Jalons pour une Histoire de la Philosophie de la nature III-10 Une option alternative dans l’hermétisme

Chapitre 10

Une option alternative. La philosophie de la nature dans l’hermétisme

« …dans la physique moderne, l’univers est ainsi considéré comme un ensemble dynamique indissociable, in­cluant toujours l’observateur d’une manière essentielle. Dans cette expérience, les notions traditionnelles d’es­pace et de temps, d’objets isolés et d’effet perdent leur significations. Une telle expérience est très proche de celle des mystiques orientaux [1] ».

L’importance prise aujourd’hui par les gnoses naturalistes, globalement rangées sous la dénomination Nouvel Age oblige à revisiter notre histoire. Comment comprendre ces nouvelles visions de la nature ?

Au fait sont-elles si nouvelles ? Ce qui se présente comme Nouveau (Age) n’est en réalité qu’une vieille lune. L’hermétisme, comme la gnose sont soumis à la loi de l’éter­nel retour. Les principes intellectuels structurant sont identiques. Idéologie New-ager et gnose du IIe siècle ont des embalages différents mais le contenu est similaire, confinant au même. [2]

A) Principe général

1) Le genre : l’hermétisme

Pour le spécialiste en hermétisme qu’est Faivre, une telle historique ne peut qu’être un historique de l’ésotérisme. Une telle affirmation n’est pas un parti-pris de départ. Faivre lui-même le note : « les philosophes de la nature sont tous plus ou moins des théosophes [3] ».

a) Le principe de correspondance

Or, le principe clé de l’hermétisme est le principe de correspondance, la doctrine de l’analogie. Contre une pensée de l’analyse et de la dissection, contre une doctrine du cloisonnement et de la spécialisation, l’hermétisme promeut une pensée de l’homologie et des similitudes.

b) Le principe d’unité contradictorielle

Mais cette unité n’est pas de n’importe quel type ; notamment elle n’est pas amorphe, ou uniformisante ; elle est essentiellement dynamique et, plus précisément encore, contradictorielle.

c) La confusion du spéculatif et du pratique

De plus, la physique classique sépare de la technique.

Enfin, remarque Antoine Faivre, « la théosophie ne se demande guère si Dieu existe mais préfère se plonger dans les mystères relatifs à la nature même d’un Dieu qu’il dé­couvre partout [4] ». Voilà pourquoi la matière de ses réflexions est constitué par l’éma­nation, l’androgynéité, la Sophia, la Réintégration, l’arithmosophie.

d) Le principe de (prétendue) tolérance. Le refus du principe d’autorité et du dogme

L’hermétisme s’est constitué en marge des Eglises et des discours officiels. Ceux-ci sont, de manière globale, caractérisés, comme dogmatiques. Aussi l’hermétisme est-il antidogmatique.

Ce refus d’un principe d’autorité est aussi en accord avec le principe de correspon­dance. L’analogie, on l’imagine aisément, écrase les différences, permet de voyager, au gré de son imagination, dans les différents univers. Or, même si l’imaginaire est régi par des lois, celles-ci sont beaucoup plus souples que celles de la raison.

Ce qui vaut de l’ésotérisme en général vaut pour la philosophie de la nature roman­tique en particulier.

2) La différence spécifique : la philosophie de la nature

La réflexion finale d’Antoine Faivre est aussi un principe méthodologique et idéolo­gique qu’il ne faut pas perdre de vue. « l’enseignement des philosophes de la nature, ce peut être pour notre temps une pédagogie de l’intégration symbolique ; ce peut être, par là même, la magie d’un regard unifiant, salvateur, sur un monde morcelé et sur un homme fragmenté [5] ».

On peut le formuler de manière réactive. La philosophie de la nature hermétique ou ro­mantique se positionne par contraste avec le regard physique inauguré par Descartes. Celui-ci est analytique, parcellisé, voire pulvérisé ; celle-là est unitaire, ce qui ne signifie pas, aux dires de ses hérauts, moniste, holistique, synthétique.

B) Quelques principes particuliers

Tout peut se ranger sous la bannière de la volonté d’unité, du principe de correspon­dance. Tentons de systématiser :

1) L’unité de Dieu et de toute la création. Le principe panthéiste

Pour l’ésotérisme, la distinction entre Dieu et la nature est non pas de nature, encore moins infinie, mais de degré, voire abolie. Son mot d’ordre est le Deus sive Natura, mais en un tout autre sens que celui de Spinoza. Le théoandrisme ou théocosmisme est la règle : « aucun gouffre ne sépare donc Dieu de l’homme microcosme [6] », souligne Antoine Faivre.

En tout cas, si Dieu se distingue de la nature, il a besoin d’elle pour s’accomplir : c’est en passant par la nature, qu’il devient pleinement Dieu.

Cette théogonie prend souvent la forme d’une passion et d’une chute. Le mythe de la chute originelle en est une expression privilégiée. Le « processus du devenir cosmique » est, dit Faivre, « un retour à l’unité perdue, c’est-à-dire » que « le mythe de la chute » est « au centre de leur réflexion symbolique. L’Esprit a besoin de l’homme pour prendre conscience de lui-même, pour se manifester, car l’homme est tombé, entraînant la nature dans sa chute ; c’est donc à l’homme de devenir le rédempteur de la nature [7] ».

2) L’unité de la nature et de l’homme. Le principe de continuité

Citons encore Antoine Faivre : « L’Esprit habite la matière. Descendre en soi permet de retrouver nos liens originels avec le cosmos car nous renfermons en nous l’univers en­tier. Le dedans est comme le dehors [8] ». Ces quelques lignes montrent combien le principe de correspondance, d’harmonie conduit toute la relecture de la nature. Aussi, la philosophie de la nature refuse-t-elle la distinction classique de la physique et de la mé­taphysique.

3) L’unité de la nature. Le principe vitaliste

Prenons l’exemple de la pensée de Paracelse qui exerça une telle influence ultérieure sur toute la théosophie :

 

« La Vie et la Nature – voilà les grands thèmes de la philosophie paracelsiste […] ; la vie de la nature, ou plutôt la vie-nature, car la nature est vie, et la vie est l’essence la plus profonde de la nature. Le monde est vivant, vivant dans toutes ses parties, petites ou grandes, et il n’y a rien en lui qui ne le soit : les pierres et les astres, les métaux, l’air et le feu. Tout est vivant et l’univers en son entier est un fleuve éternel de vie [9] ».

 

La nature n’est donc pas pour lui un ensemble de loi, mais une force vitale et ma­gique qui sans cesse enfante, produit.

La Naturphilosophie est une pensée non pas de la rupture ou de la hiérarchie qualita­tive, mais de la progression continue et de l’ordre quantitatif : « On ne conçoit alors le mi­néral que comme de la vie refoulée ou plutôt potentialisée, et la vie même, y compris celle de Dieu ou des esprits, s’incarne ou aspire à s’incarner : tout, dans l’au-delà, doit avoir figure [10] ». Par exemple, Jacob Bœhme ne peut imaginer les anges dans la pé­nible condition d’êtres désincarnés. Autre exemple : F.C. Œtinger, le « Mage du Sud » (+ 1782) qui est le plus grand théosophe du xviiie siècle allemand dont l’influence fut im­mense, pensait que nous jouissons dans le ciel de joies corporelles : le ciel ne peut être indifférent à la nature physique. Et cela tient, selon notre auteur relisant le célèbre pas­sage de Rm 1,20, à ce qu’il existe une totale analogie entre le visible et l’invisible (cf. aussi Sg 13,3 pour l’utilisation du terme analogie).

4) L’unité de la nature et de l’homme. Le principe microcosmique

Non seulement nature et homme sont en continuité, mais ils sont en profonde analogie. [11] L’homme est un microcosme, un résumé d’univers et le monde un homme majus­cule.

Finalement, je me demande si l’on ne retombe pas dans la métaphysique grecque dua­liste du visible et de l’invisible

Je pense que, du fait de son origine païenne, la philosophie de la nature hermétique efface la différence infinie du Créateur et des créatures que seule une intelligence, illu­minée par la Révélation, peut accepter et recevoir.

5) L’unité du pratique et du théorique. Le principe alchimique

Précisément, le salut s’opère par connaissance et illumination. Un Passavant, à Vienne, en 1832, militait pour une récunion des confessions chrétiennes et de la Naturphilosophie ; il disait que « Toute philosophie doit s’épurer et se transformer en théosophie, toue science en mystique [12] ».

Pour le dire dans les termes philosophiques de Faivre – mais sont-ils utilisés à bon es­cient ? – : « les philosophies de la nature ne distinguent guère le sujet de l’objet [13] ». Plus rigoureusement, la philosophie de la nature ne distingue pas l’activité objective de savoir de la transformation subjective de celui qui le pratique.

 

« Les rapports entre l’alchimie et la «science romantique» sont étroits et évidents si l’on accepte de donner de l’alchimie une définition du genre de celle-ci : elle serait une Weltanschauung [une vision du monde] à la fois cosmogonique, comoslogique et eschatologique, dépourvue de toumdualisme – mais non point de tout dualitude –, accompagnée d’une pratique spirituelle tendant à re­trouver l’unité originelle et glorieuse – perdue depuis la chute – de la matière et de l’esprit, cette pratique pouvant s’exercer sur un élément matériel dont la ‘manipulation’ suppose plus ou moins la fusion intime du sujet et de l’objet. En ce sens la plupart des Naturphilosophen sont des alchimistes puisque pour nombre d’entre eux – savants, phy­siciens, médecins – l’étude à la fois rigoureuse et analogique de la nature permet d’ac­céder à ce qu’ils appellent une ‘physique supérieure’ capable de régénérer l’humanité et la nature auxquelles il s’agit de rendre leur dignité perdue depuis la chute [14] ».

C) Quelques jalons historiques

Faivre répartit la Naturphilosophie, la philosophie de la nature hermétique, en trois pé­riodes :

1) Première période. Les présocratiques

2) Seconde période. La Renaissance

Un certain nombre de penseurs, à l’aube de la grande aventure scientifique moderne, cherchent à conjuguer la nouvelle méthode expérimentale avec les principes hermé­tiques, notamment de correspondances. Certains voient en Kepler, astronome et astro­logue, un exemple de cette démarche.

L’histoire de l’alchimie montre combien elle est une réaction, de type aristotélicien, au mécanisme. Il est important de comprendre l’attitude alchimique que l’on caricature sou­vent. De prime abord, on fait de l’alchimie une sorte de préscience chimique, l’état de la chimie à l’époque de la Grêce ancienne. En effet, les alchimistes postulent l’existence de principes comme le « soufre », le « mercure », le « sel ». Or, les Grecs, Empédocle, notamment, fut le premier à postuler l’existence de quatre éléments. Alchimistes et Grecs expliquent donc les manifestations naturelles à partir de quelques principes fondamentaux.

Plus encore, nous rapprochons souvent l’alchimie de la pratique industrielle : l’alchi­miste veut, tel Nicolas Flamel, transformer les matières viles, le plomb en or, il cherche la pierre philosophale. Le laboratoire alchimique ne ressemble-t-il pas à nos modernes la­boratoires, les autoclaves ayant remplacé les antiques fourneaux ? Mais c’est manquer une différence essentielle. La finalité de la chimie moderne est pratique, efficace, utili­taire. La finalité de l’alchimie est spéculative ; loin de contraindre la nature, de la manipu­ler brutalement, elle veut au contraire entrer en harmonie avec elle. En effet, la cosmolo­gie alchimiste envisage la matière comme un grand vivant, doué d’une harmonie interne : celle-ci se caractérise notamment par la conviction d’une correspondance entre haut et bas, macrocosme et microcosme, entre des réalités que la science analytique a sépa­rées, comme astres, minéraux, végétaux, animaux, homme. Or, ces harmonies deman­dent à être déployées, car elles sont implicites. Pour faire entrer la nature en communion, pour entre en communion avec elle, l’alchimiste doit donc faire mûrir la nature, permettre à chaque chose d’enfanter ce qu’elle porte pour qu’elle entre en résonance avec l’uni­vers entier. On le voit donc : nous sommes « très loin des ambitions dominatrices de la science contemporaine », qui aurait tendance à mépriser ce « mysticisme irrationnel [15] ».

La doctrine de Parcelse fut extraordinairement influente. Pour Koyré, elle « est au fond de tout le mouvement théosophique des temps modernes », ajoutant : « mouvement dont l’importance ne peut, on le sait bien, être surestimée par l’historien des idées [16] ».

3) Troisième période. La philosophie de la nature romantique

Cette période s’étend de la fin du xviiie siècle à la première moitié du xixe siècle. De nouveau, cette approche se caractérise par la tentative de fusionner sciences nouvelles, autant astronomiques ou chimiques que philologiques à l’héritage théosophique.

En Angleterre, on ne trouve guère de penseurs. En France, les plus célèbres représen­tants de cette tendance sont Louis-Claude de Saint-Martin, Fabre d’Olivet et Hoene Wronski. Mais c’est en Allemagne que fleurit la Naturphilosophie. [17]

Il serait intéressant de s’interroger : pourquoi l’Allemange est-elle terre d’élection de l’hermétisme romantique ? L’histoire y répond, au moins pour une part. Sans doute y a-t-il là le signe d’un vieux fond de paganisme, celui-même que Karl Barth dénonce dans l’hitlérisme. Des noms comme Maître Éckhart, Paracelse, Jacob Boehme et Baader ont aussi préparé, depuis longtemps, le terrain.

Pour le détail des noms et des doctrines, je renvoie à l’exposé de Faivre ; plus que ja­mais, en matière d’hermétisme, vaut le principe de la boîte du camembert rappelé au dé­but (autres sont les emballages, même est le contenu) ! Rares sont les lectures qui distil­lent un moins mortel ennui que les écrits ésotériques : elles font penser à des rêveries de dieux allanguis et amers à qui Prométhée eût ôter tout feu intérieur. Ce n’est pas un ha­sard si, comme le montre Festugière pour les premiers siècles, la doctrine hermétique est toujours réactive, donc seconde.

Mais la France n’ignore pas cette vision gnostique de la nature. Même en poésie. Baudelaire nourrissait une conception gnostique de la création qu’il identifiait à une chute :

« Une Idée, une Forme, un Être

Parti de l’azur et tombé

Dans un Styx bourbeux et plombé

Où nul œil du Ciel ne pénètre [18] ».

 

Et il faudrait lire la suite.

« La création ne serait-elle pas la chute de Dieu ? », dit-il dans Mon cœur mis à nu [19]. Et il termine « Une charogne » par l’affirmation paradoxale : « j’ai gardé la forme et l’essence divine / De mes amours décomposés [20]! »

En effet, le poète français est convaincu que l’existence est une malédiction. Et celle-ci est notamment liée au tourment de la chair (sous toutes ses formes : sexuelle, drogue, etc.). Comment le concilier avec l’existence divine ? Sinon en faisant appel à une métaphy­sique de l’émanation.

 

« Baudelaire, comme Plotin, fonde l’existence des substances inférieures sur la réalité de al substance une et primordiale. La forme, l’être et la matière sont selon une progres­sion décroissante, des émanations successives de l’Un ou de l’Idée. Les diverses formes de l’être sont soumises à une hiérarchie qui s’étend de l’Idée à la matière, symbolisée par le ‘Styx bourbeux et plombé’ [21] ».

D) La vision orientale

1) Le Yi king

Le Yijing est l’un des cinq grands Classiques confucéens, avec les Livres des Odes, des Documents, des Rites, des Annales des Printemps et Automne. Yijing vient du chinois yi, la mutation et jing, texte canonique ou classique. Donc, le Yijing est le Livre des Mutations [22].

Il se présente sous la forme de six hexagrammes formés de traits soit continus soit discontinus ; en les combinant, on obtient ainsi 64 figures différentes. Celles-ci représentent non pas l’être mais le devenir des êtres, leur état à un moment donné, cet état étant appelé à changer. Ce devenir concerne autant le cosmos que les événements humains, les situations de la vie en leur totalité. Ces hexagrammes sont suivis de formules cosmologique ou taoïste. « La longue et riche tradition interprétative qui s’est formée autour du Yi lui donne valeur de pensée cosmologique et symbolique à portée éternelle et universelle [23] ».

E) Gnose et orientalisme en philosophie de la nature aujourd’hui. La perspective holistique

1) Introduction générale

Il est très clair qu’aujourd’hui la gnose est une nouvelle tentation ou plutôt alternative, face au matérialisme grossier d’un Monod [24]. Un exemple parmi beaucoup :

 

« Un soir mémorable entre tous de l’année 1970, j’étais devant ma télévision, Jacques Monod est apparu pour dire qu’à compter de ce soir toutes les philosophies étaient terminées, toutes les religions aussi et qu’il n’y avait plus d’obscurantisme sur la terre. Je me suis dit : ‘C’est le grand soir’. Mais tout ça est passé, tout ça est mort et il est clair que la nature et la vie sont plus importantes que ça et dans chaque science on assiste actuellement à un grand remue-ménage [25] ».

 

La gnose qui est réactive, seconde, a toujours consisté à recoudre les multiples déchi­rures imposées par la science à un monde désenchanté : aujourd’hui par l’objectivité formalisée, par l’émiettement des discours spécialisés, par l’affirmation d’une insigni­fiance du réel et par le refoulement du sacré. Aussi les gnoses, par exemple le New Age, veulent restaurer une cosmologie pleine, unifiée ou holistique, un monde signifiant, une communication entre l’homme et la nature, et pourquoi pas, le Divin ? Par exemple, Capra insiste sur la théorie du bootstrap selon laquelle les particules élémentaires sont reliées entre elles comme les trous de bottes par des lacets, et en tire la conséquence que chaque partie du monde est connectée à l’autre par des réseaux [26].

À la limite, Dieu s’identifie à la nature.

2) La gnose de Princeton

Voici quelques exemples : la présence gnostique est aujourd’hui illustrée par Ruyer en France ou Capra aux Etats-Unis.

L’ouvrage de Raymond Ruyer, La Gnose de Princeton, a rapidement rendu célèbre, pour le public français, une réalité qui était née bien avant.

Fondamentalement, les Gnostiques ne sont pas différents des chercheurs classiques.

 

« La Nouvelle Gnose, au moins en son premier temps, où elle s’inspire d’Eddington et de Milne, en acceptant leur panpsychisme et en rejetant leur idéalisme […], n’est qu’une transposition, une inversion fidèle de la science. Le cosmos est une tapisserie que la science décrit fidèlement, mais à l’envers. La Gnose consiste, au-delà ou à travers les observables de la science, à connaître la vie propre des êtres. En quoi elle est connais­sance proprement dite (Gnôsis) et non simple préparation de connaissance, comme la science [27] ».

 

Quels sont les principaux concepts ?

a) Le Tout

En cela très proche de la gnose et de l’hermétisme, la philosophie néognostique est d’abord fasciné par le tout, l’univers comme Tout. Elle s’oppose farouchement à toutes les vision éclatées d’univers.

Cette unité se fait notamment par participation, autre concept clé de cette doctrine. La science classique connaît des « observables », statiques et menace de réduire les partici­pables à n’être que des observables ; la Nouvelle Gnose connaît des participables, dy­namiques. Elle

 

« consiste à vouloir faire entrer les participables et la participation dans la science comme dans la philosophie religieuse, par la grande porte, non par la petite porte d’une psychologie suspecte, à peine scientifique et vaguement occultiste, par la grande portée de la microphysique, de la biologie du développement, de la psychologie compréhensive, de la linguistique non pavlovienne [28] ».

b) Dieu

Dieu est aussi au cœur de la préoccupation gnostique qui se veut, non plus anthropo­centrée, comme lors de la première Révolution scientifique, à la Renaissance, mais théo­centrée : « la Nouvelle Gnose, loin d’être un nouvel humanisme, est plutôt un nouveau théocentrisme [29] ».

Cette alliance de totalisation et de sens religieux, débouche tôt ou tard sur un pan­théisme panpsychiste et fusionnel, où d’une part, « tous les êtres sont aussi intelligents les uns que les autres », et d’autre part, « tous les êtres sont aussi intelligents, en leur do­maine, que Dieu (ou que l’Accolade consciente suprême) [30] ». Et, pour utiliser une analogie, dans le style qui est cher à la littérature gnostique : « Nous sommes aussi intel­ligents que Dieu, dans le même sens où une de nos cellules est aussi intelligente que nous [31] ».

c) Le primat du spirituel sur le matériel

Pour autant, le spirituel n’est jamais sans le matériel qui l’exprime et l’incarne.

Au fond, la Nouvelle Gnose ne change pas le réel, notamment la science, mais le re­gard que l’on jette sur le réel. Elle en perçoit la face ombrée, elle découvre dans les réali­tés l’invisible que masque l’utilisation parfois violente qu’en fait la technique. La « Nouvelle Gnose, en transposant l’univers de la science, en le mettant à l’endroit, le transfigure [32] ».

d) La néofinalité

La Gnose est, par définition, connaissance, « conscience cherchant la lumière [33] ». La science gnostique redécouvre la gratuité de la contemplation qu’avait perdu le monde moderne et qui était au cœur du projet grec.

3) Le Tao de la physique selon Fritjof Capra

o) Bibliographie
1’) De Capra

– Fritjof Capra, Le Tao de la physique, 1975, trad., Paris, Sand, 1985. « Le Tao de la physique », Science et conscience, Colloque de Cordoue, Paris, Stock, 1980, p. 43-53.

– Fritjof Capra et David Steindl-Rast, Belonging to the Universe. Explorations on the Frontiers and Spirituality, New York, Harper & Collins, 1991, trad., L’Univers aux frontières de la science et de la spiritualité, trad. D. Lambilliotte, Paris, Sand, 1994. Il y expose sa relation à la théologie chrétienne dans son dialogue avec le moine bénédictin

2’) Sur Capra

– Françoise Champion, « La croyance en l’alliance de la science et de la religion dans les nouveaux courants mystiques et ésotérique », Archives de sciences sociales des religions, 82 (1993), p. 205-222.

– François Euvé, Penser la création comme jeu, coll. « Cogitatio Fidei » n° 219, Paris, Le Cerf, 2000, p. 24-33. Peu critique, surtout descriptif.

– Alexandre Ganoczy, Dieu, l’homme, la nature. Théologie, mystique et sciences de la nature, coll. « Cogitatio fidei », Paris, Le Cerf, 1995, p. 99-108. Très négatif.

a) L’expérience fondatrice

Tout a commencé par une expérience.

 

« Il y a cinq ans, j’ai eu une belle expérience qui m’a conduit à écrire ce livre. J’étais assis au bord de l’océan un soir d’été, regardant les vagues déferler et sentant le rythme de ma respiration, lorsque je pris soudaint conscience de tout mon environnement comme étant engagé dans une gigantesque danse cosmique. Etant physicien, je savais que le sable, les roches, l’eau et l’air autour de moi étaient composés de molécules vibrantes et d’atomes, consistant en particules qui en créent et en détruisent d’autres par interaction. Je savais aussi que l’atmosphère de la terre était continuellement bombardée par des pluies de rayons cosmiques, parti­cules de haute énergie subissant de multiples collisions lorsqu’elles pénètrent dans l’air. Tout cela m’était familier de par ma recherche en physique des hautes énergies, mais jusque-là je l’avais seulement expérimenté à travers des graphes, des diagrammes et des théories mathématiques. Tandis que je me tenais sur la plage, mes expériences théoriques passées devinrent vivantes. Je vis des cascades d’énergie descendre de l’espace au sein desquelles les particules étaient créées et détruites selon des pulsa­tions rythmiques. Je vis les atomes des éléments et ceux de mon corps participer à cette danse cosmique de l’énergie. J’en sentais les rythmes et j’en entendais les sons, et à ce moment précis je sus que c’était la danse de Shiva, le seigneur de la danse adoré par les hindous [34] ».

 

Pour Capra, toute véritable explication physique doit prendre en compte la totalité de l’univers ; un événement n’est compréhensible que mis en relation avec le tout dont il émerge et avec qui il se trouve en relation :

 

« Pour réellement comprendre un phénomène quelconque, il faut donc comprendre tous les autres. Cela étant évidemment impossible, les physiciens et les mystiques adoptent des attitudes différentes. Les physiciens se contentent d’une compréhension approximative de la nature. […] De leur côté, les mys­tiques orientaux ne s’intéressent pas à la connaissance approchée, que les bouddhistes qualifient de ‘connaissance relative’ […]. Telle est la raison pour laquelle ils préfèrent en général aux explications particulières l’expérience mystique directe de l’unité de toutes choses [35] ».

b) Développement

L’exposé, très pédagogique et bien documenté, de l’auteur, se déroule en trois temps :

  1. Discussion de questions méthodologiques préliminaires (est-il légitime détablir une comparaison entre une science exacte hautement mathématisée et une discipline spiri­tuelle fondée sur la méditation ?) et présentation succinte de la physique actuelle.
  2. Présentation, là encore brève, de cinq grands courants spirituels orientaux : hin­douisme, bouddhisme, pensée chinoise, taoïsme et Zen.
  3. Quelques tentatives de parallèles. Capra va manifester les convergences, les simili­tudes entre les pensées traditionnelles de l’Orient et la conception du monde impliquée par les apports de la physique moderne, les révolutions épistémologiques et métaphy­siques occassionnées par la Relativité et la mécanique quantique, la physique particu­laire. Capra passe ainsi en revue une petite dizaine de notions semblables : l’unité de toutes choses, l’unification des contraires, la conception unitive de l’espace-temps, l’unité entre vide et matière, etc. Vous percevez combien le schème de fond, ce qui permet d’établir le pont est l’unité dont on sait combien elle sous-tend le monisme panthéiste. Capra le perçoit d’ailleurs bien :

 

« La plus importante caractéristique de la conception orientale du monde – on pourrait presque dire son essence – est la conscience de l’unité et de l’interaction de toutes choses et de tous événements, l’expérience de tous les phé­nomènes du monde comme autant de manifestations d’une unité primordiale. Tous les phénomènes sont conçus comme solidaires et inséparables dans cet ensemble cos­mique ; en tant que manifestations différentes de la même réalité ultime, indivisible, qui est en toute chose, et dont toute chose est partie [36] ».

 

C’est le Brahman de l’hindouisme, le Tao du taoïsme, etc.

Or, « l’unité fondamentale de l’univers n’est pas seulement la caractéristique centrale de l’expérience mystique, elle aussi l’une des révélations les plus importantes de la phy­sique moderne. Elle devient manifeste au niveau atomique et se confirme lorsqu’on pé­nètre plus profondément la matière, jusqu’au domaine des particules subatomiques [37] ». Le confirme le nouveau mode de connaissance impliqué par le principe d’indétermina­tion de Heisenberg. Ainsi, « dans la physique moderne, l’univers est ainsi considéré comme un ensemble dynamique indissociable, incluant toujours l’observateur d’une manière essentielle. Dans cette expérience, les notions traditionnelles d’espace et de temps, d’objets isolés et d’effet perdent leur significations. Une telle expérience est très proche de celle des mystiques orientaux [38] ».

Capra cite David Bohm qui est manifestement un de ses maîtres : « On est conduit à la nouvelle notion d’une totalité continue infirmant l’idée classique de déconstruction du monde en parties existant séparément et indépendamment […]. Nous avons inversé la notion traditionnelle selon laquelle les «parties élémentaires» du monde en constituent la réalité fondamentale, et les divers systèmes sont seulement des figures et des combi­naisons particulières et contingentes de ces parties. Nous dirons plutôt que l’intercon­nexion quantique de l’univers dans son ensemble est la réalité fondamentale et pen­dante sont simplement des formes particulières et fortuites à l’intérieur de cet ensemble [39] ».

Ne donnons que quelques exemples.

c) Exposé systématique

Je m’aiderai de la bonne synthèse offerte par François Euvé en six points, tout en me permettant de changer tel ou tel point, dans l’ordre ou la répartition. On pourrait les présenter sous forme d’un tableau à deux colonnes opposant la vision mécaniste traditionnelle et la nouvelle vision proposée par Capra.

1’) Présupposé épistémologique

Le projet, l’intention de Capra est d’introduire un nouveau paradigme. Néanmoins, le physicien n’est ni scientiste – puisqu’il réagit contre la vision mécaniste – ni antiscientiste – puisque, se fondant notamment sur la théorie de la relativité et la mécanique quantique, il se propose plutôt d’introduire à une nouvelle vision scientifique. Sa principale caractéristique – qui consonne avec le New Age – est le refus de la division et l’unification systématique : la séparation est une mutilation de la richese du réel, une opération d’ »abstraction forgée par notre jugement discriminatoire et catégorisant [40] ».

2’) L’unité du monde

Capra propose une vision holiste, par opposition à la vision atomisée, analytique qui prévaut depuis la physique classique. En effet, le monde est composé de particules. Or, la mécanique quantique nous montre que ces particules dites élémentaires que l’on croyait séparées les unes des autres, sont en fait des « interconnexions ». En outre, on séparait autrefois le monde en différents couples : masse et énergie, espace et temps, particules et champs ; or, la théorie de la relativité a aboli ces différences ou plutôt en a proposé une vision unifiée.

Cette unité se décline notamment à deux niveaux : ontologique et épistémique.

3’) Unité de l’homme et de la nature

Alors que la physique newtonienne distingue, voire sépare soigneusement le physicien de la nature, la science contemporaine implique l’observateur dans son acte d’observation. Tel est l’apport de la physique quantique : « Le trait essentiel de la théorie quantique est que l’homme est nécessaire non seulement pour observer les propriétés d’un objet, mais même pour que celles-ci deviennent une réalité […]. Autrement dit, l’électron ne possède pas de propriétés indépendantes de mon esprit. En physique atomique, la nette coupure cartésienne entre l’esprit et la matière, entre le moi et le monde, n’a plus cours [41] ».

4’) Unité entre science et mystique

Alors que la science physique classique s’est totalement laïcisée, sécularisée, Capra propose un rapprochement entre la nouvelle physique et la mystique, notamment extrême-orientale : d’où le titre de l’ouvrage. On se souvient de l’expérience fondatrice de Capra. Il vaut la peine de la relire. Elle ouvre son grand ouvrage, Le Tao de la physique.

Néanmoins, Capra ne tombe pas dans une pure confusion entre science et mystique, dans un concordisme identificateur. En effet, la mystique tend vers une connaissance intégrale du monde ; or, la science, elle, demeure analytique, donc n’a de vision totale qu’ »approchée [42] » ; par conséquent,

5’) Le primat du mouvement

Par ailleurs, Frijtof Capra propose une vision essentiellement dynamique du monde, par opposition à une vision stable, fixée des choses (particules ou étoiles). Le cœur de l’univers est énergie. En effet, d’une part, la théorie de la relativité a montré que la matière est énergie ; or, l’énergie est mouvement. D’autre part, la mécanique quantique qu’à toute particule est toujours associée une onde ; or, l’onde est flux. Donc, autant la physique de l’infiniment petit (mécanique quantique) que de l’infiniment grand (théorie de la relativité) nous ont montré que les entités stables étaient essentiellement processuelles. Process is Reality.

6’) La circularité

La figure du cercle est essentielle, par opposition à une vision linéaire qui oppose deux pôles contraires situés chacun à une extrêmité d’une ligne. En effet, nous avons vu que les oppositions classiques (onde-corpuscule, matière-énergie, etc., mais Capra étend aux couples décisif de l’éthique et de l’anthropologie : bien-mal, matière-esprit, vie-mort, etc.) sont en réalité inséparablement unis ; or, en mathématique, les polarités les plus extrêmes ne sont jamais que les projections linéaires d’un mouvement circulaire qui apparaît ainsi plus fondamental [43] ; voilà pourquoi le cercle est origine et fondement. D’où l’omniprésence de cette métaphore.

7’) Anhistoricité

Ici, par contre, la vision de Capra communie à celle de la physique classique, non sans nuance. En effet, nous avons vu que le cercle sous-tend la nouvelle vision cosmologique. Or, la distinction passé-présent-futur est linéaire. Donc, comme le cercle s’oppose à la ligne, la nouvelle physique est anhistorique, elle abolit le temps pour lui substituer un flux ou plutôt une toucher de l’éternité sous le mode de la fluence : les trois dimensions du temps sont résorbées dans un instant « infin, éternel et cependant dynamique [44] ».

De ce fait aussi, Capra est réticent devant le tragique de l’histoire.

8’) Conclusion

Une phrase résume un certain nombre d’intuitions : « L’univers entier est engagé dans un mouvement et une activité infinis, en une continuelle danse cosmique, la danse de l’énergie [45] ». « La physique moderne nous a révélé que […] toute matière […] participe à une continuelle danse cosmique [46] ».

d) Évaluation critique

Nous avons déjà relevé le mérite pédagogique de l’ouvrage et son sens de la synthèse, claire sans trop sacrifier à la rigueur. Par ailleurs, il est indéniable que la physique quan­tique, particulaire retrouve l’unité de l’univers, du point de vue de la cause matérielle.

Après l’actif, le passif. Au plan métaphysique, l’auteur confond d’abord être de raison et être réel : « Au niveau atomique, les objets matériels solides de la physique classique prennent la forme de modèles de probabilité, et ces modèles ne représentent pas des probabilités d’existence, mais plutôt d’interconnexions [47] ». Sa confusion est aussi caté­goriale : « Maintenant le concept de force était remplacé par le concept beaucoup plus subtil de champ ayant sa propre réalité et pouvant être étudié sans référence aucune aux corps matériels [48] ». Ici, le matériel est assimilé au solide, au corpuscule.

Au plan scientifique, l’interprétation que Capra donne de la mécanique quantique est elle-même discutable : « Cela signifie que l’idéal classique d’une description objective de la anture n’est plus valide. Le dualisme cartésien du sujet et du monde […] ne peut plus être utilisé lorsqu’on traite de la matirèe atomique. En physique atomique, nous ne pou­vons jamais parler de la nature sans, simultanément, parler de nous-mêmes [49] ». Et plus précisément encore : « la formulation statistique des lois de la physique atomique et sub­atomique ne reflète pas notre ignorance comme le calcul des probabilités par les com­pagnies d’assurances ou les spéculateurs. Dans la téorie quantique, nous en sommes arrivés à reconnaître la probabilité comme le caractère fondamental de la réalité ato­mique [c’est moi qui souligne] régissant tous les processus, jusqu’à l’existence de la ma­tière ». Et Capra va de nouveau confondre modèle et réalité : « Les particules subato­miques n’existent pas de façon certaine en des lieux précis, mais manifestent plutôt des «tendances à exister», et les événements atomiques ne se produisent pas avec certitude des moments et sous des formes définis, mais manifestent plutôt des «tendances à sur­venir» [50] ».

Il s’agit ici de participation physique, horizontale : « le plus important, dans le principe des quanta, est qu’il détruit la notion du monde extérieur à un observateur séparé de lui sans risques par une épaisseur de 20 centimètres de verre. Même pour observer un ob­jet aussi minuscule qu’un électron, l’observateur doit briser le verre. Il doit atteindre l’ob­jet. Il doit installer l’équipement de mesure qu’il a choisi. C’est à lui de décider s’il mesu­rera la position ou la vitesse. En tout état de cause, il ne peuet mesurer les deux. En outre, la mesure modifie l’état de l’électron. L’univers ne sera jamais le même ensuite. Pour décrire ce qui s’est produit, il faut rayer l’ancien mot d’«observateur» et lui substi­tuer le terme de «participant». D’assez étrange façon, l’univers est un univers de partici­pation [51] ».

Enfin, que penser de l’expérience première ? Certes une expérience est irréfutable. Il demeure que d’une part, elle est fonction des images engrangées par l’auteur, et celles-ci sont empruntées à la mécanique quantique et à l’orientalisme ; d’autre part, l’auteur prend les images, les représentations concrètes sous-tendant les théories physiques comme des données réelles, établies par l’expérimentation : par exemple, la nature on­dulatoire, rythmique qui serait de même nature qu’une danse.

L’immense mérite de Capra est d’avoir voulu réunir ce que l’on a trop longtemps séparé : Dieu, l’homme et la nature. « Le cosmos, Dieu et les hommes sont tous en étroites relations les uns avec les autres », dit David Steindl-Rast, très proche de Capra [52].

Au fond, toute la physique philosophique de Capra peut se reconduire à trois principes : holisme (unité ontologique et épistémologique), énergie (sous la forme de la circularité), gnose. On ne peut s’empêcher d’établir un recoupement entre ces trois concepts fondamentaux de la philosophie de la nature de Capra et ceux qui se trouvent au fondement des théories du Nouvel Age : ce sont les mêmes.

e) Relecture à la lumière du don

Tentons d’évaluer cette physique à l’aune d’une pensée du don.

1’) Effacement du don 1

Ce retour à la nature, à son unité, ne doit pas tromper. Il n’est pas une pure restitution de l’origine dans sa sagesse et sa cohérence. Car la survalorisation de l’immanence s’accompagne d’une confisquation totale de la transcendance. Or, celle-ci seule peut fonder l’existence d’une nature autonome et intelligible. Donc, l’abolition de la distinction entre Dieu et la création – autrement dit le panthéisme [53] – entraîne un effacement du don 1. « Les spéculations néo-gnostiques qui interprètent les traditions mystiques à partir de la physique et la physique à partir des états de conscience mystique », sont-elles « autre chose que le vieux concordisme qui trouvait Dieu dans les limites de la science [54]» ?

2’) Effacement du don 2

Du moins, ce gommage de l’origine profite-t-il au don 2 comme dans la physique et plus encore la philosophie moderne ? Nullement, et c’est là le grand appauvrissement : la philosophie de Capra, en diluant toute frontière, en relationnalisant la substance, gomme la stabilité de la substance, du sujet. D’où l’absence de fondement qui donne la stabilité : « La science du futur se fera sans bases ni fondations [55] ».

3’) Effacement du don 3

Enfin, on le sait, la tendance gnostique est à la clôture.

4) Le colloque de Cordoue

Je retiendrai deux illustrations.

a) Du spiritualisme à la psychokinèse (Richard D. Mattuck)

Mattuck adhère à la psychokinèse, de son propre aveu explicite : « Les humains et les animaux sont capables d’agir directement sur la matière avec leur volonté consciente ou subconsciente, c’est-à-dire sans utiliser de moyens physiques. Cela s’appelle la psy­chokinèse ou PK [56] ». En effet, pour Mattuck, la conscience peut agir sur son propre cer­veau. Mais l’esprit est, par définition, immatériel. Or, la conscience n’étant pas matérielle, n’est pas localisée. Pourquoi n’agirait-elle donc pas aussi sur un autre cerveau, par le même mécanisme synaptique. Or, c’est ce que l’on appelle la télépathie. Voire, comme les interconnexions neuronales sont composées de particules atomiques, « la conscience pourrait être la cause de changements [de ces particules atomiques] dans un objet éloi­gné, par exemple l’amener à se déplacer (télékinèse), se plier, chauffer, etc. Ou alors, elle pourrait provoquer des changements dans des organismes vivants (guérison) [57] ».

Dès lors, pourquoi ne pas faire de la PK l’explication de la réduction de la fonction d’onde en mécanique quantique ? En effet, estiment deux physiciens, Costa de Beauregard et E. P. Wigner, « l’observateur sait toujours consciemment qu’un change­ment au hasard se produit, peut-être est-ce la conscience elle-même (que l’on considère comme étant une entité qui n’obéit pas à l’équation de Schrödinger) qui cause le chan­gement. Cela a été poussé un peu plus loin par E. H. Walker, qui proposait l’idée que, grâce à un effort de sa volonté, la conscience pourrait être à même de diriger ces chan­gements pour qu’ils ne soient plus le fait du hasard [58] ».

En tout cas, cette philosophie de la nature ne se fonde pas seulement sur l’existence d’un principe spirituel en l’homme, ce qui ne peut qu’entraîner l’adhésion d’un aristotéli­cien, mais sur un dualisme platonicien en contradiction radicale avec tous les dévelop­pements qui ont été faits sur l’hylémorphisme, sur l’unité de la nature.

b) Le panpsychisme de David Bohm

Bohm est encore plus radical, puisqu’il est favorable au panpsychisme : la conscience existe dans toute réalité physique : « Matière et conscience sont deux aspects de quelque chose de beaucoup plus profond. Comme vous l’avez suggéré, l’amibe a peut-être une protoconscience, je dirai même qu’à un certain niveau, elle a certainement développé cela, mais ce qu’il faut dire aussi, c’est que la protoconscience, si elle existe, est présente dans toute la matière [59] ».

Comment établit-il sa thèse ? Bohm fonde son dualisme, sa vision de la nature sur une distinction antérieure, celle de l’explicite actuel et de l’implicite virtuel. Il le montre induc­tivement de la conscience et de la réalité physique : « En général, la forme de dévelop­pement de la conscience est telle que cet ordre explicité, manifesté, joue un rôle négli­geable dans la détermination du contenu du moment prochain. On constate plutôt que c’est avant tout le contenu implicite, largement présent dans un horizon de conscience obscure, qui détermine ce qui émergera à la prochaine étape. Ainsi le contenu d’un mo­ment donné n’est pas normalement dérivé du connu ou du connaissable à un moment précédent [60] ». Cela semble aussi vrai du règne matériel, corporel : « L’hypothèse que nous proposons est qu’un ordre similaire règne dans la matière en général […]. Comme dans le cas de la conscience, chaque moment comporte un certain ordre explicite et, en outre, il involue tous les autres, quoique en son mode propre [61] ». Bohm conclut donc : « Quand nous disons que le corps et l’esprit sont des facteurs, cela implique que le fon­dement de chacun d’eux est une réalité de plus haute dimension qui les contient tous deux sans être aucun d’eux, sa nature étant au-delà des deux [62] ».

Quelle est la nature de cet au-delà qui assure l’unité ? Ce n’est pas matériel, semble-t-il. C’est plutôt un super-esprit. En tout cas, son rôle consiste à assure l’unité dynamique du tout de la nature : il permet la communication des diférents sous-ensembles, matériels que sont les atomes et spirituels que sont les hommes. Une preuve de cette communica­tion profonde est le fameux paradoxe EPR :

 

« En certains cas, où l’on observe deux parti­cules éloignées l’une de l’autre, leurs comportements présentent une corrélation ou co­ordination qui résis à toute explication par une quelconque force d’interaction mutuelle. La forme mathématique des équations mises en jeu indique, en revanche, que chaque particule agit comme si elle était un facteur abstrait, ne possédant qu’une indépendance relative, et reliée aux autres. Si l’on veut donner une image, on peut imaginer que deux films ayant photographié une même réalité sont projetés en même temps sur deux écrans. On pourra dire alors que les deux particules sont reliées comme l’image du film sur l’un des écrans est reliée à sa voisine sur l’autre écran, c’est-à-dire que toutes deux sont des abstractions issues d’un même sous-ensemble de plus haute dimension [63] ».

 

Bernard d’Espagnat a aussi exploité ce paradoxe sur un plan philosophique ; mais il l’a fait d’une part de manière beaucoup plus systématique, d’autre part, en faisant appel aux ressources des grandes philosophies occidentales, comme celle de Spinoza. Il demeure que la tendance est là encore, sinon panthéiste, du moins moniste.

David Bohm analyse les phénomènes quantiques. Pour en rendre compte philosophi­quement, il fait appel à une énergie universelle qui sous-tend les différents registres de l’être, précisément la matière, l’énergie et le sens. Pour lui, il y a un repliement-déploie­ment entre ces différents plans. D’où la question : est-il possible pour l’être humain de prendre conscience de cette énergie universelle, et comment ?

Un Nicolescu, lui, se rapproche de la grande Tradition hermétiste, issue de Jacob Boehme.

5) Le panthéisme d’Ervin Laszlo

Dans un vaste ouvrage, un scientifique français, Ervin Laszlo, offre un développement typiquement new-ager, moniste d’univers. C’est une gnose actuelle de la plus belle eau, sans complexe et très militant. De la gnose, elle a le projet, la méthode et le contenu.

Comme dans la gnose, le projet, la finalité est le savoir et le savoir « authentique », salvi­fique : « La science ne fait qu’approcher le seuil de la connaissance authentique de l’unité ultime dont les notes dominantes restent : quantum, cosmos et conscience [64] ».

Ensuite, le principe méthodologique est directement emprunté à la table d’Emeraude : « Pour les civilisations classiques, ce qui existait en haut était comme ce qui existait en bas : l’ordre divin était l’inspiration durable, persistante, de l’ambition humaine [65] ».

Enfin, le contenu est l’unité (qui est uniformité). La pensée de Laszlo est animée par une recherche de l’unité : « Les horizons qui s’ouvrent à la synthèse de la connaissance scientifique sont vastes et stupéfiants. Une description du monde unifiée et unitaire est en train de se constituer, pertinente, précise et intrinsèquement chargée de signification. Explorer et déployer cette vision, la communiquer à quiconque recherche une significa­tion et une compréhension non fragmentées, tels sont quelques-uns des défis les plus importants et les plus stimulants de notre époque ». Ailleurs :

 

« Notre recherche d’une théorie unifiée a donné naissance à une vision surprenante ; une vision du monde inver­sée où l’espace est primaire et les corps secondaires, où les organismes sont constam­ment informés par leur espèce et aussi par leur culture et leur environnement, où la conscience humaine est imprégnée d’idées et d’images qui transcendent les limites du temps et de l’espace. Cependant, il y a un aspect complémentaire à cette vision : celui de l’unité et de la créativité. Tandis que nous contemplons une réalité plus vaste située au-delà de notre corps et de notre esprit, c’est cet aspect qui prévaut [66] ».

 

Cette unité n’est pas seulement recherchée, elle est atteinte, car elle tisse l’univers. Et cette unité est relationnelle, matricielle.

Elle est relationnelle. Le concept d’interdépendance est privilégié : « Aujourd’hui, on a redécouvert l’intégrité du cosmos. Les concepts de champ pris dans leur ensemble sont devenus essentiels dans la nouvelle physique où l’état d’une particule est considéré comme le produit de l’ensemble dans lequel elle est enchâssée – ensemble qui, logi­quement, comprend toutes les particules de l’espace-temps. La primauté de l’ensemble a également prévalu dans la cosmologie, où l’état de l’univers à un moment donné aussi bien que l’évolution des états de l’univers au cours du temps sont considérés comme des fonctions des constantes universelles qui définissent les paramètres du système dans son ensemble [67] ».

Elle est matricielle. Voilà pourquoi l’image de la mer, de l’océan vient si naturellement sous la plume de Laszlo :

 

« Qu’est-ce au juste que cette mer, ce milieu fondamental du monde extérieur ? Les penseurs classiques discutaient de cette question en termes de matière ou d’esprit, ou encore d’une combinaison des deux : les grands métaphysiciens étaient des matérialistes ou des idéalistes, à moins qu’ils ne fussent des dualistes. Pour une théorie scientifique unifiée, le tissu de l’univers ne peut être partagé en réalités dis­tinctes et indépendantes, en matière et en esprit, en physis et en psychè. Une interpréta­tion réaliste de la nouvelle physique peut seulement suggérer l’existence d’une seule sorte de «tissu» dans l’univers : l’énergie. Preuve : L’énergie, sous d’autres de ses formes, c’est la lumière, la radiation, la chaleur et l’énergie cinétique. Sous une autre de ses formes encore, l’énergie est potentielle : c’est le substrat d’où naît l’énergie-matière. Ce n’est pas telle ou telle forme d’énergie, mais l’énergie en tant que réalité fondamen­tale capable de prendre tantôt une forme, tantôt l’autre qui est le tissu fondamental de l’univers. Le cosmos est une mer d’énergie à divers niveaux d’actualisation sous di­verses configurations [68] ».

 

Lisons enfin la dernière page de l’ouvrage qui prend la forme symbolique d’un disque. Nous y retrouvons, mis à plat et très clairement, tout le panthéisme fusionnel-confusion­nel de l’auteur :

 

« Viens, navigue avec moi sur une mer calme. Nous sommes de minuscules vaisseaux qui fendent les eaux tranquilles. Les côtes sont brumeuses, l’eau est un miroir. Nous sommes des vaisseaux sur la mer, ne faisant qu’un avec elle.

« Les eaux de la mer gardent le souvenir de notre passage. Un fin sillage se développe derrière nous, se diffusant sur les eaux et se perdant dans les horizons embrumés. Les vagues se rencontrent, tandis que toi, qui est aussi moi, parcours la mer qui est aussi nous. Ton sillage et le mien s’unissent et dessinent le reflet de ce qui est à la fois ton mouvement et le mien. D’autres vaisseaux – qui sont aussi nous – parcourent les mers, leurs vagues se croisent aussi, et la surface s’anime de vaguelettes et de rides. Elles sont la mémoire de notre mouvement – les traces de notre être.

« L’empreinte que nous laissons sur les eaux crée un effet subtil qui se propage de toi à moi, et de moi à toi, et de nous à tous les autres qui sont sur cette mer. Nous, qui sommes aussi les autres, agissons sur chacun et sur tous les vaisseaux de la mer.

« Notre existence séparée est une illusion. Nous sommes parties intégrantes d’un tout : nous sommes une mer qui a un mouvement et une mémoire. Notre réalité est plus grande que toi et moi, plus grande que tous les navires de la mer, plus grande que les eaux sur lesquelles ils naviguent [69] ».

6) La philosophie de la nature implicite des romans

La philosophie de la nature ne se trouve pas forcément dans les traités les plus spéculatifs et les plus élaborés, mais on peut la trouver dans des romans grand public. Je pense notamment à l’auteur très lu Bernard Werber : lu, il forme un certain imaginaire sur la nature ; à succès, il révèle, en retour, les idées qui flattent l’air du temps.

a) Exposé

L’auteur de la saga à succès, Les fourmis, propose une philosophie de la nature implicite. Les fourmis sont, pour lui, intelligentes, créatives, au même titre que l’homme, mais différemment. Il nous les montre communiquant entre elles, se transmettant des messages complexes, abstraits, inventant constamment de nouvelles armes, de nouveaux moyens de survivre. Comment comprendre qu’elles soient intelligentes, alors que leur cerveau est si peu développé ? La réponse n’est pas originale : « Pour devenir intelligent, l’homme a gonflé son cerveau jusqu’à lui donner une taille monstrueuse. Une sorte de gros chou-fleur rosâtre. Pour obtenir le même résultat, les fourmis ont préféré utiliser plusieurs milliers de petits cerveaux réunis par des systèmes de communications très subtils. En valeur absolue, il y autant de matière ou d’intelligence dans le tas de miettes de chou des fourmis que dans le chou-fleur humain [70] ». Ce que le cerveau est à l’être humain, la multiplicité des ganglions cérébroïdes l’est aux fourmis. Autrement dit, leur intelligence est collective. La mutiplicité et aussi la multiplication invraisemblable de la gent myrmécéenne (il y aurait un milliard de milliards de fourmis sur la Terre) supplée aux défaillances individuelles.

Dans son premier roman, très original, Les fourmis, les exposés d’Emond Wells dans son Encyclopédie du savoir absolu et relatif contiennent des remarques de philosophie de la nature parfois judicieuses. En voici quelques-unes parmi beaucoup :

« Notre loi racine, celle autour de laquelle s’organisent toutes les autres, est : toujours plus complexe [71] ». La preuve : « Dans le brasier initial l’hyprodgène se transforme en hélium, l’atome à peine plus complexe que lui. Mais déjà, de cette transformation on peut déduire la première grande règle du jeu de notre univers : toujours plus complexe ».

« La nature hait l’uniformité et aime la diversité. C’est là peut-être que se reconnaît son génie [72] ».

« Vaut-il mieux avoir un squelette à l’intérieur ou à l’extérieur du corps ? Lorsque le squelette est à l’extérieur, il forme une carrosserie protectrice. La chair est à l’abri des dangers extérieurs mais elle devient flasque et presque liquide. Et lorsqu’une pointe arrive à paser malgré toute la carapace, les dégâts sont irrémédiables.

« Lorsque le squelette ne forme qu’une barre mince et rigide à l’intérieur de la masse, la chair palpitante est exposée à toutes les agressions. Les blessures sont multiples et permanentes. Mais justement, cette faiblesse apparente force le muscle à durcir et la fibre à résiste. La chair évolue.

« J’ai vu des humains qui avaient forgé grâce à leur esprit des carapaces «intellectuelles» les protégeant des contrariétés. Ils semblaient plus solides que la moyenne. Ils disaient : «je m’en fous» et riaient de tout. Mais lorsqu’une contrariété arrivait à passer leur carapace les dégâts étaient terribles.

« J’ai vu des humains souffrir de la moindre contrariété, du moinde effleurement, mais leur esprit ne se fermait pas pour autant, ils restaient sensibles à tout et apprenaient de chaque agression [73] ».

b) Évaluation critique

On peut se réjouir de ce que Werber rende ainsi hommage à la finalité immanente, prégnante dans le monde animal. Werber renoue avec l’émerveillement d’Henri Bergson dans l’Evolution créatrice pour le monde des insectes.

Je ne parle pas des anthropomorphismes que l’on trouvait déjà chez Maeterlinck dans son ouvrage sur les fourmis : « qu’il est agréable de donner pour une fourmi [74]… »

Mais Werber ne peut découpler finalité et conscience : si les actions des fourmis sont aussi élaborées, ordonnées, efficaces, elles ne peuvent pas ne pas être conduites par une conscience, une intelligence de la finalité.

D’autre part, cette intelligence est transférée de l’individu à la totalité. Voilà la forme moderne prise par la théorie rémanente de l’unicité de l’intellect agent élaborée par Averroès et si fortement combattue par Thomas d’Aquin : hic homo intelligit, l’intelligence est la propriété d’un individu, non d’une collectivité. Le panpsychisme est une tentation permanente de l’esprit et une blessure de l’intelligence qui méprise l’importance de la substance et dilue ses propriétés dans la relation en négligeant le principe d’unité.

Enfin, l’exposé qui compare cette extraordinaire réussite qu’est le cerveau humain à un chou-fleur, ne traduit-il pas ce mépris qui, chez certains, est de la haine, pour la nature humaine ? L’admiration pour ces êtres qui sont apparemment mieux adaptés puisqu’ils « vivent dans des zones sèches, glacées, chaudes ou humides où nul homme ne saurait survivre », qui sont « parmi les rares organismes à résister à la bombe atomique » conduit à une autre blessure de l’intelligence qui transforme notre fragilité en contingence (« elles étaient là cent millions d’années avant nous », alors que « nous ne sommes qu’un accident de trois millions d’années dans leur histoire ») et bientôt en infériorité : « si des extraterrestres débarquaient un jour sur notre plante, ils ne s’y tromperaient pas. Ils chercheraient sans aucun doute à discuter avec elles. Elles : les vrais maîtres de la Terre [75] ». Les critères deviennent strictement biologiques ; en ce sens, ils vaudraient encore bien davantage pour les bactéries. À quand une saga des bactéries, M. Werber ?

4) Evaluation critique

Charles de Koninck anticipe le New age en critiquant « le retour à la nature pure [76] », celle-ci étant illustrée de son temps par « anti-machinisme, végétarisme, médecine des simples, nudisme, ou prohibitionnisme des buveurs d’eau ». Au fond, cette conception estime que la seule nature acceptable est une nature exempte de toute intervention humaine. En effet, elle « considère « l’intervention spécifique de l’homme dans la nature comme un mal ». Or, tout à l’inverse, « il est de l’essence d’une nature très supérieure et très pure de se prolonger et de se fortifier dans l’art ». Donc, « il n’y a rien de plus anti-naturel que le naturisme » ou naturalisme.

F) Évaluation philosophique globale [77]

1) Explication historique

On l’a dit en introduction : la nébuleuse Nouvel Age porte mal son nom car elle n’est pas née d’aujourd’hui.

Il s’agit d’une nouvelle conception de l’unité.

La conception gnostique nourrit plusieurs erreurs ou ambiguïtés, ainsi que le note le mathématicien Jacques Vauthier [78] :

– une fausse conception de la vérité réduite à la vérité scientifique. Or, la vérité n’est pas une notion univoque. André Lichnerowitz écrivait en conclusion : « ni à travers l’his­toire, ni à travers les différents champs où il opère, le concept de vérité n’est univoque [79] ».

– une tendance à « teilhardiser » sans opérer, comme le faisait le célèbre jésuite, les dis­cernements nécessaires entre corps-esprit-surnaturel.

– enfin, une tendance à la spiritualisation, à créer une « rhétorique de l’irrationnel ». Par exemple lorsqu’on peut lire que « Le plus grand message des dix dernières années tient au fait qu’elle a su déceler la perfection à l’origine de l’univers : un océan d’énergie infi­nie. Et ce que les physiciens désignent sous le nom de symétrie parfaite a poru moi un autre nom », Dieu. C’est du panthéisme type Nouvel Age. On croirait lire du Frijtof Capra.

Bref, l’ouvrage de Guitton-Bogdanov a fait un oubli tragique et il est cause des erre­ments notés ci-dessus : c’est la métaphysique. Comme le dit joliment et justement Jacques Vauthier : « si l’hymne teihardienne de Guitton à la beauté de l’univers telle que nos la révèle la science est bien d’un lyrisme attachant, c’est au-delà de la science, par la métaphysique, que l’on atteindra Dieu, car tout le discours scientifique, contemporain apparaît comme un filet aux mailles arbitrairement serrées mais qui laisse nécessaire­ment s’écouler à l’onde de l’être ».

2) Explication philosophique : une relation mystique à la nature ?

On appelle mystique, de la manière la plus générale qui soit, une expérience fruitive d’un absolu.

Or, il existe différents types de mystique, car il existe au moins deux sortes d’absolu : immanent ou transcendant. On doit à Jacques Maritain l’invention de cette très féconde notion. Je renvoie à ses développements et à ceux de ses disciples [80].

Ne peut-on appliquer ce principe général à la conception de la nature ? L’immanentisme né de cette expérience mystique influence la conception de Dieu et de l’homme. Pourquoi pas de la troisième entité de l’ontologie régionale classique qu’est la nature ou le monde ? Dans un tableau récapitulatif donnons quelques illustrations ty­piques des conceptions de Dieu, l’homme et la nature corrélées à une mystique, explicite ou non, d’immanence ou de transcendance. On pourrait joindre la vision de ces entités dans un contexte athée, c’est-à-dire de négation de toute mystique, de refus matérialiste d’un absolu, transcendant ou immanent, donc d’une expérience fruitive d’un absolu.

 

 

Mystique de transcendance

Mystique d’imma­nence

Vision athée

La conception de la nature

Plusieurs formes :

Natura sive Deus

Naturalisme New Ager

Soit la nature est au centre

La conception de l’homme

L’homme

Expérience mys­tique du vide (zen)

Soit l’homme est au centre

La conception de Dieu

Mystique chré­tienne, mono­théiste

Mystique boud­dhiste

Absence d’Absolu

3) Le bilan

a) Bilan positif

Il ne faudrait pas oublier tout ce que ce nouveau courant nous dit d’important, de positif. D’abord, il convient de ne pas mettre tous les auteurs au même plan. Autre chose les dé­bordements de Capra, autre chose les hypothèses d’un Bohm ou d’un Nicolescu. C’est ce qu’a bien compris un épistémologue comme Pierre Thuillier, pourtant très réservé et critique à l’égard de ces différents auteurs [81].

Par ailleurs, si les réponses ou les interprétations sont souvent excessives, les ques­tions posées sont pertinentes et les faits invoqués sont trop oubliés par les positivistes, les matérialistes de l’autre bord.

b) Bilan négatif

Il demeure un passif incompressible. L’un des dangers de la gnose est que le refus de tout dualisme devient l’occasion d’effacer toute différence entre le Moi et le Monde ou Autrui. C’est ce que prouvent certaines expériences vécues par certains illuminés, en Orient, et dont la mystique occidentale n’a pas eu l’audace.

La gnose nie la différence entre Dieu et le monde : « L’altérité de Dieu (vue comme une sorte de dualisme par les gnostiques) n’est pas tragique en christianisme. Elle donne au contraire son sens à la Rédemption, à la loi de charité donnée par le Christ, jusqu’à ce que le Christ soit Tout en tous [82] ». Niant l’altérité de Dieu, on nie la gratuité de la créa­tion.

En regard, la foi biblique privilégie le Dieu de l’Alliance. La gnose apparaît alors comme une idole.

Surtout, c’est la révélation judéo-chrétienne qui nous a sorti du Dieu-Univers, en dé-di­vinisant le cosmos, ce qui ne signifie pas en le désacralisant (ce qui est le propre du matérialisme).

Jean-Marc Lévy-Leblond critique abondamment les théories orientalistes et parapsy­chologiques de la science. À propos du Tao de la physique de Frijtof Capra, il remarque avec profondeur une cause importante de cette surdétermination pseudo-métaphysique :

 

« Il est remarquable que dans la science moderne la formalisme et l’abstraction soient parvenus à un degré tel que, lorsqu’il s’agit d’en expliciter le contenu conceptuel, on peut, sembe-t-il, le faire à partir de n’importe quelle tradition philosophique ou culturelle. La survivance du scientisme et le renouveau du mysticisme invitent alors tout naturelle­ment à propose run ésotérisme au second degré, multipliant celui d’une science mo­derne par celui d’une mystique traditionnelle [83] ».

 

Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une approche positive. Il remarque à propos du col­loque de Cordoue :

 

« On veut espérer que la barrière ainsi levée entre le rationnel et l’irra­tionnel facilitera la libre circulation – dans les deux sens : si les scientifiques gambergent avec tant de naturel, c’estqu’ils n’ont pas l’apanage de la raison, ni donc les profanes celui de la déraison. De fait, les signes sont nombreux, du débat sur lescentrales nucé­laires à celui qui s’amorce sur les manipulations génétiques, que les réticences du public devant les projets scientifiques et technologiques ne sont pas sans raison. Saluons donc le colloque de Cordoue comme une contribution salutaire, même si elle est involontaire, à l’autocritique de la science [84] ».

 

La réaction écologique et même Nouvel Âge n’est pas sans danger. Il y a d’abord le refus passionné de toute technique. Surtout, écrit le théologien Louis Bouyer,

 

« le changement d’idoles est tout apparent : qu’on s’adore soi-même comme le faisait l’homme encore béatement technocrate, ou qu’on adore à la place une nature acclamée, réclamée dans son inhumanité, c’est tou­jours, et comme toujours sous un masque, le même démon qu’on adore, d’une sensua­lité enclose sur elle-même, respirant, ou plutôt étouffant dans le solipsisme de son or­gueil infantile. Le monde auquel on veut faire retour n’est pas vraiment le cosmos de la création divine, mais la projection sur les choses d’un homme déraciné, qui, en leur refu­sant leur mystère, leur interdit de le régénérer lui-même dans son être véritable de créa­ture, et de créature appelé à la filiation. Le monde auquel on croit revenir […] n’est que le miroir de Narcisse [85] ».

 

Au fond, la nébuleuse Nouvel Age est significative d’un retour du refoulé dont on sait qu’il est toujours anarchique. L’Esprit, le sens de la nature ont été trop longtemps refou­lés dans notre Occident. Le non-dit interdit vient saturer nos discours.

Pascal Ide

[1] Fritjof Capra, Le tao de la physique, trad. Julien Duyvendak, Paris, Éd. Sand, nouvelle éd., 1985, p. 83.

[2] Notre première source sera Antoine Faivre, « La philosophie de la nature dans le romantisme allemand », Yvon Belaval (éd.), Histoire de la philosophie. III. Du xixe siècle à nos jours, coll. « Encyclopédie de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1974, p. 14-45. Bibliographie in situ.

[3] Ibid., p. 14.

[4] Ibid., p. 15.

[5] Ibid., p. 44.

[6] Ibid., p. 19.

[7] Ibid., p. 21.

[8] Ibid., p. 19 et 20.

[9] Alexandre Koyré, « Paracelse », in Mystiques, spirituels, alchimistes du xvie siècle, Paris, Armand Collin, 1955, ici Paris, Gallimard, 1971, p. 75 à 129, ici p. 84.

[10] Antoine Faivre, « La philosophie de la nature dans le romantisme allemand », p. 20.

[11] Ressemblance et continguïté sont les deux principes de la vie imaginative, comme de la magie, ainsi que James Frazer l’a mis en évidence dans son Rameau d’or.

[12] Cité par Antoine Faivre, « La philosophie de la nature dans le romantisme allemand », p. 39.

[13] Antoine Faivre, « La philosophie de la nature dans le romantisme allemand », p. 21.

[14] Antoine Faivre, « La philosophie de la nature dans le romantisme allemand », p. 21. Et de citer, comme toujours, Rm 8,19-22. À noter que l’hermétisme philosophique connaît quelques versets de l’Écriture qu’il cite invariablement, hors toute prise en compte du contexte.

[15] Pierre Thuillier, « L’approche scientifique de la matière », Coll., sous la direction d’Émile Noël, La matière aujourd’hui, coll. « Points-Sciences », Paris, Seuil, 1981, p. 11 à 29, ici p. 24.

[16] Alexandre Koyré, « Paracelse », in Mystiques, spirituels, alchimistes du xvie siècle, p. 129.

[17] Outre l’ouvrage d’Alexandre Koyré, Mystiques, spirituels et alchimistes du xvie siècle allemand, cf. aussi Ernst Benz, Les sources mystiques de la philosophie romantique allemande, Paris, 1968.

[18] Charles Baudelaire, L’irrémédiable, Les Fleurs du mal, xxxiv, in Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 2 volumes, tome 1, 1975, p. 79.

[19] XX, 33, p. 689.

[20] Les Fleurs du mal, xxix, p. 32.

[21] Marc Eigeldinger, Le platonisme de Baudelaire, p. 100.

[22] Yi King ou Livre des transformations, Trad. Etienne Perrot, Paris, Librairie Médicis, 1973. Sans oublier la trad. classique de P.-L.-F. Philastre, Le Yi King ou Livre des changements de la Dynaiste des Tscheou, 1885-1893, rééd., Paris, Adrien Maisonneuve, 1982.

[23] Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997, p. 254.

[24] a) Ouvrages divers

– Colloque de Cordoue, Science et conscience. Les deux lectures de l’univers, Paris, Stock, Colloque de Cordoue, France Culture, 1980.

– David Bohm, La plénitude de l’univers, trad. Tchalaï Unger, Paris, Monaco, Le Rocher, 1977 ; La danse de l’esprit, trad., La Varenne-Saint-Hilaire, Séveyrat, 1985.

– Jean Borella, « La gnose ruyérienne, religion de l’âge scientifique », in Louis Vax et Jean-Jacques Wunenburger, Raymond Ruyer. De la science à la théologie, Paris, éd. Kimé, 1995.

– Frijtof Capra, Le Tao de la physique, trad. Julien Duyvendak, Paris, Tchou, 1979. Nouvelle éd. Paris, Ed. Sand, 1985.

– Jean-Emile Charon, L’Esprit, cet inconnu, Paris, Albin Michel, 1977.

– Eremei Ioudovitch Parnov, Au carrefour des infinis, Moscou, Ed. Mir, 1972. Cet ouvrage est un véritable exposé de cosmologie néo-gnostique.

– Raymond Ruyer, La gnose de Princeton. Des savants à la recherche d’une religion, coll. « Evolutions », Paris, Fayard, 1974, repris dans la coll. « Pluriel », 1977.

– Rupert Sheldrake, Une nouvelle science de la vie, Monaco, Le Rocher, 1985.

  1. b) Étude critique Jean-Louis Schlegel, « La gnose ou le réenchantement du monde », Études, mars 1987, p. 389s.

[25] Collectif dirigé par Jean Staune et Eric de Romain, L’homme face à la science. Un enjeu pour la planète ?, Paris, Critérion, 1992, p. 238.

[26] Frijtof Capra, Le Tao de la physique, trad. Julien Duyvendak, Paris, Tchou, 1979, p. 39.

[27] Raymond Ruyer, La gnose de Princeton. Des savants à la recherche d’une religion, coll. « Evolutions », Paris, Fayard, 1974, repris dans la coll. « Pluriel », 1977, p. 38.

[28] Ibid., p. 130.

[29] Ibid., p. 297. Cf. Raymond Ruyer, Dieu des religions, Dieu de la science, Paris, Flammarion, 1970.

[30] Ibid., p. 57.

[31] Ibid., p. 58.

[32] Ibid., p. 296.

[33] Ibid., p. 293.

[34] Fritjof Capra, Le Tao de la physique, trad. Julien Duyvendak, Paris, Éd. Sand, nouvelle éd., 1985, p. 7.

[35] Fritjof Capra, in colloque, Science et conscience, Paris, Stock, 1980, p. 51.

[36] Fritjof Capra, Le Tao de la physique, p. 133 et 134.

[37] Ibid., p. 134.

[38] Ibid., p. 83.

[39] David Bohm et B. iley, « On the Intuitive Understanding of non locality as implied by Quantum Theory », Foundations of Physics, V (1975), p. 96, 102.

[40] Le Tao de la physique, p. 134.

[41] « Le Tao de la physique », p. 46.

[42] « Le Tao de la physique », p. 51.

[43] Sur ce schéma, cf. Le Tao de la physique, p. 149.

[44] Le Tao de la physique, p. 183. Comme on le voit, Capra ne recule pas devant la contradiction il emprunte autant à la définition de Boèce

[45] Le Tao de la physique, p. 229.

[46] Le Tao de la physique, p. 246.

[47] Fritjof Capra, Le Tao de la physique, p. 141.

[48] Ibid., p. 61 et 63.

[49] Ibid., p. 71.

[50] Ibid., p. 136 et 137.

[51] James A. Wheeler, in J. Mehra (éd.), La Conception de la Nature chez les physiciens, p. 244, cité par Fritjof Capra, Le tao de la physique, p. 144.

[52] Fritjof Capra et David Steindl-Rast, L’Univers aux frontières de la science et de la spiritualité, p. 107.

[53] Cf. les propos d’Alexandre Ganoczy, Dieu, l’homme, la nature. Théologie, mystique et sciences de la nature, coll. « Cogitatio fidei », Paris, Le Cerf, 1995, p. 107.

[54] Jean-Louis Schlegel, « La gnose ou le réenchantement du monde », Études, mars 1987, p. 397.

[55] Le Tao de la physique, p. 337.

[56] Richard D. Mattuck, in Colloque, Science et conscience, p. 77.

[57] Ibid., p. 88.

[58] Ibid., p. 78.

[59] Ibid., p. 213.

[60] Ibid., p. 116.

[61] Ibid., p. 117.

[62] Ibid., p. 119.

[63] Ibid., p. 120.

[64] Ibid., p. 14.

[65] Ervin Laszlo, Aux racines de l’univers. Vers l’unification de la connaissance scientifique, trad. Françoise Robert, coll. « Le temps des sciences », Paris, Fayard, 1992, p. 12.

[66] Ibid., p. 243.

[67] Ibid., p. 244.

[68] Ibid., p. 245-246.

[69] Ibid., p. 255.

[70] Ibid., p. 298.

[71] Bernard Werber, Les fourmis, Paris, Albin Michel, 1991, réédité Le Livre de poche, n° 9615, p. 53. Souligné en petites majuscules dans le texte

[72] Ibid., p. 158.

[73] Ibid., p. 240-241. C’est moi qui souligne.

[74] Ibid., p. 111. Et, inversement, les petits de l’araignée qui dévorent leur mère aussitôt nés, se voient infligés le jugement ironique suivant « On est comme ça chez les araignées, on ne sait pas dire merci ». (Ibid., p. 196)

[75] Ibid., p. 304.

[76] Le cosmos, in Œuvres de Charles De Koninck. Tome 1. Philosophie de la nature et des sciences, éd. Yves Larochelle, Laval, Presses de l’Université Laval, 2 vol., vol. 1, 2009, p. 106.

[77] Un bon anti poison est donné par Dominique Terre-Fornaciarri, dans Les sirènes de l’irrationnel (Paris, Albin Michel, 1991 ?)

[78] Jacques Vauthier, « Dieu et les théories scientifiques », Famille chrétienne n° 707, 1er août 1991, p. 54-55.

[79] Collectif, La vérité est-elle scientifique ?, sous la direction d’André Lichnerowitz, Paris, Éd. Universitaires, 1991.

[80] Cf. « L’expérience mystique et le vide », in Quatre essais sur l’esprit dans sa condition charnelle, Paris, p. 159-195. La fécondité de cette distinction apparaît dans les travaux de différents disciples de Maritain. Tout d’abord, un ouvrage synthétique L’expérience du Soi a) Mystique musulmane Louis Gardet, Expériences mystiques en terres non-chrétiennes, Paris, Alsatia, 1953. Louis Gardet et M. M. Anawati, Mystique musulmane. Aspects et tendances. Expériences et tehniques, Paris, Vrin, 1976. Louis Gardet, La mystique, coll. « Que sais-je ? » n° 694, Paris, PUF, 21981 ; b) Mystique indienne O. Lacombe, Chemins de l’Inde et philosophie chrétienne, Paris, Alsatia, 1956. Id., Indianité. Études historiques et comparatives sur la pensée indienne, Paris, Les Belles Lettres, 1979. Id., L’élan spirituel de l’hindouisme, Paris, O. E. I. L., 1986. c) Et, en philosophie, tous les travaux de Heinz R. Schmitz à qui Henri de Lubac rend hommage dans La postérité spirituelle de Joachim de Flore, tome 1, p. 218-225. À noter enfin que cette distinction est reprise par Michel Delahoutre, art. « Mystique », in Dictionnaire des Religions, sous la direction du cardinal Paul Poupard, Paris, PUF, 1984, p. 1164-1165 ; Paul Poupard, Les religions, coll. « Que sais-je ? » n° 9, Paris, PUF, 1987, prend p. 15-16 l’article de Delahoutre. Bien moins assuré est par contre l’article « Mysticisme », de A. Baudart dans l’Encyclopédie philosophique universelle. II. Les notions philosophiques. Dictionnaire, dir. Sylvain Auroux, Paris, PUF, 1990, p. 1711-1712.

[81] La Recherche, 20, n° 215, novembre 1989, p. 1410.

[82] Jean-Louis Schlegel, « La gnose ou le réenchangement du monde », Études, mars 1987, p. 392.

[83] Jean-Marc Lévy-Leblond, « L’horoscope et l’ordinateur l’activité irrationaliste de la science contemporaine », in L’esprit de sel. Science, Culture, Politique, coll. « Points Sciences », Paris, Seuil, 21984 (Paris, Fayard, 1981), p. 120 à 137, ici p. 136.

[84] Ibid., p. 132.

[85] Louis Bouyer, Cosmos, p. 262 et 263.

26.11.2021
 

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