Chapitre 4
La cosmologie grecque au ive siècle. Le premier système du monde
A) La méthodologie de l’astronomie grecque
1) Énoncé général
Le problème que Platon formalisera si clairement, déjà Pythagore se l’était posé : comment rendre compte de la spirale compliquée décrite par le Soleil chaque année – ce que l’astronomie appelle l’écliptique ? Et il avait répondu en la décomposant en deux mouvements circulaires et uniformes, l’un diurne et dirigé d’Orient en Occident autour de l’axe du Monde, le second annuel et dirigé d’Occident en Orient suivant l’écliptique. Le premier, Pythagore faisait de la science la méthode pour sauver les apparences, sôzéin ta phaïnoména. Ce que Pythagore a réalisé in actu exercito, Platon va le formuler in actu signato.
Dès lors, on trouve une sorte de principe méthodologique tant chez les Pythagoriciens que chez Platon, puis Eudoxe de Cnide, puis Aristote, et chez tous les astronomes : celui de la distinction entre l’observation et les lois qui rendent compte des faits observés. Autrement dit le plan des apparences (les phainoména) et les fondements (ou hypothèses). D’un côté, l’astronomie d’observation oblige à constater que chaque astre décrit une figure complexe ; mais les lois, elles, qui sont idéales, participent des vérités éternelles, ne peuvent qu’être simples. On comprend qu’une telle distinction entraîne avec elle toute une épistémologie, toute une théorie de la connaissance, notamment la découverte de l’universel.
Or, ces lois sont accessibles par la méthode mathématique, géométrique. C’est donc au mathématicien de répondre aux problèmes posés par l’astronomie.
Précisément, en quoi consistent ces lois ? Elles sont simples et consistent dans une combinaison de mouvements simples permettant de rendre compte des spirales compliquées présentes dans la réalité sensible.
En quoi consistent ces mouvements simples ? Pour Platon, ces mouvements doivent être circulaires, uniformes et réguliers. Dès lors, le problème qu’il pose aux mathématiciens est le suivant : « Quels sont les mouvements circulaires et parfaitement réguliers qu’il convient de prendre pour hypothèses, afin que l’on puisse sauver les apparences présentées par les astres errants [1]? » De même, à une époque qui peut être contemporaine de Platon, au sein de l’école pythagoricienne, Geminus demande aussi : « Comment peut-on sauver les apparences par le moyen de mouvements circulaires et uniformes [2]? »
Un texte encore plus clair de Geminus, rapporté par Simplicius éclaire très précisément le rôle de l’astronome par rapport au physicien : « Il appartient à la théorie physique d’examiner ce qui concerne l’essence du Ciel et des astres, leur puissance, leur qualité, leur génération et leur destruction ; et, par Zeus, elle a aussi le pouvoir de donner des démonstrations touchant la grandeur, la figure et l’ordre de ces corps. L’astronomie, au contraire, n’a aucune aptitude à parler de ces premières choses, mais ses démonstrations ont pour objet l’ordre des corps célestes, après qu’elle a déclaré que le Ciel est vraiment ordonné ». Et, plus précisément encore, l’astronome se demande pourquoi les astres errants ont des mouvements irréguliers ; il peut répondre en faisant appel à des épicycles ou des excentriques, l’essentiel est que « l’irrégularité apparente de leur marche est sauvée ». Et les apparences seraient également sauvées par ces deux hypothèses. Par conséquent, à l’astronome est dévolu le soin d’émettre des hypothèses pour sôzéin ta phaïnoména, mais « c’est du physicien qu’il tient ses principes, principes selon lesquels les mouvements des astres sont réguliers, uniformes et constants [3] ».
Soulignons l’importance du libellé mais aussi celle du présupposé : désormais, avec Platon, Pythagore et Aristote lui-même ne le remettra pas en question (même s’il cherchera à le fonder rationnellement et expérimentalement), tout mouvement céleste est réductible à un certain nombre de mouvements circulaires et uniformes. Il faudra attendre Képler pour que cette prémisse soit remise en question. L’Astronomie subira son hégémonie pendant presque deux millénaires.
2) Exposé pythagoricien
Comment Platon en est-il venu à distinguer ces deux plans ? La distinction est déjà présente chez les Pythagoriciens. Mais elle est systématisée par Platon. Voici comment Duhem en rend compte. La finalité est au fond plus noétique et métaphysique que directement astronomique.
Il y a comme trois degrés dans la connaissance chez Platon.
– Le premier degré est celui de la connaissance sensorielle (l’aisthésis). Or, les sens perçoivent ce qui naît et ce qui meurt, bref, ce qui change. Mais Platon a retenu la leçon de Parménide : le vrai est permanent, dure toujours. Ce degré de connaissance est donc inférieur. L’homme est appelé à le quitter.
– Le degré dernier de connaissance est celui de l’intelligence pure (la noésis). Or, le propre de l’intelligence est de contempler les espèces éternelles, c’est-à-dire les Idées, notamment l’Idée de Bien. En conséquence, ce degré ultime est aussi le plus parfait, suprême. C’est lui que tout être humain, être d’esprit est appelé à atteindre dans la contemplation.
– Le degré intermédiaire est constitué par une connaissance mixte, un raisonnement bâtard (logismos nothos), qui croise intelligence pure et connaissance sensible : c’est la connaissance géométrique. Cette connaissance énonce des propositions précises et permanentes, donc vraies. Surtout, sa finalité, sa fonction est de préparer l’esprit à la contemplation.
Or, à ce triple degré de connaissance correspond un triple degré de réalités et de science astronomique en particulier.
a) L’Astronomie d’observation
La perception sensible est la source de l’Astronomie d’observation. Selon cette astronomie, l’œil observe le cours des astres et ce chemin apparaît certes beau, mais complexe, voire chaotique. De prime abord, nulle intelligibilité n’y apparaît. En ce sens donc, cette Astronomie n’est pas l’Astronomie véritable, pas plus que les perceptions sensibles ne sont le réel dans toute sa densité et n’atteignent au vrai.
Cette Astronomie-là est-elle intéressante ? C’est ce que croit Glaucon interrogé par Socrate : « Une connaissance plus avertie de ce qui concerne saisons, mois, années, ne sied pas seulement à l’agriculture, pas seulement à la navigation, mais non moins à l’art militaire également ». Et Glaucon se fait vertement taper sur les doigts. Ah, l’ironie socratique ! « Tu es délicieux avec ton air d’avoir peur que la foule ne juge que tu lui prescris des objets d’étude qui ne servent à rien [4]! »
Mais le propos de Glaucon confond deux manières de regarder vers le haut ou vers le ciel : vers le ciel visible et vers le ciel invisible. Contre le grossier Glaucon, Platon distingue deux facultés de connaissance : « tu ne manques pas de hardiesse dans ta façon de prendre, à part toi, l’instruction relative aux choses d’en haut ! Tu risquerais, en effet, dût-on même, en contemplant du haut d’un toit, la tête en l’air, le décor de constellations dont le ciel est orné, acquérir à leur sujet quelque connaissance, de juger alors que c’est l’intellection, non pas plutôt la vision du corps, qui est l’instrument de cette contemplation ! […] je suis incapable d’admettre qu’il y ait d’autre étude faisant regarder l’âme en haut, sinon celle qui se rapporte au réel qu’est l’invisible [5] ». D’où la question de Glaucon : « Mais comment donc entendais-tu que l’astronomie dût être étudiée, à part des objets qui en constituent aujourd’hui l’étude, si l’on veut que cette étude soit utile au résultat dont nous parlons ? »
Socrate répond : « ce décor dont s’orne la voûte céleste, le considérer, puisque justement c’est un décor dont s’est orné du visible, comme tout ce qu’il y a de plus beau et de plus exact en ce genre ; mais aussi comme prodigieusement dépourvu de ce qui est le décor vrai, autrement dit des mouvements, dont la vitesse réelle et la réelle lenteur, et se meuvent mutuellement dans le nombre vrai avec toutes les vraies figures, et meuvent les choses qui y sont contenues ; choses qui sûrement sont saisissables par une pensée réfléchie, mais sûrement ne le sont pas par la vue [6] ». La réponse nous ouvre aux autres dimensions de l’astronomie. Mais arrêtons-nous à une autre erreur, encore plus grossière, celle qui consiste à croire le monde astronomique dénué de tout ordre. L’Hôte athénien du dialogue Les Lois parle du Soleil et de la Lune qu’il dit être de « grandes Divinités » : « Nous disons de ces Divinités, ainsi que de certaines autres avec elles, qu’elles ne suivent jamais la même route, et, pour cette raison, nous les appelons des astres errants, des «planètes» ». Et Clinias de renchérir : « Au cours de ma vie, c’est maintes fois en effet que personnellement j’ai vu l’Etoile du Matin et l’Etoile du Soir, et d’autres encore, ne garder jamais un parcours identique, mais avoir une marche véritablement errante », par opposition à la marche régulière du Soleil et de la Lune [7].
b) L’Astronomie géométrique.
La Géométrie a pour objet des figures stables, précises, décrit des relations invariables. C’est ainsi qu’elle peut démontrer que la composition de mouvements simples peut rendre compte d’un mouvement complexe, voire chaotique, un mouvement aux apparences compliquées et variables. Socrate propose une analogie : « Le cas est le même que si l’on venait à tomber sur des figures géométriques supérieurement dessinées, avec le fini le plus parfait, par Dédale, ou par tout autre sculpteur ou peintre ; en voyant de telles figures, quelqu’un d’expert en géométrie jugerait en effet, je pense, que si, pour l’exécution, elles sont les plus belles du monde, ce serait certainement ridicule de les examiner avec sérieux dans l’espoir d’y surprendre la vérité concernant l’égal, ou le double, ou tout autre rapport ». Autrement dit, autres sont les figures visibles, complexes, labyrinthiques, autres les lois géométriques élémentaires qui ont présidé à la composition ; or, les premières sont visibles et manifestes, les secondes invisibles et cachées. Appliquons cette distinction à l’astronomie : « Dès lors, […] la plus belle constitution qu’il fût possible de donner à de tels ouvrages, c’est celle-là même qu’a donnée l’Ouvrier du ciel [le Démiurge] au ciel lui-même et à ce qu’il enferme ? » Et de donner un exemple :
« Quant au rapport de la nuit au jour, de ceux-ci au mois, du mois à l’année, ou des autres astres par rapport à ces divisions du temps, aussi bien que des uns par rapport aux autres, ne jugera-t-il pas absurde, à ton avis, celui qui estime que cela toujours se produit semblablement et qu’il n’y a là aucune différence d’aucune sorte, alors qu’il s’agit de choses corporelles et visibles ? absurde de faire tous ces efforts pour saisir là-dedans la vérité [8] ? »
Et voilà ce que répond l’Athénien à la critique de Clinias et de Mégille à l’égard des astres errants : « chacun d’eux parcourt en effet la même route, et, non pas plusieurs, mais en cercle une seule toujours, tandis qu’en apparence multiple est sa trajectoire ; d’autre part, celui de ces astres dont le mouvement est le plus rapide est celui qui inversement est considéré à tort, comme le plus lent, et celui qui est le plus lent comme au contraire le plus rapide ». Et de nous offrir une analogie :
« Mais, si telle est la vraie nature des choses et que nous en jugions différemment, c’est comme si nous comprenions les choses de cette même façon dans le cas, aux Jeux Olympiques, d’une course de chevaux ou bien d’une compétition entre des hommes engagés pour la longue course ; que nous proclamions le plus lent celui qui est le plus rapide, celui qui est le plus lent et que, composant des poèmes d’hommage, nous chantions la victoire de ce lui qui a eu le dessous, alors nos hommages ne seraient, ni correctement ajustés à leur objet, ni de façon à plaire aux coureurs, à eux qui sont des hommes ! Or, puisque, dans le cas dont il s’agit maintenant, c’est à l’égard précisément de Divinités que nous commettons cette même faute, ne pensons-nous pas que ce qui, dans la première circonstance, était une risible incorrection, deviendrait, à l’heure actuelle et dans cette circonstance, quelque chose de pas du tout risible, qui ne serait pas non plus cher aux Dieux, étant de notre part une déclaration mensongère dans les hymnes que nous leur adressions [9] ? »
c) L’Astronomie véritable
Se fondant sur la Géométrie, elle peut rendre compte des expériences, des constatations faites par l’Astronomie d’observation. En effet, préparée par l’étude des réalités permanentes, les entités mathématiques, qui font l’objet de la géométrie, cette Astronomie participe du Logos divin. Plus encore, dans la beauté, la stabilité des mouvements célestes, l’intelligence discerne la présence d’esprits divins, de substances séparées, dira Aristote, qui sont unis aux corps des astres. Les lois de l’Astronomie enseignent comment les dieux désirent être honorés. Désormais, « l’Astronomie géométrique aboutit à la Théologie [10] ».
d) Applications plus précises
Nous le comprenons donc, même si l’Astronomie n’apparaît qu’à titre didactique et pédagogique, l’Astronomie est, dans son essence, géométrique : elle découvre les combinaisons cinématiques simples qui rendent compte des entrelacs effroyablement compliqués de l’observation sensible.
Précisément, la fixité-même des lois décrivant le mouvement des astres montre que ces astres sont animés par des intelligences ? C’est ce que détaille le dialogue Epinomide (Epinomis) que Duhem prend pour authentique, mais dont l’attribution est discutée. Or, ce dialogue parle clairement des huit puissances ou esprit divins qui président aux différents astres : Soleil, Lune, les cinq planètes et les étoiles fixes. Nous retrouverons cette doctrine chez Aristote, en plus précise et plus argumentée.
3) Précisions apportées par Platon
Ces principes probablement d’origine pythagoricienne subissent deux restrictions chez Platon, restrictions qui ne sont pas dictées par le besoin de sauver les apparences.
Tout d’abord, les mouvements circulaires doivent avoir le même centre et ce centre est la Terre. Second présupposé : la Terre doit être immobile. Ce qui signifie que la Terre ne doit pas être soumise à une rotation sur elle-même.
À ces deux restrictions, il faut joindre une addition : il faut que les phénomènes soient exposés par des images qui parlent aux yeux. Platon ne voulait donc pas que l’on rende compte du cours apparent des astres par des cercles idéaux, donc inexistants hors la raison du géomètre, il voulait que l’on puisse représenter les mouvement des corps célestes par des rotations de solides concrets, emboîtés les uns dans les autres.
La conjonction de ces trois notes fonde le système que l’on appellera désormais des sphères homocentriques. Désormais, le problème astronomique se pose de la manière suivante :
« emboîter les uns dans le autres plusieurs globes sphériques concentriques ; animer chacun d’eux d’une rotation uniforme autour d’un axe convenablement choisi ; supposer que le mouvement de l’orbe intérieur se compose avec les mouvements de ceux qui l’entourent ; combiner enfin ces mouvement de telle sorte que la marche résultante d’un astre fixé à l’orbe le lus voisin du centre représente le mouvement apparent de la planète observée [11] ».
B) La première réponse. La cosmologie d’Eudoxe
On se souvient du problème posé par Platon : il demandait d’adapter les lois mathématiques aux phénomènes observés. « Le premier des Grecs qui tenta la solution du problème posé par Platon fut Eudoxe de Cnide [12] ».
Eudoxe est né à Cnide vers 408 et mourut en 355, sans doute à Athènes. Il ne fut pas seulement un génial astronome, il fut aussi géomètre, médecin et philosophe. Il bénéficia de différentes influences et formations : celle d’Archytas de Tarente en géométrie, celle de Platon en philosophie, et, en astronomie, celle des prêtres d’Héliopolis et de Memphis, lorsqu’il passa en Égypte, durant 16 mois. Sans entrer dans le détail de sa doctrine qui a bénéficié de différentes études précises, allons aux lignes essentielles de son système, tel qu’il est exposé par Pierre Duhem. Ils sont importants, parce qu’ils commandent la manière de concevoir de bien des Grecs, à commencer par Aristote.
Comme toujours, distinguons le plan de la réalité et le plan des apparences.
1) Le plan du mouvement réel
Les étoiles fixes sont toutes serties en un corps solide que l’on nomme orbe ou sphère. Ce corps est une couche sphérique (un disque de dimension 3 ou un tore qui aurait la surface d’une sphère) comprise entre deux surfaces sphériques concentriques à la Terre. Cet orbe est animé d’un mouvement : il tourne d’Orient en Occident, avec une vitesse uniforme, autour d’un axe qui est l’axe du Monde et dont les pôles sont les pôles du Monde. La révolution dure un jour sidéral ou solaire.
On distinguera les étoiles inerrantes, car fixes aux sept astres errants. La sphère des étoiles fixes que l’on appelle l’inerrante effectue donc sa rotation en à peu près un jour.
2) Le plan des apparences
Pour représenter le mouvement, donc le mécanisme des astres errants, il faut combiner plusieurs mouvements simples et indépendants. Or, une orbe répond à un mouvement. Il faudra donc plusieurs orbes solides pour rendre compte de ce mouvement. Quelles en sont les caractéristiques ?
– Chaque orbe solide a pour centre le centre de la Terre et est contigu à une autre.
– L’astre errant est logé dans l’épaisseur de la dernière sphère, c’est-à-dire de celle qui est à l’intérieur des autres et dont le centre est sur l’équateur de cette sphère.
– Les autres sphères ne portent aucun astre. a) La première sphère, celle qui est le plus extérieure à toutes les autres tourne avec une vitesse uniforme et dans un certain sens autour d’un certain axe qui passe par le centre du Monde. b) La seconde sphère participe exactement à ce mouvement uniforme de la première sphère mais se compose avec un second mouvement de rotation uniforme dont l’axe, le sens et la vitesse sont propres à cette seconde sphère. c) Il en est de même avec les sphères suivantes jusqu’à la dernière sphère, l’orbe la plus intérieure, dont il a été parlé et qui porte l’astre errant.
Par conséquent, le mouvement apparent de l’astre, tel qu’il est observé, est la résultante des mouvements particuliers des différentes orbes.
Selon l’astre, le géomètre-astronome varie le nombre d’orbes et la rotation jusqu’à ce qu’il puisse rendre compte de manière satisfaisante des mouvements apparents. Précisément, Eudoxe donne les caractéristiques suivantes à ses orbes :
– La première sphère tourne uniformément d’Orient en Occident, autour de l’axe du Monde. Ainsi, tous les astres errants prennent part à la rotation diurne qui affecte tous les corps célestes.
* La seconde sphère tourne uniformément en sens inverse, d’Occident en Orient autour d’un axe lui aussi différent, normal à l’écliptique. De même, enfin, la durée de la révolution diffère selon les astres errants. Pour la Lune, la durée est d’un peu moins d’un mois, pour le Soleil, d’un an, pour les cinq planètes, elle correspond au temps mis pour parcourir tout le cercle écliptique (la durée de révolution zodiacale). À noter que les durées qu’Eudoxe a à sa disposition pour les planètes est proche de la réalité : Vénus et Mercure : 1 an ; Mars : 2 ans ; Jupiter : 11 ans (12 ans pour les modernes) ; Saturne : 30 ans (et 29 ans pour les modernes).
3) Application aux sept astres errants
Pour rendre compte du mouvement de la Lune, Eudoxe introduit trois orbes. L’orbe extérieur reproduit la circulation diurne uniforme des étoiles fixes et l’orbe intérieur qui, par principe et définition, porte la Lune, tourne plus lentement et en sens inverse, selon un axe légèrement incliné. Mais comme les éclipses se produisent à des endroits différents, les points d’intersections de l’orbite lunaire (c’est-à-dire les nœuds) se déplacent constamment, de sorte qu’une troisième orbe est nécessaire pour rendre compte de ces déplacements : cette orbe se meut très lentement autour du même axe et dans le même sens que l’orbe extérieur.
Eudoxe procède de la même manière pour expliquer le mouvement du Soleil et des planètes [13].
4) Conclusion
Quel fut l’apport original d’Eudoxe à Platon ? Ce qu’Eudoxe ajoute à la cosmologie platonicienne, c’est les sphères nouvelles. Pour Platon, il n’y avait que deux orbes : le mouvement diurne uniforme d’Est en Ouest autour de l’axe du Monde et le mouvement uniforme d’Ouest en Est suivant l’écliptique. Or, ce schéma était trop simpliste pour rendre compte du réel, pour sauver les apparences. Grâce aux sphères nouvelles, certains mouvements apparents sont mieux sauvés.
[1] Simplicius, In Aristotelis libros de Cœlo commentaria, L. II, ch. 12, Éd. S. Karten, Trèves, 1865, p. 219a et 221 a ; Éd. Heiberg, Berlin, 1894, p. 488 et 493.
[2] Gemini, Isagoge in Phænomena Arati, ch. 1, Petavii, Uranologia, Éd. 1630, p. 3.
[3] Cité par Simplicius, In Aristotelis physicorum libros quatuor priores commentaria, Éd. Diels, Berlin, 1882, p. 291-292, cité par Pierre Duhem, sôzéin ta phaïnoména. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée, Paris, Rivière, 1908, p. 9s.
[4] La République, L. VII, 527 c, in Œuvres complètes, tome 1, p. 1120.
[5] Ibid., 529 a et b, p. 1122.
[6] Ibid., 529 c et d, p. 1122 et 1123.
[7] Les Lois, L. VII, 821 b et c, tome 2, p. 912 et 913.
[8] La République, 529 d-530 b, p. 1123.
[9] Les Lois, L. VII, 822 a-c, p. 914.
[10] Pierre Duhem, Le Système du monde, ch. 2, XIII.
[11] Pierre Duhem, Le Système du monde, p. 106.
[12] Simplicius, In Aristotelis libros de Cœlo commentaria, L. II, ch. 12, Éd. S. Karten, Trèves, 1865, p. 219a ; Berlin, Éd. Heiberg, 1894, p. 488.
[13] Pierre Duhem, Le Système du monde, p. 119 à 123.