieu, le prochain, soi-même, tellement liés dans cet ‘ordre de la charité’ qu’il est impossible de vraiment aimer l’un, quel qu’il soit, si les autres ne sont pas aimés ; et il n’est sans doute pas inutile de rappeler que le parent pauvre, en l’occurrence, est trop souvent le petit dernier, ce ‘soi-même’ que nous ne savons que trop haïr et mal aimer [15] ».
Parcourons rapidement ces trois « objets » (au sens de : ce qui est visé) de la charité.
a) Dieu
La charité cherche Dieu, tend vers Dieu. En effet, la charité est amour ; or, l’amour est « oui » à ce qui est aimable ; mais est aimable ce qui est bon. Or, Dieu est non seulement celui qui est suprêmement bon, mais la Bonté même. Par conséquent, Dieu est l’être le plus aimable et la charité nous tourne vers lui sous sa raison d’amabilité. Sainte Angèle de Foligno entend Dieu lui demander : « Angèle, que veux-tu ? » Elle répond d’une voix forte : « Je veux Dieu ». Tel est le cœur de la charité. Et comme Dieu est infiniment bon, il est infiniment aimable et demande d’être aimé par-dessus tout. Précisons : placer Dieu en premier n’est pas le résultat d’un long chemin spirituel, mais au contraire le tout premier pas de la vie théologale, car c’est là l’objet même de la vertu de charité. Le progrès consistera non pas à lui donner cette place qu’il occupe d’emblée mais à l’aimer de plus en plus et de mieux en mieux.
On peut le dire autrement. De même que croire, c’est penser comme Dieu, aimer (de charité), c’est aimer comme Dieu aime. Or, Jésus ne préférait rien à son Père. De même, dans cette charité, qui est infusée par l’Esprit (cf. Rm 5,5), rien n’est préféré à Dieu. Dans une formule justement célèbre, S. Benoît demandait de « ne rien préférer à Dieu [16] ». Un signe en est la relation au temps. Celui qui est premier dans notre cœur sera aussi premier dans le temps donné : dès que la cloche sonne, le moine arrête tout pour se diriger vers le chœur et faire monter sa louange vers Dieu.
Si la charité est au centre, elle ne trouve pleinement son centre qu’en Jésus, ainsi que l’explique profondément le dominicain du Grand Siècle Louis Chardon : « La charité n’est point encore dedans les bienheureux en son lieu naturel. Elle ne peut avoir sa dernière perfection et son repos entier que dans l’âme sacrée de Jésus, où elle est en son centre [17]». Dit autrement, il n’existe qu’un seul centre d’où tout rayonne et se répand : le Sacré Cœur.
b) Les autres
Contrairement à ce que l’on affirme souvent, le christianisme n’affirme pas l’amour de l’autre homme. En effet, une telle prescription n’a rien d’original et se retrouve déjà dans toute la Bible. Le caractère inédit de la Révélation chrétienne réside en ce que unique est l’amour de Dieu et du prochain. « Voilà le commandement que nous avons reçu de lui : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4,21). « Il n’y a pas deux amours », disait Paul Claudel. Comment comprendre une telle affirmation dont l’introduction a relevé le paradoxe (comment l’amour peut-il se porter d’un même mouvement vers deux personnes aussi différentes ?), voire la difficulté (si j’aime Dieu en l’autre, est-ce que j’aime l’autre ?).
On peut déjà comprendre cette doctrine de l’unité d’amour comme une inséparabilité. Saint Jean de la Croix affirmait : « Quand l’amour que l’on porte à la créature est une affection toute spirituelle et fondée sur Dieu seul, à mesure qu’elle croît, l’amour de Dieu croît aussi dans notre âme ; plus alors le cœur se souvient du prochain, plus il se souvient aussi de Dieu et le désire, ces deux amours croissant à l’envi l’un de l’autre ». « Ici, le Christ est adoré et nourri ». Telle est la devise des religieux de l’hospice du Grand Saint-Bernard et qui fut sans doute donnée par Saint Bernard non pas de Clairvaux mais de Menthon. Elle unifie parfaitement les deux dimensions de la charité : amour de Dieu (« Christ adoré ») et amour des autres (« Christ nourri »).
Toutefois, dire qu’unique est la vertu de charité est beaucoup plus qu’affirmer que les deux amours, de Dieu et du prochain sont inséparables. Là encore, une telle idée n’est pas originale, on la retrouve par exemple dans le judaïsme. Élie Wiesel notait : « Ce qui est mal, c’est de penser à Dieu en oubliant les hommes [18] ». Voici comment saint Thomas explique l’unité d’amour de charité : « La raison d’aimer le prochain, c’est Dieu ; car ce que nous devons aimer dans le prochain, c’est qu’il soit en Dieu [ut in Deo sit]. Il est donc manifeste que l’acte par lequel Dieu est aimé, et celui par lequel est aimé le prochain sont de même espèce [19]». Une note de l’édition française utilisée précise heureusement : « Cela ne signifie pas que, par la charité, on n’aime pas le prochain pour lui-même, en lui-même ; on l’aime selon ce qu’il est dans le meilleur de lui-même : l’ami de Dieu, une sorte de personne ‘divine’ [20]». Ainsi s’éclaire l’objection.
c) Soi-même
L’amour de soi, bien que thème à la mode, n’a rien d’une évidence pour un chrétien. En effet, Le Christ ne dit-il pas qu’il faut que l’on doit perdre sa vie pour l’Évangile pour la sauver (Mc 8,3.5), qu’il faut se renier soi-même (Mc 8,34), « haïr » jusqu’à sa propre vie pour être son disciple (Lc 14,26) ? [21]
Disons-le clairement et sans clause limitative : oui, il faut s’aimer soi-même. Saint Bernard de Clairvaux répétait au pape dont il était le conseiller spirituel : « Occupe-toi des autres, mais ne t’oublie pas toi-même [22] ! » S’estimer est bon et nécessaire. Pour trois sortes de raisons.
1’) Raisons psychologiques
D’abord des raisons psychologiques. Nous faisons tous l’expérience de la terrible intransigeance que nous sommes capables de déployer contre autrui lorsque nous repérons chez lui un de nos défauts. Dans leur excellent et roboratif ouvrage à succès, L’estime de soi, Christophe André et François Lelord font état d’études statistiques montrant que les sujets à basse estime de soi sont plus disposés à la dépression que celles qui s’estiment. Nous connaissons tous de ces personnes constamment à faire du bien, à se dévouer généreusement auprès de tous, elles sont dénuées de toute considération d’elles-mêmes ; elles se négligent. Plus encore, elles vivent par personnes interposées. Tôt ou tard, ces « Saint-Bernard » en subiront les conséquences. Par exemple, elles en auront un jour assez de toujours donner et se trouveront soudain seules, tentées d’accuser le monde entier d’ingratitude. Ou bien elles se feront exploitées, piétinées et se scandaliseront. Cette attitude méprisante est en effet injuste. Mais elles devront aussi lucidement se demander si leur mésestime d’elles n’a pas favorisé ce mépris. « J’ai enfin compris que si mon patron rentrait dans mon bureau sans frapper sans que je ne réagisse, c’était parce que je n’avais pas conscience de ma dignité. Il ne fais pas ainsi avec ceux qui ont confiance en eux ».
2’) Raisons éthiques
L’estime de soi se fonde ensuite sur des raisons anthropologiques et éthiques. Pourquoi aimons-nous ? Aujourd’hui, on fait volontiers de l’altérité le fondement de l’amour. Si telle était la raison principale, nous pourrions tomber amoureux même d’un caillou, puisqu’il est différent de nous. Nous aimons d’abord ce qui nous est semblable, donc ce avec quoi nous pouvons entrer en communion. Or, nous sommes plus unis à nous-même que quiconque. Nous sommes notre plus proche prochain. Voilà pourquoi nous sommes appelés non seulement à nous chérir, mais à nous aimer plus que tous (Dieu excepté, car il est plus intime à nous-même que nous, selon le mot de saint Augustin). « L’estime de soi-même », dit père Bruguès à la suite de saint Thomas, est le fondement même de « la vie morale [23] ». Le commandement de l’amour de soi n’est pas un gadget pour personne en mal d’affection, mais la condition de l’amour d’autrui. Se donner à l’autre en se fuyant, c’est ne livrer que l’ombre de soi-même : qui veut être aimé par une personne qui se hait ? Le même saint Thomas d’Aquin faisait d’ailleurs remarquer que l’on ne peut commettre un péché (mentir, voler, etc.) pour sauver une autre personne. Il faut donc dire que non seulement nous sommes appelés à nous aimer nous-même, mais que nous avons à nous aimer en premier.
Sortons donc de la dialectique mortelle altruisme-égoïsme. L’égoïsme est l’amour de l’autre pour soi. C’est de l’utilisation. Par exemple, nouer des relations avec tel collègue, tel voisin car on sait qu’il peut nous rendre service (même s’il est d’accord), c’est de l’égoïsme. L’altruisme est l’amour de l’autre pour l’autre. C’est irréaliste et déshumanisant : l’amour de l’autre ne peut jamais une négation de soi.
Je préfère distinguer trois sortes d’amour de soi qui sont comme les trois degrés d’un escalier.
Il y a d’abord l’amour de l’autre pour soi. C’est l’égoïsme dont on vient de parler. Un enfant à qui on demandait de le définir répondait : « L’égoïste, c’est celui qui ne pense pas à moi ».
Il y a ensuite l’amour de soi pour soi. C’est le temps de la nécessaire estime de soi. C’est le propre de l’adolescence que d’apprendre à être l’ami de soi (même si cet apprentissage doit commencer dès le plus jeune âge).
Il y a enfin l’amour de soi pour l’autre. Tel est le but, caractéristique de l’entrée dans l’âge adulte : se donner à l’autre. Mais remarquez que l’on ne saurait y accéder en faisant l’économie de l’amour de soi pour soi. C’est à cette lumière qu’il faut comprendre les paroles de l’Évangile sur le renoncement à soi : elles présupposent toujours l’estime de soi, dont Jésus nous a donné l’exemple (cf. plus bas).
Et l’amour de l’autre pour l’autre, me direz-vous ? Voilà justement l’altruisme. Le terme donne l’impression d’évacuer l’amour de soi. Or, on vient de le dire, celui-ci n’est pas de l’égoïsme, mais la matrice à partir de laquelle se forme l’amour du prochain.
De même la problématique de la gratuité n’est pas dénuée d’ambiguïté. Si gratuité signifie agir sans motivation, tel Lafacadio, le héros des Caves du Vatican de Gide, alors l’amour est absurde. Cette gratuité est un relent de luthéranisme. On n’agit jamais sans raison, mais toujours pour un bien. La question est de savoir le bien de qui je cherche. En revanche, si gratuité signifie aimer la personne pour elle-même, se donner à elle, aimer gratuitement devient alors la forme de l’amour. C’est à cause de ce double sens du terme gratuité que je préfère parler d’amour de don que d’amour gratuit.
3’) Raisons théologiques
L’estime de soi est enfin commandé par des motifs théologiques, et ici nous touchons la charité vis-à-vis de soi. Il vaut la peine d’insister tant ce point fait toujours difficulté.
Le dicton « Charité bien ordonnée commence par soi-même » est la traduction populaire d’une vérité évangélique, pour peu que l’on n’oublie pas le verbe : « commence », pas « finit ». Rappelez-vous ce que demande l’Ancien comme le Nouveau Testament : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu […] et tu aimeras ton prochain comme toi-même ». On en parle comme du commandement de l’amour de Dieu et du prochain. La formule est imprécise. Il n’est pas question de deux amours, mais de trois : en effet, il est dit d’aimer le prochain comme soi-même. C’est donc que l’amour de soi fait aussi partie du commandement, à côté de l’amour de Dieu et du prochain.
Je pense souvent que la première question que Dieu nous posera lorsque nous arriverons au Ciel sera : « T’es-tu bien aimé ? » L’Évangile nous donne des signes discrets, mais bien réels de l’amour que Jésus éprouve pour lui-même. Le Fils de l’Homme ne s’asseoit-il pas à midi (la sixième heure), fatigué, sur la margelle du puits, accordant le repos à son corps légitimement fatigué ? Ne vient-il pas, régulièrement, chez ses amis, Lazare, Marthe et Marie, goûter un repos bien mérité ? N’exprime-t-il pas son aversion pour la mort dans le Jardin des Oliviers ? Et, lorsqu’il prie juste avant de mourir, ne demande-t-il pas, pour lui, à son Père, la gloire, dans toute la première partie de sa prière (Jn 17,1s) ? D’ailleurs, la très humble Vierge Marie ne loue-t-elle pas aussi Dieu de ce qu’il a fait en elle au début du Magnificat ?
Par ailleurs, nous avons vu que aimer, c’est dire « oui » à celui que l’on aime. Encore faut-il connaître les biens dont nous avons besoin. Je ne peux que les énumérer. Il y a les biens du corps. « Celui qui ne prend pas le temps de se soigner, prendra le temps d’être malade », disait un sage médecin. Rappelons-nous le souhait de l’apôtre saint Jean, l’Ancien, à son fidèle disciple Gaïus : « Très cher, je souhaite que tu te portes bien sous tous les rapports et que ton corps soit en aussi bonne santé que ton âme ». (3 Jn 2) Il y a aussi les biens de l’affectivité, de l’imagination, de l’intelligence, de la libre volonté. Mais surtout, et là, nous touchons de nouveau l’amour de charité mais du point de vue de l’objet, n’oublions pas le plus grand des biens : le Bien infini, Dieu même. Plus encore, seul ce Bien peut nous donner le repos : parce qu’il ressemble à Dieu, l’homme est ouvert sur l’infini et ne peut être comblé que par lui. Or, c’est l’amour qui unit. Voilà pourquoi seul l’amour de Dieu rend heureux. Malheureusement (au sens propre du terme), nous passons notre temps à troquer Dieu contre de faux biens, ce que la Bible définit comme des idoles. C’est cela le péché : non pas d’abord une transgression, mais une préférence. Le cupide met toute sa richesse . Le péché est donc le pire manquement à l’amour de soi.
Surtout, ne pas s’aimer, c’est refuser l’amour d’élection que Dieu a sur chacun de nous. Il est parlant que dans les deux premiers chapitres de la Genèse, Dieu s’intéresse aux végétaux et aux animaux selon leur espèce, c’est-à-dire de manière générale, alors qu’il se penche non pas vers l’humanité en général, mais vers la personne unique du premier homme puis de la première femme. Prendre conscience que le Père nous aime chacun comme unique et insubstituable à quiconque est aussi réjouissant que curatif. « Un jour, lors d’une retraite, disait une personne, le prédicateur expliquait que Dieu avait désiré que chacun de nous vive, il avait eu hâte de voir notre jour. Cette phrase à la fois me bouleversait et me semblait trop audacieuse. Le prédicateur ajouta : «Si déjà les parents ont une telle impatience d’avoir des enfants, vous pouvez imaginer ce qu’il en est de Dieu dont le nom est Père. Penser le contraire serait un affront à sa paternité.» Chaque fois que je suis tenté de me mépriser, je me souviens de cette parole ».
L’on n’a jamais fini de méditer les phrases qui achèvent – dans tous les sens du terme – Le journal d’un curé de campagne : « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais, si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ [24] ». On connaît moins le mot terrible et si vrai de Mouchette au Dr. Gallet : « Je sais que tu me hais… Moins que moi [25] ! » A nous de choisir. Je terminerai par un admirable passage de saint Bernard que l’on croirait écrit par Thérèse de l’Enfant-Jésus tant il chante la miséricorde infinie de Dieu :
« Toute âme, même chargée de péchés, captive de ses vices […], clouée à ses soucis […], figée par ses frayeurs, frappée de multiples souffrances, allant d’erreur en erreur, rongée d’inquiétude, ravagée de soupçons […], toute âme, dis-je, […] peut trouver encore en elle-même des raisons, non seulement d’espérer le pardon et la miséricorde, mais encore d’aspirer aux noces du Verbe : pourvu qu’elle ne craigne pas de conclure un traité d’alliance avec Dieu et de se placer avec lui sous le joug de l’amour […]. Car cet Époux n’est pas seulement un amant : il est l’Amour ».
Et il ajoute à ceux qui se font scrupule : « Mais [vous direz], n’est-il pas aussi l’Honneur ? Certains l’affirment ; seulement, pour moi, je n’ai rien lu de tel. J’ai lu que Dieu est Amour [26] ».
4) Mise en pratique de la charité
a) Aimer plus qu’être aimé
Vaut-il mieux aimer ou être aimé, se laisser aimer ?
L’Écriture tranche clairement en faveur du premier membre de l’alternative : « Sagesse cachée et trésor invisible, à quoi servent-ils l’un et l’autre ? Mieux vaut un homme qui cache sa folie qu’un homme qui cache sa sagesse ». (Si 20, 30-31 ; cf. 41, 14-15). Autrement dit, la charité requiert l’expression effective. Saint Jean le dit encore plus expressément : « Mes petits enfants, n’aimons ni de mots ni de langue, mais en acte et en vérité ».(I Jn 3,18) Le véritable amour est effectif et non pas seulement affectif.
L’école carmélitaine l’enseigne de manière constante. Écoutons Thérèse d’Avila : « La personne qui vit toujours dans le recueillement, pour sainte qu’elle se croie, ne sait pas si elle est humble, patiente, et n’a aucun moyen de le savoir. De même, comment un homme saurait-il qu’il est courageux, s’il n’a pas été à la guerre [27] ? » La petite Thérèse l’a découvert par expérience : « surtout j’ai compris que la charité ne doit point rester enfermée dans le fond du cœur ». La force intime de l’Esprit-Saint laisse transparaître la charité dans les œuvres.
Se demandant si le propre de la charité est d’aimer ou d’être aimé, Saint Thomas en donne la raison :
« Puisqu’elle est une vertu, elle a dans sa nature, une inclination à son acte propre. Or, ce n’est pas être aimé qui est l’acte de la charité de celui qui est aimé ; l’acte de charité est l’acte de celui qui aime […]. Il est donc évident qu’il convient davantage à la charité d’aimer que d’être aimé, car ce qui convient à une chose par elle-même et parce qu’elle est, lui convient plus que ce qui lui convient par un autre [28]».
b) Être aimé pour aimer
Pour autant, nous ne pouvons aimer de charité que parce que nous le recevons de Dieu. La charité est infusée en nous par l’Esprit-Saint (Rm 5,5). Comment donc concilier ce double mouvement : être aimé et aimer ? Trois textes du Nouveau Testament peuvent nous éclairer.
Reprenons l’important passage de la première épître de Jean (1 Jn 4,7-11). L’Aigle de Patmos affirme que l’amour du prochain est un devoir : « nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres ». Mais ce devoir est second : il suppose que nous ayons contemplé avec émerveillement l’amour de Dieu qui nous précède : « ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés »
On pourrait en dire de même d’un autre texte important de l’Écriture : « Je vous exhorte donc frères à offrir vos corps, par les miséricordes de Dieu, en hostie sainte », etc. (Rm 12,1). Il s’agit bien d’un acte de la vertu de charité : s’offrir à Dieu. Mais cet acte s’enracine là encore dans le don divin. Deux signes l’attestent. D’abord, la conjonction de coordination « donc » (oun) signifie une connexion, précisément une relation d’application, de prolongement ; or, les 11 premiers chapitres de l’épître aux Romains ont contemplé le plan d’amour de Dieu sur les hommes. Ensuite, ne parlant pas en son nom propre, Paul invoque non pas « la miséricorde de Dieu » comme l’on dit souvent, mais un pluriel : oiktiromôn, « les compassions ». Or, il a parlé, là encore dans les chap. 1 à 11, de la miséricorde effectuée par Dieu non seulement aux Juifs mais aussi aux païens. Ne doit-on pas voir ici, comme l’ont noté divers auteurs, passés [29] et actuels [30], une mention faite à l’œuvre de salut opérée par Dieu et un enracinement de notre charité dans la contemplation de la charité-philanthropie divine ?
Enfin, dans la parabole du débiteur insolvable et impitoyable (Mt 18,23-35), le Christ nous demande clairement de « pardonner à son frère du fond du cœur ». Or, un tel pardon est un acte de la charité. Pourtant, là encore, cet acte n’est pas la source. Demandons-nous, à la suite de Jean Monbourquette : pourquoi n’a-t-il pas pardonné ? Et si, au lieu de nous étonner de l’absence de générosité, nous nous étonnions de son absence de mémoire :
« Le débiteur privilégié ne se laisse ni toucher, ni influencer par la générosité de son créancier, ce qui l’aurait amené à pardonner à son tour à son propre débiteur, magnanimité qu’il n’a pas manifestée. Il n’a pas accueilli en profondeur le pardon de son maître de manière à se laisser transformer et à être capable de poser un geste de clémence semblable [31] ».
Saint Ignace de Loyola traduit cette loi de la redamatio (l’amour en retour) en un texte justement célèbre : « Contemplation pour éveiller en nous l’amour spirituel ». De même que le Principe et fondement (évoqué à propos de la vertu de prudence qui est l’alpha et l’oméga des vertus morales) ouvre les Exercices, de même la Contemplatio ad amorem (ici mentionnée à propos de la vertu de charité qui est l’alpha et l’oméga des vertus théologales) l’achève, c’est-à-dire l’accomplit. Cet exercice spirituel fournit d’ailleurs les moyens très concrets de vivre le don à Dieu qu’est la charité. Or, il épouse le dynamisme du recevoir pour donner qu’est le mouvement même du don.
Commençons par lire le passage des Exercices spirituels :
« 230 Commençons par reconnaître deux vérités : la première, que l’on doit faire consister l’amour dans les œuvres bien plus que dans les paroles.
231 La seconde, que l’amour réside dans la communication mutuelle des biens. D’un côté, la personne qui aime donne et communique à celle qui est aimée ce qu’elle a, ou de ce qu’elle a, ou ce qu’elle peut donner et communiquer ; de l’autre, la personne qui est aimée agit de même à l’égard de celle qui l’aime. Si l’une a de la science, elle la communique à celle qui n’en a pas ; j’en dis autant des honneurs et des richesses, et réciproquement.
232 Le premier prélude est la composition de lieu. Dans la contemplation présente, je me considérerai en la présence de Dieu, notre Seigneur, sous les yeux des anges et des saints qui intercèdent pour moi.
233 Le second est la demande de la grâce que l’on veut obtenir. Ici, je demanderai la connaissance intime de tant de bienfaits que j’ai reçus de Dieu, afin que dans un vif sentiment de gratitude, je me consacre sans réserve au service et à l’amour de sa divine Majesté.
234 Dans le premier point, je rappellerai à ma mémoire les bienfaits que j’ai reçus : ceux qui me sont communs avec tous les hommes, la création, la rédemption, et ceux qui me sont particuliers, considérant très affectueusement tout ce que Dieu, notre Seigneur, a fait pour moi, tout ce qu’il m’a donné de ce qu’il a, et combien il désire se donner lui-même à moi, autant qu’il le peut, selon la disposition de sa divine Providence. Puis, faisant un retour sur moi-même, je me demanderai ce que la raison et la justice m’obligent de mon côté à offrir et à donner à sa divine Majesté, c’est-à-dire toutes les choses qui sont à moi et moi-même avec elles ; et, comme une personne qui veut faire agréer un don, je dirai du fond de l’âme : « Prenez, Seigneur, et recevez toute ma liberté, ma mémoire, mon entendement et toute ma volonté, tout ce que j’ai et tout ce que je possède. Vous me l’avez donné, Seigneur, je vous le rends ; tout est à vous, disposez-en selon votre bon plaisir. Donnez-moi votre amour ; donnez-moi votre grâce : elle me suffit ».
235 Dans le second point, je considérerai Dieu présent dans toutes les créatures. Il est dans les éléments, leur donnant l’être ; dans les plantes, leur donnant la végétation ; dans les animaux, leur donnant le sentiment ; dans les hommes, leur donnant l’intelligence ; il est en moi-même de ces différentes manières, me donnant tout à la fois l’être, la vie, le sentiment et l’intelligence. Il a fait plus : il a fait de moi son temple ; et, dans cette vue, il m’a créé à la ressemblance et à l’image de sa divine Majesté. Ici encore je ferai un retour sur moi-même, comme il a été dit dans le premier point, ou de toute autre manière qui me paraîtrait plus convenable : ce qui doit s’observer dans les points suivants.
236 Dans le troisième point, je considérerai Dieu agissant et travaillant pour moi dans tous les objets créés, puisqu’il est effectivement dans les lieux, dans les éléments, dans les plantes, dans les fruits, dans les animaux, etc., comme un agent, leur donnant et leur conservant l’être, la végétation, le sentiment, etc. Puis je ferai, comme dans les points précédents, un retour sur moi-même.
- Dans le quatrième point, je contemplerai que tous les biens et tous les dons descendent d’en haut : ma puissance limitée dérive de la puissance souveraine et infinie qui est au-dessus de moi ; de même la justice, la bonté, la compassion, la miséricorde, etc. ; comme les rayons émanent du soleil, comme les eaux découlent de leur source, etc. Ensuite, je réfléchirai sur moi-même, comme il a été dit, et je terminerai par un colloque suivi de l’Oraison dominicale.
On fera aussi un colloque à la fin, en terminant avec le ‘Notre Père’ [32] ».
Commentons brièvement. La contemplation s’opère en deux temps. Le premier est tout tourné vers le don reçu. Ignace décrit d’abord l’attitude de la personne. Elle doit d’une part demander à Dieu la « connaissance intérieure de tout le bien reçu ». Elle doit d’autre part, faire appel à sa mémoire, pour se souvenir des « bienfaits reçus ». Ignace énumère ensuite tous les dons, autant naturels que surnaturels, dont Dieu nous a gratifiés. Pour que la personne mesure tout ce que Dieu a fait pour elle, lui donnant « ce qu’il a » et plus encore ce qu’il est, puisque « le Seigneur lui-même désire se donner à moi ».
Le second temps est tout tourné vers le don offert. Il est, pour Ignace, comme le fruit, la conséquence surabondante du premier : « Et, à partir de là », commence-t-elle. Là encore, Ignace décrit autant les biens à offrir (« ma liberté, ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté ») que l’attitude intérieure qui est d’offrande et de don à la « divine Majesté » : « tout ce que j’ai […], vous me l’avez donné ; à vous, Seigneurs, je le rends. […] disposez de moi selon votre entière volonté ».
) Monter l’échelle des neuf degrés de l’amour du prochain
En fait, cette conclusion propose un dernier moyen pour entrer dans la charité. Dans À l’école de l’admiration [33], le théologien moraliste de Fribourg, Servais Pinckaers, égrène divers moyens d’accueillir l’autre à la mesure de ce qu’il est, de ce qu’il se donne à voir ; or, c’est dans le présent (l’actualité) que s’accueille le don (le présent).
Ces neuf moments ou étapes (selon la distinction plus horizontale du temps) dans l’amour qui sont aussi des degrés (selon la distinction plus verticale de l’échelle). Ce sont autant d’étapes, de marches de l’escalier de l’amour d’autrui. Ce chemin est au fond un chemin d’approfondissement qui nous fait passer du plus superficiel au plus cordial.
Il peut être instructif d’essayer de deviner l’étape suivante, une fois nommée la première ; vous vous tromperez peut-être une fois sur deux, ce qui signifie que la démarche proposée est originale. Une dernière remarque à l’égard de la mise en pratique : n’accédez pas à l’étape ultérieure sans avoir d’abord vécu en vérité l’étape antérieure.
a) Premier degré
« Mon prochain a un défaut ». Comprenons bien. Il s’agit non pas de parler en général, mais concrètement, en nommant et la personne (si possible un prochain vraiment proche) et le défaut précis : le critère est simple, ce défaut me fait souffrir. Puis, il s’agit de l’accepter sans vouloir le changer.
b) Second degré
« Mon prochain a deux défauts ». Le dire a déjà été préparé par la première étape ; mais l’accepter est plus difficile. Accepter la présence de deux défauts, c’est accepter qu’il y en ait encore davantage, parfois cachés, non encore révélés. C’est donc renoncer, définitivement, à changer l’autre, à l’adapter définitivement à notre attente.
Le supporter dérange (Ep 4,2).
c) Troisième degré
« J’ai un défaut ». Reconnaissez qu’il est plus facile de commencer par l’autre. Souvent nous avons plus de difficulté à nommer ce défaut. Là encore, il s’agit d’être concret, très concret. Or, il n’est pas si aisé de nommer ses limites, nos fautes. Car cela fait mal, cela nous décourage. Il s’agit de nommer sans mettre de condition ou de justification : « Je suis colérique, mais… » Or, c’est étonnant comme mon défaut ressemble à celui de mon frère.
d) Quatrième degré
« J’accepte que l’autre me corrige ». Accepter d’avoir un défaut ne suffit pas. Encore faut-il changer. Or, l’autre nous connaît souvent mieux que nous et, en tout cas, dans sa correction, nous indique le point qui le fait souffrir : c’est une raison suffisante pour changer. Changeons en douceur.
e) Cinquième degré
« Je reconnais que mon prochain a au moins une qualité ». Là encore, il faut être concret dans le travail de nomination. Cela permet d’éveiller l’estime pour l’autre.
Puis, doublez la nomination d’une bénédiction : rendez grâce à Dieu, louez-le de la qualité de votre prochain. C’est le meilleur remède contre la jalousie. Réjouissons-nous.
f) Sixième degré
« Je reconnais que mon prochain a au moins deux qualités ». Cette reconnaissance, à l’instar de la reconnaissance des deux défauts, conjure toute tentation de jalousie : si on peut encore croire dénigrer une qualité, on ne peut lutter contre une armée de talents. Le plus économique est de les reconnaître. À moins que l’on ne conduise la jalousie jusqu’au terme de sa logique homicide.
g) Septième degré
« Je fais un effort pour acquérir cette qualité que je vois exercer par mon prochain ». Ces talents que nous observons et que j’admirons, pratiquons-les. Pour deux raisons. La première est universelle : toute vertu mérite d’être pratiquée et cette remarque vaut particulièrement pour le chrétien (Ga 4,4-6). La seconde est singulière : toute admiration, comme toute jalousie, est projective, autrement dit, elle parle de moi, de mes attentes. Saint Antoine observait ses frères ermites saints pour ensuite les imiter.
On voit poindre l’objection : mais imiter le prochain, n’est-ce pas nourrir la jalousie, faire le jeu de la rivalité mimétique ? De plus, n’est-ce pas poursuivre un bien qui n’est pas la nôtre, comme revêtir un habit qui n’est pas à notre taille ? D’abord, on a vu la part d’objectivité, d’universalité présente en tout bien. Ensuite, qui a jamais pratiqué le bien seulement parce qu’il lui apparaît bon ; le plus souvent, nous imitons : car le bien déjà pratiqué n’est pas seulement désirable, mais accessible. D’ailleurs le thème de l’imitation est au cœur de l’Évangile : pas seulement l’imitation du Christ, mais aussi des saints, comme saint Paul. Or, la sainteté ne se limite pas à la canonisation et doit bien commencer en cette vie ! !
h) Huitième degré
« Je découvre le Seigneur présent derrière les qualités de mon prochain ». Nous partons de la découverte déjà faite et la dépassons. En effet, Dieu est cause première de tout ce qui est bon. Autrement dit, nos qualités ne nous appartiennent pas totalement. Certes, nous en sommes la source ; mais nous sommes sources dans la Source. De plus, Jésus s’est identifié au plus petit. Parfois, une telle découverte est une véritable épreuve. Qu’il est difficile de se représenter Jésus présent en chacun. Pourtant, cela change le regard et la vie.
i) Neuvième degré
Nous sommes maintenant prêts pour l’étape ultime de l’amour : « Je découvre le Seigneur présent derrière les défauts de mon prochain ». En effet, la lumière de Dieu brille même dans les ténèbres les plus opaques. Car toute personne est sauvée en puissance ou en acte, en promesse ou présentement. Avons-nous pour tout homme la même espérance que Dieu et les Saints. Saint Thomas dit qu’aimer de charité c’est aimer Dieu en l’autre ou vouloir que Dieu soit en lui, ou plutôt qu’il soit en Dieu.
5) Parcours biblique
Charité : de l’égoïsme à l’amour de Dieu (étapes selon saint Bernard : amour de soi pour soi ; amour de Dieu pour soi ; amour de Dieu pour Dieu ; amour de soi pour Dieu). Même chemin pour l’amour de l’autre.
Un peu délicat à traiter, mais je prendrai David.
Enfin, pas de surprise, « C’est un devoir pour nous, les forts, de porter les faiblesses de ceux qui n’ont pas de force ». Rm 15,1. C’est dans la suite de Rm 14 qui parle de la charité envers les faibles, alors que Rm 13 parle de soumission aux pouvoirs civils, ainsi que le fameux passage de la conversion d’Augustin.
6) Illustration cinématographique
Titanic, drame et biopic de James Cameron, 1998. Avec Leonardo di Caprio et Kate Winslett.
La scène (27) se déroule de 2 h. 37 mn. 50 sec. à 2 h. 51 mn. 00 sec.
Faut-il résumer l’histoire de ce film qui a été le plus vu de toute l’histoire du cinéma ?
L’avant-dernière scène du film titanesque de Cameron est une illustration de l’amour comme acte, comme vertu et même, symboliquement, comme vertu de charité.
a) Acte d’amour
Certes, il y a présence du sentiment. Mais l’amour ne peut se réduire à un ressenti.
1’) Recherche du bien de l’autre
La recherche du bien de l’autre, donc la centration sur l’autre. Jack fait passer Rose avant lui. Mais, plus encore, il veut le bien de Rose, et le bien par excellence qu’est la vie. Lorsque celle-ci lui dit : « Je t’aime », il réagit fortement, car il sent que celle-ci ne s’accroche plus à la vie : « Ne fais pas celle qui part ». Toute l’exhortation a pour objet d’insuffler à Rose un sens à sa survie.
Mais Jack fait plus, il introduit Rose dans la vie bonne. En effet, il lui dit : « Tu dois me faire cet honneur ». Or, ce mot, typique du vocabulaire de l’époque, résonne en écho avec celle de Cal : « Vous allez me faire honneur ». En ce cas, Rose est la chose de Cal ; dans l’autre, les mêmes mots signifient tout l’inverse : il s’agit désormais de l’honneur de Rose même, ce que Jack a toujours cherché, dès la première rencontre où il s’est tu et a ainsi sauvé l’honneur de Rose.
2’) Don de soi total
Plus encore, le don de soi à l’autre. En effet, le don de soi se caractérise par le secret, la discrétion ; or, sans jamais le souligner, Jack laisse Rose monter sur la planche de bois qui ne peut contenir deux personnes. La question d’un partage de la planche ne se pose même pas.
Et ce don va jusqu’au sacrifice de sa vie, ainsi qu’on le sait.
3’) Pour la communion
Le don de soi n’est pas unilatéral. Jack désire l’union. Le don est en vue de la communion. Celle-ci ici symbolisée par l’union des mains. Accompagné d’une parole qui est un véritable échange de promesses conjugales, comme un échange de consentements : « Promets-moi maintenant, Rose, et ne romps jamais cette promesse [and never let go of that promise] ». Elle répond : « Je promets ». Il insiste : « N’abandonne jamais [Never let go] ». Et elle répond : « Je n’abandonnerai jamais, Jack ». Et elle le répète. Alors, il sourit et embrasse sa main. La communion est achevée. Il peut partir en paix. Rose elle-même, nous la retrouverons chantonnant, les yeux tournés vers la Voie lactée.
b) Vertu humaine d’amour
Plus important pour nous est que cet amour est vertueux, c’est-à-dire le fruit d’une disposition intérieure.
1’) En droit
Nul ne se donnerait dans de telles conditions. En effet, en situation de survie, l’homme régresse et le « sauve qui peut » prime tout. L’expérience des camps de concentration le montre. Et les attitudes de ceux qui entourent Jack le confirment : de Cal qui fait passer un enfant pour le sien, à celle des femmes qui ne veulent pas trop de personnes.
En effet, au tout début, lors de la tentative de suicide de Rose, Jack lui explique que l’eau est très froide et que lui-même, quand il était enfant, est un jour tombé dans une eau glaciale ; or, la sensation est tellement douloureuse (des milliers de coup de poignard) qu’elle empêche de penser… sauf à la souffrance.
2’) De fait
Si Jack peut ainsi se conduire de manière héroïque, c’est que tout le film le montre en train de multiplier les actes de don de soi. Jack n’a cessé de sauver Rose, d’un bout du film à l’autre. Déjà, lors de la première rencontre, lorsqu’il montre qu’il est prêt à sacrifier sa vie pour elle. « Si vous plongez, je plonge ». Ensuite, parce qu’il se tait pour sauvegarder la réputation de Rose et court ainsi le risque de passer pour un chenapan ; or, jamais il ne demandera rien en échange. Enfin, il lui révèle à elle-même combien elle est clivée, combien elle est prête à renoncer au feu qu’elle porte en elle. Après avoir sauvé son corps, il sauve son âme.
Dans la seule scène que nous visionnons, Jack multiplie les actes de don de soi. Ainsi, lorsque le bateau plonge, Jack ne veut pas lâcher la main de Rose et donc fait tout ce qu’il peut pour qu’elle ne plonge pas dans les remous. Puis, il la place seule sur la planche. Puis, il l’encourage, toujours tourné vers elle.
Il mourra sans un mot, sans une seule plainte.
c) Vertu théologale de charité
1’) En soi
C’est le christianisme qui a identifié l’amour au don de soi, surtout dans le cas extrême du sacrifice de soi.
Plus encore, Rose sait maintenant que sa vie présente une valeur inouïe : elle fut sauvée, c’est-à-dire qu’elle vaut la vie de celui qui a offert sa vie pour qu’elle soit sauvée. En effet, Jack ne l’a pas sauvée en la laissant sur la planche. Cela n’aurait pas suffi pour qu’elle affronte le froid. Mais, plus encore, en lui donnant la raison de se battre.
Précisément, elle a intériorisé les paroles de Jack : « Tu dois me promettre que tu vas survivre [You must promise me that you’ll survive], que tu n’abandonneras jamais, quoi qu’il arrive [that you won’t give up, no matter that happens], même si cela a l’air sans espoir [no matter how hopeless] ».
2’) Symboliquement
Le film peut être relu à partir d’une grille de lecture chrétienne, singulièrement cette scène.
Rose elle-même reconnaît la fonction salvifique de Jack : « He saved me in all the possible meanings of that word ».
Dans cet air glacial et bleui qui fait ressortir les souffles, l’on mesure combien Jack a insufflé la vie à Rose. Or, qui dit souffle, dit Esprit.
3’) Le lien des trois théologales
Une confirmation en est la présence symbolique des deux autres théologales.
Tout d’abord, le travail de la reconnaissance qui est celui de la foi. Par certains côtés, la temporalité de la foi est le passé, les actes de Dieu qui fonde sa crédibilité et, plus encore, sont objet de foi. Or, Jack fait mémoire : « Gagner ce ticket fut la meilleure chose qui me soit jamais arrivée. Il m’a amenée à toi [brought me to you]. Et je lui suis reconnaissant pour cela, Rose [I’m thankful for that]». Même si le donateur demeure anonyme, la source est nommée, qui ne s’identifie ni au hasard ni à l’effort de Jack.
Ensuite, le travail de l’espérance qui la tourne vers le futur. Or, Jack tourne Rose vers le futur. De même, il l’a poussé à ce qu’elle croit en lui. De fait, nous verrons dans la dernière image combien Rose a réalisé tous les projets que lui a inspiré Jack : monter à cheval comme un homme, etc. Elle a tellement peu abandonné qu’elle a survécu et, plus encore, bien vécu, 84 ans, donc jusqu’à 102 ans. Cela signifie aussi combien l’amour de Jack n’était pas ligotant mais libérant : il n’a pas attaché Rose à sa personne mais à la vie et à la vérité et au don d’amour.
Enfin, l’œuvre de la charité qui nous inscrit dans le présent du don de soi.
d) Les figures contraires
Une confirmation est apportée par les contre-figures. On peut distinguer plusieurs cas de figure, que l’on peut graduer du plus éloigné au moins éloigné.
1’) Les égoïstes
Tel est le cas de ceux qui sont dans les barques. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : seule une barque sur vingt reviendra sauver les survivants ; et si tard que seuls 6 sur 1500 seront sauvés.
2’) Les affolés
Tel est le cas de l’homme qui menace Rose de couler. Sa panique est telle qu’il la prend pour une bouée de sauvetage ou un objet qui pourrait le tenir hors de l’eau, et en vient à menacer sa vie. La panique obscurcit l’intelligence.
3’) Les lâches
Tel est le cas de tante Mollie. Certes, elle manifeste un certain courage et même une certaine abnégation, un sens de la gratuité, elle qui pourtant est sans son mari et qui rappelle aux femmes que les cris des agonisants sont ceux de leurs époux. Pourtant, après avoir résisté un peu contre le marin, elle finit par s’asseoir et donc céder à la peur. Qu’aurait-elle dû faire ? Comme Jack, mettre sa vie en danger pour sauver celle des autres. Mais seul l’amour permet d’aller jusqu’à cette extrémité.
4’) Les autocentrés
Tel est le cas de Rose qui, de repliée sur elle, va finir par se déplier et se déployer. En effet, au départ, elle est centrée sur elle et sa souffrance : « Je ne sens plus mon corps ». Il est important de comprendre en quoi consiste ce repli sur soi : ce n’est pas d’abord un refus de se donner à l’autre mais, plus profondément, de recevoir l’autre, de reconnaître, aux deux sens du terme. Or, après le dialogue rapporté ci-dessus, Jack a invité Rose à découvrir combien elle a reçu, non pas sur le mode culpabilisant, mais sur le mode responsabilisant. Quand elle répètera à deux reprises : « Je n’abandonnerai jamais, Jack », elle sera enfin décentrée de sa souffrance pour reconnaître tout le bien qui lui a été fait. Elle pourra alors y répondre en trouvant l’énergie pour aller vers son salut. Et elle continuera à y répondre en demeurant fidèle jusqu’au terme à celle dont elle prendra le nom de famille, Rose Dawson.
7) Bibliographie sélective
a) Sources bibliques
– Joseph Coppens, « La doctrine biblique sur l’amour de Dieu et du prochain », Ephemerides Theologicæ Lovanienses, 40 (1964), p. 252-299.
– Philippe Delhaye, « Dossier néo-testamentaire de la charité », Studia Montis Regii (Montréal), 1966, p. 155-177.
– André Feuillet, Le mystère de l’amour divin dans la théologie johanníque, Paris, Gabalda, 1972.
– Ceslas Spicq, Agapè dans le Nouveau Testament. Analyse des textes, Paris, Gabalda, 3 vol., 1957-1959.
b) Sources magistérielles
– Benoît XVI, Lettre encyclique Deus caritas est sur l’amour chrétien, 25 décembre 2005 : trad. fr. La Documentation catholique, n° 2352 (2006), p. 162-163.
c) Sources traditionnelles
– S. Aelred de Rievaulx, Le miroir de la charité, trad., introd., notes et index par Ch. Dumont, G. de Briey, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 22001 (1992).
– S. Augustin, Commentaire de la première épître de S. Jean, trad. Paul Agaësse, coll. « Sources chrétiennes » n° 75, Paris, Le Cerf, 1961.
– Marie-Madeleine Davy, Bernard de Clairvaux, Paris, 1990, p. 149-184 : « L’amour de Dieu; Les degrés de l’amour ».
– Jacques Follon et James McEvoy, Sagesses de l’amitié II. Anthologie de textes philosophiques patristiques, médiévaux et renaissants, Paris, Le Cerf – Fribourg, éd. Universitaires, 2003.
– S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, 1626.
– Étienne Gilson, La théologie mystique de saint Bernard, Paris, Vrin, 1934, p. 78-141.
– Guillaume de Saint-Thierry, Deux traités de l’amour de Dieu : De la contemplation de Dieu. De la nature et de la dignité de l’amour, trad. Marie-Madeleine Davy, coll. « Bibliothèque de textes philosophiques », Paris, Vrin, 1953.
– Richard de Saint-Victor, Les quatre degrés de la violente charité, trad. Gervais Dumeige, Paris, Vrin, 2002.
– S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 23-46.
d) Manuels et monographies
– Charles Journet, Entretiens sur la charité, Saint-Maur, Parole et silence, 1999.
– Michel Labourdette, Cours de théologie morale. 10. La charité, IIa-IIæ, q. 23-46, Toulouse, 1959-1960 : Marie-Michel Labourdette, La charité. « Grand cours » de théologie morale, t. 10, coll. « Bibliothèque de la revue Thomiste », Paris, Parole et Silence, 2016.
– Joseph Ratzinger, Regarder le Christ. Exercices de foi, d’espérance et d’amour, trad. Bruno Guillaume, Paris, Fayard, 1992.
– Marie-Anne Vannier, Dieu le Père, mystère de charité, coll. « Foi vivante » n° 404, Paris, Le Cerf, 1998.
Pascal Ide
[1] Œuvres mystiques, trad. Albert Béguin, Paris, Seuil, 1953, p. 29. Souligné par moi.
[2] Traité de l’amour de Dieu, L. III, chap. 10, Paris, Gabalda, 1916, tome 1, p. 206-207.
[3] Henri Caffarel, Aux carrefours de l’amour, Paris, Parole et Silence, 2001, p. 132. Cité par Magnificat, n° 154, septembre 2005, p. 370.
[4] Sœur Emmanuel, L’extrême Miséricorde « Non, Judas, il n’est pas trop tard ! », Nouan-le-Fuzelier, Éd. des Béatitudes, 2000, p. 23.
[5] Ibid., p. 14-16.
[6] Ibid., p. 17-22.
[7] Ibid., p. 23-26.
[8] Ibid., p. 26-27.
[9] Ibid., p. 35 ; cf. p. 35-38.
[10] Saint Claude La Colombière, « De l’amour du prochain », in écrits spirituels, André Ravier (éd.), coll. « Christus » n° 9, Paris, DDB, Bellarmin, 21982, p. 432 à 438, ici p. 432 et 433.
[11] Odile Terra, La compassion. Aimer jusqu’au bout, coll. « Points de Repère sur », Paris, Éd. de l’Emmanuel, s. d., p. 55-57.
[12] Saint Vincent de Paul, Correspondance, entretiens, documents, édit. P. Coste, Paris, Gabalda, 1920-1925, 14 volumes, tome V, p. 167s. Abrégé VP. Cf. le bel article de Raymond Darricau, « L’union des esprits et des cœurs. L’enseignement de Vincent de Paul et de Louise de Marillac », in Nouvelle Revue Théologique 116/4 (juillet-août 1994), p. 530-544. Je lui emprunte les références qui suivent.
[13] Conférence sur l’union, du 26 novembre 1643, VP, tome IX, p. 97.
[14] Conférence du 22 janvier 1648, VP, tome IX, p. 372 s.
[15] Ghislain Lafont, « Sensibilité », in Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, 1988, tome 14, fasc. XCII, c. 617 à 623, ici c. 622.
[16] Règle, n. 43.
[17] La Croix de Jésus, Paris, 1937, p. 87.
[18] Élie Wiesel, Le crépuscule au loin, Paris, Grasset, 1987, p. 47.
[19] Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 25, a. 1.
[20] Paris, Le Cerf, 1985, tome 3, p. 183, note 3.
[21] Je reprendrai en partie un article : Pascal Ide avec la collaboration de Luc Adrian, « Faut-il s’aimer soi-même ? », Famille chrétienne, n° 1175, 20 juillet 2000, p. 10-17.
[22] Cité par Jean-François Catalan, Dépression et vie spirituelle, coll. « Voie spirituelle », Paris, DDB, 1996, p. 37.
[23] Jean-Louis Bruguès, Les idées heureuses. Vertus chrétiennes pour ce temps. Conférences du Carême 1996 à Notre-Dame de Paris, Paris, Le Cerf, 1996, p. 25. Toute la première conférence porte sur les vertus de l’estime de soi (p. 19-41).
[24] Georges Bernanos, Le journal d’un curé de campagne, in Œuvres romanesques, suivies de Dialogue des carmélites, notes par Michel Estève, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1961, p. 1258. « Tout est grâce » est l’avant-dernière phrase non pas du journal, mais du roman (p. 1259).
[25] Sous le soleil de Satan, in Œuvres romanesques, p. 97.
[26] Saint Bernard, Sermon 83e, in Sermons sur le Cantique des Cantiques, in Œuvres mystiques, Paris, Seuil, 1953, p. 846-848.
[27] Sainte Thérèse d’Avila, Le livre des Fondations, 5/15.
[28] Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 27, a. 1.
[29] Cf. par exemple Théodoret, Interpretatio Epistulae ad Romanos, PG 82, 185 ; Martin Luther, La lettera ai Romani (1515-1516), coll. « Classici del pensiero cristiano » n° 7, éd. F. Buzzi, Cinisello Balsamo, Ed. Paoline, 1991, p. 631.
[30] Cf. Karl Barth, L’épître aux Romains, trad. P. Jundt, Genève, Labor et Fides, 10ème éd., 1972, p. 406.
[31] Jean Monbourquette Comment pardonner ? Pardonner pour guérir. Guérir pour pardonner, Ottawa, Novalis et Paris, Le Centurion, 1992, p. 186-187.
[32] St Ignace de Loyola, Exercices spirituels, n. 230-237.
[33] Versailles, Saint-Paul, 2000.