4) Nécessité de la vertu
Nous verrons l’importance de l’éducation à la vertu d’abord en soi, ensuite pour nous aujourd’hui (c). La vertu est importante en soi pour deux raisons : elle façonne notre indétermination native (a), elle nous oriente vers le bonheur (b).
a) La vertu, modelage de notre plasticité
1’) Preuve philosophique
La première raison de l’option éducative pour la vertu se tire de l’origine : l’homme est, de tous les êtres, le plus éducable, car il est le plus indéterminé qui soit. En effet, hormis une inclination très générale à leur objet, ses facultés sont dénuées de préorientation particulière. Par exemple, notre intelligence est ouverte à l’être, à la vérité, mais ne possède aucune information sur le réel ; de même, notre affectivité est ouverte à ce qui est agréable ou désagréable, mais, contrairement à l’animal, est dénuée d’instinct (au sens de mécanisme inné de déclenchement). Cette ouverture qui est d’abord une propriété de l’âme est lisible dans le corps : certes, la figure de celui-ci, par exemple la structure verticale qui distingue l’homme de l’animal, est déterminée ; mais les extrémités par lesquelles il entre en relation avec le monde, elles, sont le plus ébauché possible : le visage glabre est tout-expression, la main tout-outil et le pied tout-terrain [1].
Cette indétermination de l’être humain est ambivalente : notre époque postmoderne l’interprète volontiers comme une vulnérabilité, voire comme une fragilité [2], les modernes y lisaient au contraire une perfectibilité infinie [3] et les médiévaux la caractéristique où s’enracine l’inquiétude du cœur humain (cor irrequietum) et le désir naturel de voir Dieu (desiderium naturale videndi Deum) qui appelle le gratuit autant que nécessaire achèvement de la grâce. Les Grecs eux-mêmes étaient si conscients de cette vérité (l’indétermination humaine) qu’ils en ont fait la matière d’un important mythe d’origine – celui d’Épiméthée à qui la légende, gémellaire et complémentaire, mais plus spectaculaire, d’un autre titan, son frère Prométhée, a volé injustement la vedette [4]. Pour Platon, l’homme est éducable car sa nature est « plastique [euplaston] [5] » et requiert un bon cultivateur. De même, Plutarque, dans le traité déjà cité, compare l’enfant au sol qui devient fécond s’il est cultivé [6]. Assurément, l’image est cosmologique et paraît mesurer la liberté à la nature, mais pas seulement. Elle dit d’abord une malléabilité qui, chez l’homme, est sans pareille, voire en constitue le proprium : « Tout le vocabulaire platonicien de l’éducation est influencé par cette image de la plasticité de l’âme, où former signifie d’abord façonner, modeler [7] ».
Ainsi l’indétermination appelle la détermination, l’inachèvement un achèvement. La nature (humaine) requiert ce que les penseurs d’aujourd’hui appellent culture et que les Anciens nommaient vertu. Tous se rejoignent donc pour affirmer que l’homme est éminemment éducable. Pour ne citer que les modernes [8] : « L’homme – écrit Kant – ne devient homme que par l’éducation [9] » ; « Tous les individus – renchérit Fichte – doivent nécessairement être éduqués à être des hommes, faute de quoi ils ne deviendraient pas des hommes [10] ». Dans une forte page des Misérables, après avoir repris l’image aimée de l’ortie, Victor Hugo conclut : « Avec quelque peine qu’on prendrait, l’ortie serait utile ; on la néglige, elle devient nuisible. Alors on la tue. Que d’hommes ressemblent à l’ortie ! – Il ajouta après un silence : Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs [11] ».
2’) Confirmation en neurosciences
Or, loin de souligner la seule nécessité des mécanismes cérébraux, les neurosciences valorisent leur extraordinaire plasticité. La neurophysiologie a vécu pendant plus de cent cinquante ans sous la coupe du dogme énoncé par le grand histologiste espagnol Ramon y Cajal selon lequel, pour pouvoir assurer la stabilité et la pérennité de notre individualité psychique, les neurones sont les seules cellules du corps à ne pas se multiplier ni se modifier. Tout au contraire, l’on sait aujourd’hui que le cerveau humain est l’organe le plus malléable qui soit.
Des études américaines montrent que les personnes qui s’entraînent accroissent leur compétence (ce que signale aussi l’augmentation de leur bien-être). Ainsi, un chercheur de l’Université de Constance, Thomas Ebert, a comparé les images de cerveaux de violonistes et de violoncellistes avec des images de cerveaux de non-musiciens, précisément les zones du cortex cérébral moteur concernant les doigts de la main droite et de la main gauche. L’on sait que, pour ces instrumentistes, la main gauche joue un rôle absolument essentiel. Or, l’on a observé que les représentations des doigts de la main gauche étaient beaucoup plus étendues chez les musiciens que chez les non-musiciens, la différence pouvant aller de un à cinq – ce qui est considérable [12].
Plus encore, le changement opéré dans le cerveau est beaucoup plus rapide qu’on ne le pense. Un chercheur du laboratoire de Richard Davidson, Helen Weng, a comparé deux groupes. Dans le premier, les participants pratiquaient une méditation sur l’amour altruiste pendant deux semaines à raison de trente minutes par jour ; l’autre suivait un stage de « réévaluation cognitive ». Weng a montré des changements significatifs dans le seul premier groupe au plan comportemental – une croissance des attitudes prosociales (compassion envers l’autre, aide active) – et même au plan physiologique – une diminution de l’activation de l’amygdale, qui est l’aire du cerveau associée en particulier à l’agressivité et à la peur [13]. Une étude effectuée à l’université de Zurich par Susanne Leibert, Olga Klimecki et Tania Singer a observé des changements durables seulement après deux à cinq jours d’entraînement à la compassion [14].
Ces différents acquis ont été appliqués à l’éducation, notamment lors d’un colloque qui s’est tenu à l’Académie pontificale des sciences en 2011 – faisant suite lui-même à un premier workshop qui s’était déroulé en novembre 2003 [15]. Je ne peux que renvoyer au détail des communications et aux très nombreuses références scientifiques qui y sont données [16]. Bien que nous n’en soyons encore qu’au tout début, les travaux actuels concluent tous dans le même sens : le cerveau humain se caractérise par une « remarquable capacité d’adaptation [remarkable adaptivity] », elle-même fondée sur « la formation et la suppression [removal] continuelles des connexions neuronales » ; massive chez le cerveau de l’enfant [17], cette plasticité dure « toute la vie », comme on l’observe chez les adultes alphabétisés ; l’éducation n’est efficace qu’avec la participation active de l’éduqué (par exemple l’exposition passive à une langue étrangère est « inefficace [ineffective] ») [18], autrement dit par la libre acquisition de dispositions vertueuses.
b) L’éducation, chemin vers le bonheur
La deuxième raison pour laquelle l’éducation se fonde en priorité sur la vertu, se tire non plus du principe, mais de la fin.
1’) Preuve philosophique
Notre indétermination est fléchée. Si Anciens et Modernes s’accordent sur la docilité (au sens étymologique) de l’homme, ils diffèrent sur ce point, qui est essentiel. Enracinant l’homme dans le cosmos (pour les Grecs) et la création (pour les Médiévaux), les premiers estiment qu’il est naturellement orienté vers le bonheur, qui, lui-même, s’incarne dans un certain nombre de grandes inclinations nous portant vers l’autre, le vrai, etc. [19]. En revanche, à partir de Descartes, la nature devient muette, qu’elle soit extérieure ou intérieure à l’homme. Derrière cette anomie cosmologique gît une crise de l’autorité. Montaigne, qui n’a pourtant pas la réputation d’être un esprit fermé, notait que la Réforme de Luther avait conduit à cette rupture généralisée avec l’autorité, donc avec la transmission, donc avec l’éducation [20]. Plus sages, les Grecs savaient que l’éducation conjugue l’archein et le prattein, qui sont les deux verbes grecs rendant l’unique mot français « agir » [21]. Le premier, où se lit archè, « principe » ou « commencement », signifie « commencer », « conduire » et le second « mener quelque chose à sa fin » : dans un prime temps, l’agir, la liberté introduit du nouveau dans le monde ; mais encore faut-il que cet inédit participe, dans un second temps, à l’accomplissement de ce qui a été précédemment donné.
Or, la vertu n’est pas seulement ce qui façonne l’homme plastique, mais ce qui l’oriente vers la finalité bonne, donc à son achèvement. Par exemple, la prudence est ce qui perfectionne mon intelligence pratique et la dote pour qu’elle éclaire ma prise de décision responsable. Selon Aristote, la vertu est comprise dans l’espace entre la puissance et l’acte (entendu comme accomplissement) ; plus elle est parfaite, plus elle se rapproche de cette actuation et y porte. Ainsi, comme l’affirme le grand philosophe moraliste Joseph Pieper, « la vertu, dans le sens le plus général, est une élévation ontique de la personne humaine ; elle est, comme dit Thomas, l’ultimum potentiæ, l’expression maximale de ce qu’un homme peut être, l’accomplissement de la possibilité ontique humaine dans le champ naturel comme dans le surnaturel. L’homme vertueux ‘est’, par la plus intime inclination de son essence, porté à réaliser le bien avec son faire [22] ». Il est aussi nécessaire de faire droit à la requête du moderne qui suspecte la perspective antico-médiévale au maximum de prendre la liberté en otage (rappelons-nous l’objection de Ravaisson) et au minimum de ne pas assez la prendre en compte. La vertu (morale) n’est pas seulement actualisation, mais disponibilité aux possibles. La croissance vertueuse est autant croissance dans l’accomplissement de l’être et inclination connaturelle au bien, que croissance dans la liberté entendue comme autodétermination, souveraineté sur les possibles, accès aux ressources présentes en nous [23]. Un signe en est que l’acte qui jaillit de la vertu peut la déborder et même est appelé à la dépasser. Or, la seule ontologie linéaire qui va de la puissance à l’acte ne permet pas de rendre compte de cette loi d’excès ; la seule nature actualisée ne mesure pas cet acte qui surgit à la fois dans son prolongement et au-delà. Aussi, pour comprendre la vertu, faut-il joindre à la logique de la nature, une logique de la liberté, la via cosmologica et la via anthropologica – les deux s’unifiant dans l’être de la personne, qui ne peut donc être comprise complètement qu’à partir de ces deux « principes ». Dans le cadre de cette approche renouvelée de la vertu, il ne s’agit pas d’écarter la métaphysique de l’acte et de la puissance, mais d’en enrichir l’interprétation. Indiquons la direction qui nous semble féconde : l’acte n’est pas seulement ce qui réduit la puissance en lui, mais ce qui la contient sous lui, ce qui l’intériorise comme source et ressource [24].
2’) Confirmation en neurosciences
La psychologie expérimentale a elle aussi montré que le bonheur dépend non pas d’une disposition innée, d’une « chance », mais des dispositions vertueuses. Pourtant, dans un premier temps, un certain nombre d’études ont conclu que toute personne est programmée pour le bonheur, c’est-à-dire est réglée pour un certain niveau de bien-être chronique inchangeable [25]. Spontanément, nous sommes tentés d’objecter à cette conception statique, désespérante et révoltante (car injuste), que le sentiment de félicité change lorsque la situation extérieure change : n’avons-nous pas tous fait l’expérience que notre baromètre affectif se met au beau lorsque nous recevons une augmentation, partons en vacances à Bora Bora, passons avec succès un examen difficile, épousons la personne de nos rêves, etc. ? Certes, mais l’expérimentation a montré contre toute attente que, « au bout de quelques mois », ce même baromètre « redescendra lentement au réglage préétabli qui nous est propre ». Conclusion des chercheurs : « Cette tendance est si forte, qu’essayer d’augmenter fondamentalement notre bonheur reste vain, car on revient inévitablement à son état prédéterminé [26] ».
Des scientifiques ont tenté de comprendre la raison d’une telle fixité de la capacité au bonheur. Ils ont estimé que, si l’on réagit fortement sur le coup de la bonne (ou de la mauvaise) nouvelle, bientôt l’on s’adapte, la réaction émotionnelle s’émousse et l’on revient à son niveau habituel, émotif et actif. C’est ainsi qu’une étude célèbre a comparé deux groupes très différents : les personnes du premier venaient de gagner à la loterie et celles du second avaient subi une très grave lésion de la moelle épinière. L’étude « mesurait » leur niveau de contentement. Quelle ne fut pas la surprise de constater que la différence entre les deux groupes était minime : les premiers moins heureux qu’on ne le pensait et les seconds plus heureux qu’on ne l’aurait supposé ; plus encore, comme dans l’étude précédente, que ce soit celles du premier groupe (les heureux gagnants de la loterie), ou celles du deuxième, les personnes revenaient à leur « mood » (leur état affectif moyen) en maximum six mois [27] ! D’autres auteurs plaident pour que cette capacité au bonheur soit liée à un facteur inné, génétique.
En fait, ces études sont insuffisantes. Les psychologues chercheurs ont mesuré l’intensité de l’émotion en fonction des variations de l’environnement, mais ils n’ont pas considéré ces sentiments en fonction de changements délibérés, donc d’activités demandant un investissement personnel et dont le point de départ est intérieur. Autrement dit, des actes surgissant de la liberté et de la vertu. Or, de telles activités intentionnelles, vertueuses influencent durablement le bien-être. On a par exemple montré que, dans le cas des dépressions graves, entreprendre avec persévérance un nouveau programme d’exercice physique tonifie l’humeur, et cela sur de longues périodes allant jusqu’à dix mois [28]. Autrement dit, la vertu accroît notre capacité au bonheur [29]. Plus encore, une équipe de psychologues a étudié environ 300 personnes exprimant en début d’année un souhait de changement dans leur vie quotidienne [30]. Parmi elles, une moitié avait pris de « bonnes résolutions » (en général dans un des trois domaines : perdre du poids, faire plus de sport ou arrêter de fumer), autrement dit étaient passées du désir à la décision, et l’autre moitié, non. Puis, l’équipe avait évalué par un suivi téléphonique six mois plus tard les changements souhaités pour savoir s’ils s’étaient produits. Les résultats étaient les suivants : 46 % de ceux qui avaient pris des résolutions fermes au début de la nouvelle année avaient atteint et maintenu leurs objectifs ; et seulement 4 % dans le second groupe. Les petits engagements, qui conduisent à la mise en place d’un habitus vertueux, portent donc des fruits.
c) L’éducation à la vertu, une priorité actuelle pour le monde
Ce qui est vrai en général l’est encore plus aujourd’hui.
1’) La réduction utilitariste
Pour le dire trop brièvement, en Occident, la modernité se notifie comme une conquête de la liberté – la liberté étant entendue non pas seulement comme cause de soi (causa sui) ou autodétermination, ce que ni les Anciens, ni les médiévaux n’ignoraient, mais comme cause originaire ou absolue de soi, donc comme arrachement à la cosmo-nomie et à la théo-nomie, conçues comme aliénantes. Or, après quelques siècles de développements technoscientifiques, cette liberté créatrice d’elle-même n’est plus seulement domination de soi, mais domination – et éloignement [31] – de la nature. Ainsi, puisant en elle sans se le dire (même chez ceux qui défendent l’écologie la plus militante) et faisant preuve d’une stupéfiante créativité, l’homme qui, auparavant, vivait dans le manque, voire l’indigence, vit aujourd’hui dans le plein et le trop-plein. Comme le note le sociologue et philosophe de la postmodernité Jean Baudrillard, la fracture actuelle, avant d’être sociale, est plus profondément symbolique :
« Potentiellement tout nous est donné ou le sera » : « levée universelle des interdits, disponibilité de toute l’information, obligation de jouir […]. Aujourd’hui, la réalisation immédiate dépasse de loin la faculté de jouissance d’un être humain normal […]. Ce à quoi nous succombons, ce n’est plus à l’oppression, à la dépossession, à l’aliénation, c’est à la profusion [32] ».
Autrement dit, l’homme s’est identifié à un consommateur – et un hyperconsommateur –, le bonheur au plaisir et la liberté infinie à une capacité indéfinie de jouir de soi. Je ne détaille pas davantage [33].
Il serait injuste et erroné d’affirmer que l’homo consumericus ignore toute éthique. Jamais comme aujourd’hui, on n’a proposé autant de moyens de se changer, n’ont été publiés autant d’ouvrages de développement personnel ; plus encore, on le redira, le courant de psychologie morale reprend de la vigueur. Mais une telle éthique n’est ni durable, ni transformante. En effet, prétendant à une efficacité immédiate, elle demeure extérieure au sujet. D’un mot, elle a pris une configuration singulière : l’éthique de soi est en réalité une technique de soi. Elles ont leur correspondant institutionnel dans la multiplication des réglementations, des procédures – et des procès ! Voilà pourquoi notre époque se caractérise par une multiplication très inquiétante des phénomènes de dépendance (d’addiction), quant aux sujets (dépendants) et quant aux causes (drogues, comportements). Voilà aussi pourquoi la technique, qui favorise tant ce processus (que l’on songe par exemple à la facilité d’accès aux images et aux informations par le réseau internet), se trouve si désarmée pour y répondre, sauf à remplacer une dépendance par une autre, prétendue moins toxique. Selon une évolution presque obligatoire – dont le paradigme fut si finement décrit par Hegel dans la dialectique de maîtrise et servitude –, la liberté infinie, divine, dont se prévaut le sujet moderne [34], s’est donc transformée en son contraire.
2’) La tentation actuelle de transformer la vertu en recette
La pédagogie suit. Elle s’est transformée en une série de recettes qui s’arrêtent à la surface et ne transforment pas en profondeur. Entre lois et conseils, les réformes se suivent et ne se ressemblent pas, proposant toutes des techniques plus révolutionnaires que les précédentes. Le passage de la philosophie aux sciences de l’éducation (qui, par l’intégration des outils scientifiques, expérimentation et formalisation, serait fécond s’il ne prenait la figure d’une rupture et donc ne se payait d’une perte du regard de sagesse sur l’homme) s’est aussi soldé d’une fascination pour les méthodes et d’une multiplication des procédés, cousine de leur rapide obsolescence.
Tout au contraire, les Anciens avaient déjà finement distingué l’éthique de la technique, la prudence (la phronêsis), vertu morale par excellence, de l’art (la technè). Les Scolastiques, qui avaient le sens de la formule, définissaient la première recta ratio agibilium (« droite raison dans le domaine de l’agir ») et la seconde recta ratio factibilium (« droite raison dans le domaine du faire »). Voilà pourquoi il est aujourd’hui urgent, au nom même de l’homme, de rétablir une éthique des vertus et de fonder une pédagogie des vertus [35].
Précisons encore en prévenant une objection. La fascination pour les méthodes a toujours existé. À trop opposer éthique et technique, on ne peut que l’ajourner, pas la conjurer. De plus, n’est-ce pas jouer les Anciens contre les Modernes, ce qui se renverse tôt ou tard en son contraire ? Reprenons la relecture dialectique (au sens hégélien). L’éthique arètique (de aretè, « vertu » en grec) ne permet de sortir de l’aliénation technique que si elle est une négation de la négation, une Aufhebung (une « sursomption » qui nie, assume et dépasse) qui, loin de répudier les acquis des techniques de soi, les intègre comme autant d’outils – de même que la casuistique bien pensée n’est pas l’autre de l’éthique vertueuse, mais un moment intérieur à l’acte prudentiel.
Un témoin de cette évolution hautement souhaitable nous est offert de manière inattendue par un ouvrage américain à grand succès, traduit en 38 langues et diffusé à plus de 15 millions d’exemplaires en 2004, dont la réussite ne se dément pas : portant sur le développement personnel, tout en lui semble indiquer qu’il doit être rangé dans la catégorie de l’éducation par la technique de soi plutôt que par l’éthique de soi ; il s’agit de The Seven Habits of Highly Effective People, de Stephen R. Covey (1932-2012) [36]. En fait, dans la longue introduction, l’auteur explique la nouveauté de son chemin en opposant à ce qu’il appelle une « éthique de la personnalité » (Personality Ethic), une « éthique du caractère » (Character Ethic), qui demande un travail profond et sur le long terme [37]. Or, la première est à la seconde ce que la recette est à la vertu. Voilà pourquoi Covey parle de habit, qu’il vaudrait mieux traduire par « habitus » que par « habitudes ». De fait, les sept habits retrouvent plusieurs vertus de l’éthique classique : prudence, courage, etc. Enfin, de manière heureuse, Covey ne cherche pas tant à confronter les deux éthiques qu’à les intégrer : « C’est seulement sur des qualités sincères [les vertus] que la technique pourra se greffer [38] ».
Une analogie classique – qui est plus qu’une métaphore – permettra de comprendre la différence entre ces deux approches. Du point de vue de leur squelette, c’est-à-dire de leur consistance intérieure, les animaux se répartissent en trois groupes qui sont aussi trois stades dans le cadre de l’évolution globale : les mollusques dont le corps mou n’abrite aucun squelette, donc interdit une configuration fixe ; les arthropodes (insectes, crustacés, etc.), dont le corps dur est revêtu d’un squelette extérieur, qui leur offre une forme, mais sans malléabilité ; les vertébrés dont le squelette s’est intériorisé, leur procurant une souplesse et une adaptabilité plus grandes [39]. De même, l’homme ou plutôt son psychisme et son esprit – qui est un microcosme non seulement en son être, mais en son devenir (l’ontogenèse récapitule la phylogenèse) – passe par trois stades : l’absence de loi, caractéristique de l’infans (sans parole) ; la loi extérieure qui est celle de l’autorité ; la loi intériorisée, non au sens psychologique (le surmoi freudien) ou sociologique (l’habitus bourdieusien) qui est aliénant, mais au sens éthique qui est libérant. Or, le premier stade s’identifie à l’anarchie (l’enfant-roi qui est un enfant-tyran), le deuxième à la technique de soi (à l’époque du refus de toute normativité universelle, ces recettes sont le correspondant individualisé et anormatif de l’exosquelette légaliste) et le troisième à la vertu (qui est donc seule respectueuse de notre autonomie). Plus encore, l’endosquelette vertueux est une métamorphose (au sens aristotélicien : un changement de morphè, c’est-à-dire de « forme », entendue non pas comme figure extérieure, mais comme principe intérieur de trans-formation), donc il touche l’être : à l’inverse de la technique, l’éthique adhère à l’ontologique.
5) Nature de la vertu
Après nous être intérrogé : pour quoi la vertu ?, demandons-nous : qu’est-ce que la vertu ? La vertu nous est devenue tellement étrangère qu’il est bon de faire converger plusieurs approches pour en comprendre la nature.
a) La vertu comme apprentissage de la liberté
Pour expliquer ce qu’est la vertu (précisément, l’exercice de la liberté fondée sur l’éducation et donc sur la vertu), le théologien moraliste Servais Pinckaers part de l’exemple de l’apprentissage d’un art, ici le piano [40], puis l’applique à un cas là encore particulier, la vertu de courage (ou de force).
1’) Exemple de l’apprentissage de la « vertu » du bon pianiste
« Nous savons tous comment on apprend la musique à un enfant, à jouer du piano par exemple. Il faut d’abord que l’enfant possède certaines prédispositions à la musique. S’il n’y a aucune inclination ou s’il n’a pas d’oreille, on perd son temps à vouloir la lui apprendre. Mais s’il est doué, il vaut la peine de requérir pour lui un professeur de musique qui lui enseignera les règles de son art, qui les lui inculquera par des exercices nombreux et réguliers. Au début, l’élève, malgré son désir d’apprendre éprouvera souvent les leçons et les exercices comme une contrainte imposée à sa liberté et à ses attraits du moment. Il faudra maintes fois l’obliger à se mettre au piano. Mais s’il s’applique et persévère, l’enfant doué fera bientôt des progrès sensibles et parviendra à jouer avec justesse et mesure, avec une certaine aisance, les morceaux même difficiles qu’on lui propose. Son goût et son talent se développeront. Bientôt, il ne se contentera plus des exercices imposés, mais il en ajoutera d’initiative propre et prendra plaisir à improviser. Son jeu deviendra alors plus personnel. S’il a l’étoffe nécessaire et s’il peut poursuivre ses études, il pourra devenir un artiste, capable d’exécuter avec maîtrise les œuvres nouvelles dont la qualité manifestera l’épanouissement de son talent et révélera sa personnalité musicale ».
Le dominicain suisse tire un enseignement plus général :
« Dans cet exemple très simple, nous voyons clairement apparaître une nouvelle forme de liberté. Chacun de nous est certes libre de frapper à sa guise sur chaque note du piano indifféremment. Mais cette liberté est rudimentaire, sauvage, en quelque sorte ; elle cache l’incapacité de jouer convenablement des morceaux même faciles et d’éviter les fautes. En revanche, celui qui possède l’art du piano a réellement acquis une liberté neuve : la capacité de jouer convenablement toutes les pièces qu’il veut et d’en composer de nouvelles. Sa liberté, au plan musical, peut se définir comme un pouvoir lentement acquis d’exécuter avec perfection les œuvres qu’il veut. Elle repose sur des dispositions naturelles, sur un talent devenu ferme et stable par l’exercice régulier et progressif, soit proprement un habitus ».
Cet exemple illustre la juste articulation entre ce qui est naturel, au sens de spontané ou d’inné, et de ce qui est libre, au sens d’acquis, d’éduqué et, finalement, de vertueux. Cette articulation comporte différents éléments :
– Le donné naturel, inné, est premier. Antérieurement à tout usage de la liberté, existe non seulement un sujet humain, mais une compétence. La liberté requiert une donnée. Et cette donnée est dynamique : on peut l’appeler inclination naturelle. C’est d’ailleurs ce que manifeste un usage de vocabulaire auquel on ne prête pas assez attention. Le substantif « liberté » s’accompagne toujours d’un complément d’objet : ici, il s’agit de la liberté de jouer du piano. Or, ce complément représente la finalité
– Un maître est nécessaire. L’enfant ne peut apprendre par lui-même ; il a besoin d’une aide extérieure à lui, et d’une aide compétente, un éducateur.
– L’acquisition des dispositions est progressive. Elle s’inscrit dans la patience du temps. La liberté s’exerce en multipliant les petits actes.
– Le but de l’éducation est l’acquisition de dispositions stables, autrement dit ce que nous avons appelé des vertus. Elle est signalée par la présence d’une plus grande liberté. En effet, la liberté est plus grande au terme qu’au commencement. Au point de départ, elle est ouverture à tous les possibles (ici, jouer de tous les instruments), mais sans nulle compétence ; au point d’arrivée, la liberté est une réelle capacité non plus à tout faire, mais de jouer d’un instrument, ici le piano.
2’) Exemple de l’apprentissage de la vertu de courage
Appliquons ces différentes données à l’acquisition d’une vertu particulière, la vertu morale de courage :
« Quel que soit notre tempérament, nous avons tous une certaine estime du courage. Chez l’enfant néanmoins, le courage est d’habitude plus imaginaire que réel. Il le transporte spontanément sur des personnages qui ont frappé son imagination, sur de grands hommes, sur des héros de romans d’aventure ; il ne supporterait pas qu’ils soient lâches, même dans les pires circonstances. Lui-même cependant s’effraie pour peu de chose, recule devant une ombre et prend peur si on lui demande d’aller se coucher dans le noir.
« La formation du courage est progressive. Le courage s’acquiert beaucoup plus par de petites victoires sur soi, remportées au jour le jour, que par de grandes actions rêvées. Tel sera l’effort quotidien de l’étude, d’une tâche à accomplir, d’un service à rendre, d’une paresse ou d’un défaut à vaincre. Ce seront aussi les combats à mener, les épreuves rencontrées, les souffrances petites et grandes à supporter, jusqu’à l’affrontement de la mort, dans la maladie ou chez des êtres chers.
« Pour apprendre le courage, il n’y a pas de cours prévus comme pour la musique ou les autres arts : mais la famille particulièrement devrait être une école de courage par l’exemple des parents, par une discipline judicieusement imposée, par l’incitation à l’effort personnel et à la persévérance. Le courage, comme toute vertu, réclame des éducateurs plus que des professeurs ».
b) La vertu comme chemin de la culture
On peut aussi comprendre la vertu comme ce qui nous fait passer de l’état de nature à l’état de culture. La nature n’est pas un état purement indéterminé, mais possède déjà de grandes inclinations : à la conservation de son être, au vrai, au bien, à l’autre, à l’autre sexe, etc. [41]
En ce sens, la vertu est la réponse à la théorie du gender : comme celle-ci, elle affirme que l’homme se construit beaucoup plus qu’il ne se reçoit ; mais contre elle, il affirme que la nature livre des indications (dans les grandes inclinations) et qu’elle est orientée.
c) La vertu comme passage des virtualités aux virtuosités
Dans la préface d’un ouvrage rassemblant des conférences du père dominicain Sertillanges, Marie-Fabien Moos raconte l’anecdote suivante.
Un professeur (un frère des Ecoles chrétiennes ?) avait noté ses capacités mais « mêlait à sa sollicitude des rudesses dont Antonin n’avait pas trop de peine à saisir le sens ». Sertillanges raconte : « Un jour que j’avais commis je ne sais pas trop quelle fredaine, il me dit rudement : ‘Demain soir, vous me réciterez l’Art poétique !’ » Ses camarades le regardent, consternés. Or, le lendemain soir, le jeune garçon « récite de bout en bout son poème didactique », soit les « onze cents vers » que comporte le chef d’œuvre de Boileau ! Alors, son professeur « s’épanouit : ‘Je savais bien ce que je faisais… Au moins, cela vous apprendra quelque chose, au lieu que deux ou cinq cents lignes !…’ [42] ».
Ce témoignage n’atteste pas seulement la prodigieuse mémoire de Sertillanges, mais aussi ce qu’est une punition réellement pédagogique. Ainsi que le fruit porté par une haute exigence qui invite l’autre à se dépasser.
La vertu permet que nos potentialités s’achèvent. Si nous ne faisons pas de petits actes vertueux, plein de possibilités en nous ne fleuriront pas. Plus encore, la vertu est ce qui rapproche le plus de l’acte, ce qui y dispose le plus, tout en demeurant du côté de la potentialité. Pour le dire dans les termes de l’Écriture, la raison pour laquelle nous avons besoin de devenir vertueux est qu’elle nous fait porter du fruit. « La gloire de mon Père c’est que vous portiez du fruit » (Jn 15,8).
Lisons ce qu’affirme Joseph Pieper, grand philosophe moraliste, ami de Joseph Ratzinger :
« La vertu, dans le sens le plus général, est une élévation ontique de la personne humaine ; elle est, comme dit Thomas, l’ultimum potentiæ, l’expression maximale de ce qu’un homme peut être, l’accomplissement de la possibilité ontique humaine dans le champ naturel comme dans le surnaturel. L’homme vertueux ‘est’, par la plus intime inclination de son essence, porté à réaliser le bien avec son faire [43] ».
Lorsque le Père Maximilien Kolbe en août 1943 à Auschwitz a donné sa vie, tout le monde a trouvé son acte admirable, personne ne l’a trouvé imitable. En effet, ce qu’il a accompli était un acte d’héroïsme hautement désirable, mais aucun nul, hors lui, n’a été capable d’y accéder. Or, s’il a pu ainsi, donner totalement sa vie, au point que l’on assimile son acte à un martyre, c’est parce que, au jour le jour, ainsi que ceux qui vivaient avec lui l’attestent, il faisait passer l’autre devant lui. S’étant ainsi disposé, à son insu, au don absolu, son âme a pu poser un jour le plus bel acte qu’un homme puisse accomplir : « donner sa vie pour ses frères » (Jn 15,13).
Nous reviendrons sur ce point en traitant de la différence entre habitus et habitude.
- Thomas distinguerait-il entre potentiaet facultas ? La première serait seulement la dunamis, la capacité, alors que la seconde dirait déjà un habitus qui orienterait la puissance vers son bien agir [44]. Il semble que, avec une fine psychologie, S. Thomas distingue différents degrés dans les habitus qui sont autant de dispositions tournant l’homme vers sa fin, perfectionnant les puissances. Mais seule la disposition ultime à l’acte bon mériterait pleinement le terme d’habitus. Avant, les dispositions sont seulement des facultates: ils orientent les facultés de connaissance, sensible et même intellectuelle. Il existe donc une gradation dans l’intériorisation : les habitus sont bien des principes intériorisés qui font partie de l’être humain ; mais ils appellent de nouveaux principes d’action encore plus assimilés, plus intégrés, plus unifiants et plus dynamisants [45].
d) La vertu comme transformation de la personne
Nous avons vu que la vertu est l’équipement éthique permettant à l’homme de franchir les étapes menant de l’humain à sa pleine humanisation. Elle est par excellence les provisions de route qui nous accompagnent sur le chemin du bonheur qui est notre inalité ultime. Puisque le but est ce qui nous achève, la vertu rejaillit sur notre être. La vertu ne présente donc pas seulement une signification éthique mais ontologique.
1’) Preuve philosophique
La vertu constitue le moyen par lequel nous pouvons changer. Si par exemple une personne est paresseuse, poser des petits actes, comme se lever le matin à l’heure, sans traîner au lit, change et la rend déterminée ; dès le premier acte, la volonté commence à acquérir la disposition vertueuse.
On ne dira jamais assez combien la vertu transforme une âme – surtout lorsqu’elle est portée par la grâce. C’est ce qu’atteste l’exemple de jeunes dont on espère qu’ils seront un jour canonisés [46], comme la Vénérable Anne de Guigné (1911-1922) [47]. Cette petite fille, aînée de quatre d’une famille d’Annecy-le-Vieux, est volontiers désobéissante, orgueilleuse et jalouse. Alors qu’elle a quatre ans, son père meurt lors de la Grande Guerre. Sa mère n’est plus capable de supporter les rébellions de sa fille : « Anne, si tu veux me consoler, il faut être bonne ». À partir de cet instant, la petite Anne va multiplier les actes pour combattre ses mauvaises habitudes et devenir bonne. C’est ainsi que, lorsqu’une colère la prend face aux frustrations et aux contrariétés, elle devient rouge et serre ses petits poings pour ne pas exploser. Progressivement, ses fréquentes crises s’espacent, elle change en profondeur et bientôt mènera une vie héroïque d’offrande, lorsqu’une très douloureuse méningite l’atteindra et finira par l’emporter. Le secret de cette métamorphose ? Trois éléments : l’amour pour sa mère qu’elle veut consoler ; les petits actes sans cesse répétés qui (et que) façonnent la vertu ; la grâce de Dieu. « Rien d’extraordinaire dans sa vie – disait son institutrice, Melle Basset –, si ce n’est sa persévérance à devenir bonne. Le secret de sa montée spirituelle : prière et volonté », autrement dit, grâce et liberté vertueuse. Quelle espérance !
De plus, la vertu est ce qui permet de m’arracher au vice. La vertu, nous allons le revoir, est une disposition habituelle bonne, alors que le vice est une disposition habituelle mauvaise. Etant contraires, le vice et la vertu ne peuvent donc pas coexister. Ce qui signifie que lorsque l’on pose des petits actes bons, la vertu commence à naître et elle change réellement notre être non seulement en l’orientant vers le bien mais en inscrivant cette orientation dans nos capacités. Nul ne peut en faire l’économie ; quelle que soit l’importance des dons du Saint-Esprit (dont je n’ai malheureusement pas le temps de parler), ceux-ci présupposent l’exercice des vertus.
Enfin, il serait même possible de montrer que, d’une certaine manière, la blessure est un mauvais pli, très profond. Elle se différencie du vice en ce que son origine est involontaire ; mais en sa nature, elle est aussi un habitus dévié. Toutefois, le trauma qui l’a causé est souvent si profond que la seule volonté ne peut suffire à l’annuler ; elle peut toutefois y aider. Par exemple, en travaillant sur le pli démesuré de reconnaissance dû à une blessure d’abandon.
2’) Confirmation par le haut
L’ouvrage déjà cité du théologien allemand Romano Guardini, Morale au-delà des interdits, en fournit une intéressante illustration. Se présentant sous forme de méditation, il cherche à renouveler la morale en général et la morale des vertus en particulier. Pour cela il s’oppose à une morale des interdits, du code qui est déliée de l’homme, de son fondement anthropologique. La vertu, elle, se fonde dans l’être, l’être de l’homme et même l’être de Dieu. La vertu « signifie que les motivations, les facultés, l’agir et l’être de l’homme sont englobés dans une valeur morale déterminante, une dominante éthique pour ainsi dire, constituant un ensemble caractéristique [48] ». Aussi, « une vertu authentique désigne la pénétration du regard à travers toute l’existence de l’homme [49] ». La raison ultime en est que « toute vertu est une réfraction de l’infiniment Simple et Riche en vue d’une possibilité humaine. Or cela signifie que les différentes individualités ont une affinité ou une incompatibilité plus ou moins grandes avec les différences vertus, selon leurs propres possibilités [50] ». Par exemple, certains sont naturellement portés vers l’ordre, la compréhension, le courage.
Considérons la patience. Pour la comprendre, il faut remonter jusqu’à l’étonnement que le fini soit. Ce qui suppose que Dieu l’ait créé. Or, « non seulement Dieu a créé le monde, il le maintient et le porte. Il n’en a pas de dégoût ». Ce qui s’oppose par exemple au mythe hindou selon lequel Shiva, ayant créé le monde dans un ravissement impétueux, quand il en eut satiété, le détruisit en morceaux et en produisit un autre ; il en fut de même pour ce nouveau monde, et ainsi de suite. Cette impatience créatrice manifeste en creux l’amour patient du Dieu réel pour ce que nous sommes, pour le réel. On pourrait aussi prendre l’exemple de notre impatience devant notre péché, le retard de l’autre, etc. Autrement dit, la patience première ne peut se lire qu’en déchiffrant la geste créatrice : « Dieu ne rejette pas le monde, il le maintient dans l’être, il le tient en honneur et, si l’on peut dire, il lui garde sa fidélité pour toujours [51] ». « Ce comportement de Dieu à l’égard du monde est la patience première – la patience absolue, possible seulement parce qu’il est le Tout-Puissant, parce que lui, qui n’éprouve aucune faiblesse, est le vrai Seigneur que personne ne menace ; l’Eternel pour qui n’existe ni angoisse ni hâte [52] ».
Appliquons ces constats à l’homme : « La patience envers soi-même, naturellement sans négligence ni mollesse, mais avec le sens de la réalité, est la base de tout effort [53] ». En regard, Faust est l’impatient par excellence. Après qu’il a rejeté foi et espérance, il s’écrit : « Maudite avant tout soit la patience ».
3’) Confirmation scientifique
Cette capacité de changement est de mieux en mieux établie en psychologie expérimentale. Prenons l’exemple du bonheur. Dans un premier temps, un certain nombre d’études ont conclu que chaque personne est programmée pour le bonheur, c’est-à-dire est réglée pour un certain niveau de bien-être chronique inchangeable [54]. L’objection qui monte aussitôt contre une conception statique, désespérante et au fond révoltante (car injuste), est que nous avons bien conscience que, au minimum, notre sentiment de félicité change lorsque la situation extérieure change : n’avons-nous pas tous fait l’expérience que notre baromètre du bonheur monte lorsque nous recevons une augmentation, partons en vacances à Bora Bora, passons avec succès un examen difficile, épousons la personne de nos rêves, etc. ? Certes, mais l’expérience montre tout autant que, « au bout de quelques mois », ce même baromètre « redescendra lentement au réglage préétabli qui nous est propre ». Conclusion : « Cette tendance est si forte – ont soutenu certains chercheurs – qu’essayer d’augmenter fondamentalement notre bonheur reste vain, car on revient inévitablement à son état prédéterminé [55] ».
Des chercheurs ont tenté de comprendre la raison de cette capacité si fixe au bonheur. Ils ont estimé que, si l’on réagit fortement sur le coup de la bonne (ou de la mauvaise) nouvelle, bientôt l’on s’adapte, la réaction émotionnelle s’émousse et l’on revient à son niveau habituel, émotif et actif. C’est ainsi qu’une étude célèbre a comparé deux groupes très différents : les personnes du premier venaient de gagner à la loterie et celles du second avaient subi une très grave lésion de la moelle épinière. L’étude « mesurait » leur niveau de contentement. Quelle ne fut pas la surprise de constater que la différence entre les deux groupes était minime : les premiers moins heureux qu’on le pensait et les seconds plus heureux qu’on ne l’aurait supposé ; plus encore, comme dans l’étude précédente, les personnes non seulement du premier groupe (les heureux gagnants de la loterie), mais aussi du deuxième revenaient à leur « mood » (leur état affectif moyen) en maximum six mois [56]. D’autres auteurs plaident pour un facteur inné, génétique dans cette capacité au bonheur.
En fait, ces études sont insuffisantes. Les psychologues chercheurs ont mesuré l’intensité de l’émotion en fonction des variations de l’environnement, mais ils n’ont pas considéré ces sentiments en fonction de changements délibérés, donc d’activités demandant un investissement personne et dont le point de départ est intérieur. Autrement dit, des actes surgissant de la liberté et de la vertu. Or, de telles activités intentionnelles, vertueuses influencent durablement le bien-être. On a par exemple montré, dans le cas des dépressions graves, que entreprendre avec persévérance un nouveau programme d’exercice physique tonifie l’humeur, et cela sur de longues périodes allant jusqu’à dix mois [57]. Autrement dit, la vertu accroît notre capacité au bonheur [58]. Plus encore, une équipe de psychologues a étudié environ 300 personnes exprimant en début d’année un souhait de changement dans leur vie quotidienne [59]. Parmi elles, une moitié avait pris des « bonnes résolutions » (en général dans un des trois domaines : perdre du poids, faire plus de sport ou arrêter de fumer), autrement dit étaient passées du désir à la décision, et l’autre moitié, non. Puis, l’équipe avait évalué par un suivi téléphonique six mois plus tard les changements souhaités pour savoir s’ils s’étaient produits. Les résultats étaient les suivants : 46 % de ceux qui avaient pris des résolutions fermes au début de la nouvelle année avaient atteint et maintenu leurs objectifs ; et seulement 4 % dans le second groupe. Les petits engagements, qui conduisent à la mise en place d’une disposition vertueuse, non seulement portent donc des fruits.
e) Définition de la vertu
On peut conclure de ces différentes approches convergentes ce qu’est la vertu. Celle-ci peut se définir comme la disposition habituelle et stable à poser des actes bons. Et même si c’est la définition du Catéchisme de l’Église catholique – « La vertu est une disposition habituelle et ferme à faire le bien [60] » –, elle fait appel à la raison et non à la foi. C’est là une donnée universelle, accessible à tout homme de bonne volonté.
Elle se signale par trois indices : la joie, la facilité et l’innerrance (l’absence d’erreur).
f) Relecture de la vertu à partir de l’amour
Ne peut-on donner une vision sapientielle (de sagesse) et unifiée de la vertu à partir de l’amour ? C’est ce que tente un théologien moraliste, le père Gilleman dans un ouvrage qui relit toute la morale de saint Thomas, et donc singulièrement la morale des vertus en clé de charité [61].
De plus, nous allons voir que les vertus par excellence que sont les vertus morales se répartissent en quatre principales que l’on qualifie de cardinales. Or, selon une perspective chère à Augustin, ces vertus se répartissent aussi selon leur but qui est l’amour : « La vertu n’est rien d’autre que l’amour de ce que l’on doit aimer ». Or, « le choix de ce bien définit la prudence ; n’en être détourné par aucune peine, c’est de la force ; n’en être distrait par aucun plaisir, c’est de la tempérance ; par aucun orgueil, c’est de la justice [62] ».
- Thomas lui-même note que le fondement sur l’amour est plus stable que celui sur la seule intelligence. Il l’affirme dans un passage de son commentaire sur Mt 7,24-28, à propos du logion de la maison fondée sur le roc. Or, dit-il, « ce fondement se fait sur la charité [istud fundamentum est super caritatem] », selon Rm 8,35 : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? ». Mais, continue-t-il, pourquoi le « le fondement qui est dans l’intelligence est instable et manque de fermeté, alors que ce n’est pas le cas pour l’affectivité [fondamentum quo est in intellectu instabile et non firmum est, sed quod in affectu]? » L’Aquinate répond :
« L’intelligence ne peut pas savoir beaucoup de choses si ce n’est dans l’universel ; aussi, en évoluant dans l’universel, elle ne trouve pas de stabilité. En revanche, les opérations et les sentiments concernent les réalités particulières et la bonne habitude. Ainsi, lorsqu’advient la tentation, elle adhère à ce à quoi elle est habituée, à savoir l’opération bonne et donc elle résiste [63] ».
Pascal Ide
[1] Cf. Pascal Ide, « L’homme et l’animal. Une altérité corporelle significative », François-Xavier Putallaz et Bernard N. Schumacher (éds.), L’humain et la personne, Colloque de l’Université de Fribourg (Suisse), 7-9 novembre 2007, Paris, Le Cerf, 2009, p. 281-299.
[2] Cf. Pascal Ide, « L’homme vulnérable et capable. Une alternative au dilemme puissance-fragilité », Bernard Ars (éd.), Fragilité, dis-nous ta grandeur ! Un maillon clé au sein d’une anthropologie postmoderne, coll. « Recherches morales », Paris, Le Cerf, 2013, p. 31-88.
[3] L’on sait combien le thème de la « perfectibilité » est central chez Rousseau : cf., par exemple, le mémoire de Salou Adli, La perfectibilité chez Rousseau, Grenoble, Université Pierre Mendès-France, Sciences sociales et humaines, 2007, disponible sur le site consulté en janvier 2014 : http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/29/73/11/PDF/Adli_La_perfectibilite_chez_Rousseau.pdf . Sur la théorie rousseauiste de l’éducation, cf. Jean-Yves Château, Jean-Jacques Rousseau. Sa philosophie de l’éducation, Paris, Vrin, 1962.
[4] Les dieux chargèrent deux titans, Prométhée et Épiméthée, de distribuer aux êtres vivants leurs diverses qualités. Le moins intelligent des deux, Épiméthée, réclama cette fonction et distribua aux uns la force sans la vitesse, à d’autres la vitesse sans la force, chaussa untel de sabots de corne, et tel autre de griffes, etc. Arrivé à l’homme, il ne lui restait plus rien. Prométhée sauva la situation de la catastrophe : il doua l’homme de l’intelligence et de la justice. Épiméthée dit le corps en sa nudité faible et indéterminée, Prométhée l’âme douée d’intelligence. Cf. les exposés classiques de Platon, Protagoras, 330 d-332 d, et d’Aristote, Les Parties des animaux, IV, 10, 687 a 27 s.
[5] Platon, Protagoras, 320 c. Cf. Protagoras, DK 80 B3 et Cicéron, Tusculanes, L. II, 4, 13.
[6] Plutarque, De l’éducation des enfants, 2 c-3 b.
[7] Georges Leroux, note sur Platon, La République, L. II, 377 b, trad. Georges Leroux, Paris, GF-Flammarion, 2002, p. 561.
[8] Sur les Grecs, cf., par exemple, l’ouvrage classique de Werner Jaeger, Paideia. La formation de l’homme grec. 1. La Grèce archaïque, le génie d’Athènes, trad. André et Simonne Devyver, Paris, Gallimard, 1964.
[9] Emmanuel Kant, Réflexions sur l’éducation, trad. Alexis Philonenko, Paris, Vrin, 1966, p. 71.
[10] Johann Fichte, Fondement du droit naturel, trad. Alain Renaut, Paris, p.u.f., 1985, p. 55.
[11] Victor Hugo, Les Misérables, Première partie : « Fantine », L. V, iii, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1976, p. 172.
[12] Cité par Éric Kandel, À la recherche de la mémoire. Une nouvelle théorie de l’esprit, trad. Marcel Filoche, Paris, Odile Jacob, 2007, p. 223-224.
[13] Cf. Helen Weng et al., « Compassion training alters altruism and neural responses to suffering », Psychological Science, sous presse. doi: 10.1177/0956797612469537
[14] Cf. Susanne Leibert, Olga Klimecki et Tania Singer, « Short-term compassion training increases prosocial behavior in a newly developed prosocial game », PloS one 6(3), p. e17798.
[15] Antonio M. Battro, Kurt W. Fischer, Pierre J. Léna (éds.), The Educated Brain. Essays in neuroeducation, Vatican City, Pontifical Academy of Sciences et Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
[16] Cf. Antonio M. Battro, Stanislas Dehaene, Wolf J. Singer (éds.), Human Neuroplasticity and Education. The Proceedings of the Working Group, 27-28 octobre 2010, coll. « Pontificiae Academiae Scientiarum Scripta Varia » n° 117, Vatican City, Pontifical Academy of Sciences, 2011.
[17] Christian de Duve qualifie la plasticité initiale du cerveau de l’enfant de « fantastique » (Poussière de vie. Une histoire du vivant, trad. Anne Bucher et Jean-Matthieu Luccioni, coll. « Le temps des sciences », Paris, Fayard, 1996, p. 40). De fait, le cerveau d’un enfant de trois ans est deux fois plus actif que celui d’un adulte. Voire, à la naissance, chaque neurone du cortex possède en moyenne 2 500 synapses, alors que le cerveau à trois ans en comporte 15 000. Ainsi, les cerveaux sont au commencement « beaucoup plus flexibles que les nôtres » (Alison Gopnik, Andrew Meltzoff et Patricia Kuhl, How Babies Think. The Science of Childhood, London, Phoenix, 2001, p. 186. Sur ces données et les références scientifiques, cf. p. 183-186. Cf. aussi Lise Eliot, Early Intelligence. How the Brain and Mind Develop in the First Five Years of Life, London, Penguin Books, 1999).
[18] Antonio M. Battro et al., Human Neuroplasticity and Education, p. 233-234.
[19] Pour une présentation et une actualisation de cette doctrine, cf. Pascal Ide, « La nature humaine, fondement de la morale », Coll., Handicap, clonage… La dignité humaine en question, Actes du colloque de bioéthique de Paray-le-Monial de mai 2003, Paris, L’Emmanuel, 2004, p. 79-155.
[20] Cf. Michel de Montaigne, Les Essais, L. II, ch. 12 (Apologie de Raymond Sebond), Œuvres complètes, éd. Albert Thibaudet, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », Paris, Gallimard, 1962, p. 459.
[21] L’on doit cette belle interprétation à Hannah Arendt, La crise de la culture, trad. Patrick Lévy, Paris, Gallimard, 1972, p. 209 s.
[22] Über das christliche Menschenbild, Einsiedeln-Freiburg-Neuauflage, Johannes Verlag, 1995 : La luce delle virtù. Alla ricerca dell’immagine cristiana dell’uomo, trad. Carlo Danna, Milano, San Paolo, 1999, p. 14. Avec finesse, S. Thomas distingue même différents degrés dans les habitus qui sont autant de dispositions tournant l’homme vers sa fin et perfectionnant les puissances : « Les habitus se présentent alors comme un échelon dans le perfectionnement de la vie humaine : nature – habitus – vertus – dons – béatitudes – gloire » (Céline Cochin, Avant les vertus. Les habitus comme éléments constitutifs de la formation intégrale de la personne chez Thomas d’Aquin, Roma, Ateneo Pontificio Regina Apostolorum, Faculté de philosophie, 2010, p. 230).
[23] Cf. Pascal Ide, Des ressources pour guérir. Comprendre et évaluer quelques nouvelles thérapies : hypnose éricksonienne, EMDR, Cohérence cardiaque, EFT, Tipi, CNV, Kaizen, Paris, DDB, 2012, chap. 8.
[24] La perfection ne se fait dès lors pas au détriment de la liberté ; en même temps que la nature s’accomplit, la liberté s’achève aussi. Bref, autant d’actualisation, autant de potentialité ; autant d’effectuation, autant de possibilité ; autant d’achèvement, autant de disponibilité (d’obéissance). C’est peut-être ici que doit se chercher la compréhension de l’amphibologie surprenante (et pourtant si peu explorée) du terme puissance, qui culmine dans la Toute-puissance de celui qui, par ailleurs, est Acte pur, et a conduit à forger cet oxymore, lui aussi trop peu interrogé, de « potentia activa ».
[25] Cf. Frank Fugita et Ed Diener, « Life Satisfaction Set Point : Stability and Change », Journal of Personality and Social Psychology, 88 (2005), p. 158-164.
[26] Robert Emmons, Merci ! Quand la gratitude change nos vies, trad. Sylvie Carteron, Paris, Belfond, réédité en Pocket Evolution n° 14019, 2008, p. 56. Les références scientifiques sont tirées de ce livre.
[27] Cf. Philip Brickmann, Dan Coates et Ronnie Janoff-Bulman, « Lottery Winners and Accident Victims : is Happiness Relative ? », Journal of Personality and Social Psychology, 36 (1978), p. 917-927.
[28] Cf. Michael Babyak, James A. Blumenthal, Steve Herman et al., « Exercise Treatment for Major Depression : Maintenance of Therapeutic Benefit at 10 Months », Psychosomatic Medicine, 62 (2000), p. 633-638.
[29] On trouvera d’autres études et d’autres analyses dans le passionnant ouvrage de Christophe André, Vivre heureux. Psychologie du bonheur, Paris, Odile Jacob, 2003.
[30] Cf. John C. Norcross, Marci S. Mrykalo, Matthew D. Blagys et al., « Auld lang Syne: Success Predictors, Change Processes and Self-reported Outcomes of New Year’s Resolvers and Nonresolvers », Journal of Clinical Psychology, 58 (2002), p. 397-405.
[31] Un chiffre : en 1900, 79 % de la population française et occidentale est composé d’agriculteurs ; en 2000, ceux-ci ne constituent plus que 2,3 % de nos pays.
[32] Cf. Jean Baurillard, Nouvel Observateur, décembre 2005, repris dans Les essentiels, n° 3, décembre 2013-janvier 2014, p. 98-99; cf. Id., La société de consommation, Paris, Gallimard, 1974.
[33] Cf., parmi beaucoup : Victor Scardigli, La consommation, culture du quotidien, Paris, p.u.f., 1983 ; Robert Rochefort, La société des consommateurs, Paris, Odile Jacob, 1995 ; Edward N. Luttwak, Le turbo-capitalisme, Paris, Odile Jacob, 1999 ; Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation, Paris, Gallimard, 2006.
[34] Cf. l’important article de Jean-Paul Sartre, « La liberté cartésienne » (1947), Situations philosophiques, coll. « tel » n° 171, Paris, Gallimard, 1990, p. 61-80.
[35] De ce point de vue, il ne me semble pas que l’on puisse, ainsi que le fait Jean-Louis Bruguès, enrôler la distinction foucaldienne, pourtant séduisante, d’une morale du code et d’un art de l’existence. Certes, en bon nietzschéen, Foucauld s’oppose à l’éthique déontologique ; mais ce qu’il propose n’est pas tant une éthique téléologique de la vertu qu’une technique de la sculpture de soi, autrement dit une création de soi par soi. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, pour le philosophe français, « souci de soi » est synonyme de « technique de soi » (cf., par exemple, Michel Foucault, Histoire de la sexualité. 2. L’usage des plaisirs, coll. « Bibliothèque des histoires », Paris, Gallimard, 1984, p. 17). « L’éthique devient un style de vie ». Elle se caractérise par « le développement d’un art de l’existence dominé par le souci de soi » (Michel Foucault, Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1984, p. 272).
[36] Stephen R. Covey, The Seven Habits of Highly Effective People, Simon and Schuster, 1989 : Les sept habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent, trad. Magali Guenette, Paris, F1rst, 1991 ; rééd. en coll. « Bien-être », Poche, J’ai Lu, 2005.
[37] « L’éthique du caractère enseignait qu’il existe des principes de base pour une vie fructueuse et affirmait que le seul moyen de réussir sa vie et de trouver le bonheur consistait à connaître et à intégrer ces principes à notre caractère », par exemple : « intégrité, humilité, fidélité, sobriété, courage, justice, patience », etc. En regard, « peu après la Première Guerre mondiale », on est passé à l’éthique de la personnalité qui se fondait sur « des techniques applicables aux rapports entre individus et un état d’esprit positiviste », autrement dit est centrée sur les « techniques d’influence miracle, stratégies de domination, tactiques de communication et attitudes positives », pas sur « nos intention profondes » (Ibid., p. 32-34) ; elle tente « de modifier extérieurement » – ce qui est « d’une efficacité très limitée » (Ibid., p. 46). La distinction entre les deux termes choisis est-elle pertinente ? Il semble qu’en anglais, character signifie « personnalité ». Peu importe les signifiants ; le signifié, lui, est clair.
[38] Ibid., p. 37.
[39] Sur cette évolution, cf. André Leroi-Gourhan, Mécanique vivante, coll. « Le temps des sciences », Paris, Fayard, 1983, p. 245-250 et Le Fil du temps, même coll., 1983, p. 112-121.
[40] Servais Pinckaers, Les sources de la morale chrétienne, coll. « Études d’éthique chrétienne » n° 14, Paris, Le Cerf, Fribourg (Suisse), Éd. Universitaires », 31993, p. 361-363.
[41] Cf. Thomas d’Aquin, ST, Ia-IIae, q. 94, a. 2.
[42] Préface à Antonin-Dalmace Sertillanges, L’univers et l’âme, Paris, Éd. Ouvrières, 1965, p. 10-11.
[43] Josef Pieper, Über das christliche Menschenbild, Einsiedeln-Freiburg-Neuauflage, Johannes Verlag, 1995 ; trad. : La luce delle virtù. Alla ricerca dell’immagine cristiana dell’uomo, trad. Carlo Danna, Milano, San Paolo, 1999, p. 14.
[44] Cf. ST, Ia-IIae, q. 56, a. 3, c. « Primi vero habitus non simpliciter dicuntur virtutes, quia non reddunt bonum opus nisi in quadam facultate ».
[45] Tel est l’un des principaux enseignements de la thèse de Céline Cochin, Avant les vertus. Les habitus comme éléments constitutifs de la formation intégrale de la personne chez Thomas d’Aquin, Roma, Ateneo Pontificio Regina Apostolorum, Faculté de philosophie, 2010. « Les habitus se présentent alors comme un échelon dans le perfectionnement de la vie humaine : nature – habitus – vertus – dons – béatitudes – gloire » (p. 230).
[46] Cf. le site de l’association Enfance et sainteté, dont le titre dit la mission, consulté en février 2014 : http://www.enfanceetsaintete.org/
[47] Pour le détail, cf. Renée de Tryon-Montalembert, Anne de Guigné, Enfance et sainteté, Paris, Saint Paul, 1983. Pour une introduction, cf. Odile Gautron, Le Secret de l’enfant rebelle. Vénérable Anne de Guigné (1911-1922), Paris, Éd. du Triomphe, 2006. Cf. le site, consulté en février 2014 : http://www.annedeguigne.fr/fr/
[48] Romano Guardini, Morale au-delà des interdits, p. 12.
[49] Ibid., p. 13.
[50] Ibid., p. 19.
[51] Ibid., p. 46 et 47.
[52] Ibid., p. 48.
[53] Ibid., p. 52.
[54] Cf. Frank Fugita et Ed Diener, « Life Satisfaction Set Point : Stability and Change », Journal of Personality and Social Psychology, 88 (2005), p. 158-164.
[55] Robert Emmons, Merci ! Quand la gratitude change nos vies, trad. Sylvie Carteron, Paris, Belfond, réédité en Pocket Evolution n° 14019, 2008, p. 56. Les références scientifiques sont tirées de ce livre.
[56] Cf. Philip Brickmann, Dan Coates et Ronnie Janoff-Bulman, « Lottery Winners and Accident Victims : is Happiness Relative ? », Journal of Personality and Social Psychology, 36 (1978), p. 917-927.
[57] Cf. Michael Babyak, James A. Blumenthal, Steve Herman et al., « Exercise Treatment for Major Depression : Maintenance of Therapeutic Benefit at 10 Months », Psychosomatic Medicine, 62 (2000), p. 633-638.
[58] On trouvera d’autres études et d’autres analyses dans le passionnant ouvrage de Christophe André, Vivre heureux. Psychologie du bonheur, Paris, Odile Jacob, 2003.
[59] Cf. John C. Norcross, Marci S. Mrykalo, Matthew D. Blagys et al., « Auld lang Syne: Success Predictors, Change Processes and Self-reported Outcomes of New Year’s Resolvers and Nonresolvers », Journal of Clinical Psychology, 58 (2002), p. 397-405.
[60] Catéchisme de l’Église catholique, n. 1803.
[61] Gérard Gilleman, Le primat de la charité en théologie morale. Essai méthodologique, coll. « Museum Lessinaum-Section théologique » n° 50, Paris-Bruxelles-Bruges, DDB, 21954. Cette thèse dactylographiée soutenue en 1947, publiée en 1952, épuisée en un an et aussitôt rééditée, a constitué un événement majeur dans l’histoire de la théologie morale. Sa traduction en anglais en 1961 figure habituellement dans la bibliographie des moralistes américains.
[62] Cité de Dieu, L. 14, ch. 6 ; et Epîtres, 155, 4 (13) ; les deux passages sont cités par Augustino Trapé, Saint Augustin, Paris, Fayard, 1988, p. 262.
[63] N. 674-675. « Ratio est quia intellectus est universalium : non enim potest scire multa nisi in universali ; ideo, vagando circa universalia non est stabilitas ; sed operationes et affectus sunt circa particularia, et circa consuetudinem bonum ; ideo si tentatio veniat, adhaeret ei quod consuevit, scilicet operationi bonae ; ideo resistit .