La loi eucharistique d’anéantissement selon Saint Pierre-Julien Eymard

Je me permets de renvoyer à deux autres textes présents sur le site : « La Sainte Messe à la lumière du don selon Saint Pierre-Julien Eymard » ; « Le voilement de Jésus dans le Saint-Sacrement selon Saint Pierre-Julien Eymard ».

Avec la dynamique du don, l’anéantissement est peut-être le thème le plus central du saint fondateur de la Congrégation du Très Saint-Sacrement. Et aussi le plus problématique à mon sens. Il radicalise le thème du violement.

1) Exposé

D’un mot, pour Saint Pierre-Julien, ce qui caractérise en propre l’Eucharistie, c’est-à-dire la présence de Jésus dans le Très-Saint-Sacrement, c’est son anéantissement : « L’état de Notre-Seigneur au Saint-Sacrement, le caractère qui domine, qui frappe, c’est l’anéantissement » (p. 190 ; cf. 189-199). Plusieurs arguments sont avancés, selon ce à quoi Jésus renonce, donc s’anéantit.

Il renonce à son être ou plutôt à l’apparence correspondant à son être. En effet, la substance est soumis aux accidents du pain et du vin ; or, ceux-ci ont des propriétés qui n’ont rien à voir avec le corps ou le sang ou la nature humaine ; ainsi Notre-Seigneur « n’a point de propriété au Saint-Sacrement » (p. 190). Autrement dit, il est absolument pauvre. « Voilà le grand pauvre » (p. 191). Nous retrouvons ici l’argument classique selon lequel, dans l’Eucharistie, Jésus se cache jusque dans son humanité.

De plus, et c’est la conséquence, le Christ dépend totalement des accidents sous lesquels il se trouve. Or, ceux-ci peuvent se corrompre ; le Christ est donc totalement soumis aux lois de la matière, c’est-à-dire aux « lois de mouvement, d’humiliation » (p. 190).

Par ailleurs, il renonce à toute beauté. Les hosties sont « toujours blanches ; mais le blanc n’est pas une couleur ». De plus, « sa vue prolongée est fastidieuse ». Donc, le plus beau des enfants des hommes, « Notre-Seigneur n’a aucune beauté visible au Saint-Sacrement » (p. 191).

Il renonce à tout mouvement et toute vie. En effet, les saintes espèces sont inanimées et immobiles. Or, Jésus se cache sous elles. Donc, celui qui est « la vie du monde, le suprême moteur de tous les êtres, la vie de toutes les vies » (p. 191) se cache sub contrariis, dans une absolue pauvreté qui est un total anéantissement.

Enfin, il renonce à sa volonté. En effet, Jésus « remplace la substance » des saintes espèces ; or, celles-ci sont totalement soumises à l’homme, le prêtre et le fidèle ; donc, désormais, le Christ est totalement et constamment soumis au bon vouloir de l’homme : « on les prend [les saintes espèces ], on les porte où l’on veut. Quel que soit celui qui lui commande, Jésus ne résiste point, ne dit jamais non. Il se laisse prendre aux mains d’un scélérat »

Et cet anéantissement est une humiliation, un abaissement, une pauvreté encore plus radicaux que l’Incarnation et même que la Passion. En effet, dans l’Incarnation et la Passion, le Christ prend l’initiative, est actif. Or, dans la sainte hostie, le Christ vit dans un état, donc une totale passivité : il est totalement à la merci de l’homme. De plus, Notre-Seigneur « s’est anéanti au Calvaire par rapport au bonheur et à la gloire de sa divinité, et par rapport au reste des hommes, oui, sans doute ; mais c’est ici qu’il s’anéantit réellement. Le dernier degré de la création est de n’avoir pas de substance propre, de n’être qu’un accident, une qualité. Or, Jésus-Christ, qui ne peut perdre sa propre substance, prend l’état extérieur, les conditions des simples accidents naturels » (p. 192). Cet argument qui place l’état – « l’humilité d’état » – du Christ au-dessus de « l’humilité des œuvres » (p. 195) est peut-être le plus original de Saint Pierre-Julien.

Bien évidemment, cette contemplation doit déboucher sur une imitation : « Aussi toute âme eucharistique doit[-elle] devenir humble : […] que nous n’agissions que sous l’impulsion de cette divinité anéantie ! Mais il suffit de regarder pour sentir le besoin de s’anéantir. Ainsi l’Église vous met à genoux dans la posture de l’humilité et de l’anéantissement devant le Très-Saint-Sacrement » (p. 195).

2) Reprise

Si cohérent soit le raisonnement, je dois dire que quelque chose en moi résiste. Est-ce que cela parle de moi, fils de mon époque qui a revalorisé le juste amour de soi, de la métaphysique thomasienne de l’acte d’être qui a toujours résisté à accorder une place au néant, déjà en métaphysique (la question est très latérale), a fortiori en spiritualité, de ma résistance à l’égard des spiritualités victimales, etc. ?

Quoi qu’il en soit, comment ne pas lire ici les traces de l’École Française, dans le sillage de laquelle Saint Pierre-Julien s’inscrit à l’évidence.

Maintenant, il y a une vérité d’importance à sauver, en lien avec le thème suivant : le voilement, que nous réinterpréterons dans les termes de la constitution épiphanique de l’être.

Pascal Ide

 

18.5.2025
 

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