5) L’acte de la justice
L’acte propre de la justice est le jugement.
a) Illustration
Downton Abbey, Saison 1, épisode 1.
La scène se déroule de 1 h. 1 mn. 55 sec. à 1 h. 2 mn. 12 sec. (le très bref échange dans le lit), puis 1 h. 2 mn. 36 sec. à 1 h. 4 mn. 17 sec. Donc, en sautant le bref échange entre le Comte et Carson dans le salon.
La scène se déroule de 1 h. 1 mn. 50 sec. à 1 h. 4 mn. 20 sec. En sautant la scène du matin qui se passe dans le salon sur le duc et en reprenant à 2 mn. 36 sec.
Histoire. Formulation plus complexe
Peu importe ici le détail. Notons seulement que le comte de Grantham habite la somptueuse demeure de Downton Abbey, en Angleterre. La vie des domestiques au domaine est méticuleusement organisée, sous l’égide du maître d’hôtel aussi dévoué que psychorigide Charles Carson. Thomas Barrow est l’un des deux valets de pied ; il ambitionne depuis longtemps de monter en grade et de devenir valet de chambre.
C’est alors qu’arrive John Bates. Ancien compagnon d’armes du comte pendant la guerre des Boers, celui-ci le nomme aussitôt son valet de chambre attitré, ce qui suscite la jalousie du sombre Thomas. De plus, boîtant à cause d’une vieille blessure, il est dans l’incapacité d’assurer les tâches que l’on attend de sa fonction : porter les bagages, etc. Il s’attire donc le désaveu de certains membres du personnel, à commencer par Carson. C’est l’occasion rêvée pour Thomas. Une cabale est alors montée pour que Bates parte en soulignant son handicap. Inconscient de cette conjuration, Carson fait savoir au comte sa décision comme maître d’hôtel : le départ de Bates.
Histoire. Formulation plus simple
Peu importe ici le détail. Notons seulement que le comte de Grantham habite la somptueuse demeure de Downton Abbey, en Angleterre. La vie des domestiques au domaine est méticuleusement organisée, sous l’égide du maître d’hôtel aussi dévoué que psychorigide Charles Carson. C’est alors qu’arrive John Bates. Ancien compagnon d’armes du comte pendant la guerre des Boers, celui-ci le nomme valet de chambre attitré. Or, boîtant à cause d’une vieille blessure, il est dans l’incapacité d’assurer les tâches que l’on attend de sa fonction : porter les bagages, etc. Il s’attire donc le désaveu de certains membres du personnel, à commencer par Carson qui fait savoir au comte sa décision comme maître d’hôtel : le départ de Bates.
Premier épisode
Downton Abbey, Saison 1, épisode 1.
La scène se déroule de 0 h. 46 mn. 40 sec. à 1 h. 48 mn. 27 sec. La scène entre le comte et Bates.
La première scène, qui se déroule entre le comte et Bates est riche relativement à la vertu de justice. La question posée est : qu’est-il juste, qu’est-il droit de faire dans cette situation ?
1’) L’objet
Ce premier épisode fait appel à ce qui est juste et droit.
Du côté du comte. D’abord : « Je vous avais promis une période d’essai, et c’est ce que j’ai fait ». Ensuite, il fait appel à une autre donnée : « Servir à table dans une réception, porter des choses ». Son corps lui-même est parlant : il se tourne vers Bates et lui parle en face : le corps droit signale un esprit droit. De même, le comte regarde Bates dans les yeux : un homme faux se dérobe au regard d’autrui.
On notera que, à chaque fois, les considérations sont objectives, ne font pas intervenir des données personnelles. Le juste est ce qui est conforme au bien objectif. La boulangère ne fait pas payer la baguette plus chère à un client qui lui est antipathique, du moins si elle est honnête. De toute manière, celui-ci pourra toujours faire valoir le prix qui est affiché.
2’) La définition de la justice
Bates lui-même ne se laisse pas vaincre en justice : « Quand il faudra un autre valet de pied, retenez-le sur mes gages ». Puis : « Je veux être payé pour le travail accompli ». Nous touchons ici un autre aspect de la justice qui est sa définition même. La justice consiste à rendre à chacun selon ce qui lui est dû.
On objectera que tout ne relève pas de la pure justice. Le comte ajoute : « Je vous aiderai ». et, après : « Vous recevrez un mois de gage, j’insiste là-dessus ». Ce qui est un surcroît suscitant la réaction de cet homme droit qu’est Bates. Mais, là encore, celui-ci est un homme d’honneur qui se défend de faire appel à autre chose qu’à la justice, pour ne pas incommoder le comte : ainsi lorsqu’il dit ne pas savoir pourquoi il est tombé, alors qu’il sait pertinemment que ce n’est pas de sa faute. Ainsi, la justice déborde aussi en miséricorde. On pourrait toutefois dire que c’est encore le bien de la personne qui est servi, et donc que, bien de sucroît, ces attitudes s’inscrivent dans le prolongement d’une justice, complétant ce qu’elle pourrait avoir de trop anonyme, voire froide.
3’) Le jugement
Pour énoncer le droit, le juste, il faut un jugement. Celui-ci applique la loi à ce cas particulier : j’ai brûlé un feu de signalisation, je suis en tort. Mais, en matière difficile, contingente, deux lois peuvent se trouver en conflit. C’est le cas ici : d’un côté, le bien de Downton Abbey (et aussi des domestiques), de l’autre, le bien de Bates. Or, quoiqu’il s’agisse de deux biens, il semble qu’ils soient incompatibles. Alors, le jugement doit trancher, déterminer ce qui est juste. Il fait aussi appel à une autre vertu : la prudence.
Nous reviendrons sur l’instance qui pose le jugement.
4’) Limite
Pourtant, un autre critère peut aussi intervenir, plus subjectif :
Au terme de l’entretien, on sent le comte divisé. Sa décision ne l’a pas mis en paix. Deux signes. Le premier est verbal. Au lieu d’employer une affirmation, ce qui est le genre littéraire du jugement, le comte pose la question : « Vous vous rendez compte que Carson ne peut pas se permettre de compromettre l’efficacité de son personnel ? ». De plus, au terme, il conclut : « C’est une sale affaire, mais j’ignore comment faire autrement ». L’autre signe est non verbal : le corps du comte se rigidifie ; son regard cesse de fixer Bates. Il s’intériorise et va devenir ce que l’on pourrait appeler un « regard de conscience », ce dont nous allons parler. Autrement dit, son jugement n’est pas arrêté.
Entre les deux scènes
Homme droit qui ne veut pas décevoir le comte, Bates accepte son départ. Le comte de Grantham, lui, est divisé. Au fond de lui, il sent l’injustice, et pourtant il entend les arguments, notamment de Carson. Que faire ? Le voici avec son épouse, Lady Cora ; puis, le lendemain, lors du départ (avec une autre personne, mais il importe peu ici).
Histoire en sa formulation simple si je ne veux présenter que ce second épisode
Peu importe ici le détail. Notons seulement que le comte de Grantham habite la somptueuse demeure de Downton Abbey, en Angleterre. La vie des domestiques au domaine est méticuleusement organisée, sous l’égide du maître d’hôtel aussi dévoué que psychorigide Charles Carson. Thomas Barrow est l’un des deux valets de pied ; il ambitionne depuis longtemps de monter en grade et de devenir valet de chambre.
C’est alors qu’arrive John Bates. Ancien compagnon d’armes du comte pendant la guerre des Boers, celui-ci le nomme aussitôt son valet de chambre attitré, ce qui suscite la jalousie du sombre Thomas. Or, boîtant à cause d’une vieille blessure, il est dans l’incapacité d’assurer les tâches que l’on attend de sa fonction : porter les bagages, etc. Il s’attire donc le désaveu de certains membres du personnel, à commencer par Carson. C’est l’occasion rêvée pour Thomas. Une cabale est alors montée pour que Bates parte en soulignant son handicap. Inconscient de cette conjuration, Carson fait savoir au comte sa décision comme maître d’hôtel : le départ de Bates.
Homme droit qui ne veut pas décevoir le comte, Bates accepte son départ. Le comte de Grantham est divisé. Au fond de lui, il sent l’injustice, et pourtant il entend les arguments, notamment de Carson. Que faire ? Le voici avec son épouse, Lady Cora ; puis, le lendemain, lors du départ (avec une autre personne, mais il importe peu ici).
Second épisode
Avant d’analyser, laissons-nous émouvoir par cette scène. Pour cela, il faut se déplacer d’un siècle et dans un autre lieu. En ce château, les classes sociales sont aussi cloisonnées que les étages : par exemple, on ne verra jamais une cuisinière dans le salon des Grantham. Il y va plus que d’une question de convenance, il y va de la cohérence d’une société. Or, que voyons-nous ici ? Cette inversion (temporaire) de la hiérarchie sociale où, contre toute attente et toute convenance sociale, c’est un homme de la high class qui course un homme de la low class.
La première scène montre plusieurs éléments constitutifs de la vertu de justice.
1’) Sa source
La source de la justice réside dans la conscience. Or, la conscience du comte lui dit qu’il est en train de laisser se commettre une injustice. Deux faits l’attestent : sa parole et le langage non-verbal.
D’abord, le soir, en dialoguant avec son épouse, le comte parle de « conscience ». Ensuite, lorsqu’il voit Bates, son visage est tourmenté, son regard dirigé au-dedans de lui. Tout, dans son corps dit son malaise.
En effet, on l’a vu, le comte de Grantham est divisé par cette décision qui lui échappe, qu’au fond, il n’a pas prise. Or, toute désunité subie se traduit dans notre corps, nos mots ou nos gestes.
2’) Son objet
L’objet de la justice n’est pas la loi comme on le croit souvent, mais ce qui est droit, ce qui est juste. Or, les paroles du Comte à Carson disent l’objet de la justice, le droit : « It was not right ! ». Il le redit une seconde fois, soulignant ainsi que son propos est bien arrêté. Il ne dit pas plus, montrant combien c’est sa conscience et non pas quelque raisonnement analytique. Celui-ci pourra être utile pour clarifier l’intelligence, voire expliquer à autrui la décision prise.
Rappelons un point essentiel : suivre sa conscience suppose que celle-ci soit droite, donc que la personne se comporte habituellement de manière juste, cherchant le bien commun et non son bien propre. Alors, l’inclination spontanée, connaturelle exprime la justice. Or, tel est le cas du comte dont on a vu dans le premier épisode qu’il cherche ce qui est juste.
Répétons-le: le droit est objectif. Il s’agit ici du bien de Bates. Ce qui suppose que le comte mette son bien entre parenthèses, qu’il ne détermine pas ce qui est juste en fonction de son bien subjectif, mais en fonction du bien objectif qui est celui de Bates – le contraire même de ce qui a conduit à l’éviction de Bates.
Le comte est aussi sans doute touché par l’absence de plainte de Bates qui, à aucun moment, ne reproche le sort qui lui est fait.
3’) Son acte
La justice ne peut s’exercer que si ce qui est juste (ou droit) est déterminé. Cela requiert un acte spécifique, à savoir le jugement ou la sentence qui tranche et énonce, prescrit ce qui est droit. Or, c’est ce que fait le comte en une parole laconique, mais précise. Après avoir demandé à Bates de descendre, il lui dit : « Vous rentrez ». Cette détermination ne correspond pas d’abord à une loi (au contraire, Grantham transgresse le consensus), mais à ce qui est droit.
4’) L’exécution de l’acte et le lien aux autres vertus
Juger ne suffit pas. Encore faut-il exécuter.
Et, là encore, les vertus ne vont pas les unes sans les autres : ici, pas de justice sans courage (face à l’opinion des autes, du personnel, comme de sa famille) ; pas de justice sans prudence (le Comte a agi sans procrastination ni précipitation : il fallait trancher vite ; or, en ce cas, décision vaut mieux que précision).
Enfin, les gestes accomplissent ce qu’il pense. de deux manières, là encore, par un geste et
5’) Les conséquences ou le rayonnement de l’acte
Nous le redirons, tout acte a des conséquences. Même si les effets ne sont pas traditionnellement comptés parmi les éléments constitutifs d’un acte humain et parmi les critères de moralité, les négliger ampute l’action de tout son impact social. Peut-être une conception plus holistique ou systémique de l’acte humain devrait-elle les prendre en compte, sans pour autant nier le caractère complet de chaque acte moral, et donc le droit de l’évaluer comme tel, indépendamment de toute la série d’où il émerge et toute celle dont il sera l’inaugurateur.
Quoi qu’il en soit, ici, les effets de cet humble acte sont grandement bénéfiques. Tout d’abord, le comte assure et rassure le personnel : si quelque injustice est commise, Grantham n’hésitera pas à intervenir et défendre les domestiques du chateau. Plus encore, il agira quoi qu’il en coûte, y compris sa réputation, pour défendre les siens, y compris le personnel. Enfin, il montre que le comte est capable de reconnaître une erreur
Troisième épisode (je ne le garde pas)
Downton Abbey, Saison 1, épisode 2.
La scène se déroule de 1 h. 37 mn. 25 sec. à 1 h. 41 mn. 25 sec.
Le maître d’hôtel Charles Carson est respecté de tous pour sa droiture. Pourtant, un doute plane sur lui. Jusqu’au jour où quelqu’un se prétendant être son ami, Charles Grigg, débarque à Downton. Quel secret inavouable va-t-il être dévoilé ?
Nous voyons typiquement mis en scène un jugement, ce qui est l’acte de la justice.
- Deux partis sont en cause qui, tous deux, sont coupables. Charles Carson a volé, a pris de la nourriture sans rien dire. Charles Grigg joue au maître-chanteur.
- Il s’agit d’arbitrer, de juger, c’est-à-dire de déterminer le juste par un jugement. Le comte doit peser le juste et l’injuste, le vrai et le faux. Nous sommes dans le cadre britannique de la loi non écrite. Nous sommes dans une matière contingente, où il n’y a pas de certitude absolue. Et ce jugement doit déterminer ce qu’il faut rendre à chaque partie : ici 20 livres pour la partie qui se prétend lésée.
- C’est à l’autorité compétente de juger. Or, aucun des deux Charlie ne peut se prétendre tel. Il est significatif que le comte ne tranche pas dans le sens de son maître d’hôtel. Celui-ci ne juge pas de manière droite, mais excessive : « I give my resignation ». Le comte de Grantham connaît son perfectionnisme, sa psychorigidité, donc sa trop grande exigence et son risque, par culpabilité, de se punir – perdant le sens du bien commun, à savoir son service de la maison. De plus, il voit bien qu’il s’accuse (« I stole »), alors que l’autre accuse, voire menace. Aussi refuse-t-il son jugement. Lui seul est l’autorité compétente pour juger. La parole ironique de Charles Grigg : « You’re a big man », dit plus vrai qu’il ne le sait lui-même.
b) Le jugement
Après une longue analyse, on a vu que l’acte de la prudence consistait surtout dans l’intimation à l’exécution. Le cas de la justice est bien moins complexe : tout le monde en convient, le propre du juste est de juger. Juger sera donc déterminer ce qui est droit moralement dans les relations à autrui. Toujours à l’instar de la prudence dont l’acte propre (intimer l’action) est préparé par une longue manœuvre d’approche, le jugement, acte propre de la justice, se ravitaille notamment à une enquête permettant de bien établir les faits ; et cette enquête est menée par l’intelligence pratique. Aussi la justice s’étaye-t-elle sur la prudence : pour savoir s’il est juste ou injujste de partager tel lopin de terre ou tel héritage, il convient d’abord de se renseigner, de prendre conseil. Pas de vraie justice sans prudence : nous saisissons ainsi sur le vif une application du principe de connexion des vertus. Pour autant, ces deux vertus ne se confondent pas : il peut être permis et donc juste de doubler en voiture, mais être très imprudent de le faire ! Si on dit alors que l’acte n’est pas juste, car il n’est pas bien a-justé, c’est au sens très général du mot justice, co-extensif à tout acte, non pas au sens précis que nous lui donnons en ce moment, à savoir la rectitude de nos relations à autrui.
c) Les conditions du jugement
Trois conditions sont impératives pour que jugement soit rendu : un objet conforme au droit, une intention droite, une réaction proportionnée, l’autorité légitime [1]. Il y a injustice lorsque l’acte transgresse la loi, est vindicatif ou démesuré ou accompli par une personne dénuée de légitimité. Comme l’eau dans le pastis, un seul de ces facteurs négatifs suffit à la troubler.
- Est juste le jugement de celui qui agit conformément à ce qu’énonce la loi. Mais celle-ci ne peut décrire toutes les situations, épouser chaque cas concret. Un jugement légitime, alors, est celui qui se circonscrit à ce qui est observé. Il s’arrête donc à l’extérieur et à l’acte ponctuel. Inversement, est injuste tout jugement qui passe de l’acte à l’intention (par exemple de « Il se lève à neuf heures du matin » à « Il est paresseux ») et d’une action à sa généralisation (par exemple de « Tu as menti » à « Tu es menteur »).
- Est juste le jugement porté par une intention droite. Vos voisins du dessus enchaînent les noubas jusqu’à deux heures du matin tous les samedis soirs, impossible de dormir. Ils vont payer ! À la prochaine réunion du syndic de l’immeuble, vous proposez que l’on augmente la taxe d’ascenseur pour les étages supérieurs. Etes-vous réellement mû par un souci d’équité ? Certes, vous pouvez avoir la majorité pour vous, donc agir conformément au droit. Mais l’acte requiert aussi la droiture de l’intention de celui qui agit pour rendre justice, non pour faire vengeance.
- Est juste le jugement mesuré. Les journaux américains fourmillent de ces faits divers qui voient des automobilistes percutant involontairement un autre véhicule, se retrouver menacés, voire blessés, par une arme à feu brandie par l’embouti ulcéré ! Si l’on peut présumer que l’objet est juste et l’intention droite, la réaction manque cruellement de mesure et donc est injuste.
- Enfin, et ce n’est pas le moindre des critères, n’est juste qu’un jugement porté par celui qui a l’autorité compétente pour le porter. Toutes les conditions précédentes sont remplies, mais il manque l’instance mandatée par l’État. Or, celle-ci est le juge ; en absence de juge, celui qui exécute la sentence n’est qu’un justicier. De même que la vengeance caricature la justice, de même le justicier n’est qu’une grimace, violente, du juge. D’ailleurs les deux caractéristiques (justicier, vengeance) sont souvent étroitement nouées ensemble. Les films regorgent de ces figures de justicier qui interviennent au nom de l’inefficacité, voire de la corruption des instances légales, au point qu’on est en droit de craindre qu’ils ne présentent ces justiciers comme les seuls à même de rendre justice. Rares sont les scénarios qui osent montrer que le justicier est un « ripou » qui finit par coïncider avec le criminel. L’un des plus grands films qui dénoncent cette tragique contrefaçon de la justice est peut-être le plus beau western tourné par John Ford, d’après le roman éponyme d’Alan Le May (1956), The Searchers (La prisonnière du désert).
d) Est-il légitime de juger ?
1’) Objection
chrétien rencontre ici une objection forte. L’Écriture ne donne-t-elle pas à penser qu’il ne faut pas juger ? Ne rappelons qu’une parole du Christ : « Ne jugez pas, pour n’être pas jugés ; car du jugement dont vous jugez on vous jugera et de la mesure dont vous mesurez on usera pour vous [2] ». Un aphorisme des Pères du désert raconte : « La vertu est dans le juste milieu », dit le diable en s’asseyant entre deux anciens qui prétendaient juger un frère !
De plus, ne risque-t-on pas de se tromper ? Sainte Thérèse de Lisieux en donne un exemple frappant :
« Ah ! comme il ne faut rien juger sur la terre. Voilà ce qui m’est arrivé en récréation, il y a quelques mois. C’est un rien, mais qui m’a appris beaucoup :
« On sonnait deux coups, et la Dépositaire étant absente, il fallait une tierce à ma Sr Thérèse de St Augustin. Ordinairement, c’est ennuyeux de servir de tierce, mais cette fois cela me tentait plutôt, parce qu’on devait ouvrir la porte pour recevoir les branches d’arbre pour la crèche.
« Sr Marie de St Joseph était à côté de moi et je devinais qu’elle partageait mon désir enfantin. ‘Qui est-ce qui va me servir de tierce ?» dit ma Sr Thérèse de St Augustin. – Aussitôt, je défais notre tablier, mais lentement, afin que ma Sr Marie de S. Joseph soit prête avant moi et prenne la place, ce qui arriva. Alors, St Thérèse de St Augustin dit en riant et me regardant : ‘Eh ! bien c’est ma Sr M. de St J. qui va avoir cette perle à sa couronne. Vous alliez trop lentement.’ Je ne répondis que par un sourire et me remis à l’ouvrage, me disant en moi-même : ‘O mon Dieu que vos jugements sont différents de ceux des hommes ! C’est ainsi que nous nous trompons souvent sur la terre, prenant pour imperfection dans nos coeurs ce qui est mérite devant vous !’ [3] ».
Ajoutons une allégorie. Deux anges s’arrêtèrent pour passer la nuit dans la maison d’une famille aisée. La famille était méchante et refusa que les anges demeurent dans la chambre d’amis de la maison. À la place, ils laissèrent les anges dormir dans une petite pièce située dans le sous-sol froid.
Pendant qu’ils faisaient leur lit sur le sol dur, le plus âgé des anges aperçut un trou dans le mur et le répara. Quand le plus jeune des anges demanda « pourquoi ? », le plus âgé des anges répliqua : « Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent ».
La nuit suivante, les deux anges arrivèrent pour se reposer dans une maison où les gens étaient vraiment pauvres, mais où le fermier et sa femme étaient très hospitaliers. Après avoir partagé le peu de nourriture qu’ils avaient, le couple laissa les anges dormir dans leur lit pour qu’ils aient une bonne nuit de sommeil. Lorsque le soleil se leva le lendemain matin, les anges trouvèrent le fermier et sa femme en larme. Leur unique vache, dont le lait était une bénédiction, gisait morte sur le sol.
Le plus jeune des anges était furieux et demanda au plus âgé des anges comment il avait pu laisser faire cela. « La première famille avait tout et tu l’as aidée en réparant un trou dans leur mur au sous-sol », accusa l’ange. La deuxième famille avait peu, mais était disposée à tout partager et tu as laissé sa vache mourir. « Les choses ne sont pas toujours comme elles paraissent », répliqua le plus âgé des anges. « Quand nous sommes restés dans le sous-sol de la maison de la première famille, je me suis aperçu qu’il y avait de l’or rangé dans le trou du mur au sous-sol. Étant donné que le propriétaire était tellement rempli de haine et qu’il ne voulait pas partager sa fortune, j’ai bouché le trou afin qu’il ne retrouve plus cet or. Et, la nuit dernière, lorsque nous étions endormis dans la chambre du fermier, l’ange de la mort venait chercher la femme du fermier. J’ai négocié avec lui et je lui ai donné l’unique vache du fermier à la place. Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent. Quelquefois, c’est exactement ce qui arrive lorsque les choses ne tournent pas de la façon dont on voudrait qu’elle tourne ».
Si vous avez la foi, vous n’avez qu’à croire que chaque mauvaise tournure des choses est à votre avantage. Il se peut que vous ne vous en rendiez pas compte au début, jusqu’au jour où vous vous apercevrez qu’elles étaient effectivement à votre avantage. Une personne arrive dans ta vie et rapidement, elle s’en va. Une autre personne devient ton ami en te laissant de belles empreintes sur ton cœur et tu n’es plus jamais le même ou la même, car tu t’es fait un nouvel ami ou une nouvelle amie ! Hier est de l’histoire ancienne. Demain est un mystère. Aujourd’hui est un cadeau. Et c’est pourquoi, on l’appelle le présent !
2’) Réponse
Le jugement n’est légitime que s’il a rempli les trois conditions ci-dessus. Sinon on le qualifie respectivement d’inique, de téméraire, d’usurpé. Disons un mot sur les deux dernières qualifications, car autant tout le monde s’accorde pour dire qu’est juste un acte conforme au droit, autant la témérité ou l’usurpation apparaissent comme des dérogations négligeables, accidentelles.
Le jugement téméraire ne doit pas être confondu avec la précipitation, même si cette dernière le signale : celle-ci est faute contre la prudence mais celui-là contre la justice.
D’abord, le jugement téméraire ne prend pas l’affaire au sérieux, car au fond on méprise celui qu’elle touche. Si en effet on estimait la personne comme on le doit, on ne la souçonnerait pas, on ne douterait pas d’elle sur de futiles indices. Considérez combien à l’inverse, « l’amour excuse tout [4]« , même s’il est parfois aveugle ! Là gît le désordre du jugement téméraire : il ne consiste pas dans la mauvaise opinion qu’on a d’autrui, mais en ce que cette opinion fondée si légèrement est injurieuse.
La témérité a une autre cause : nos propres complicités avec le mal. « Pour le pur tout est pur », dit-on. Mais cette parole est plus une condamnation qu’un compliment. Un mot équivoque n’apparaît pas malsain à celui qui, rectifié, n’y lit que son sens obvi, dénué de sous-entendus déplaisants. Naïveté, pensera-t-on ? Non pas, lucidité : et ce que nous venons de dire le rend clair. En effet un jugement doit être fondé ; combien de jugements défavorables se nourissent d’indices inconsistants. C’est le sens de l’adage : « Tel on est, tel on juge ». Le menteur habituel ne se fie à personne. Combien une expérience comme celle de la jalousie, par exemple, sensibilise à cette question mais invite aussi à des défiances sans raison. Cela vient de la connaturalité qu’induisent en nous nos dispositions et dont nous avons parlé avant : nous les jugeons selon notre inclination. Voilà pourquoi « nous soupçonnons si facilement ceux que nous n’aimons pas. Pour nous, ils sont mauvais ; nous devons trouver, il est naturel que nous trouvions en eux du mal. […] Si nous les jalousons, tout ce qui leur arrive nous semble faveur imméritée et intolérable [5] ».
Enfin, le jugement peut être usurpé. C’est évident dans le cas de ceux qui s’instituent justiciers. Et bon nombre de films ont rendu sympathique cette figure du justicier qui supplée une justice étatique défaillante : en fait méfions-nous : l’attirance que de tels héros engendrent n’alimente-t-elle pas secrètement en nous une violence expéditive mal régulée qui fait trop vite l’impasse des jugements nécessaires ? Le cardinal Lustiger remarquait justement à l’émission 7 sur 7 que l’attitude de l’ayattolah Khomeiny à l’égard de Salman Rushdie ne doit pas d’abord être jugée au plan de la tolérance ou de l’intolérance, mais du point de vue de la stricte justice. En effet de quel droit un chef d’État s’arroge-t-il le droit de vouloir tuer quelqu’un sans le juger ? C’est là, très proprement, l’attitude du gangster.
e) Une contre-attitude : la vengeance
Le grand opposé à la justice est la vengeance ; mais rares sont les films qui en montrent les effets dévastateurs. On ne peut se venger qu’en déshumanisant son agresseur.
1’) Illustration
8 mm, thriller américain de Joel Schumacher, 1999.
Les scènes (27 et 28) se déroulent de 1 h. 33 mn. 15 sec. à 1 h. 41 mn. 30 sec., puis de 1 h. 51 mn. 58 sec. à 1 h. 55 mn. 20 sec. (la fin).
Suivons l’histoire. Je précise que la scène contient des paroles et des gestes violents qui peuvent choquer. Le reste du film encore davantage.
a’) La justice
Au point de départ, nous nous trouvons face à un homme profondément juste. Tom Welles (Nicolas Cage, excellent) est un homme d’une droiture de fil à plomb, absolument fiable, à la hauteur de sa réputation, aussi honnête que discret. À la limite perfectionniste (il semble toujours tendu, même chez lui), ne supportant pas l’erreur. Il vit dans un univers manichéen, domino, où le blanc est soigneusement séparé du mal, à l’instar des voitures blanches et noires de sa première filature.
b’) La perte de l’innocence
Mais, pour résoudre la question posée par cette digne vieille dame, Mrs. Christian (Myra Carter), il devra s’impliquer. En effet, le mal n’est pas un problème, mais un mystère, donc un problème qui mord sur ses données. Il devra payer de sa personne et faire l’épreuve du mal qui altère. Son premier visionnement du film snuff où Mary Anne Powells (Jenny Powells) est assassinée de manière abominable à l’arme blanche, l’impressionnera considérablement. Dès lors, la frontière entre le bien et le mal va passer en lui, de plus en plus profondément : « Tu as rendez-vous avec le mal », dit son collègue devenu ami, le seul être, sans doute, à rester innocent.
De plus, Tom est hanté par une question, naïve : « Pourquoi ce mal ? », tant le mal lui apparaît incompréhensible, dénué de sens.
c’) Comment le juste devient justicier ?
1’’) Premier moyen : relatif au criminel
Au point de départ, Tom essaie de dégrader le criminel. En effet, en accroissant la culpabilité, il déshumanise au sens propre, il ne voit plus que le mal. Toutefois, cela ne suffit pas, il n’y arrive pas. Le « méchant » l’interprète comme une lâcheté et provoque durement Tom. Pour le gangster, il n’y a que deux états de la vie humaine : les lâches et les courageux (qui sont aussi les malins, ceux qui s’en sortent : il a agi pour l’argent). Mais, dans sa vision, la force est au-dessus de la justice.
2’’) Second moyen : relatif au mal
Pour pouvoir non pas punir mais se venger du coupable, il faut aussi rendre le mal gravissime et plus encore irréversible. En absolutisant le mal, la porte de la clémence (je n’ose pas dire du pardon) se ferme définitivement. Pour cela, et c’est la première fois qu’un film ouvre cette possibilité, entrant ainsi dans la tête du justicier, Tom appelle la mère de la victime. En l’entendant pleurer, en entendant que la souffrance de cette mère est irréparable, la colère va monter en lui avec assez de violence pour qu’il puisse tuer cet homme en le battant, à mains nues, puis qu’il cache toutes les traces de son crime.
d’) Une blessure guérissable ?
À la déshumanisation du bourreau et à l’irréversibilité du mal s’adjoint celle de la victime ici devenue justicier, sans nul mandat. Il faudrait rajouter une troisième déshumanisation, totalement subie, celle de la victime, alors que les deux premières autres sont remédiables.
La scène finale montre d’abord son besoin de rédemption : « Sauve-moi ». L’amour inconditionnel ne suffit pas à le guérir. Il faudra aussi la lettre de la mère qui lui dira qu’il a bien fait et, plus encore, sauvera l’intention positive : « Nous sommes les seuls pour qui Mary Anne a compté ». Maintenant, il demeure l’acte criminel. Et cette culpabilité, comment peut-elle être enlevée sans accepter de se livrer à la justice, comme l’on dit si bien ?
2’) Exposé
On passe de la justice à la vengeance ; du juge au justicier.
En effet, le choix humain est celui de la victime, du bourreau ou du justicier. Tom deviendra justicier, par désir de vérité, mais aussi pour liquider le trop-plein de vengeance qui l’enivre. Cependant, cette position ne saurait apporter un repos intérieur durable. Il lui faut un rédempteur. De la violence qu’il a subie et qu’il vient maintenant d’agir, du mal qui, d’obsédant, angoissant devient maintenant source d’une culpabilité infinie, il n’y a qu’un remède : le pardon. Voilà pourquoi il supplie son épouse : « Sauve-moi. » Leur amour est solide, éprouvé par ce qui a toute l’allure d’une trahison, et pourtant encore debout. Il est vrai que les deux époux vivent une relation de confiance et de communion très profonde. L’amitié passagère mais réelle entre les deux hommes a joué un rôle non négligeable dans l’avancement de l’enquête, mais seul l’amour peut porter le salut. Et celle-ci lui répondra quelques temps plus tard lorsque, recevant la lettre de remerciement de Mme Matthews, ils échangeront un sourire (le premier et seul sourire de Tom dans tout le film), dans le triste temps d’automne.
Bergman disait qu’un film commence avec un visage. Je pense qu’il le finit aussi. Ici, avec celui de Nick, blessé, mais espérant se relever.
f) Toute proche : la tentation illusoire de la force
Les grands espaces (Big Country), Western américain de William Wyler, 1958.
Les scènes se déroulent de 1 h. 22 mn. 15 sec. à 1 h. 24 mn. 35 sec. ; de 1 h. 25 mn. 29 sec. à 1 h. 26 mn. 00 sec. ; de 1 h. 34 mn. 00 sec à 1 h. 34 mn. 35 sec.
Nous avons déjà vu l’histoire plus haut.
La scène surprend. Nous nous attendons à une bagarre… Celle-ci n’arrive pas comme nous imaginons.
Derrière se trouve aussi toute une problématique historique : la conquête de l’Ouest ; le passage de la violence à la loi.
Être physiquement plus fort ne signifie pas qu’on est dans son droit. Au contraire, le règne de la violence est le règne du non-droit. La justice
Jim n’est pas lâche : il regarde son adversaire en face ; il nomme exactement les choses ; il n’est en rien terrassé par la peur ; il ne fuit pas.
Un symbole fort : il demeure droit, alors qu’il a tout le monde contre lui. Surtout, il est le seul à parler. La parole convoque la raison, symbolise, fait le lien. Sans colère ni peur. Alors que Steve se réduit à ses poings, le Major à sa colère et Pat à son humiliation.
Jim parlera le langage de Steve, mais en solitaire. La leçon portera-t-elle ? En tout cas, elle montrera à Steve que Jim n’est pas un lâche, contrairement à ce qu’il croit.
La raison de l’attitude de Jim apparaîtra plus tard : il agit devant sa conscience. Alors que les autres agissent les uns devant les autres. De plus, la loi est universelle, alors que la force est particulière, elle ne vaut que pour ceux qui en ont peur. Enfin, celui qui gouverne par la force fait appel à la peur et non pas à la raison, donc ne cherche pas le bien, la paix. Il n’est donc obéi que du dehors.
Enfin, la justice ne va pas sans la force. Mais la force n’est pas la violence.
A la fin de son combat contre Leech, Jim lui demande : « Et maintenant, dites-moi, Leech. Qu’avons-nous prouver ? Now tell me, Leech. What did we prove ? ». Ce qui signifie : avons-nous prouvé que vous aviez raison, que vous étiez dans votre droit ?
Et nous ? Nous pouvons être tentés par la violence.
g) Subir ou commettre l’injustice ?
Platon dit dans le premier et en tout cas l’un des plus grands livres d’éthique de l’Occident : « Subir l’injustice comporte un excédent de mal sur le bien qu’il y a à la commettre [6] ». Il reprendra souvent cette doctrine [7].
6) La relation entre justice et pardon
a) Illustration cinématographique
Sur la charité qui s’abaisse, une belle illustation. Ainsi que la charité qui dépasse la justice
Out of Africa, romance américaine de Sidney Pollack, inspiré de l’histoire de Karen Blixen, 1986.
La scène se déroule de 2 h. 9 mn. 10 sec. à 2 h. 11 mn. 05 sec.
Histoire
En 1913, la danoise Karen Christentze Dinesen (Meryl Streep) quitte son pays pour épouser le baron suédois Bror von Blixen (Klaus Maria Brandbauer) et venir s’installer dans une ferme au Kenya. Peu importe ici le détail de cette histoire qui est d’abord une superbe histoire d’amour entre Karen et un anglais attachant, Denys Finch Hatton (Robert Redford).
Si la jeune Mshabu (femme) ne songe pas à revenir chez elle, c’est aussi qu’elle se passionne pour le pays et ses habitants, notamment la fière ethnie des Kikuyus, dirigée par le chef Kinanjiu (Stephen Kinyanjiu). Or, le gouvernement anglais menace de s’annexer la terre dont ils ont besoin pour vivre, et d’ainsi les expulser. Elle est convaincue que l’action anglaise est injuste. Mais pourra-t-elle faire entendre la voix de la justice – les colons ne sont-ils pas tout-puissants ? – ? Et sinon, comment faire ?
Nous verrons intervenir Denys que Karen croyait très loin.
Commentaire
Pour obtenir la terre dont les Kikuyus ont besoin, Karen se fondera d’abord sur la justice : cette terre est à eux. Comme c’est insuffisant, elle suppliera, convoquant alors la pitié. Mais, comme cela ne fait pas encore fléchir le nouveau gouverneur, elle fera appel à la charité. En effet, le propre de l’amour, dit Thérèse, est de s’abaisser.
On objectera que l’insistance de Karen est à la limite de la manipulation. Mais insister n’est pas obliger. Dieu fait parfois ainsi. Il reste toujours en nous la liberté de dire « non ».
Il est significatif que ce soit la femme – dont le propre est le care – qui réponde. Mais il est tout aussi significatif que ce soit Denys qui protège Karen et ainsi lui permet d’aller jusqu’au bout de sa demande, de vivre l’amour jusqu’au bout. Quelle belle répartition des rôles.
b) Problème
Le pardon semble être une injustice. En effet, le pardon perpétue l’injustice en refusant de condamner l’agresseur [8]. Cette injustice est d’ailleurs à la fois individuelle et sociale, car la société a le droit que justice soit rendue : pour des raisons médicinales, préventives, etc. En effet, la justice demande que soit reconnu l’offenseur ; or, le pardon disculpe celui-ci, l’innocente, efface la conscience de sa responsabilité ; donc, en faisant disparaître la victime, le pardon est injuste [9]. « Le conflit intérieur sur guérir ou non la blessure psychique est fondé sur la croyance inconsciente du client qu’une complète guérison du traumatisme disculperait l’offenseur et serait sleale vis-à-vis des autres victimes [10] ».
De plus, le pardon apparaît comme décalé voire naïf dans une société où, comme la nôtre, « tout doit être payé [11] ». En effet, le pardon est gratuit ; or, notre société est fondée sur l’échange marchand ; donc, le pardon n’a pas lieu d’être dans la société de marché comme la nôtre [12].
c) Réponse
1’) Le pardon n’est pas abolition de la justice
Celle-ci exige que le procès soit intenté. Plus encore, comme le remarque le cardinal Danneels, toute amnésie (sous la forme de la prescription, par exemple) se solde par un refoulement et un retour du refoulé dont on voit aujourd’hui la violence. Aussi, « ce procès était nécessaire [13] », mais pour des raisons différentes de celles qui sont ici invoquées.
Précisons. Le pardon requiert du temps. Comme le faisait remarquer une personne en charge de cheminement de pardon : « Pourquoi s’acharne-t-on à pardonner si vite ? Guérissons d’abord, et le pardon tombera alors comme un fruit mûr ». Or, la guérison de l’offense prend du temps, ainsi que l’atteste l’un des meilleurs spécialistes actuels de l’approche psychologique du pardon, le médecin catholique Enright. Voici ce qu’il répondait à l’agence catholique Zenit lui demandant quelle est « l’efficacité du pardon en tant que thérapie » :
« Elle est très variable. Certains groupes de recherche obtiennent d’excellents résultats scientifiques avec la thérapie du pardon, d’autres non. Comme le Dr. Richard Fitzgibbons et moi-même le soulignons dans notre livre Helping Clients Forgive (Aider les patients à pardonner), l’une des raisons expliquant le succès mitigé de la thérapie est le temps et l’attention que le thérapeute accorde à son client. Il faut du temps pour pardonner une injustice profonde. Les structures insistent trop souvent sur une thérapie « brève » qui ne donne pas au patient suffisamment de temps pour faire le cheminement thérapeutique douloureux du pardon. L’un de nos projets de recherches, avec Suzanne Freedman, de l’Université de « Northern Iowa » a été mené avec des victimes de l’inceste. Ces femmes courageuses ont, pour la plupart, eu besoin d’environ un an pour pardonner aux auteurs de ces actes. Mais cela en valait la peine. Lorsque nous avons comparé le groupe expérimental qui bénéficiait d’une thérapie de pardon avec un groupe qui n’en bénéficiait pas, nous avons constaté que dans le premier groupe, l’angoisse et la dépression avaient été réduites de manière significative. Lorsque le deuxième groupe a suivi la thérapie du pardon à son tour, les symptômes d’angoisse et de dépression ont également nettement diminué. Même si un an semble long, il faut penser que certaines femmes souffraient de troubles émotionnels depuis 20 ou 30 ans avant d’avoir réussi à pardonner. Nous avons obtenu des résultats similaires avec de nombreux autres groupes : des hommes et des femmes dans un centre de désintoxication de la drogue, des malades du cancer en phase terminale, des couples mariés sur le point de divorcer, des adolescents incarcérés, des malades du cœur, etc. [14]».
2’) Nécessité de l’amour
Enfin, la justice ne trouve son achèvement que dans l’amour, autrement dit dans le libre don de soi. Lisons à nouveau le Compendium de la doctrine sociale de l’Église : « La pleine vérité sur l’homme demande de dépasser une vision contractualiste de la justice, qui est une vision réductrice, et ouvre aussi la justice au nouvel horizon de la solidarité et de l’amour [15] ». Et de citer Jean-Paul II : « Par elle-même, la justice n’est pas suffisante. En effet, elle peut même se tromper si elle n’est pas ouverte à pouvoir plus profond de l’amour [16] ».
Plus encore, l’absence de bile est un péché. Une lâcheté ! Saint Jean Chrysostome n’hésite pas à écrire : « Celui qui ne se met pas en colère quand il y a une cause pour le faire, commet un péché [17] ». Ne parle-t-on pas d’ailleurs de sainte colère ? Si le courroux fourbit ses éclairs à de justes causes, en quoi est-elle un péché ?
3’) Exemple de Ratzinger
Dans sa belle autobiographie, le cardinal Joseph Ratzinger, actuel préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, consacre tout le chapitre 8 à décrire les péripéties qui l’entourent. Il choisit le thème de l’histoire du Salut en relation avec l’idée de Révélation chez saint Bonaventure. Or, son co-rapporteur de thèse, le professeur médiéviste munichois Michael Schmaus, la refuse. La principale raison venait de ce que, « avec une dureté inopportune pour un débutant », Joseph Ratzinger s’opposait aux thèses classiques et contredisait les grandes découvertes récentes. C’est ainsi par exemple que le terme de Révélation avait un sens actif pour Bonaventure : c’est l’acte par lequel Dieu se révèle ; or, qui dit acte dit un récepteur, une personne qui reçoit. Mais, pour le médiéviste classique, formé à l’école de Vatican I, la Révélation n’est pas un acte mais un objet, c’est-à-dire le résultat objectivé de cet acte. Et ce résultat est finalement l’Écriture ou la Tradition. Or, en remontant à la source bonaventurienne, le jeune doctorand prend conscience que la Révélation est plus riche que l’Écriture elle-même [18]. En insistant sur cette conception (qui semble subjectiviste) de la Révélation, Ratzinger fait figure de moderniste : en fait, elle la sauve des risques de la Scriptura sola.
Bref, l’opposition peut tourner à la catastrophe : non seulement pour Joseph qui, sans la thèse, risque de perdre sa place de professeur, mais aussi pour ses parents, puisqu’il comptait sur cette thèse et sa place pour les faire vivre à Freising. Les débats sont houleux, la situation de Ratzinger demeure en suspens un bon nombre de mois. Finalement, la Providence veillant, Ratzinger trouve le moyen de contourner l’obstacle en développant la troisième partie de son travail qui traite de la philosophie de l’histoire de Bonaventure et n’a opposé aucune résistance.
Or, lorsque Ratzinger juge les événements à trente ans de distance, il estime toujours injustifiés les jugements de ses professeurs au sujet de sa thèse de théologie (le concile Vatican II lui a donné raison), mais il ne nourrit aucune amertume. D’ailleurs, il entretiendra après des relations amicales avec Schmaus. Il souligne même plus loin « la grande compétence » du professeur [19] : « Pas plus qu’avant je ne pus considérer ses jugements et ses décisions d’autrefois comme scientifiquement justifiés, mais j’ai pu reconnaître que l’épreuve de cette année difficile avait été pour moi humainement salutaire et obéissait pour ainsi dire à une logique supérieur à la logiquement purement scientifique [20] ». Grâce à une profonde vie intérieure, il est capable de relire ses années d’épreuve et à y discerner la main de la Providence. Cette paix intérieure n’est nullement la fuite des conflits ou la négation des injustices. Ce jugement équilibré est le signe d’un réel pardon qui ne nie pas la justice.
d) La juste place de la sanction. Une éducation sans punition ?
1’) Opinion courante
Ce propos optimiste ne nourrit-il pas la tendance prélapsaire de certaines pédagogies qui se contentent d’accompagner et se refusent à punir ? Nombreux sont les ouvrages parus ces toutes dernières années qui, jusque dans des titres similaires jusqu’au ridicule, expliquent que l’on peut et doit se faire obéir sans punition, sans sanction, sans fessée, sans frapper, sans crier, sans hausser le ton, sans se fâcher… [21] L’immense majorité de ces théories éducatives s’inspirent, au moins partiellement, de la Communication non-Violente (CNV) [22] – non sans paradoxalement… violenter la juste interprétation de cet excellent outil [23]. Partons d’un exemple rapporté par l’un de ces ouvrages :
« Un portable a disparu dans la classe. Je prends la parole en disant : ‘J’imagine que l’élève qui a pris ce portable en avait peut être très envie et que ses parents n’ont pas les moyens de lui en acheter un ou encore que, grâce à ce portable, il se sent comme les autres et ainsi il peut faire partie du groupe. Pour ma part, je suis ennuyée et me sens impuissante car j’ai vraiment envie que ce qui appartient à chacun soit respecté et j’ai besoin de contribuer à plus d’entente, par exemple en vous transmettant cette valeur pour que l’on puisse bien vivre ensemble.’ À ce moment-là, un jeune se lève et dit : ‘Eh ben, oui, c’est moi qui l’ai pris parce que j’en avais très envie et je n’ai pas les sous pour en acheter un’. Je le félicite pour son courage et le remercie de son honnêteté qui contribue à recréer une bonne ambiance dans la classe [24] ».
2’) Évaluation éthique
Assurément, on ne peut que féliciter l’enseignante pour sa finesse psychologique et que se réjouir de la fécondité de la démarche pour l’élève et pour le groupe. Il demeure que la situation doit aussi s’évaluer au plan éthique, voire juridique. En se contentant de remercier le jeune, l’attitude de l’enseignante annule implicitement sa conscience (qui voit le mal) et sa responsabilité (qui l’accomplit librement). De plus, n’y a-t-il pas une contradiction à porter un jugement moral sur le positif, à savoir la présence de deux vertus, le courage et l’honnêteté, mais non sur le négatif, l’acte désordonné d’improbité qui exige la restitution ? Enfin, l’enseignante n’énonce à aucun moment ce commandement universel que le Décalogue formule « Tu ne voleras pas », et elle le reconduit au seul besoin subjectif de respect et d’entente mutuels. Et si l’institutrice ne ressentait pas ce besoin, qu’en serait-il de la cohésion ?
Cette vision pédagogique périlleuse se fonde sur un présupposé : l’optimisme [25]. Vilma Costetti affirme par exemple : « S’il vous demande, s’il veut vos bras plus que tout, ce n’est pas là de la manipulation, mais l’expression d’un besoin vital (de jour comme de nuit) ». Or, « lorsque les besoins du bébé sont comblés dans la sécurité et l’amour, celui-ci enracine son indépendance sans aucune crainte d’être abandonné [26] ». Autrement dit, la limite naîtra d’elle-même, lorsque les besoins du bébé sont satisfaits. C’est nier la condition dramatique et déchirée de l’humanité qui nous caractérise de fait – et que le christianisme explique à partir du mystère du péché originel. Nous sommes passés de la perception psychanalytique, sans doute trop tragique, mais du moins dénuée de toute ingénuité, à une idéologie néo-rousseauiste où l’homme n’est que bonté et l’institution est seule porteuse de malice [27]. « J’ai quant à moi réalisé – écrit une consultante familiale, Catherine Dumonteil-Kremer – ce que les scientifiques démontrent aujourd’hui, à savoir que mes enfants étaient bienveillants dès la naissance et qu’ils cherchaient à devenir eux-même tout en satisfaisant leurs besoins […]. Contrairement à ce que nous avons beaucoup entendu et appris, la nature humaine est foncièrement bonne [28] ». En réalité, notre état ou condition se caractérise non par une malice ou une perversion, mais par l’anarchie, c’est-à-dire la désunité intérieure [29]. Dès lors, notre affectivité sensible, nos pulsions ont tendance à s’exprimer de manière privilégiée ; or, elles placent l’immédiat et les intérêts du moi au centre [30]. Voilà pourquoi le petit enfant désire prendre toute la place dans le cœur de la mère et éliminer tout rival, à commencer par le père [31].
Voilà aussi pourquoi toute éducation authentique « nous sépare d’avec nous-mêmes », selon le mot de Hegel [32]. Cet arrachement rime avec accomplissement. « Qui ne bouge n’apprend rien – écrit Michel Serres. Oui, pars et divise-toi en parts. Aucun apprentissage n’évite le voyage ». Plus encore, ce partir est partage entre « la part qui demeure adhérente à la rive de naissance » et celle qui se prive de ses habitudes, de la sécurité de sa culture, sa langue et sa parentèle [33]. En ce sens, éduquer, n’est pas d’abord inculquer des habitudes, mais s’en désaliéner pour mieux devenir vertueux.
Maintenant, trop de punitions sont encore violentes [34] et anti-pédagogiques, car elles sont dictées par la seule colère d’un parent excédé, automatiques et seulement frustrantes pour l’enfant. En ce sens, il peut être légitime de les distinguer des sanctions et de les prohiber – si l’on entend par sanction, un acte éducatif créatif qui ne nie en rien la gravité du mal et la nécessité de la réparation, mais cherche le bien de l’enfant par l’invention du meilleur geste permettant d’intérioriser la loi et de lui faire porter un plus grand fruit. Le père Sertillanges, nous en offre un exemple. Un de ses professeurs, sous des apparences de rudesse, voire d’injustice, joignait pédagogie et psychologie. « Un jour que j’avais commis je ne sais pas trop quelle fredaine – raconte le futur dominicain –, il me dit rudement : ‘Demain soir, vous me réciterez l’Art poétique !’ » Ses camarades le regardent, consternés. Or, le lendemain soir, le jeune garçon « récite de bout en bout son poème didactique », soit les « onze cents vers » que comporte le chef d’œuvre de Boileau ! Alors, son professeur « s’épanouit : ‘Je savais bien ce que je faisais… Au moins, cela vous apprendra quelque chose, au lieu que deux ou cinq cents lignes !…’ [35] ».
Pour sanctionner un enfant qui a menti et donc trahi la confiance, plus qu’une privation de dessert, il sera fécond de chercher, avec lui, quel acte il pourra poser pour réparer la confiance qu’il a délitée.
Pascal Ide
[1] Pour les trois premiers, cf. Somme de théologie, IIa-IIae, q. 158, a. 2. La systématisation en trois vient de Ad. Tanquerey, Précis de théologie ascétique et mystique, Desclée et Cie, 61924, p. 544.
[2] Mt 7, 1. « Aussi es-tu sans excuse, qui que tu sois, toi qui juges. Car en jugeant autrui, tu es juge contre toi-même. » (Rm 2, 1)
[3] Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, J’entre dans la vie. Derniers entretiens, 6 avril 1897, Paris, Cerf, 1990, p. 22.
[4] Le mot de Saint Paul, I Cor 13, v. 7, qui est d’abord une vérité valable pour tout homme.
[5] Initiation théologique, t. 2, Paris, Le Cerf, 1952, p. 798.
[6] République, L. II, 158e-159a, trad. Pierre Pachet, Paris, Gallimard, 1993.
[7] Cf. Critias, 54 b-c ; Gorgias, 469 b-c ; Lois, L. V, 731 a-d ; L. VIII, 829 a.
[8] Pour cet argument comme pour les suivants, cf. R. D. Enright et Human Development Study Group, « The Moral Development of Forgiveness », Handbook of Moral Behaviour and Development, W. Kurtines et J. Gewirtz (éd.), 1 (1991), p. 123-152.
[9] Cf. E. Bass et L. Davis, The Courage of Heal, New York, Harper Perennial, 1994.
[10] A. Seagull et S. Seagull, « Healing the Wound that must no Heal », Psychotherapy, 28 (1991), p. 16.
[11] J. N. Sells et T. D. Hardgrave, « Forgiveness a Review of the Theoretical and Empirical Literature », Journal of Family Therapy, 20 (1998), p. 21-36.
[12] Cf. P. Tournier, Guilt and Grace, San Francisco, CA Harper and Row, 1962.
[13] André Frossard, Le crime contre l’humanité, coll. « Le Livre de poche », Paris, Robert Laffont, 1987, p. 22.
[14] Dr. Robert Enright, Interview sur Zenit, dimanche 18 septembre 2005.
[15] Ibid., n. 203.
[16] Message pour la journée mondiale de la paix 2004, n. 10, AAS 96 (2004), 121. Cf. Jean-Paul II, Lettre encyclique Dives in misericordia, 30 novembre 1980, n. 12.
[17] Pseudo-Chrysostome, Op. Imperf. in Matth., II, sur Mt 5,22, PG 56,690.
[18] Cette distinction sera d’ailleurs d’une grande utilité pour l’élaboration du document Dei Verbum : cf. les développements des pages 105-113, notamment p. 109-110.
[19] p. 97.
[20] Joseph, cardinal Ratzinger, Ma vie. Souvenirs (1927-1977), trad. Martine Huguet, Paris, Fayard, 1998, p. 92.
[21] Cf. Anne Bacus, 100 façons de se faire obéir (sans cris ni fessées), coll. « Psychologie de l’enfant », Paris, Marabout, 2012 ; Christophe Carré, Obtenir sans punir. Les secrets de la manipulation positive avec les enfants, coll. « Communication consciente », Paris, Eyrolles, 2012 ; Gisèle George et Charles Brumauld, J’en ai marre de crier ! Comment se faire obéir sans hausser le ton, coll. « PsychoEnfants », Paris, Eyrolles, 2012 ; Catherine Dumonteil-Kremer, Poser des limites à son enfant et le respecter, Bernex, Jouvence, 2004 ; Id., Une nouvelle autorité sans punition ni fessée, Paris, Nathan, 2014 ; Anne Guibert, Élever son enfant sans crier, Bernex, Jouvence, 2010 ; Isabelle Leclerc, Se faire obéir par les enfants sans se fâcher, Outremont (Québec), Quebecor, 2007 ; Jerry Wyckoff et Barbara C. Unelle, Se faire obéir des enfants sans frapper et sans crier, Québec, Les Éditions de l’Homme, 2007. Et la liste n’est pas limitative (à preuve l’ouvrage de Vilma Costetti, qui a fondé une maison d’édition consacrée à la CNV en Italie, cité ci-dessous)…
[22] L’ouvrage de référence du fondateur de la CNV, Marshall B. Rosenberg est : Les mots sont des fenêtres (ou bien ils sont des murs). Introduction à la Communication non violente, trad. Annette Cesotti et Christiane Secretan, Paris, La Découverte et Syros, 1999, rééd., Bernex, Jouvence, 2005. Il a lui-même veillé à appliqué la CNV à l’éducation dans des ouvrages (qui ne sont pas sans se répéter) : Enseigner avec bienveillance. Instaurer une entente mutuelle entre élèves et enseignants, trad. Farrah Baut-Carlier et Anne Bourrit, Bernex, Jouvence, 2006 ; Élever nos enfants avec bienveillance. L’approche de la Communication NonViolente, trad. Farrah Baut-Carlier, Bernex, Jouvence, 2007 ; Vers une éducation au service de la vie, trad. Paule Noyart, Québec, Les Éditions de l’Homme, 2007.
[23] Cf. Pascal Ide, Des ressources pour guérir, p. 331-334. Pour une présentation générale de la CNV qui peut devenir un art de vivre, cf. Ibid., chap. 6.
[24] Vilma Costetti, Une école pour être humain ! Introduction à la communication non-violente, Reggio Emilia, Esserci, 2011, p. 79.
[25] D’autres préjugés seraient à dénoncer. Par exemple, le refus de toute sanction conduit Christophe Carré à proposer l’emploi de la manipulation, comme la technique bien connue (cf. l’étude princeps de Jonathan L. Freedman et Scott C. Fraser, « Compliance without pressure : the foot-in-the-door technique », Journal of Personality and Social Psychology, 4 [1966], p. 195-202) du « pied dans la porte » (cf. Obtenir sans punir, p. 182-183). Que cette manipulation soit qualifiée de « positive » (cf. l’ouvrage très documenté Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, La Soumission librement consentie. Comment amener les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire ?, coll. « Psychologie sociale », Paris, p.u.f., 1998) ne peut la justifier, car elle ne respecte la liberté qu’en apparence.
[26] Vilma Costetti, Une école pour être humain !, p. 18.
[27] Cf. Pascal Ide, Connaître ses blessures, Paris, L’Emmanuel, 1993, p. 19-33, rééd., 2013, p. 23-29.
[28] Catherine Dumonteil-Kremer, Une nouvelle autorité sans punition ni fessée, p. 149 et 150. Elle renvoie à Olivier Maurel, Oui, la nature humaine est bonne, Paris, Robert Laffont, 2009 ; Jacques Lecompte, La bonté humaine, Paris, Odile Jacob, 2012.
[29] « L’harmonie dans laquelle ils [Adam et Eve] étaient, établie grâce à la justice originelle, est détruite ; la maîtrise des facultés spirituelles de l’âme sur le corps est brisée (cf. Gn 3,7) » (Catéchisme de l’Église catholique, 8 décembre 1992, n. 400).
[30] Les petits enfants (même baptisés) « montrent généralement au début de la vie morale un véritable égoïsme, un amour désordonné de soi-même » (Réginald Garrigou-Lagrange, L’amour de Dieu et la Croix de Jésus. Étude de théologie mystique sur le Problème de l’amour et les purifications passives d’après les principes de saint Thomas d’Aquin et la doctrine de saint Jean de la Croix, Juvisy, Le Cerf, 2 volumes, 1929, t. 1, p. 145).
[31] Bien entendu, cette attitude inframorale n’engage pas la liberté. Sur cette difficulté à mettre des frontières, cf., par exemple, Denis Vasse, Inceste et jalousie. La question de l’homme, Paris, Seuil, 1995.
[32] Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Discours du 29 Septembre 1809, dans Textes pédagogiques, trad. et prés. Bernard Bourgeois, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », Paris, Vrin, 1990, p. 85-86, ici p. 85. « La profondeur et la force que nous obtenons ne peuvent être mesurées que par la distance prise par rapport au centre où nous nous trouvions d’abord absorbés et vers lequel nous tendons à retourner ».
[33] Michel Serres, Le tiers instruit, Paris, Françoise Bourin, 1991, p. 28.
[34] De ce point de vue, instructive est la lecture de l’ouvrage d’Olivier Maurel, La fessée. 100 questions-réponses sur les châtiments corporels, Tressan, La Plage, 2001.
[35] L’anecdote est racontée par Marie-Fabien Moos dans la préface à Antonin-Dalmace Sertillanges, L’univers et l’âme, Paris, Éd. Ouvrières, 1965, p. 10-11.