La nature nous fait du bien 5/6

9) Les bienfaits des promenades en ville

Nous ne pouvons pas toujours bénéficier de promenades en forêt, ce qui demande plus de déplacement, plus de temps et coûte plus d’argent – sans oublier « qu’en 2050, 70 % d’entre nous vivrons dans des environnement urbanisés [1] ». Si je ne peux aller vers la nature, celle-ci ne peut-elle venir jusqu’à moi ? Or, tel est le cas des espaces verts urbains. On peut distinguer différents cas de figure selon la proximité et l’exclusivité de cette nature : les parcs et les rues (arbres et murs végétaux).

a) Les promenades dans un parc urbain

1’) Le fait

Se promener dans un parc est plus apaisant que se balader dans la rue. Une équipe de l’université de Chiba a demandé à des participants de même sexe (hommes), de même âge (aux alentours de 22 ans), de même taille, de même poids et de même état de santé de déambuler pendant 15 minutes selon un parcours prédéterminé dans la ville de Kashiwa. Ils se promenaient soit dans un vaste parc urbain où ils croisaient des arbres à bois dur comme l’érable, le tulipier de Virginie, le cerisier et le châtaignier, soit dans les rues d’un quartier voisin. L’ordre était différent selon les sujets. Toutes les conditions étaient les mêmes : même vitesse, absence de prise de tabac ou d’alcool, même météo pendant les trois jours de l’expérimentation. Enfin, double était la mesure : physiologique (le rythme cardiaque et l’électrocardiogramme)  et psychologique (questionnaire d’auto-évaluation de l’humeur et du niveau d’angoisse).

Cette étude fort simple a montré avec évidence que marcher dans un parc apaisait plus que marcher dans les rues.

2’) Les causes
a’) Côté sujet

1’’) Dispositions intérieures

a’’) L’interaction avec la nature

Suite à ce que nous avons montré, les raisons sont évidentes : les interactions avec la nature sont bienfaisantes ; or, elles sont beaucoup plus nombreuses dans un parc [2].

b’’) La baisse de la rumination

Mais ne faudrait-il pas ajouter une autre raison, d’importance : la baisse de rumination ? Des chercheurs de l’université Stanford dont demandé à des individus de remplir le « Questionnaire Rumination Réflexion » et de faire une imagerie cérébrale déterminant le volume de flux sanguin dans le cortex préfrontal ventromédian. Puis, les participants ont effectué une balade pendant 90 minutes soit dans un espace vert avec arbres et buissons, soit dans une rue très passante de Palo Alto. Enfin, ils ont refait les deux tests, psychologique et physiologique.

Or, au terme de la promenade dans le parc, la rumination autodéclarée et l’activité corticale préfrontale avaient nettement diminuée ; or, cette zone s’active plus en cas de tristesse ou de rumination. Donc, la promenade en milieu naturel présente des effets reconstructeurs ; inversement, la ville favorise la rumination [3].

c’’) La beauté

Enfin, ne devrait-on pas évoquer un mécanisme (mieux, un dynamisme) insuffisamment pris en compte dans toutes les précédentes études : la beauté ? Les espaces verts urbains contribuent à la fois à l’appréciation esthétique et aux bienfaits pour la santé des personnes. Cependant, la plupart des enquêtes se sont centrées sur les effets des espaces verts urbains ou quant aux préférences esthétiques ou quant à la restauration du stress. Peu de recherches ont impliqué les deux simultanément. Une équipe de l’école de science urbaine et environnementale de l’Université Jiangsu à Xuzhou en Chine a utilisé une technique du photomontage en partant de 24 photographies prises dans un espace vert urbain et en manipulant quatre paramètres : le nombre d’arbres, de fleurs, d’eau et de petits animaux (oiseaux ou poissons). Puis elle a mesuré les préférences esthétiques et le caractère réparateur.

Les résultats ont indiqué que : (1) la préférence esthétique augmentait avec l’augmentation du nombre d’arbres et la présence de fleurs, d’eau et de poissons dans les images, alors que le potentiel de restauration s’accroissait avec le nombre d’arbres et la présence de fleurs ou d’eau, mais n’était pas affecté par les poissons dans les images ; (2) les oiseaux n’exercent aucune influence significative sur les préférences et sur le potentiel réparateur global ; (3) puissante est la corrélation positive entre la préférence esthétique et le potentiel réparateur. En ce qui concerne l’approche, les résultats suggèrent que la mesure d’un seul élément pourrait être appliquée pour évaluer le caractère réparateur perçu [4].

De ces observations découle une application pratique : planter davantage d’arbres et de fleurs aux couleurs vives ainsi que donner accès à de l’eau claire dans les espaces verts urbains amélioreraient simultanément les préférences esthétiques et la restauration [5].

2’’) Caractéristiques extérieures

Les découvertes ont aussi précisé les traits extérieurs de la promenade. Certaines concernent la durée. Une étude rigoureuse de l’université du Michigan a révélé que les bienfaits, corporels et intérieurs, de la nature sont maximaux lorsque le marcheur passe au moins 20 minutes d’affilée dans un parc. Moins de 20 minutes, et la baisse du stress est faible ; plus de 20 minutes, et l’amélioration est très peu sensible [6].

Passons du rythme quotidien au rythme hebdomadaire. Une recherche, faite par l’université d’Exeter, a montré que la bonne durée de la promenade était d’au moins 120 minutes par semaine en immersion dans la nature [7].

Une autre caractéristique concerne l’activité elle-même. Des scientifiques ont découvert que beaucoup plus détressant que la seule marche (plus ou moins la course) était l’alternance entre station assise et marche, voire la seule position assise. Autrement dit, plus encore que le temps de marche, c’est l’immersion dans la nature qui est le plus revigorant [8].

b’) Côté objet

L’on a aussi précisé ce qui, du côté de l’objet était le plus apaisant et reconstituant.

1’’) Qualitatif : plus sauvage ou plus domestiqué ?

En effet, de même que l’on distingue deux sortes de jardin, à la française et à l’anglaise, de même l’on distingue deux sortes de parcs, sauvages ou géométriques [9]. Une étude des chercheurs du College de médecine naturelle orientale de Portland en Oregon a montré qu’une promenade dans un parc à l’anglaise détendait plus qu’une balade dans un parc à la française. Les raisons semblent plurielles. Ainsi, avec ses arbres et ses arbustes disséminés de manière plus aléatoire, le premier ressemble plus à la nature [10]. De plus, les chants des oiseaux, nous l’avons vu, sont restaurateurs ; or, plus un paysage est sauvage, plus les oiseaux sont nombreux [11].

2’’) Quantitatif : densité des arbres

Deux chercheurs de l’université du Surrey, Birgitta Gatersleben & Matthew Andrews, ont montré que le stress, physique et psychologique, était proportionnel à la densité des arbres. Ils l’ont établi à partir de photos de zones boisées en parc urbain et confirmé à partir de promenades dans des endroits où la vue des arbres était plus ou moins dégagée [12].

Si la nature est réparatrice, on pourrait imaginer que plus elle est présente, plus curatifs sont ses effets. Pour répondre à cette difficulté et expliquer ces résultats contre-intuitifs, on pourrait faire appel à la théorie psychologique de l’environnement appelée « perspective et refuge », qui fut formulée par Jay Appleton en 1975. Au lieu d’une interprétation monofactorielle, sur laquelle se fonde l’objection, il propose une lecture bifactorielle : être vu sans être vu. Elle joint la vue (c’est-à-dire la perspective) à la sécurité (un refuge permettant d’opérer une observation en étant protégé d’une attaque) [13].

Des chercheurs ont objecté à cette explication d’Appleton que le refuge peut lui aussi dissimuler des agresseurs potentiels. De fait, Gatersleben et Andrews ont choisi des parcs semi-urbains où la belle perspective était couplée à une faible possibilité de refuge ; or, celui-ci accroît autant la protection que la menace.

Quoi qu’il en soit, c’est bien la juste mesure : comme une étude ci-dessus, l’effet réparateur requiert ni trop ni trop peu d’arbres.

b) Les promenades dans les rues de la ville

1’) La présence d’arbres

L’importance des arbres est telle que le mieux conservé, le plus long et le plus structuré de tous les textes juridiques remontant à l’Antiquité, le code babylonien d’Hammurabi, parle de l’usage des arbres et notamment en interdit la coupe. Aujourd’hui, de nombreuses villes possèdent un véritable capital santé dans la présence d’arbres en leur sein [14]. Cet effet sanitaire a été par exemple établi pour la ville de Toronto. D’un côté, l’on dispose d’une Data base qui recense le nombre, les espèces et les lieux où se trouvent les arbres poussant sur les terrains publics de la ville canadienne, en l’occurrence, pas moins de 530 000. D’autre part, une autre base de données contient les bulletins de santé de 31 109 personnes de Toronto. Des chercheurs de l’université de Chicago ont comparé ces deux mesures, écartant les biais venant des facteurs socio-économiques et démographiques, et ont constaté de la manière la plus claire que les personnes qui vivent dans les rues où se trouvent beaucoup d’arbres ont objectivement moins d’affections cardio-métaboliques et se ressentent subjectivement en meilleure santé [15].

Une étude effectuée à Londres a étendu ce résultat à la santé mentale en montrant la corrélation positive entre celle-ci et la présence des arbres [16]. Une autre recherche, effectuée sur trois villes du sud de l’Angleterre, a ciblé les troubles psychiques que sont la dépression, l’anxiété et le stress ; elle a conclu que, si le terrain qui se trouve dans un rayon de 250 mètres autour de la maison est couvert entre 20 et 35 % d’arbres ou d’arbustes de plus de 70 cm., le risque de ces signes diminuait significativement d’un quart. Une conséquence appréciable est d’ordre économique. Les auteurs de l’article ont calculé que si la couverture végétale était de 20 %, la facture de santé en matière de traitement antidépressif baisserait de 0,5 à 2,6 milliards de livres par an dans ces trois villes [17].

2’) La présence des murs végétaux

On appelle « murs végétaux » des plantes qui poussent à la verticale sur un mur. Ils sont de deux sortes selon que les racines des plantes grimpantes sont dans la terre au pied du mur ou dans des pots secondairement encastrés dans un cadre. Si, dans certaines villes, ces murs sont des curiosités, Singapour a prévu qu’ils couvriront 80 % de ses immeubles d’ici 2030. Deux autres chiffres spectaculaires : la plus vaste surface au monde est de 7 000 mètres carrés, dans Khalifa Avenue au Qatar, et la plus haute est de 92 mètres, sur un immeuble de Meddelin.

Or, si, pendant longtemps, l’intention de ces murs végétaux fut environnementale (l’élimination des gaz à effet de serre et la réduction de la pollution de l’air [18]), aujourd’hui, elle est anthropique. Les études tendent à montrer que la vision des murs végétaux procure un apaisement physiologique et psychologique analogue à celle des horizons verdoyants que nous avons étudiés ci-dessus [19].

Pascal Ide

[1] Kathy Willis, Naturel, p. 277.

[2] Cf. Chorong Song, Harumi Ikei, Miho Igarashi, Michiko Takagaki & Yoshifumi Miyazaki, « Physiological and Psychological Effects of a Walk in Urban Parks in Fall », International Journal of Environmental Research and Public Health, 12 (2015) n° 11, p. 14216-14228.

[3] Cf. Gregory N. Bratman, J Paul Hamilton, Kevin S. Hahn, Gretchen C. Daily & James J. Gross, « Nature experience reduces rumination and subgenual prefrontal cortex activation », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 112 (2015) n° 28, p. 8567-8572.

[4] Ronghua Wang, Jingwei Zhao, Michael J. Meitner, Yue Hu & Xiaolin Xu, « Characteristics of urban green spaces in relation to aesthetic preference and stress recovery », Urban Forestry & Urban Greening, 41 (2019), p. 6-13.

[5] Ronghua Wang, Jingwei Zhao, Michael J. Meitner, Yue Hu & Xiaolin Xu, « Characteristics of urban green spaces in relation to aesthetic preference and stress recovery », Urban Forestry & Urban Greening, 41 (2019), p. 6-13.

[6] Cf. Mary Carol R. Hunter, Brenda W. Gillespie & Sophie Yu-Pu Chen, « Urban Nature Experiences Reduce Stress in the Context of Daily Life Based on Salivary Biomarkers », Frontiers in Psychology, 10 (2019), p. 722.

[7] Cf. Mathew P. White, Ian Alcock, James Grellier, Benedict W. Wheeler, Terry Hartig, Sara L. Warber, Angie Bone, Michael H. Depledge & Lora E. Fleming, « Spending at least 120 minutes a week in nature is associated with good health and wellbeing », Scientific Reports, 9 (2019) n. 7730.

[8] Cf. Ye Wen, Qi Yan, Yangliu Pan, Xinren Gu & Yuanqiu Liu, « Medical empirical research on forest bathing (Shinrin-yoku): A systematic review », Environmental Health and Preventive Medicine, 24 (2019) n° 1, p. 70.

[9] Cf. Hilary A. Taylor, « Urban Public Parks, 1840-1900: Design and Meaning », Garden History, 23 (1995) n° 2, p. 201-221 ; Galen Cranz, The Politics of Park Design: A History of Urban Parks in America, Boston, MIT Press, 1982.

[10] Cf. Kurt Beil & Douglas Hanes, « The influence of urban natural and built environments on physiological and psychological measures of stress – A pilot study », International Journal of Environmental Research and Public Health, 10 (2013) n° 4, p. 1250-1267.

[11] Cf. Rachel T. Buxton, Amber L. Pearson, Claudia Allou, Kurt Fristrup & George Wittemyer, « A synthesis of health benefits of natural sounds and their distribution in national parks », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 118 (2021) n° 14, e2013097118.

[12] Cf. Birgitta Gatersleben & Matthew Andrews, « When walking in nature is not restorative-the role of prospect and refuge », Health & Place, 91 (2013), p. 101.

[13] Cf. Jay Appleton, « Prospects and refuges re-visited », Landscape Journal, 3 (1984) n° 2, p. 91-103.

[14] Cf. Katherine J. Willis & Gillian Petrokofsky, « The natural capital of city trees », Science, 356 (2017) n° 6336, p. 374-376.

[15] Cf. Omid Kardan, Peter Gozdyra, Bratislav Misic, Faisal Moola, Lyle J. Palmer, Tomáš Paus & Marc G. Berman, « Neighborhood greenspace and health in a large urban center », Scientific Reports, 5 (2015), n° 11610.

[16] Cf. Mark S. Taylor, Benedict W. Wheeler, Mathew P. White & Theodoros Economou, « Research note: Urban street tree density and antidepressant prescription rates – A cross-sectional study in London, UK », Landscape and Urban Planning, 136 (2015) p. 174-179.

[17] Cf. Phi-Yen Nguyen, Thomas Astell-Burt, Hania Rahimi-Ardabili & Xiaoqi Feng, « Green Space Quality and Health: A Systematic Review », International Journal of Environmental Research and Public Health, 18 (2021) n° 21, n. 11028.

[18] Cf. Sergio Vera, Margareth Viecco & Héctor Jorquera, « Effects of biodiversity in green roofs and walls on the capture of fine particulate matter », Urban Forestry & Urban Greening, 63 (2021), n. 127229.

[19] Cf. Mohamed Elsadek, Binyi Liu & Zefeng Lian, « Green façades: Their contribution to stress recovery and well-being in high-density cities », Urban Forestry & Urban Greening, 46 (2019), n. 126446.

15.1.2025
 

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