La maladie de l’Europe : l’acédie

« Le démon empêche l’éclipse du soleil, qui semble désespérément fixe.

Mais il invite à penser que la charité, elle, ‘s’est éclipsée’ [1] ».

 

Saint Jean-Paul II a inscrit sa dernière exhortation apostolique post-synodale continentale, donc pour l’Europe, sous le signe de l’espérance : « Sur Jésus-Christ, vivant dans l’Eglise, source d’espérance pour l’Europe » [2].

De fait, le chapitre 1 s’ouvre sur un paragraphe intitulé « l’obscurcissement de l’espérance ». Le pape polonais y affirme que « le temps que nous vivons […] apparaît comme une époque d’égarement ». A ce sujet, sur les nombreux « signes préoccupants qui, au début du troisième millénaire, troublent l’horizon du continent européen [3] », Jean-Paul II en isole quatre, auquel il rajoute un cinquième qui est plutôt une cause, voire la cause fondamentale [4].

  1. Le premier concerne la relation au passé conçu comme origine : « la perte de la mémoire et de l’héritage chrétiens ». D’où par exemple « les tentatives de donner à l’Europe un visage qui exclut son héritage religieux ».
  2. Le deuxième concerne la relation au futur ou plutôt à la finalité : la « peur d’affronter l’avenir » et non le désir ou l’audace. Cette crainte se manifeste par un « vide intérieur », « la perte du sens de la vie » et une « angoisse existentielle ». Enfin, à ces trois signes se joignent trois « conséquences » qui sont autant de désengagements : « la dramatique diminution de la natalité, la baisse des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, la difficulté, sinon le refus, de faire des choix définitifs de vie, même dans le mariage ».
  3. Le troisième concerne le présent, l’identité humaine : « une fragmentation diffuse de l’existence ». C’est ce que montrent les multiples divisions : entre pays, entre ethnies, entre membres d’une même famille. Au fond, le triomphe de l’égoïsme sur fond d’une mondialisation « qui marginalise les plus faibles et qui accroît le nombre des pauvres sur la terre ».
  4. Le quatrième signe considère la relation à l’autre : « un affaiblissement croissant de la solidarité entre les personnes » : d’où la solitude des personnes, malgré de louables institutions d’assistance.
  5. Enfin, cause plus que signe, « à la racine de la perte de l’espérance se trouve la tentative de faire prévaloir une anthropologie sans Dieu et sans le Christ ». Plus encore, le centre occupé par Dieu étant vacant, c’est l’homme qui devient « le centre absolu de la réalité ». Le pape parle plus loin d’ « agnosticisme ».

Or, tous ces signes caractérisent le péché capital d’acédie [5]. C’est donc que, pour Jean-Paul II, la crise d’espérance de notre monde est une crise acédique. Voilà pourquoi le pape conclut son paragraphe en parlant de « l’apparition d’une nouvelle culture, pour une large part influencée par les médias » que l’on peut appeler une « culture de mort [6] ».

Pascal Ide

[1] Rémi Brague, « L’image et l’acédie », Revue thomiste, 85 (1985) n° 2, p. 197-228, ici p. 204.

[2] Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Europa sur Jésus-Christ, vivant dans l’Église, source d’espérance pour l’Europe, 28 juin 2003.

[3] Ibid., n. 7. Pour ce qui suit, cf. n. 7 à 9.

[4] Outre leur corrélation aux trois extases du temps, les trois premiers signes épousent les moments de la dynamique ternaire du don : réception, appropriation et donation. Et le quatrième constitue le cœur de la donation.

[5] Cf. le remarquable ouvrage historique Siegfried Wezel, The Sin of Sloth. Acedia in Medieval Thought and Literature, Chapel Hill, University of North Carolina, 1967 ; Nathalie Nabert (éd.), Tristesse, acédie et médecine des âmes dans la tradition monastique et cartusienne, Pris, Beauchesne, 2005 ; Bernard Forthomme, « Acédie », Laurent Lemoine, Éric Gaziaux et Denis Müller (éds.), Dictionnaire encyclopédique d’éthique chrétienne, coll. « Dictionnaires », Paris, Le Cerf, 2013, p. 30-41. Sur le site, cf. « Sortie de la religion et entrée dans l’acédie chez Georges Simenon » ; « Qohélet ou la réponse à l’actuelle acédie de la déconstruction » ; « Une forme méconnue d’acédie »

[6] Ecclesia in Europa, n. 9.

18.6.2025
 

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