La Résurrection du Christ à la lumière de la dynamique du don

« Seul Dieu a le droit de me réveiller [1] ».

L’excellent petit ouvrage de Heinrich Schlier sur La résurrection de Jésus-Christ met au point bien des notions parfois mises à mal par l’exégèse trop libérale. Surtout, il montre que la Résurrection est intrinsèquement habitée par le dynamisme du don.

1) Topique

a) La Résurrection réduite au kérygme

L’exégèse libérale a réduit la Résurrection à l’événement de parole. On le sait, Rudolf Bultmann identifiait, purement et simplement, la résurrection du Christ au kérygme et à l’acte de foi dans le Ressuscité, de sorte que l’événement dans son objectivité se résorbe dans l’acte de parole [2]. De même, W. Marxen estime que la Résurrection du Christ n’est rien d’autre que « le prolongement du kérygme de Jésus [3] ». Enfin, Gehrard Ebeling a pu écrire : « L’apparition de Jésus et l’accès à la foi de celui qui bénéficie de l’apparition sont une seule et même chose [4] ».

Toutefois, il faut se demander et objecter : une parole prend sa source dans la réalité qu’elle signifie. À quoi il faut ajouter cet argument par rétorsion : affirmer la vie de Jésus après sa mort, c’est bien reconnaître qu’il est ressuscité : « Que Jésus soit réellement présent dans le kérygme sans avoir été ressuscité et exalté, constitue un miracle au moins aussi grand et sans doute plus difficile à expliquer ; il crée au moins autant d’embarras à «l’histoire» que la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts [5] ».

Il est bien plus juste d’affirmer que l’événement de la Résurrection est fondateur et suscite, avec affection et enthousiasme, comme de lui-même, sa proclamation, sa donation par la Parole. Ce que scellera la Pentecôte. L’interprétation de Bultmann écrase le don originaire et occulte la dynamique du don en réduisant la réalité à son interprétation : la parole de l’homme est une surabondance de la Parole des choses. Et cette loi se vérifie particulièrement dans le cas du don glorieux de la victoire définitive qu’est la Résurrection.

Peut-être nous trouvons-nous ici devant l’une des formes les plus pures de la surabondance du don : au don de la Résurrection répond celui du kérygme ; ce qui continue dans la relation profonde existant entre la conversion et la mission. La mission et la trans-mission est alors garantie par le don de l’Esprit. « En vertu de l’apparition du Christ ressuscité et exalté, la résurrection de Jésus s’est exprimée et transmise dans le témoignage des disciples qui l’ont vu en cet état [6] ». Et le kérygme est le premier noyau du don de la parole : le cœur à partir duquel se construira toute la Révélation, le centre dynamique. Ce cœur objectif correspond au cœur de l’Apôtre qui fut lui-même saisi par l’événement de la Résurrection resplendissant en Jésus et qui y participe par le don du baptême. Le Ressuscité s’empare donc de la parole des témoins, non sans les avoir bénis, sans que sa gloire inonde leur cœur et qu’il n’y ait consenti avec action de grâces.

Enfin, pour Ebeling, c’est là encore assimiler trop vite la Résurrection avec non plus l’énonciation kérygmatique mais, le récepteur, précisément sa foi. Or, en vérité, il existe un ordre d’antériorité ontologique (non chronologique) entre l’apparition et la foi : la première cause la seconde et donc celle-ci présuppose celle-là. Saint Paul lui-même énonce clairement la séquence apparition du Ressuscité-kérygme-foi dans deux phrases (cf. 1 Co 15,14.17).

b) La Résurrection réduite à l’événement

Toute à l’inverse, une certaine exégèse catholique a unilatéralement accentué le seul événement, sans considérer son retentissement sur le témoin, l’homme.

Mais une telle interprétation de la Résurrection, à la limite chosiste, ne rend pas compte du lien essentiel existant entre celle-ci, le témoin et le kérygme ou plutôt combien le Christ ressuscité tout à la fois suscite le témoin et institue un kérygme.

c) L’erreur commune

Ces deux postures extrêmes partagent une même cécité : fut de ne pas considérer le retentissement de l’événement dans le témoin. Autrement dit, la tache aveugle est le don 2, c’est-à-dire l’appropriation et l’intériorisation de la Résurrection chez le fidèle.

Pour pouvoir sortir de cet angle mort, il convient donc de réinscrire la Résurrection au sein de la dynamique du don. En effet, la résurrection est un événement extérieur, puis intérieur, avant de devenir une parole, un kérygme : ce qui reproduit les trois moments du don : réception (don 1), appropriation (don 2) et donation (don 2). On pourrait le montrer à partir des différents récits (cf. Mt 28,17 ; Mc 16,11-14 ; Lc 24,37s ; Jn 20,14.15). Systématisons le propos autour des deux pôles, subjectif et objectif.

2) Exposé du côté du sujet

a) Les données

Quels sont les textes qui parlent de la Résurrection du Christ ? Certes, on songe aux chapitres ultimes des quatre Évangiles, aux multiples textes des Actes et des Epîtres ; certains, plus érudits, songeront même à tel ou tel texte de l’Ancien Testament. Mais il y a plus décisif. Heinrich Schlier répond cette vérité désarmante et profonde : « Le texte global de notre événement […] est le Nouveau Testament [7] ».

1’) La difficulté classique

On le sait : l’événément de la résurrection s’est fixée de manière très approximative, au point que tout essai d’harmonisation semble voué à l’échec. Ce caractère disparate vaut pour le lieu, le temps, les événements. De là à passer du malaise au doute, de faire remonter le questionnement de la multiplication des faits à leur existence.

Comment comprendre une telle confusion ? Il faut d’abord quitter ce préjugé méprisant qui consiste à penser que nos ancêtres avaient un esprit moins rigoureux que le nôtre. Comme nous, les chrétiens de la première génération n’ont pu ne pas noter ce fait. Dès lors, la seule explication valable consiste à inverser l’interprétation : le fait est tellement avéré qu’aucune multiplicité irréductible d’herméneutique ne pourra jamais en entamer la conviction : « la résurrection se présente comme un fait exigeant acceptation et approbation [8] ». De plus, unifier est un acte de la raison ; donc, ne pas chercher à unifier est le signe d’un respect profond en face du mystère à jamais indicible de la Résurrection. D’ailleurs, le ton des narrations est remarquablement réservé, surtout si on le compare aux récits des évangiles apocryphes.

2’) La Résurrection, fait vital

Un fait mérite d’être noté. Les affirmations épistolaires et des Actes relatives à la Résurrection du Christ sont toujours affectivement investies. En effet, elles jaillissent dans l’enthousiasme ; les professions de foi sont incluses dans les doxologies, des acclamations (cf. 1 Co 15,3-5 ; Ac 2,23 ; 3,15 ; 4,10 ; 5,30 ; 1 Th 4,14 ; 1 P 3,18 ; etc.). Cela est même vrai des assertions narratives des Évangiles souvent plus factuelles : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, il est apparu à Simon ! » (Lc 24,34) Or, l’affectivité est signe d’une implication de l’existence. C’est donc que « l’Église primitive n’a jamais parlé de la résurrection de Jésus-Christ en termes distants ou sans se sentir engagés en elle [9] ». Dit autrement : la vie du Ressuscité est vitale.

3’) La résurrection est un événement

La résurrection, à lire attentivement le Nouveau Testament, est le plus grand don que Dieu puisse faire à la création.

a’) Du côté de la cause divine

D’abord, elle est un événement. L’événement, l’Ereignis allemand, correspond à l’hébreu dabar (tout de même plus concret) et au grec rhèma.

Précisément, cet événement est une action de Dieu ; c’est même « l’action de Dieu absolument décisive », selon le mot de K. H. Rengstorf [10]. En effet, c’est Dieu qui a ressuscité Jésus (Ac 3,15 ; 5,30 ; etc. ; Rm 4,25 ; 1 Co 6,14 ; etc.) : par sa puissance (cf. Ep 1,19 ; Col 2,12), mais aussi par sa gloire (Rm 6,4), et dans la force de l’Esprit (Rm 8,11 ; 1 P 3,18).

Plus encore, Dieu semble parfois être, pour saint Paul, comme celui que la résurrection du Christ le définit. 1. En effet, Dieu est associé à des formes participiales ou relatives telles que : « ressuscitant » ou « qui a ressuscité Jésus des morts » (Rm 8,11 ; 2 Co 4,14 : Ga 1,1 ; Ep 1,20 ; Co 2,12). 2. De plus, tout l’être divin est de se donner ; or, Dieu ne se donne jamais plus qu’en ressuscitant le Christ d’entre les morts : il accomplit des « merveilles » (Ac 2,11) et l’œuvre de résurrection est comme une recréation : c’est un agir créateur dans la puissance de l’Esprit.

Un signe en est le caractère profondément mystérieux de la résurrection : le ressuscité est reconnu et ne l’est pas ; parfois, il se laisse toucher et parfois pas ; or, l’incommunicabilité dit la transcendance.

b’) Du côté du terme, c’est-à-dire de la créature

Il n’y a pas plus grand don que la gloire : le ressuscité n’est pas seulement immortel, incorruptible ; mais sa vie est celle de Dieu : saint Paul identifie la vie du ressuscité, qui est « une vie par la puissance de Dieu » (2 Co 13,4) comme « une vie pour Dieu » (Rm 6,10). De plus, le « corps de gloire » (Ph 3,21) est un « corps spirituel » (1 Co 15,44) ; or, spirituel désigne la transcendance du monde céleste.

b) Une interprétation insuffisante

L’interprétation de Hans Schlier décrit les témoins comme « subjugués par l’apparition [11] », de « la poussée irrésistible [12] » de la mission, au point que l’on peut se demander si les Apôtres ne sont pas aliénés par l’évidence de la nouvelle, si l’Esprit ne ligote pas tout en illuminant.

Si Schlier a admirablement vu la dynamique du don, il n’honore pas assez le moment du don 2. Pas plus qu’à l’annonciation, Dieu ne saurait utiliser l’homme. Le médiateur n’est jamais un simple intermédiaire.

c) La nouveauté de la Résurrection

1’) La difficulté

On est toujours tenté d’arrêter la dynamique du don au sommet que représente la Croix : par certains côtés, Jésus ne peut aller plus loin dans le don. Que peut, par conséquent, rajouter la Gloire de la Résurrection du Christ ? Tout n’est-il pas accompli ? Il y a dans la Résurrection glorieuse une vérité qu’un certain nombre de réflexes orientaux, accentués par le protestantisme a occultée. Nos frères orthodoxes ne l’ont jamais perdue. Nous avons aussi été tellement marqués par la problématique de l’amour pur que tout accomplissement, retour, récompense nous semblent faisander notre donation.

Penser une place de la Résurrection qui ne soit pas que de rajout, accidentelle, est un véritable défi pour une théologie du don – qui doit d’ailleurs rejaillir, en raison, sur la compréhension de la dynamique ternaire.

2’) Ébauches de réponses

Une première piste est fournie par le schéma exitus-reditus repensé à la lumière de l’hymne aux Philippiens.

Bien évidemment, il s’agit de méditer sur la différence existant entre les trois mystères : la Résurrection, l’Ascencion et la Pentecôte. Elle n’est pas sans symétrie avec les trois premiers mystères sur lesquels s’ouvre l’Évangile : l’Annonciation, la Visitation et la Nativité. (à harmoniser à partir du don à Dieu, à l’autre ; don et manifestation) Il faut notamment penser ces mystères dans la puissante symbolique verticale (haut-bas), mais aussi horizontale qui les structure.

Une autre piste est celle-ci : la gloire est à la passion ce que la communion est au don de soi : la dynamique du don ne s’achève pas seulement dans la livraison de soi mais dans l’échange.

Autre piste : le don de soi n’est pas l’ultime achèvement. La récompense, la gloire font partie de la dynamique du don : il est normal que le don de soi soit couronné. Comme s’il y avait un analogue de la reditio completa dans le domaine volontaire, comme si la sortie extatique de soi devait être complétée par un retour qui échappe à l’initiative du sujet.

L’Écriture fournit l’exemplaire princeps de cette méditation en s’achevant par le livre de l’Apocalypse qui est, tout à la fois, description de la récompense glorieuse, du grand retour, etc.

De ce point de vue, très juste (et très rare) me semble être la fin du Seigneur des Anneaux qui prend le temps de décrire le reditus, la gloire, etc.

d) Résurrection et manifestation

Différents points donnent beaucoup à contempler et penser une théologie du don.

Nous avons déjà vu que la résurrection du Christ d’entre les morts est un mystère. Un signe en est que cet événement (ou plutôt ce non-événement) « se produisit également dans l’absolu secret de Dieu [13] ». Cette donnée montre combien tout don originaire est enfoui dans le secret : en effet, la Résurrection est l’origine de la vie nouvelle dans le Christ.

Il demeure que ce mystère ne reste pas plus scellé que le tombeau : ce mystère surgit dans l’expérience historique et s’y accomplit dans les apparitions (bien nommées)

1’) Le statut de témoin

De plus, les destinataires des apparitions acquièrent un statut particulier : celui de témoin. Et ceux-ci sont par Dieu, « choisis d’avance » (Ac 10,41).

La manière même dont Dieu procède, choisissant un premier cercle de témoins qui sont eux-mêmes appelés à vivre du mystère et à le transmettre, dessine un espace spirituel. La dynamique du don est créatrice d’un espace ; et celui-ci a une forme concentrique, rayonnante, à partir d’un centre, et d’ondes successives.

2’) La structure phénoménologique de l’apparition

Les apparitions du Ressuscité qui fut vu. La résurrection ici affleure positivement. On ne peut purement et simplement identifier : « Il est ressuscité » et « il est apparu » ; mais on ne peut non plus purement et simplement les séparer. La relation est de manifestant à manifesté.

On sait l’importance du terme décisif ôphtè, « il est apparu », chez Luc (Lc 24,64 ; Ac 9,17 ; 13,31 ; 26,16) et saint Paul (par exemple : 1 Co 15,5). Il faut ajouter un point essentiel : la manifestation est une autodonation, une manifestation de soi à partir de soi. En effet, les apparitions sont décrites à partir du verbe ôphtè ; or, il signifie « que le ressuscité se communique lui-même par la parole et le signe [14] ». Une preuve en est que Jésus prend l’initiative des rencontres.

À noter une belle expression lucanienne qui donne à penser dans la perspective du don : « Dieu lui a donné de se manifester » par une rencontre (Ac 10,40 ; cf. Rm 10,20).

Que signifie « voir » du côté des témoins ? Considérons son usage chez saint Paul. Voir signifie une perception sensorielle, sans que ses modalités soient précisées : ainsi en 1 Co 9,1 ou 1 Co 15,3. Autrement dit, prétendre avoir vu Jésus ressuscité, c’est dire qu’on fut témoin singulier et que le Christ s’est manifesté réellement.

Ensuite, Paul part de la résurrection en faisant appel à un autre terme : apokalupis, « dévoilement » ou « révélation » (Ga 1,12 ; Rm 1,3). Or, « le mot «révélation» signifie pour l’apôtre le dévoilement d’un mystère caché à tous et la perception immédiate d’un état de choses inaccessibles, par contraste avec toute autre communication [15] ». De ce point de vue, Paul distingue clairement la manifestation du Ressuscité, fondement du kérygme, de toute autre vision (cf. 2 Co 12,1s) : par exemple, l’apparition du chemin de Damas est distinguée des autres visions (cf. Ac 16,9s ; 18,9 ; 22,17 ; cf. aussi Lc 24,30 ; Ac 1,1s).

Par conséquent, la structure du voir et de la manifestation consone avec la structure phénoménologique fond-apparition.

Le confirme un constat permanent : le Crucifié se manifeste d’une manière très particulière, en se dérobant. L’exemple le plus fameux, le plus frappant aussi, est celui de l’apparition aux pélerins d’Emmaüs (Lc 24,31) ; mais il est prolongé par l’Ascension selon saint Luc (Lc 24,51 ; Ac 1,9s). Or, c’est Jean qui va élaborer théologiquement ce fait, notamment dans l’apparition à Marie de Magdala (Jn 20,11s) : a) Quant à la cause : Jésus vient à nous dans une rencontre dont il prend l’initiative librement et dans laquelle il se donne : cette rencontre est « le don définitif de sa condescendanc eaffectueuse et l’accomplissement de sa donation totale [16] ». b) Quant au terme : Jésus ne veut pas être saisi, touché, mais cru. c) Quant à l’origine, le Donateur : Mais cet état dit aussi quelque chose de Jésus, précisément, de son état transitoire, c’est-à-dire de son transitus vers le Père. Hans Schlier parle d’une apparition non fixée : « Comment se montre-t-il ? Comme celui qui ne saurait être fixé dans son apparition […]. On pourrait dire aussi : naturellement, c’est lui ; mais peut-il demeurer dans un état stable au moment où il est en train de monter dans sa gloire [17] ».

Au don extérieur du Christ, mort et ressuscité répond le don intérieur de l’Esprit répandu dans le cœur des disciples.

3’) La série des signes

Il faudrait aussi s’interroger sur la série, graduée, de signes que Jésus offre de cette origine aussi dérangeante qu’absolument novatrice :

  1. Le tombeau vide. À lui seul, il ne saurait suffire : « La nouvelle du tombeau vide à elle seule ne suscite que la perplexité, la crainte, le doute et toute sorte de suppositions défavorables [18] ». Pour autant, « le tombeau vide oriente au-delà de lui-même et de sa signification propre pour nous faire accéder au cœur de l’événement [19] ». « Le tombeau oriente dans la direction dans laquelle le ressuscite se manifeste [20] ». Ce qui donne à penser pour notre fascination actuelle pour le vide. Le manque est un principe du devenir, mais par accident.
  2. Les apparitions du Ressuscité qui fut vu. La résurrection ici affleure positivement. On ne peut purement et simplement identifier : « Il est ressuscité » et « il est apparu » ; mais on ne peut non plus purement et simplement les séparer. La relation est de manifestant à manifesté. (cf. plus haut)
  3. L’identité du Ressuscité. Celui-ci se présente comme le Crucifié. Le prouvent, soit ses paroles (Lc 24,26.46), soit le langage non verbal des stigmates (Jn 20,20.27). Par conséquent c’est le Crucifié qui est ressuscité. Cette affirmattion même énonce notre foi, dans des formules à deux membres (4m 4,25 ; 1 Co 15,3s ; 1 Th 4,14). De même, toute origine n’est jamais vue ni sue ; elle ne peut qu’être crue. signes par lesquels le mystère se donnent ne sont pas tous de même valence.

e) Résurrection et exaltation

Jésus fut exalté, c’est-à-dire élevé « bien au-dessus » de toutes les puissances de ce monde (Ep 1,21).

Nous confondons souvent ces deux moments : Résurrection et exaltation ; les Écritures en font parfois autant.

En fait, on rencontre trois types de texte. 1. Les premiers passent directement de la mort à l’exaltation dans la gloire, de sorte que la résurrection s’identifie à la glorification ou à l’intronisation (Ph 2,8 ; Lc 24,26 ; 1 P 1,11 ; He 12,2 ; Ep 4,8 ; 1 Tm 3,16 ; Ap 5,6). 2. Les seconds font se relayer dans le même texte la résurrection et l’exaltation, de sorte que les deux termes ne se succèdent pas mais semblent plutôt être équivalents l’un de l’autre, sans claire distinction (Ac 3,13 ; Lc 24,46 et 24,26). 3. Enfin, les troisièmes envisagent clairement une différence à type de succession entre résurrection et exaltation, de sorte que la première s’accomplit dans la seconde (Rm 8,34 ; Rm 1,3 ; Ac 5,30s ; Ep 1,20s ; 1 P 1,21 ; 3,21 ; etc.). Il faut donc dire « que l’exaltation constitue la finalité interne et en même temps l’épanouissement de la résurrection [21] ».

Pourtant, il y a la fois continuité et différence. Continuité, car il s’agit d’un même mouvement vers le haut : « sa résurrection est comme une poussée vers le haut, vers Dieu, et son exaltation s’accomplit dans la force de sa résurrection [22] ». À noter aussi que saint Jean interprète le mystère de la résurrection à partir du schème de la « montée », du « être élevé », « aller vers le Père » (Jn 17,5 ; 20,17 ; etc.).

La différence est la plus claire dans la différence entre les deux mystères de la Résurrection et de l’Ascencion.

3) Exposé du côté de l’objet

Nous venons de voir que la Résurrection vivait de la dynamique ternaire du don du côté subjectif des témoins et que, de plus, tout partait du cœur du témoin touché par Jésus ressuscité. Il en est de même du côté objectif de la foi.

En effet, l’origine est l’événement réel de la Résurrection. Du point de vue de l’énoncé, il se stabilise dans le credo fondateur : Jésus-Christ, le crucifié, est ressuscité. H. Conzelmann affirme que ce « credo avec toutes ses virtualités internes » constitue le « principe formel » des évangiles synoptiques [23], et on pourrait ajouter de toute la foi de l’Église. On peut l’établir en détail.

Par exemple, l’évangile selon saint Marc doit se lire à rebours, à partir de la fin ; or, celle-ci raconte la résurrection, bien sûr. De même, ce credo éclaire les chapitres 8 et 9, puisqu’ils racontent la confession de Pierre, l’annonce de la Passion et la transfiguration ; or, ils constituent le tournant décisif de cet évangile.

Cela vaut aussi de l’Évangile selon saint Jean. Lui aussi ne trouve son unité que du noyau qu’est l’énoncé du kérygme. Par exemple, l’épisode au temple se produit au tout début ; or, le commentaire de Jean l’éclaire à partir de la résurrection du Christ (Jn 2,22).

La Résurrection est un don pour Jésus et, par là, pour toute créature, autrement dit un don gratifiant le sujet (don 2) et rejaillissant sur les autres (don 3).

a) C’est d’abord pour Jésus que la Résurrection fait sens

Elle lui donne unité, elle unifie sa vie.

Plus encore, la Résurrection le fait surgir de la mort et la vaincre définitivement : « Etant celui qui, dans sa patience jusqu’à la mort, est venu à bout des péchés des hommes, il a été éveillé à la vie au plus profond de la mort [24] ». Phrase mystérieuse qui semblerait dire que, parce que Jésus a connu le plus profond du combat de la mort, il a acquis le pouvoir de règner sur elle. On songe ainsi au combat de Gandalf contre le Balrog qui l’a précipité au plus profond de la terre, là où règnent des créatures sans nom. Or, la victoire lui donne de revenir, victorieux et plus encore, porteur d’une autre identité, la nouveauté affectant autant son apparence, sa figure (Gandalf le gris revient blanc) que son nom (Mithrandir).

b) La Résurrection, don pour le monde

Par la Résurrection, Jésus n’a pas seulement obtenu la gloire pour lui, mais aussi pour les autres, pour le monde (cf. Rm 14,7s). En effet, la mission de Jésus est de donner la vie à tous les hommes. Or, par sa mort et, plus encore par sa résurrection, Jésus intercède pour chaque homme (cf. Rm 8,33s) et se trouve capable de le sauver (He 7,25).

De plus Jésus a « vaincu le monde » (Jn 16,33). Précisément, par sa mort, il a triomphé, « désarmé » (Col 2,15) les puissances de ce monde ; il jette à bas « le prince de ce monde » (Jn 12,31). De plus, en mourant, il vainc le dernier ennemi qu’est la mort (1 Co 15,25 ; Col 1,13 ; 2 Tm 2,12).

Or, celui qui triomphe acquiert des droits ; le vainqueur a un pouvoir sur le vaincu. Cela signifie avant tout que toute puissance est remise entre ses mains et que toute autre puissance est désormais illicite et surtout illusoire. Or, la puissance de Dieu est toute tournée vers la vie et le bonheur des hommes. Donc, « le Christ ressuscité et exalté introduit le monde, […] dans sa résurrection et sa gloire [25] ». Mais quel est l’espace où l’homme est introduit dans la domination divine ? C’est l’Église (cf. Ep 4,10s). D’où la mission confiée par le Christ à ses Apôtres de construire, d’élargir l’Église (cf. Mt 28,18-20).

c) La Résurrection, don pour l’existence humaine

1’) Côté don

La Résurrection est source d’immenses bienfaits, est fécondes de nombreux dons, présents et futurs.

La Croix nous pardonne nos péchés ; la Résurrection aussi, comme ne cesse de le dire l’Écriture, dans les Évangiles (Lc 24,30 ; Jn 21,5s), les Actes (Ac 5,31 ; 10,41) et surtout saint Paul (1 Co 15,17) qui affirme que la résurrection d’entre les morts nous apporte la « réconciliation » (Rm 5,10 ; 2 Co 5,18s), la « justification » (Rm 4,25 ; 5,9), la « sanctification » (1 Co 1,30 ; Col 1,21s ; Ep 5,25s ; Tt 2,14). En effet, elle nous promet qu’un jour nous serons avec Dieu ; or, le péché nous promet plutôt le contraire ; mais le pardon efface le péché ; donc, la Résurrection garantit l’efficacité du pardon divin.

Avec la Résurrection nous est aussi assuré le don de la vie future (1 Co 15,22 ; cf. Ap 1,17). L’homogénéité, la similitude de la cause et l’effet le fait mieux comprendre.

2’) Côté Donateur

Et tous ces dons sont le fruit de l’amour divin, ou plutôt de sa miséricorde comme l’exprime admirablement Ep 2,4s (cf. aussi Rm 6,1 ; Col 2,12).

3’) Côté récepteur

Mais tous ces dons sont accessibles seulement si nous sommes creusés pour les recevoir. Or, ce sont les attitudes théologales, au premier rang desquelles la foi, qui nous y habilitent. Or, ces attitudes sont elles-mêmes hors de notre portée : seul Dieu peut nous les octroyer. Mais, là encore, la foi, l’espérance et la charité sont un don de la Résurrection, voire cela même que Jésus veut nous offrir en premier :

  1. Le Ressuscité nous fait don de la foi. En effet, les récits de Résurrection nous montrent que non seulement Dieu se donne à voir, à apparaître, mais, du côté du sujet récepteur, offre le don de la foi. « La foi, qui implique la remise de tout soi-même au ressuscité en tant que tel, est le don triomphant que le Christ accorde en apparaissant [26] ». En effet, Dieu est venu, en Jésus, rétablir l’alliance, c’est-à-dire la communion avec Lui ; or, la foi constitue cette communion. De plus, chez saint Luc, la Résurrection est la clé de lecture de toutes les Écritures : c’est le Ressuscité qui explique celles-ci (Lc 24,25s et 44s) ; en outre, les écrits de Luc se réfèrent volontiers aux psaumes 2 et 110 et ces textes messianiques sont des prophéties de la résurrection. Or, la foi se fonde sur l’Écriture.
  2. Le Ressuscité nous fait don de l’espérance : en effet, désormais la victoire sur toute mort et sur tout péché nous est assurée (1 P 1,3). De plus, la Résurrection est ce que Dieu n’a cessé de promettre, l’accomplissement ultime : c’est « l’événement eschatologique de la fidélité de Dieu [27] ». Or, l’espérance se fonde sur la fidélité, son motif est la promesse de Dieu qui toujours s’accomplit.
  3. Le Ressuscité nous fait don de la charité (Ga 5,5). Un signe en est que voir le Ressuscité rend joyeux (Jn 20,20 ; cf. Jn 16,22s) ; or, la joie est un effet de la charité. De plus, le don de soi est l’acte de la charité et la miséricorde est un autre de ses effets ; or, Paul y exhorte au titre de la vie de celui qui est ressuscité avec le Christ (cf. Rm 12,1).

Pascal Ide

[1] Éric-Emmanuel Schmitt, Oscar et la dame rose, Paris, Albin Michel, 2002, p. 100. Les trois derniers jours, Oscar avait posé une pancarte sur la table de chevet « Seul Dieu a le droit de me réveiller ». Or, on le sait, en grec, le même mot dit le réveil et la résurrection. Et, de fait, c’est Dieu seul qui nous ressuscitera à la fin des temps.

[2] Cf. Rudolf Bultmann, « Neues Testament und Mythologie », in Kerygma und Mythos, coll. « Theologische Forschung » n° 1, 1951, p. 44s.

[3] Id., « Die Auferstehung Jesu als historisches und theologisches Problem », Die Bedeutung der Auferstehungsbotschaft für den Glauben an Jesus Christus, 1966, p. 11-39.

[4] « Historischer Jesus und Christologie », Wort und Glaube, 21962, p. 300-318, ici p. 314.

[5] Heinrich Schlier, La résurrection de Jésus-Christ, trad. Martin Benzerath, Casterman-Paris-Tournai-Mulhouse, Salvator, 1969, p. 44-45.

[6] Ibid., p. 47.

[7] Ibid., p. 8.

[8] Ibid., p. 16.

[9] Ibid., p. 11.

[10] Karl Heinrich Rengstorf, Die Auferstehung Jesu, 51967, p. 34, cité par Heinrich Schlier, La résurrection de Jésus-Christ, p. 19.

[11] Par exemple Heinrich Schlier, La résurrection de Jésus-Christ, p. 52.

[12] Ibid., p. 53.

[13] Ibid., p. 31.

[14] Ibid., p. 42.

[15] Ibid., p. 37-38.

[16] Ibid., p. 43.

[17] Ibid., p. 41 et 42.

[18] Ibid., p. 33.

[19] Gerhard Koch, Die Auferstehung Jesu Christi, coll. « Beiträge zur historischen Theologie » n° 27, Tübingen, Mohr Siebeck, 1965, p. 163.

[20] Wolfgang Nauck, « Die Bedeutung des leeren Grabes für den Glauben an den Auferstandenen », Zeitschrift für neutestamentliche Wissenschaft, 47 (1956), p. 243-267, ici p. 258.

[21] Heinrich Schlier, La résurrection de Jésus-Christ, p. 28.

[22] Ibid., p. 26.

[23] « Jesus von Nazareth und der Glaube an den Auferstadenen », Karl Ristow et Helmut Mattiae (éds.), Der historische Jesus und kerygmatische Christus, Berlin, Evangelische Verlagsanstalt, 21961, p. 188-199, ici p. 195.

[24] Heinrich Schlier, La résurrection de Jésus-Christ, p. 59.

[25] Ibid., p. 62.

[26] Ibid., p. 67.

[27] Walther Zimmerli, « Verheissung und Erfühlung », Probleme alttestamentlicher Hermeneutik, éd. par Claude Westermann, München, Christian Kaiser Verlag, 1960, p. 100.

10.4.2021
 

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