Table Ronde au Colloque Blondel, samedi 18 novembre 2000, de 15 à 17 heures, Colloque international sur les ‘écrits intermédiaires’ de Maurice Blondel, Roma, Université Pontificale Grégorienne, 16-18 novembre 2000
Pascal Ide, « Joseph Wresinski et Maurice Blondel, quelques choix anthropologiques », in Marc Leclerc (éd.), Blondel entre L’Action et la Trilogie. Actes du Colloque international sur les ‘écrits intermédiaires’ de Maurice Blondel, Université Pontificale Grégorienne, Rome, du 16 au 18 novembre 2000, coll. « Donner raison » n° 12, Bruxelles, Lessius, 2003, p. 423-433.
« Toujours les philosophes cherchent, dans ce qui est, à voir surtout ce qui tend à être, avec l’espoir – présomptueux – d’aider peut-être ainsi cette réalité, qui n’est jamais qu’ébauchée, à être davantage et mieux elle-même [1] ».
1) Introduction
Marc Leclerc a demandé au Père Joseph ses lumières pour éclairer, d’un jour nouveau, l’intuition blondélienne, surtout celle que développe l’Action de 1893. Pour ma part, j’adopterai une démarche inverse en projetant l’éclairage de la philosophie de Blondel sur certaines difficultés soulevées par la pensée du fondateur d’ATD-Quart Monde. En effet, la lecture – je dirais presque la pratique – du Père Joseph n’est pas sans poser de constantes et profondes apories. Celles-ci s’incarnent dans des formules contrastées. Exemple : « La population [sous-entendu : de la misère] nous conduit, mais nous conduisons aussi la population [2] ». Autre exemple : « Le bidonville est comme une grande catastrophe où, seule, la misère unit les hommes [3] » ; et, tout à l’opposé : « Ce n’est pas le hasard qui a fait se réunir sur ce plateau de Noisy-le-Grand toutes ces familles misérables. Je pense qu’il y a comme cela, au cours des âges, des hauts lieux, des espèces de lieux sacrés [4] ». Dernier exemple : « Quand il [le plus pauvre] va vers quelqu’un, il le fait toujours à titre personnel [5] », sa relation est toujours personnelle, jamais fonctionnelle ; en revanche, dit-il quelques lignes plus loin, « le pauvre ne personnalise pas facilement l’individu en face de lui [6] ». L’entourage du Père Joseph lui-même avouait avoir parfois du mal à le comprendre [7] : celui-ci pouvait affirmer une chose et sembler la contredire une heure après. Combien, a fortiori, ceux qui ne l’ont pas connu !
Les difficultés sont notamment de deux ordres :
a) Problèmes de méthode
Je retiendrai deux problèmes en forme de contradiction.
- Le Père Joseph craint toujours que nos théorisations appauvrissent encore davantage le plus pauvre et occulte leur éminente dignité. Il demande à vivre avec eux, non de penser ce qu’ils sont. Combien de fois, le Père Joseph met à bas les constructions intellectuelles. Un exemple : « Quelqu’un d’entre nous a tenté, hier soir, de faire un tableau, dit-il : pensées spécifiques du Mouvement, pensées communes, pensées divergentes entre volontaires… Je suis sûr que tous les sociologues, tous les économistes, tous ceux qui ont fait ‘Sciences Po’ auraient trouvé, là, une culotte à leur calibre. Mais voilà ! notre chance est de ne pas pouvoir procéder ainsi [8] ».
Et, pourtant, le Père Joseph n’a jamais fini de chercher, d’étudier, de se remettre en question. Aucun anti-intellectualisme en cet homme qui n’hésite pas à parler à des universitaires, à faire une conférence remarquée à la Sorbonne, à mettre en place un observatoire de la misère : il fonde en effet en 1964 au sein de l’Association Internationale de Sociologie (ASI) un Groupe de recherche international sur la pauvreté, « le premier [Institut] créé par une association française de lutte contre la misère [9] ».
- Il y a une seconde difficulté : nous devons tout apprendre du peuple de la misère ; mais nous ne le pouvons pas. Le Père Joseph ne cesse de dire : « Nous ne savons rien des plus pauvres ». Mais la distance entre le volontaire et le peuple de la misère est telle qu’elle décourage tout apprentissage. Par exemple : « Il y a entre le bienfaiteur et celui qui reçoit sa bienfaisance autant d’ignorance qu’entre un caillou et le chant de l’eau qui coule dans la rivière. Le caillou ressent la caresse de l’eau, matin, midi et soir, mais il ignore tout de sa mélodie. De même, il y a une ignorance profonde entre les pauvres et ceux qui sont chargés de leur venir en aide. Ils ne se connaissent pas [10] ». Plus encore, pour comprendre les plus démunis, il faudrait être de leur bord, hériter de leur culture, ce qui est impossible : « Il existe une dimension, une densité de désespoir que jamais le chrétien ne peut atteindre. […] Même si nous passons toute notre vie parmi les plus pauvres, nous ne pourrons jamais souffrir ce qu’ils souffrent, connaître ce qu’ils connaissent, être ce qu’ils sont [11] ». En termes techniques, la relation entre notre expérience et la leur semble d’équivocité.
b) Problèmes à l’égard du plus pauvre
La pauvreté est une catégorie négative, privative. Plus encore, la misère que le Père Joseph ne cesse de distinguer de la pauvreté est un manque ; le plus pauvre est celui qui a besoin et ne cesse de réclamer. « Seul l’homme pauvre est riche […]. Lui seul aboutit, parce qu’il a l’extrême liberté ; il est disponible à tout […]. Au-delà, il y a la détresse dans le cœur de l’homme d’un peuple misérable. La détresse d’un homme qui tient la misère en lui, qui est toujours chancelant, toujours dans une incohérence totale [12] ». Pourtant, le Père Joseph nous montre la valeur positive de la misère, reprochant fortement à la psychologie et la sociologie de faire du monde des pauvres des individus (plus rarement des familles) inadaptés, asociaux, marginaux, caractériels, à problème, etc. ; voire il en souligne la supériorité : ils sont nos maîtres ; ils sont les préférés du Christ.
Voici trois exemples, parmi d’autres, du caractère antinomique de la misère. 1. Le peuple de la misère est un peuple de la violence ; et pourtant il peut nous apprendre ce qu’est l’amour. 2. Le Père Joseph affirme « l’impossibilité des pauvres de fonder des amitiés [13] ». Mais il dit aussi qu’ils lient immédiatement des relations fortes, personnelles. 3. Les hommes de la misère critiquent leur milieu ; et pourtant, « ils sont très intégrés au milieu dans lequel ils vivent. Tellement intégrés que le milieu pratiquement les étouffe [14] ».
Quand on pense aux difficultés suscitées par la pensée (et l’action) du Père Joseph, on songe à ce que dit Maurice Blondel, dans le compte rendu de la soutenance de L’Action paru en 1907. Il rappelle, à la suite de Descartes, qu’ »une certaine clarté […] est souvent dangereuse », parce qu’elle voile « la complexité réelle des choses », leur « inévitable difficulté ». Même s’il a tenté de clarifier, en rédigeant jusqu’à six ou sept fois certaines parties de la thèse, il n’a pas « souhaité faire disparaître tout obstacle ». Bref, « n’être compris ni trop tôt ni trop tard [15] ». N’est-ce pas aussi le désir du Père Joseph ?
Mais une telle réponse, si elle ne veut pas se réduire à une dérobade, appelle une justification. Et si nous demandions au même philosophe de nous donner des clés de lecture ? On peut rapprocher ces deux grands chercheurs de vérité notamment sur trois points qui seront autant d’ébauches de réponse aux apories soulevées : la méthode et le contenu anthropologique par rapport au plus pauvre et par rapport au volontaire [16].
2) La méthode
a) Prospection et réflexion
Reprenons la première difficulté méthodologique : faut-il ou non penser (a-t-on ou le droit d’avoir une parole sur) le peuple de la misère ?
Au fond, ce que craint le Père Joseph, ce n’est pas la connaissance en tant que telle, mais, pour parler comme Blondel, la connaissance notionnelle, abstraite. Dans le grand article de 1906, « Le point de départ de la recherche philosophique [17] », Blondel montre que la connaissance philosophique doit « faire œuvre de vie en même temps que de science » en joignant la connaissance directe ou « prospection » qui accompagne l’action, à la connaissance inverse ou « réflexion » qui s’interroge sur l’action en ses moyens et ses résultats, la réflexion étant une partie de l’action dont elle émane et à laquelle elle reconduit, selon une dynamique rappelant l’exitus-reditus. Il s’agit donc, comme le montrera encore plus clairement l’Itinéraire philosophique, de conjuguer connaissance notionnelle et connaissance réelle pour s’approcher au plus près du concret.
Pour le Père Joseph, la réalité du peuple de la misère est plus riche que toute conceptualisation. Il s’agit de vivre avec le plus pauvre, de partager son existence, d’écarter le général et d’aller au concret, au sens blondélien de ces deux termes.
Il demeure que, pour le Père Joseph, le volontaire est « un acharné de la formation [18] ». « Le Volontariat, ce sont des gens qui pensent [19] ». Mais cette pensée présente trois caractéristiques : 1. Elle n’est jamais la répétition « des idées toutes faites », car elle vient de ce que les volontaires sont, non pas à l’écoute (le Père Joseph se méfie de cette expression en vogue dans les années 60-70), mais à l’école ; or, « si nous sommes en communion avec elle [la population des plus pauvres], il en sortira toujours quelque chose de nouveau », donc de non-répétitif ; 2. Cette pensée n’est jamais achevée mais en marche, ce qui n’est pas rassurant et « désarçonne ceux qui nous observent » : le Père Joseph a un sens aigu du caractère in-fini de notre questionnement ; 3. Enfin, la pensée du volontaire « est pensée vécue, sans cesse confrontée à la vie, la peine, l’espoir des hommes [20] ». Le Père Joseph ne sépare pas la réflexion sur ce qu’est le pauvre de la vie de partage et d’aide. Vice versa, jamais le Père Joseph ne coupe cette praxis d’une réflexion en profondeur sur ce qu’est la misère. La question constante : que puis-je faire pour lui ? est tressée à la question : que sais-je de lui ? « Nous sommes forgés à l’école d’une population qui nous instruit [21] ».
Le Père Joseph élargit la fameuse formule de S. Vincent de Paul qui est la devise du mouvement ATD-Quart Monde : « Les pauvres sont nos maîtres ». Pas seulement des maîtres à servir (voilà pour la pratique) ; mais aussi des maîtres à penser (voilà pour la théorie). Ecoutons-le : « Nous devons l’aimer, là où il se trouve […]. La recherche doit nous permettre d’aller au plus profond de l’homme abandonné, pour l’aimer [voilà pour la prospection aimante]. Cela demande de nous approcher de lui personnellement, mais aussi de savoir prendre distance pour méditer et tenter de comprendre ses impasses, ses façons d’échapper [voilà pour la réflexion pensante] [22] ».
Cette articulation de la prospection et de la réflexion rejoint une remarque du Père Joseph affirmant que « toute communauté solide et vivante comporte deux dimensions : la tradition et la révolution ». Et d’expliquer que ces deux dimensions se réfèrent aux deux extases, passées et futures, du temps : « La tradition, c’est l’héritage qu’une communauté a reçu du passé et qu’elle conserve en elle. La révolution, c’est l’innovation, […] une manière de faire fructifier en apportant des interrogations nouvelles [23] ».
Le Père Joseph pourrait donc signer la belle formule que Blondel énonce à trois reprises dans ses Carnets intimes, ainsi que le souligne Guy Bagnard : « J’aime à garder vis-à-vis de moi et vis-à-vis des autres l’inquiétude du chercheur sous la sérénité du croyant [24] ».
b) La charité
Venons-en à la seconde aporie. Elle porte non plus sur l’existence de la connaissance mais sur sa nature : nous devons tout apprendre ; mais nous ne le pouvons pas.
Tout dépend de quelle forme de connaissance il s’agit. La connaissance dont parle le Père Joseph est une connaissance par communion, par connivence, qui naît d’une longue et patiente fréquentation. « Il s’agit de chercher, dit le Père Joseph à propos de l’amour dans les familles sous-prolétaires, mais je n’entends pas là une recherche purement intellectuelle. Il nous faut rechercher une communion [25] ». Du même : « Tout est né d’une vie partagée, jamais d’une théorie [26] ».
En un mot, la connaissance que le Père Joseph a du plus pauvre est une connaissance par l’amour. Il a appris de sa formation jociste non seulement à observer, mais à noter pour mieux comprendre, à rendre compte très précisément, très fidèlement de la réalité vécue. Il combat toutes les formes de représentation faussées. Il ne cesse d’interroger, de consulter, de lire. Avant chaque démarche importante, il retourne marcher dans une cité ou bien s’asseoir auprès d’une famille dans une baraque. De même, il lit très attentivement chaque rapport d’observation qui lui vient des équipes de quatre continents, ligne à ligne. Lui-même écrit et réécrit jusque tard dans la nuit, jusqu’à six fois ses conférences ou ses articles. Avant de débattre de l’avenir du Quart-Monde ou plutôt en lieu et place de ce débat, l’enjeu est d’obtenir une vision de plus en plus adéquate de ce qu’est le peuple des plus démunis. Or, cette attention scrupuleuse au plus pauvre naît de l’amour : s’il note tout, c’est, dit-il, « pour que rien de la vie des pauvres ne soit perdu [27] ». Amor terminat ad rem. Cette extrême ouverture au singulier, au concret, à la vérité est une des plus hautes et des plus exigeantes formes de l’amour.
Le Père Joseph prend donc ses distances à l’égard d’une certaine idéologie du volontariat qui suspecte l’amour de fusion et le don de prise en otage. Il dit carrément que l’éthique du volontaire à la misère est « une éthique du don de soi aux plus pauvres [28] ». « À la base de tout militantisme, il y a le don de soi à une cause [29] ». Et son explication permet de sortir définitivement des déconstructions et des suspicions. Cet amour radical évite la fusion pour trois raisons : 1. Il honore et appelle le temps de la connaissance en profondeur, donc de l’altérité : « On ne peut pas aimer, si l’on n’a pas le temps de regarder, de comprendre, de pénétrer les choses, de les découvrir en profondeur, de les introduire en soi ». 2. Celui qui connaît dans l’amour est changé par l’aimé et donc s’arrache au monde du même caractéristique de la fusion : le Père Joseph parle de « se transformer soi-même, de devenir un être nouveau, puisque l’on a connu quelque chose de nouveau ». 3. Enfin, vivre de ce don, c’est respecter l’altérité du temps : « Le volontaire à la détresse, lui, a le temps devant lui, pour lui ». Ce que le Père Joseph résume en une formulation qui tient tout : « le temps gratuit, donné, permet aussi l’esprit critique [30] ».
Comment ne pas se rappeler ce qu’affirmait Blondel sur « la charité » comme « organe de la parfaite connaissance », car seule elle se place au cœur de chacun et « vit au-dessus des apparences [31] » ? Le philosophe de l’action et le Père Joseph réconcilient donc existentiellement charité et connaissance, faisant de la première le medium de la seconde. Le plus pauvre est comme l’épreuve et la preuve de cette réconciliation.
3) L’anthropologie du plus pauvre
Passons maintenant aux difficultés concernant l’être du démuni et l’essence privative de la pauvreté.
a) Le plus pauvre, révélateur de l’homme
Spontanément, le plus pauvre se définit comme l’exclu, c’est-à-dire celui que l’on exclut de l’humanité : « Il y a des pauvres dont nous ne ferions jamais nos partenaires et dont nous n’imaginons pas dans la plus éphémère de nos pensées qu’ils sont de la même race, de la même condition humaine que nous [32] ».
Or, l’intuition première du Père Joseph, me semble-t-il, est que, loin de corrompre ou même de masquer l’être de l’homme, la misère en manifeste la vérité profonde. C’est chez le plus pauvre que se révèle la nue humanité. Certes, son regard est d’abord chrétien : le Père Joseph croit et sait que le Christ s’est identifié, dès sa vie terrestre, au plus pauvre. On va souvent citant le mot du fondateur de la JOC : « Un travailleur vaut plus tout l’or du monde », oubliant ce qui le suit : « parce qu’il est aimé de Dieu ». Cette vision théologale n’interdit cependant pas une reprise philosophique.
Voici deux signes (parmi beaucoup), tous deux empruntés au vécu du pauvre, de cette présence de la pure humanité chez le plus démuni.
L’homme de la misère se sent presque constamment coupable ; cependant, plus profondément que sa culpabilité, il sait que sa situation est injuste. Au fond de lui-même, malgré la honte, il ne se résigne jamais aux humiliations permanentes qu’il subit. On ne s’habitue jamais à être misérable. « Je n’ai jamais connu un homme qui accepte d’être un inférieur, classé inférieur à tous les autres », dit le Père Joseph [33]. Cette expérience universelle naît de la conscience ineffaçable que l’homme a de son insigne dignité.
Second signe. Le cri qui monte spontanément, irrépressible, chez lui : « Nous ne sommes tout de même pas des bêtes, pour qu’on nous traite ainsi ! » Et ce pluriel « nous », remarque Marc Leclerc dans une étude non éditée, dit tout : il ne dit pas d’abord une solidarité, comme une approche trop platement éthique pourrait le croire, mais une prise de conscience ontologique : ce cri à la première personne du pluriel manifeste le sens que l’homme le plus pauvre a de partager son humanité avec d’autres hommes, de communier très déterminément à l’humaine nature, et plus encore d’être une personne insubstituable et incommutable.
Le Père Joseph nous propose – implicitement – une anthropologie fondamentale dont l’état de misère serait la phénoménologie.
b) Quatre exemples
Ce propos peut sembler abstrait, voire doloriste. Je l’illustrerai par quatre exemples. Le plus pauvre nous réapprend l’existence de vérités humaines parmi les plus fondamentales et que nous ne cessons pourtant d’occulter : la personne (son primat sur la structure), de la dimension spirituelle, de la vie, de l’amour [34].
Le primat de la personne sur la fonction. Combien sont déroutés par le comportement des plus pauvres qui s’adressent toujours à plusieurs personnes – surtout s’ils font partie de l’équipe des volontaires – quand ils ont un problème et sont déçus lorsqu’on ne leur répond pas tout de suite. De même ils abordent chaque volontaire comme s’il était un confident ; le volontaire désarçonné croit que le plus pauvre établit une relation neuve, alors qu’il agit selon un mode général de relation. Comment le comprendre ? La manière d’agir de l’homme de la misère vient de son ignorance de nos barrières habituelles, de nos respects humains. Au fond, le plus pauvre parle non pas à une fonction mais à une personne. Pour lui, nous sommes des personnes solidaires. Voilà pourquoi il nous apprend spontanément à discerner la personne derrière la structure ou la fonction : « Les pauvres abordent les fonctionnaires et les volontaires comme des personnes. Ils n’ont pas le sens des hiérarchies [35] ». Conséquence concrète : « quand l’assistante sociale de la préfecture est mutée, les gens du Camp se disent que Mary [une volontaire] pourrait très bien la remplacer [36] ».
On entend la réponse : ils doivent apprendre l’importance des structures, des hiérarchies, des diplômes. Mais, à leur tour, les plus pauvres nous apprennent aussi que le fonctionnel n’est rien s’il empêche les relations interpersonnelles. Ils enrichissent singulièrement la relation en en soulignant ce qu’elle a d’essentiellement humain et de prioritairement personnel. « Si les pauvres n’ont pas le sens des structures, ils ont par contre un certain sens de la personne qu’ils ont devant eux. Cela ne les intéresse pas de savoir si elle a un diplôme, mais d’être assurés de sa volonté personnelle de leur rendre le service qu’ils demandent [37] ».
L’importance de la dimension spirituelle. Le plus démuni nous enseigne qu’il est faux de hiérarchiser les besoins et de réduire l’homme pauvre aux seules nécessités matérielles immédiates. « Le premier droit et l’aboutissement de tous les droits de l’homme est le droit à la spiritualité, dit le Père Joseph [38] ». Il donne l’exemple de sa mère que l’on a forcé à vendre, pour un prix dérisoire, le piano qu’elle avait hérité de sa tante et qu’elle voulait garder. Elle se disait que, peut-être, un de ses enfants, la petite sœur du Père Joseph, aimerait un jour la musique et que le piano l’y aiderait. Mais on disait : « Si ces gens-là ont un piano, c’est qu’ils ont de l’argent, et ce n’est pas la peine de leur donner des secours ». Or, explique le Père Joseph, « c’était une manière d’aimer ses enfants et de leur dire son amour, qu’on lui arrachait au nom de l’assistance aux pauvres [39] ».
L’ouverture à la vie : le milieu sous-prolétaire a un sens unique de la vie. C’est d’ailleurs peut-être cet amour de la vie, dit le Père Joseph, qui permet « à l’homme dans la misère de se sauver ». Plus encore, « vous trouverez ici [chez le peuple de la misère] des délicatesses que vous ne retrouvez pas dans d’autres milieux, des rapports simples, au nom de ce seul respect de la vie [40] ». Et le Père Joseph songe à l’accueil des enfants : souvent, on pense que les plus pauvres veulent en avoir pour accumuler des allocations familiales ; la vérité est tout autre.
Enfin, plus que quiconque, le pauvre nous apprend ce qu’est l’amour. En creux, car il dénonce par sa vie toutes les malfaçons, les caricatures d’amour [41]. En plein, car l’amour est « fusion entre deux personnes, que seul leur dépouillement total permet aux pauvres [42] ».
c) Signification philosophique
Il n’est plus désormais possible de faire de la misère une entité seulement négative. Mais comment interpréter ces données ?
Prenons du recul. Notre époque ploie, peut-être comme jamais, sous le joug de deux logiques étrangement convergentes : la logique sociologique de l’exclusion et la logique biologique de la sélection. Dans l’Occident moderne, le concept de sélection-exclusion tend à structurer inconsciemment l’organisation de la société. Ce processus déshumanisant s’adosse à l’un des manques les plus cruels et les plus révélateurs de notre pensée : l’absence d’une réflexion anthropologique sur la misère. Il n’existe pas une philosophie des situations limites comme le handicap, le retard mental, la prostitution des enfants ; à peine s’éveille-t-on à la question de l’univers concentrationnaire. Plus généralement les concepts de fragilité, de vulnérabilité, de blessure n’ont encore que très peu ou pas droit de cité dans la pensée philosophique. Révélatrice est, par exemple, la situation faite par Marx au Lumpenproletariat : cette « masse très distincte du prolétariat industriel, pépinière de voleurs te de criminels de toute sorte, vivant des déchets de la société, individus sans métier précis, vagabonds, gens sans feu et sans aveu [43] ». Au fond, Marx a cherché à défendre le pauvre, non le misérable ; or, cela ne tient pas qu’aux nécessités de la dialectique et de la révolution prolétarienne, mais à ce que son regard ne lui a pas permis de discerner dans le sous-prolétaire un homme à part entière [44]. Marx croit décrire le peuple de la misère parce qu’il croit le connaître : toute la mission du Père Joseph fut de combattre les erreurs tragiques et constamment répétées dont le texte ci-dessus est emblématique ; et toute sa réflexion est comme sous-tendue vers ce qu’on pourrait appeler une anthropologie fondamentale de la misère.
En quoi consisterait cette anthropologie ? Je ne peux, dans l’espace de cette intervention qu’ouvrir quelques pistes.
L’approche la plus habituelle du plus pauvre est éthique, voire juridique. Elle consiste à défendre la dignité du démuni. En effet, il est, plus que tout autre, incapable de faire valoir ses droits dont il croit parfois qu’ils n’existent plus, tant la honte le dévalue à ses propres yeux. La personne, si profondément atteinte soit-elle, appartient toujours au monde des sujets, au règne des fins, dirait Emmanuel Kant. Et le rejet viscéral, radical, constant de la misère chez le plus pauvre est l’expérience et l’expression la plus forte, subjectivement, de l’imprescriptibilité et de l’indivisibilité des Droits de l’homme. Le père Joseph, témoigne Pierre-Henri Imbert, directeur des Droits de l’homme au Conseil de l’Europe, en janvier 1998, « m’a aidé à mieux comprendre que, fondamentalement, les droits de l’homme sont le droit d’être un homme et surtout que ce n’est pas pour le respect des droits qu’il faut se battre mais pour le respect des personnes privées de ces droits [45] ».
Cette approche éthique demeure courte : en quoi consiste le fondement de ce droit, sinon la dignité du pauvre ? Or, pourquoi celui-ci est-il digne de respect ? Au nom de quoi estime-t-on qu’il est sujet de la même humanité que les privilégiés ? Une réflexion ontologique doit doubler et fonder la réflexion juridico-éthique : la dignité se fonde sur une valeur, un bien et la valeur suppose elle-même un jugement de l’intelligence considérant la vérité et cette vérité est ici l’être de l’humanité du pauvre. Bien, vérité, être, autant de notions métaphysiques à fort retentissement anthropologique. L’éthique s’emmembre d’une réflexion philosophique sur l’homme. Et c’est là où l’anthropologie de Maurice Blondel est prometteuse [46]. Je n’indiquerai que trois pistes.
Une secrète connivence s’établit entre l’insatisfaction permanente du Père Joseph et l’inquiétude qui anime Maurice Blondel. Tous deux nous obligent à un effort permanent : dépasser ou revenir en-deçà de nos fragmentations, de nos convictions abstraites pour retrouver, chez l’un, le dynamisme originaire et englobant de l’action, chez l’autre, la présence de l’homme dans le plus pauvre. Ils nous tournent vers un don que nous ne cessons d’effacer ; ils nous reconduisent, avec grand respect, vers un mystère qui nous échappera toujours et devant lequel nous ne pouvons que nous agenouiller. L’homme de la misère exprime ce sens jamais perdu de l’universel qu’il porte et incarne dans sa concrétude unique : l’ »universel concret » [47]. N’est-ce pas le Père Joseph qui affirme : « faire de l’homme le plus démuni le centre, c’est embrasser toute l’humanité dans un seul homme [48] » ?
Par ailleurs, comment ne pas évoquer l’intuition admirable de la « métaphysique de la charité » développée par le dernier chapitre de l’Action de 1893 dont nous avons déjà cité un passage ? On connaît la parole étonnante et qui consonne tant avec les convictions du Père Joseph : « L’homme qu’il faut comprendre et aimer, c’est cette misère physique et c’est cette misère morale qui semblent n’en plus faire un homme [49] ». La raison fut évoquée : « L’amour le plus large est le plus précis ; pour porter en son cœur l’humanité entière, il faut se dévouer très particulièrement et de tout près à quelque humble œuvre de miséricorde ». Mais ici le paradoxe est double. D’une part, le plus concret livre le plus universel : « La charité […] est universelle, et elle s’attache toujours à ce qui est unique ». D’autre part, celle-ci rejoint d’autant plus l’homme concret qu’elle se porte vers celui qui apparaît le moins homme. Blondel parle de la misère qui, de l’homme, semble « n’en plus faire un homme ». D’où vient cette formule qui se trouve jetée là, sans justification ni développement ? L’intuition est sans doute christologique ; elle est aussi philosophique. Il y a un oubli du plus démuni, comme il y a un oubli de la personne, comme il y a un oubli de l’être.
Enfin, l’homme de la misère sait, mieux que toute personne et d’un savoir souvent non thématisé, ce qu’est l’homme, ce dont il a vitalement besoin, non pas car il le vit, mais car il en manque cruellement : « Je ne dis pas qu’il n’y ait que les pauvres à avoir les paroles de la vérité, mais je pense qu’il n’y a que les pauvres à avoir l’expérience de la vérité, parce que c’est sur eux que pèse le poids de l’oppression, de l’injustice, et parce que, plus d’autres, ils savent ce qu’est la justice, non parce qu’ils la vivent, mais parce qu’ils l’appellent… C’est cela la force des pauvres [50] ». Le concept de privation qui dit à la fois manque et appel, en creux, d’un bien, permet de résoudre l’apparente contradiction de l’expression en forme d’oxymore selon laquelle le plus pauvre est aussi le plus riche en humanité. Cette richesse, il la porte non dans sa pensée, mais dans son action. Dans le mémoire du premier Congrès international de philosophie, « Principe élémentaire d’une logique de la vie morale », Blondel montre d’une part que la logique de l’action est plus englobante que la logique des concepts et d’autre part que la première logique se fonde sur le couple possession-privation et la seconde sur le couple affirmation-négation [51] ? La misère n’est pas une antiphasis mais une stérésis : non pas d’abord (même si cela est vrai), car elle tend vers la « possession d’une vie suprasensitive et suprarationaliste », mais car « la logique morale, tout en justifiant cet exclusivisme » caractéristique de la « logique intellectuelle », « le dépasse, parce qu’au fond de toutes les solutions possibles reste un même sujet d’inhérence au regard duquel elles sont inégales et de signe contraire [52] ».
4) L’anthropologie du volontaire
La positivité de la nature humaine – singulièrement présente chez le plus pauvre – vient, plus encore, pour Blondel, de sa participation à l’Être. Ici, il est intéressant de se tourner vers l’attitude du Père Joseph à l’égard du volontariat et à l’anthropologie, là encore implicite, du Volontaire qui la sous-tend. Mais ce qui sera dit vaut tout autant de chaque homme.
De plus en plus, le Père Joseph a pris conscience qu’il devait s’occuper des Volontaires et qu’il ne pouvait détacher le devenir des plus pauvres de ceux qui donnaient leur vie pour eux. La perception de cette solidarité intime présente notamment deux aspects qui sont les deux faces d’une même réalité : le dépassement et le dépouillement.
a) Le dépassement
Ce qu’il y a de plus étonnant et de plus constant dans l’attitude du Père Joseph à l’égard des volontaires est son exigence, son âpreté, ajoutaient certains.
Encore faut-il bien comprendre cette exigence (qui s’est purifiée et pacifiée avec le temps). Evidemment, elle n’a rien d’une attitude revencharde, culpabilisante ou sadique, comme s’il fallait que les nantis payent dans leur chair ce qu’ils ont fait endurer depuis si longtemps aux démunis. Elle n’est pas non plus une utilisation du volontaire en vue de cette fin supérieure et bonne par elle-même qui est de faire sortir le peuple des plus pauvres de sa misère.
Cette exigence est d’abord un désir de Volontaires mûrs, bien formés, debout, pour qu’ils puissent pleinement se donner au peuple de la misère. Plus encore, le Père Joseph cherche leur bien en tout. Au point qu’il ne s’attribuera jamais tout ce qu’il leur donne ; il ne cesse d’affirmer que les volontaires se sont forgés eux-mêmes. Enfin, le Père Joseph les tirait constamment vers le haut. « Il était très exigeant, il voulait toujours qu’on aille plus loin, jusqu’au bout des choses », témoigne l’un d’eux [53]. « Je ne pouvais même pas les laisser se bâtir en toute quiétude, dit-il à propos des Volontaires, je les ai toujours dérangés. À peine arrivés, je devais leur dire d’aller au large à leur tour, d’essaimer en d’autres lieux de misère. Ils ne pouvaient pas rester entre eux, créer leur chapelle, s’enfermer [54] ». « Pour les volontaires, écrit Annie van den Bosch, volontaire hollandaise, le Père visait toujours plus haut qu’ils ne pensaient pouvoir aller eux-mêmes [55] ». Le Père Joseph voulait que le volontaire grandisse ; plus encore, il le voulait « plus grand que lui-même [56] ».
De son côté, Blondel est habité par le souci constant d’égaler l’homme à lui-même [57]. Il lie très étroitement accomplissement de soi et don de soi : la « personnalité ne s’alimente et s’épanouit qu’en […] sortant aussi d’elle-même par le don de soi [58] ». Le Père Joseph ne vit-il pas le premier de ce mouvement de sursum qu’il invite ses volontaires à inscrire en son existence ? Certes, son but immédiat est d’être toujours plus près du pauvre, de toujours plus coller à la réalité de ce que celui-ci vit ; mais nous avons vu que l’homme de la misère est aussi le plus homme des hommes et celui qui dit le plus sur terre le mystère de Dieu fait homme ; donc, aller toujours au large en s’approchant du plus pauvre, c’est tendre vers le mystère infini qui nous aimante dont parle Blondel.
De plus, dans l’important article cité ci-dessus, « Principe élémentaire d’une logique de la vie morale », Blondel estime que l’agir humain fonde la logique des concepts. La prime vérité (et n’est-ce pas le cas du dévoilement de l’humanité en sa pureté dans l’homme dépouillé de tout ?) se révèle dans l’action, donc dans le choix, l’alternative que suscite la présence du pauvre. Or, la relation à l’Unique nécessaire est engagée dans l’option décisive : soit l’humble reconnaissance de notre incapacité à nous achever ; soit l’orgueilleuse et vaine volonté d’autosuffisance. Mais la décision se vérifie dans une pratique. Et cette pratique nous met en relation avec autrui, singulièrement le plus abandonné de nos frères.
b) Le dépouillement
Le Père Joseph exige du volontaire un dépouillement, analogue à celui, subi, du plus pauvre. Il demande aux volontaires « le sacrifice » d’eux-mêmes [59]. En effet, on ne peut recevoir et apprendre que si l’on est dépouillé de ses fausses évidences. « Tout amour est rupture », écrit-il à Gabrielle Erpicum, le 18 novembre 1964 [60]. Et plus durement, à Hanni Salvisberg : « Quand je t’ai dit : ‘Tu es faite pour aimer’, je voulais dire : ‘Tu es faite pour en baver et crever de douleur, de souffrance et de chagrin’, car au fond, tout au fond, c’est cela l’amour [61] ». Ce dépouillement présente une radicalité rare : pour comprendre le milieu de la misère, le Père Joseph ne cesse de dire qu’il faut vivre à part entière avec le plus pauvre et donc couper toute amarre avec son propre milieu. Ce qui conduit à de douloureux arrachements. Voici ce qu’il écrit dans sa lettre aux volontaires des Etats-Unis, toujours à Gabrielle Erpicum, le 4 novembre 1966 : « a) Nous consacrons notre vie à une population donnée, et pour cela nous renonçons, en tout premier lieu, à ce qui fut notre milieu, à ses possibilités intellectuelles, culturelles, morales, spirituelles et matérielles. […] Le Volontariat ATD se pose en ces termes : si je dois choisir entre ma famille, moi-même ou les pauvres, ces derniers détermineront mon choix.
« b) De cette décision découlent les formes d’engagement que l’équipe va prendre : vivre pauvre, se compromettre, être prêt à tout : discipline, travail… L’on s’imposera et l’on supportera des contraintes et des astreintes que l’on n’accepterait jamais dans d’autres circonstances [62] ».
De même, le dépouillement est au cœur de la démarche de Blondel qui ne cesse de nous montrer que nous ne savons pas voir, que nous devons « nous renoncer d’abord, […] nous déprendre de nous pour nous restituer à la source même de notre être […]. On n’acquiert pas l’infini comme une chose ; on lui fait place en soi, par le sacrifice et le dévouement, en se libérant de l’attachement exclusif à soi et au fini [63] ». On n’égale volonté voulante et volonté voulue, « on ne parvient à Dieu que par l’oblation de tout ce qui n’est pas lui [64] ».
5) Conclusion
J’ai tenté de proposer une voie de résolution de quelques apories posées par l’anthropologie et la méthodologie du Père Joseph.
Mais ne faut-il pas dire plus ? L’approche du Père Joseph n’est-elle pas, foncièrement, paradoxale ? Comme l’est, souvent, celle de Blondel. Un ultime exemple. On pourrait dire que deux phrases guident toute l’action du Père Joseph. D’un côté, sa devise d’ordination : « Va au large ». De l’autre, ce qu’il a appris de la militance jociste et au séminaire : l’enfouissement (en l’occurrence faire un avec le peuple de la misère), dont il dit que c’est l’un des plus forts enseignements qu’il ait reçu au séminaire [65].
Parler de paradoxe, c’est évoquer une troisième personne qui pourrait servir de lien – de médiateur, de vinculum personnale ? – : le père Henri de Lubac. Inutile de rappeler combien Blondel a exercé une influence sur l’auteur de Catholicisme. On sait, par ailleurs, que le Père Joseph a acheté, d’occasion, certains de ses ouvrages, les a lus et les a annotés, avec l’attention studieuse qu’on lui connaît [66].
Or, pour le Père de Lubac, le paradoxe n’est pas seulement une caractéristique épistémologique, liée à la finitude de l’esprit humain, mais une caractéristique ontologique, constitutive de l’être des choses [67]. Plus encore, pour lui, comme il l’affirme en exergue de son ouvrage Paradoxes, « l’Incarnation est paradoxos paradoxôn [68] » : la tension entre l’humanité et la divinité dans l’unique personne du Christ, comprend, aux deux sens du terme, toute tension, tout paradoxe, tout hiatus. La méditation amoureuse de la réalité paradoxale de Celui qui est Vrai Dieu et vrai homme, en forme de Dieu et en forme de misère (cf. Ph 2,6-7), ne joint-elle pas ces trois grands chrétiens qui furent aussi trois grands penseurs de la réalité humaine dans sa globalité ?
Bibliographie
a) Primaire
1’) Livres
Les ouvrages de Joseph Wresinski sont au nombre de quatre :
Les pauvres sont l’Église. Entretiens avec Gilles Anouil, coll. « Les interviews », Paris, Centurion, 1983.
Heureux vous les pauvres, Paris, Cana, 1984. Trad. en espagnol et allemand.
Les pauvres, rencontre du vrai Dieu, Paris, Le Cerf, Éd. Quart Monde, 1986.
Paroles pour demain, Paris, DDB, 1986. Trad. en allemand.
2’) Conférences
« Grande pauvreté et précarité économique et sociale », Rapport au Conseil économique et social, adopté le 11 février 1987, dans Journal officiel. Avis et Rapports du Conseil économique et social, tome 6, 1987, 28 février 1987.
Echec à la misère, Conférence à la Sorbonne le 1er juin 1983, Baillet-Paris, Éd. Quart Monde, 1996. Citée Echec à la misère.
Les plus pauvres, témoins de l’indivisibilité des Droits de l’Homme, Baillet-Paris, Éd. Quart Monde, 1998. Trad. en espagnol, anglais, italien, allemand. Texte d’abord édité sous le même titre dans le Collectif, 1989. Les Droits de l’Homme en question, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, Paris, La Documentation française, 1989, p. 221-237.
3’) Écrits et paroles
Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1. 1960-1967, Luxembourg-Paris, Saint-Paul, Éd. Quart Monde, 1992. Aux volontaires, tome 2. Mars-mai 1967, même éd., 1994.
Vivre l’Evangile dans la famille, Baillet-Paris, Quart Monde, 1993. Trad. en italien et en allemand.
b) Secondaire
– Jean-Claude Caillaux, « Avec les plus pauvres : un renversement des priorités. Le question du P. Joseph Wresinski », Spiritus, 132 (septembre 1993), p. 319-328 ; « Wresinski (Joseph) », Dictionnaire de spiritualité, Paris, Beauchesne, tome xvi, 1994, c. 1492-1495. Abondante bibliographie.
– Étienne de Ghellinck, « Le Père Joseph Wresinski. Les plus pauvres comme artisans du Royaume », Nouvelle Revue Théologique, 112 (1990) n° 3, p. 356-371.
– Francine de la Gorce et Alfred Grosser, « Voix du Quart Monde : le Père Joseph », Études, mars 1980, p. 333-344.
– Marc Leclerc, « Le Père Joseph, les très pauvres et le pont d’Avignon », Pâque Nouvelle, 1997/3, p. 22-31.
– Jean Lecuit, Un autre savoir. À l’école des plus pauvres, Paris, Éd. Quart Monde, 1993.
– Thierry Monfils, Le père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD Quart Monde. Sacerdoce et amour des pauvres, préface du cardinal Etchegaray, Namur, Culture et Vérité, 1994.
– Eugène Notermans, Le Père Joseph, la passion de l’autre, dans Cahiers de Baillet, Paris, Éd. Quart Monde, 1990.
– Wessel Verdonk, « Dieu le Père dans le Quart Monde », Communio éd. fr., 22 (1998) n° 6, et 24 (1999) n° 1, p. 151-159.
– Alwine de Vos van Steenwijk, Père Joseph, Paris, Éd. Quart Monde, 1989. Le Père Joseph, un chemin d’unité pour les hommes, réalisé avec la collaboration de Jean Theisen, dans Cahiers de Baillet, Paris, Éd. Quart Monde, 1992. Comme l’oiseau sur la branche. Histoire des familles dans la grande pauvreté en Normandie, préface de M. de Boÿard, Paris, Science et Service du Quart Monde, 1986.
[1] Lettre-préface de Maurice Blondel à L’Itinéraire philosophique de Maurice Blondel, propos recueillis par Frédéric Lefèvre, Paris, Spes, 1928, p. 12.
[2] Cité par Alwine de Vos van Steenwijk, Père Joseph, Paris, Éd. Quart Monde, 1989, p. 127.
[3] Joseph Wresinski, Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1. 1960-1967, Luxembourg-Paris, Saint-Paul, Quart Monde, 1992, p. 165.
[4] Ibid., p. 215.
[5] Ibid., p. 238.
[6] Ibid., p. 241.
[7] Tel est par exemple le cas des cheminots de la cité de Quessy des chrétiens l’entourant (cf. Alwine de Vos van Steenwijk, Le Père Joseph, p. 60).
[8] Cité par Alwine de Vos van Steenwijk, Le Père Joseph, p. 127.
[9] Joseph Wresinski, Les pauvres sont l’Église, Entretiens avec Gilles Anouil, coll. « Les interviews », Paris, Centurion, 1983, p. 179.
[10] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1, p. 314.
[11] Ibid., p. 44.
[12] Ibid., p. 215.
[13] Ibid., p. 243.
[14] Ibid., p. 394.
[15] Maurice Blondel, Œuvres complètes. Volume 1. 1893. Les deux thèses, Claude Troisfontaines (éd.), Paris, p.u.f., 1995, p. 717.
[16] Je ne répéterai pas ce qui a été déjà dit et bien dit par les autres sur le Père Joseph. De plus, je présupposerai connus un certain nombre de développements de la pensée blondélienne.
[17] Maurice Blondel, Œuvres complètes. Volume 2. 1888-1913. La philosophie de l’action et la crise moderniste, Claude Troisfontaines (éd.), Paris, p.u.f., 1997, p. 529-569.
[18] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1, p. 364.
[19] Ibid., p. 126.
[20] Ibid.
[21] Cité par Alwine de Vos van Steenwijk, Le Père Joseph, p. 127.
[22] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1, p. 264.
[23] Ibid., p. 388-389.
[24] Maurice Blondel, Carnets intimes (1883-1894), Paris, Le Cerf, 1961, 2 tomes, vol. I, p. 557 ; cf. p. 332 et vol. II, p. 329. Cf. Guy Bagnard, « ‘L’inquiétude du chercheur sous la sérénité du croyant’. Les Carnets intimes de Blondel », Revue philosophique, 112 (1987/1), p. 21-32, ici p. 22.
[25] Joseph Wresinski, Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 2. Mars-mai 1967, Luxembourg-Paris, Saint-Paul, Quart Monde, 1994, p. 38 et 39.
[26] Cité par Alwine de Vos van Steenwijk, Le Père Joseph, p. 94.
[27] Ibid., p. 52. Souligné par moi.
[28] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1, p. 177.
[29] Ibid., p. 362.
[30] Ibid., p. 177 et 178.
[31] L’action, p. 443.
[32] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1, p. 337.
[33] Joseph Wresinski, Les pauvres sont l’Église, Entretiens avec Gilles Anouil, coll. « Les interviews », Paris, Centurion, 1983, p. 176.
[34] On aurait aussi pu donner d’autres exemples : la famille, Dieu, le temps, etc.
[35] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1, p. 235.
[36] Ibid., p. 240.
[37] Ibid.
[38] Joseph Wresinski, Heureux vous les pauvres, Paris, Cana, 1984, p. 244.
[39] Cité par Alwine de Vos van Steenwijk, Le Père Joseph, p. 38.
[40] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1, p. 61.
[41] Cf. Ibid., p. 48-49.
[42] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 2, p. 40.
[43] Karl Marx, Les luttes de classe en France, in Œuvres. Tome IV. Politique, 1, trad. Louis Évrard et al., Maximilien Rubel éd., coll. « Bibliothèque de la Pléiade » n° 409, Paris, Gallimard, tome 1, 1994, p. 253-254.
[44] Karl Marx dit que l’origine du Lumpenproletariat réside dans les plébéiens romains qui sont « placés entre les hommes libres et les esclaves ». (L’idéologie allemande, in Œuvres. Tome III. Philosophie, trad. Louis Évrard et al., Maximilien Rubel éd., coll. « Bibliothèque de la Pléiade » n° 298, Paris, Gallimard, 1982, p. 1089)
[45] Préface de l’ouvrage de Joseph Wresinski, Les plus pauvres, témoins de l’indivisibilité des Droits de l’Homme, Baillet-Paris, Quart Monde, 1998, p. 10.
[46] D’autres approches philosophiques seraient possibles. Par exemple d’ordre phénoménologique. Dans le pauvre, c’est l’humanité qui se cache et se révèle tout à la fois. D’une part, il s’agit de rejoindre le fond qu’est la personne humaine scellée, celée dans l’extrême misère. Et ce fond est aussi inaccessible que le plus pauvre qui ne cesse de fuir asymptotiquement : « Un pauvre cache toujours un plus pauvre ». (Les pauvres sont l’Église, p. 192) D’autre part, jamais l’humanité ne se donne mieux à voir que dans le pauvre, désencombrée de toute apparence et mieux à entendre dans le cri de cet homme qui connaît par la souffrance du manque tout ce dont il a besoin pour que son humanité soit accomplie.
[47] Œuvres complètes, tome 1, p. 713.
[48] Les pauvres sont l’Église, p. 19.
[49] L’Action, p. 445.
[50] Joseph Wresinski, Interview sur la position interconfessionnelle du Mouvement, 1987, cité par Étienne de Ghellinck, « Le Père Joseph Wresinski. Les plus pauvres comme artisans du Royaume », Nouvelle Revue Théologique, 112/3 (mai-juin 1990), p. 356-371, ici p. 365.
[51] Cf. Maurice Blondel, « Principe élémentaire d’une logique de la vie morale » (1903), in Œuvres complètes, tome 2, p. 365-386.
[52] Ibid., p. 385. Blondel évoque ici la notion aristotélicienne de « la substance, l’être véritable, l’être moral » qui « admet les contraires, mais n’a point de contraire ». Enfin, il ne faudrait pas négliger l’approche artistique. Ce que la pensée refoule comme impensable, la sensibilité de l’artiste qui sait de quoi il parle lorsqu’il s’intéresse à l’exclusion, l’a pour une part pris en charge. La littérature occidentale fut souvent le témoin de ces hommes pas comme les autres, mais aussi plus que les autres que sont les exclus (cf. par exemple A. et F. Brauner, L’enfant déréel. Histoire des autismes depuis les contes de fée. Fictions littéraires et réalités cliniques, coll. « Sciences de l’homme », Toulouse, Privat, 1986). On songe singulièrement au personnage du Prince Muichkine dans l’Idiot de Fédor Dostoïevski. De même, certains peintres ont génialement mis en scène ces plus pauvres qui sont des icônes du Christ. On pense en particulier à l’œuvre de Georges Rouault (cf. l’interprétation qu’en donne Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix. Les aspects esthétiques de la Révélation. IV. Le domaine de la métaphysique. 2. Les constructions, trad. René Givord et Henri Englemann, coll. « Théologie » n° 85, Paris, Aubier, 1982, p. 245-248 ; cf. plus généralement les divers visages de fous qui disent la gloire divine : p. 201-248).
[53] Cité par Alwine de Vos van Steenwijk, Le Père Joseph, p. 192.
[54] Les pauvres sont l’Église, p. 167.
[55] Citée par Alwine de Vos van Steenwijk, Le Père Joseph, p. 124.
[56] Ibid., p. 169.
[57] « Le besoin de l’homme, c’est de s’égaler soi-même » (L’action, p. 467).
[58] Maurice Blondel, L’Être et les êtres. Essai d’ontologie concrète et intégrale, Paris, Alcan, 1935, p. 275. Cf. l’intéressant développement et les autres références dans Pierre de Cointet, Maurice Blondel. Un réalisme spirituel, coll. « Humanités » n° 1, Toulouse, Éd. du Carmel, Saint-Maur, Parole et Silence, 2000, p. 207-212.
[59] Écrits et paroles. Aux volontaires, tome 1, p. 362.
[60] Ibid., p. 269.
[61] Ibid., p. 49.
[62] Ibid., p. 467.
[63] « Une soutenance de thèse », 1907, Œuvres complètes. Volume 1, p. 741.
[64] L’action, p. 443.
[65] « Au séminaire, mais aussi un peu partout dans l’Église, des prêtres parlaient de s’enfouir dans la masse. L’idéal était de faire partie intégrante de l’humanité souffrante, au risque de se perdre. Cela m’a beaucoup inspiré, nous vivions dans l’espérance de nous incarner. Ce fut pour moi un des temps les plus forts de ma vie dans l’Église » (Les pauvres sont l’Église, p. 59).
[66] Un inventaire précis de ces ouvrages serait indéniablement passionnant. En tout cas, au témoignage des spécialistes, le Père Joseph n’a pas lu directement Maurice Blondel.
[67] « Paradoxes : le mot désigne donc avant tout les choses elles-mêmes, non la manière de les dire ». (Nouveaux Paradoxes (1959), réédités dans Œuvres complètes. XXXI. Paradoxes, Paris, Le Cerf, 1999, p. 72)
[68] Paradoxes (1959), réédités dans Œuvres complètes. XXXI. Paradoxes, p. 8.