Le mathématicien René Thom (1923-2002), médaille Fields 1958 pour ses travaux de topologie et créateur de la « théorie des catastrophes » devient philosophe en développant une sémiophysique [1]où il élabore une structure universelle, ternaire et dynamique [2]. Nous allons brièvement l’énoncer pour, encore plus brièvement, en montrer la pertinence à la lumière de l’ontodologie.
Relisant la Physique d’Aristote et la réinterprétant de fond en comble, le métaphysicien géomètre distingue d’abord deux entités aujourd’hui fameuses, les « saillances » et les « prégnances ». Les premières sont configurées, donc localisées, et les secondes sont fluidiques et ondulatoires, donc ne sont plus limitées à un seul lieu, puisque leur fonction est de transmettre l’information entre les saillances.
Ce que l’on ignore davantage, c’est que Thom ajoute un troisième terme, les « effets figuratifs » qui est la réponse d’une saillance se trouvant investie par la prégnance émise par une autre saillance.
On relèvera enfin que, se refusant, comme Whitehead et tant d’autres, à la bifurcation nature-esprit (ce qui n’est pas la même chose que d’excepter l’exception humaine), Thom applique sa sémiophysique autant à l’animal (pour lui, les trois grandes prégnances sont la faim, la peur et le désir sexuel) qu’à l’homme (la prégnance par excellence s’identifie à la parole).
Traduisons ces conclusions dans les catégories de la double dynamique, quaternaire et trinitaire (et non pas ternaire), du don.
Selon la dynamique quaternaire du don (donation, réception, donation en retour, réception en retour), une première saillance agit sur une seconde saillance, par la médiation d’une prégnance qui les unit ; en réponse, cette seconde saillance produit une autre prégnance présentant une figuration. Or, la dynamique directe (qui va du primo-donateur au primo-récepteur) épousait davantage la logique étiologique d’Aristote et la dynamique responsoriale (qui va du primo-récepteur devenu deutéro-donateur vers le primo-donateur devenu deutéro-récepteur) davantage la logique sémiologique de Platon, donc la figuration ? Thom n’a-t-il pas élaboré une sémiophysique ?
Par ailleurs, selon la dynamique trinitaire ou pneumatique du don (donateur-esprit-récepteur), les saillances sont les acteurs du don, donateur et récepteur, et les prégnances en sont les médiateurs fluidiques et informatifs (à quoi il faut ajouter le don passif ou le cadeau). De plus, produisant une figure, la prégnance organise le flux, épousant la loi selon laquelle l’esprit (le pneuma) se structure en lettre qui en favorise la circulation vitale.
La sémiophysique thomienne (et non thomasienne !) peut donc se relire à partir des dynamiques datives et les confirment en retour.
Pascal Ide
[1] Nous avons proposé un développement plus substantiel et plus référencé dans le cours d’histoire de philosophie de la nature qui est sur le site et qui fut donné dans les années 1990 au séminaire de Paris. Mais, à cette époque, nous n’avions découvert aucune des trois dynamiques du don.
[2] Cf., notamment, René Thom, Esquisse d’une Sémiophysique. Physique aristotélicienne et théorie des catastrophes, 1988.