Jacky Schwartzmann et Sylvain Vallée (scénario et dialogues), Sylvain Vallée (dessin) et Elvire de Cock (couleurs), Habemus Bastard. Tome 1. L’être nécessaire. Tome 2. Un cœur sous une soutane, Paris et al., Dargaud, 2024.
Histoire
- Un homme de main n’a pas droit à l’erreur. Lucien le sait, son patron ne lui pardonnera pas. Il aurait pu faire n’importe quoi pour sauver sa peau : prendre un avion pour l’étranger et tenter de se faire oublier, s’engager dans la Légion ou même changer de tête. Mais il a trouvé mieux : une soutane.
- Lucien a pris ses marques et a fini par endosser pleinement son rôle de nouveau curé de Saint-Claude. Son petit business est fructueux et la soutane lui apporte de nombreux avantages en nature. Mais son passé commence à le rattraper… Gendarmes, gitans, gangsters et paroissiens, ils en ont tous après lui et la réunion finale s’annonce explosive !
Thèmes
Dieu-amour
Sous-thèmes
Sacerdoce, Église préconciliaire
Cote
* * (moyen)
Public
Adolescents et adultes
Commentaire
Cette bande dessinée qui se veut comique autant que sympathique atteste d’abord le paradoxe amoureux que Pascal Bruckner décrit depuis maintenant presque un demi-siècle. Paradoxe qui explique pourquoi l’histoire – autant que le dessin, dans sa provocation (il suffit de regarder la couverture du deuxième tome) et sa suggestion, non dans sa monstration qui est relativement discrète – suscite attachement autant qu’agacement.
Attachement, parce que les auteurs ont bien retenu le cœur du message évangélique : le primat de la miséricorde divine ; la centralité d’un amour qui est pardon sans condition, compassion sans retard et solidarité sans frontière. Traduction dans les homélies du prêtre : « Dieu vous a donné son Fils. L’accueil a pas été génial génial… Entre nous, vous l’avez refroidi quoi… Ça, c’est mal. Et pourtant, il est avec vous » (1, p. 32) ! Ce qui n’empêche pas le bastard de se risquer à des envolées métaphysiques pas si mal intégrées (cf. 1, p. 48) : « Qui êtes-vous ?! Des êtres contingents, c’est-à-dire des êtres qui pourraient ne pas exister, le monde ne s’en porterait pas plus mal. Un être nécessaire : Lui. Des êtres contingents : vous. Nous, l’humanité » (2, p. 57).
Mais agacement parce que cette charité devient la seule vérité et l’Évangile la tolérance soixante-huitarde telle que le même Bruckner nous l’explique. Alors, le paradoxe de l’amour devient celui de la liberté et l’autodétermination totale une indétermination tout aussi absolue. Et ici, la traduction sacerdotale ne se réduit plus à des mots, mais s’incarne dans des actes incompatibles avec la charité qui, loin d’abolir la loi, l’accomplit : sans entrer dans le détail, toute la deuxième table des dix commandements y passe, je dis bien toute.
Bien entendu, cette histoire est absurde et impossible. Il faut prendre les paroissiens pour des demeurés pour croire qu’ils accepteraient un prêtre qui, ni à la messe ni en confession, ne prononce les paroles sacramentelles et qui, lors du baptême, les découple du geste d’immersion (tome 2, p. 14). Mais l’erreur kolossaale des scénaristes a le mérite de révéler – et tel est, selon moi, le seul intérêt de cette BD inutile – combien les préjugés ont la vie dure. En clair, l’image de ce clerc en soutane, hors monde et hors corps, est celle de l’Église préconciliaire ou plutôt anti-moderne, avec tous ses clichés : ascétique plus que mystique, autorité plus que vérité, continence plus que chasteté. Et de nommer la tentation qu’incarne un Luc Ferry et tant d’autres apôtres aujourd’hui : prêcher l’amour comme valeur versus l’Amour comme Personne.
Pascal Ide