Grâce créée et Grâce incréée. La controverse de Scheeben et Granderath sur la filiation divine 1/2

1) Analyse

La question importante et délicate des relations entre la Grâce créée (don de l’Esprit infusé en nos âmes) et Grâce incréée (c’est-à-dire l’Esprit-Saint lui-même) peut être abordée à partir de la controverse entre Scheeben et Granderath sur la cause formelle de notre filiation divine. Cette polémique s’étend sur un peu plus de trois ans et a donné lieu à quatre volumineux articles de la part des deux protagonistes, le grand théologien allemand Matthias Josef Scheeben (1835-1888) et son compatriote jésuite Theodor Granderath (1839-1902) [1]. L’on peut individualiser un enjeu (et débat) principal et deux autres, seconds, sans être secondaires.

Je m’aiderai du résumé clair et rigoureux qu’en donne Luc-Thomas Somme, dans sa thèse sur la filiation divine par adoption dans la théologie de saint Thomas d’Aquin [2], pour pointer le cœur des querelles autour de la grâce divine [3].

a) Le débat principal (sur la causalité formelle de la justification)

L’occasion de la disputatio réside dans l’affirmation de Scheeben dans sa Dogmatique, selon laquelle la filiation divine par adoption consiste formellement non seulement dans la grâce sanctifiante, mais aussi dans l’inhabitation du Saint-Esprit [4] ; là contre, Granderath affirme que l’unique cause formelle de la justification, donc de la filiation, s’identifie à la justice inhérente, c’est-à-dire au don de la grâce sanctifiante [5]. Autrement dit, les deux postures en présence se distinguent en ce que Scheeben adjoint à la grâce créée, la grâce incréée : la grâce comme informans animam et uniens Spiritum sanctum cum anima et la personne du Saint-Esprit, comme inhabitans et unitus per gratiam sont chacune cause formelle adéquate de l’état de grâce. Ajoutons deux précisions, concernant, l’une le contenu, l’autre la méthode.

D’abord, les articles traitent d’un autre sujet, à savoir le mérite de condigno ; donc, la question de la filiation divine (ou plutôt de la justification qui en est la source), pour être centrale, n’est pas l’unique. Précisons aussi que jamais le débat ne porte sur la surnaturalisation de l’agir. Les deux théologiens sont bien évidemment d’accord sur le fait que, par la vertu divine, appropriée à l’Esprit, les actes des vertus théologales donnent accès intentionnellement et immédiatement à Dieu aimé et connu en substance et en personne ; autrement dit, par la foi et la charité, la personne justifiée est habitée par les Personnes divines en tant qu’elles se donnent à connaître et à aimer. Le débat concerne, en amont, la surnaturalisation de l’être, donc l’essence même de la grâce.

Ensuite, une grande partie des argumentations se fonde sur l’exégèse de la doctrine du concile de Trente relative à la justification. En effet, selon Granderath, l’affirmation conciliaire égalise formellement la justification et la justice inhérente, c’est-à-dire l’habitus infus de la grâce. Par conséquent, les développements concernent plus la théologie positive (l’herméneutique de la doctrine magistérielle) que la théologie systématique, doctrinale.

b) Quelques arguments

Entrer dans le détail des argumentations de Granderath et Scheeben est épuisant et peu éclairant. Renvoyons à la patiente analyse opérée par Luc-Thomas Somme. Notons quelques arguments dans ce débat qui est plus dialoguant qu’il n’y paraît, même s’il s’achève sur une impasse : dans la mesure du possible, les théologiens en présence prennent en compte les arguments de l’autre. En ce sens, il adopte souvent la forme d’une quaestio disputata à deux voix, même si, répétons-le, le cloisonnement des formae mentis interdit une véritable rencontre. C’est dire si, même formés à la même école, des théologiens peuvent se côtoyer plus que dialoguer. Cela invite à atténuer les regrets actuels sur la disparition d’une langue commune.

  1. Lessius, que Granderath condamne, distingue deux aspects dans la cause formelle de la filiation divine : la grâce habituelle qui est cause formelle in recto, et le Saint-Esprit seulement in obliquo [6]. Or, le jésuite assimile la position de Scheeben à celle de Lessius.
  2. Se défendant d’adopter la même thèse que Lessius, Scheeben affirme bien que la filiation adoptive est formellement constituée par la grâce sanctifiante, non par la présence du Saint-Esprit ; l’inhabitation divine vient parachever cette filiation, elle est principe d’achèvement de la grâce d’inhabitation [7]. Donc, il ne fait aucun doute que, pour nos auteurs, la cause formelle soit constituée par l’habitus créé de la grâce.

III. Granderath répond en analysant non plus les articles, mais la Dogmatique de Scheeben. Selon celle-ci, la rénovation, la filiation adoptive est, certes, procurée par la grâce créée, mais est principalement constituée par la présence du Saint-Esprit, donc par la grâce incréée : c’est elle qui constitue la relation complète de filiation par adoption [8].

  1. Scheeben répond en ne lâchant ni la grâce comme cause formelle, ni l’importance de l’inhabitation du Saint-Esprit. Pour cela, il fait appel à une distinction nouvelle : le concept de filiation divine par adoption se réalise soit comme forme élémentaire, soit comme forme plénière. Or, comme forme élémentaire, la grâce suffit ; mais, comme forme plénière, l’inhabitation divine est l’élément non seulement nécessaire et non pas contingent, mais l’élément le plus élevé et le plus noble. Derrière cette distinction un peu abstraite, juxtaposée ou statique, de la forme élémentaire et de la forme plénière, il y a un principe dynamique : la filiation ou l’adoption filiale est une participation à la filiation du Fils par nature ; or, une participation se réalise par degrés et se rapproche du maximum qui est le participé ; donc, la grâce créée constitue le degré de base de la filiation adoptive, mais seule l’inhabitation en constitue le degré supérieur et accompli [9].

Ainsi, Scheeben refuse de réduire la grâce incréée à la seule cause efficiente, au nom de l’authentique doctrine de l’Écriture et des Pères. En effet, celle-là et ceux-ci parlent de l’Esprit non seulement comme d’une onction, c’est-à-dire d’une action et d’une cause efficiente, mais d’un sceau et d’une semence spirituelle, c’est-à-dire d’une cause formelle [10]. Traduisons le plus littéralement possible : « la grâce de l’Esprit-Saint, que nous avons au présent, bien qu’elle ne soit pas égale à la gloire en acte, est cependant égale en vertu, comme la semence de l’arbre, dans laquelle il y a la vertu de tout l’arbre. Semblablement, l’Esprit Saint inhabite l’homme par la grâce – l’Esprit étant cause suffisante de la vie éternelle dont il est dit “les arrhes de notre héritage” (2 Co 1,22). [11] ».

Notons en passant que, pour l’exégèse tridentine, Scheeben reproche à Granderath d’interpréter faussement les textes du Concile tridentin. En effet, un principe d’herméneutique affirme qu’un texte doit être jugé à partir de l’intention présidant à l’élaboration du texte ; or, le traité de la justification vise la réfutation des thèses protestantes relatives à la justification ; or, celles-ci récusent la réalité inhérente de la rénovation opérée par la grâce ; donc, le Concile de Trente traite de la justification réellement opérée par la présence de la grâce sanctifiante ; en revanche, il ne dit rien de son principe d’achèvement qu’est l’inhabitation du Saint-Esprit [12].

VII. En fait, Granderath ne répond que dans son quatrième et dernier article à cette nouvelle formulation de Scheeben relative à la différence entre forme élémentaire et forme plénière de la filiation divine [13]. Et il maintient, ne varietur, que la grâce créée est l’unique cause formelle de la justification, y compris sous sa forme plénière [14]. Le jésuite estime aussi que les textes des Pères grecs – en particulier saint Cyrille d’Alexandrie – in- et convoqués par Scheeben semblent accréditer ses thèses, mais matériellement ; en leur sens rigoureux, le Saint-Esprit exerce une causalité efficiente ou exemplaire (c’est-à-dire formelle extrinsèque), jamais formelle intrinsèque [15].

VIII. Scheeben tente de répondre à Granderath, ce qui l’oblige à préciser une ultime fois sa conception de la causalité formelle exercée par le Saint-Esprit et le conduit à des précisions nouvelles, preuve que le débat est fécond. Pour cela, il propose une analogie : l’être surnaturel du fils adoptif de Dieu doit se comprendre à l’image de l’union hypostatique. En toute analogie, il y a du commun et du différent. Or, la substance humaine est unie à la substance supérieure en laquelle elle subsiste, à savoir le Saint-Esprit ou grâce incréée. Toutefois la personne du justifié demeure et n’est donc pas effacée par la subsistence dans l’Esprit. On pourrait aussi dire que l’Esprit-Saint exerce sur la personne justifiée une causalité analogue à celle de l’âme sur un corps ou de la forme sur une matière : le partim non diversae est l’action formelle intrinsèque qui est exercée ; le partim diversae tient à ce que l’Esprit n’est pas une forma inhaerens inhaerendo informans, mais est une forma subsistens insubsistendo informans [16].

Même si Granderath n’écrira pas de cinquième article, il suffit de revenir à ce qu’il disait dans le quatrième pour savoir qu’il s’opposera formellement à ce qu’une personne (le Saint-Esprit) soit la cause formelle de la personne du juste : Dieu et l’homme ne peuvent composer ensemble un même être substantiel, personnel sans sombrer dans le panthéisme ou la dissolution de l’être personnel de l’homme [17].

c) Le débat second autour de la génération surnaturelle

Pour êtres seconds, les deux autres débats ne sont pas secondaires, mais signifiants. Le premier est seul développé dans les deux articles que je n’ai pas encore mobilisés, même s’il est ébauché dans un autre. Il concerne l’herméneutique de l’acte divin de génération conduisant à la filiation, autrement dit sur la justification elle-même, mais, en amont, sur sa source. Le dilemme, sans étonnement, est le suivant : cette génération se réduit-elle à la seule similitude créée de l’engendrant divin dans l’engendré humain (Granderath) ou bien englobe-t-elle aussi la communication de la substance du Père, qui est aussi engendrée dans le fils adoptif (Scheeben) ?

  1. Déjà, dans son premier article, Scheeben avait critiqué la conception trop étroite que Granderath se faisait de la filiation adoptive. En effet, pour celui-ci, elle réside en son essence dans la seule justice créée inhérente. Mais, pour celui-là, elle englobe trois réalités. En effet, la filiation est une relation ; or, la relation implique deux corrélatifs et un fondement ; précisément, et Scheeben suit la lettre de Thomas, la filiation inclut l’unité substantielle du père avec le fils, l’immanence du père dans le fils et l’accomplissement de l’image ; donc, loin de se réduire à la seule image, la filiation consiste en une présence de l’origine. Scheeben en trouve un fondement dans l’Écriture. En effet, la doctrine traditionnelle sur la grâce sanctifiante ou divinisante se fonde sur 2 P 1,4, selon lequel l’homme « participe à la nature divine » ; or, le terme de participation, « consortium », est construit sur le grec koinonia ; or, dans les passages clés de 1 Jn 1,3 et Jn 17,21, le même mot koinonia désigne autant l’unité entre le Père et son Fils Jésus-Christ, que l’unité qui doit régner entre les disciples du Christ ; donc, la grâce qui sanctifie, qui divinise, n’est pas seulement une participatio per similitudinem, mais une participatio per unionem, autrement dit, l’inhabitation de l’Esprit dans l’âme [18]. Enfin, Scheeben affirme que la grâce introduit un lien substantiel, c’est-à-dire un lien interpersonnel entre la personne humaine et Dieu, non pas en sa nature (qui est seulement principium quod), mais en la Personne du Père (qui est principium quo) nous adoptant comme fils ; or, il doit y avoir proportion entre les corrélatifs ; donc, à la Personne du Père doit correspondre en nous non pas seulement un être accidentel, mais un être aussi personnel, en l’occurrence, l’inhabitation de l’Esprit, donc la grâce incréée.
  2. Granderath s’attaque spécifiquement à l’interprétation que donne Scheeben de la filiation dans son troisième article. Sans étonnement, il la réduit à son effet qui est la similitude dans l’âme. En effet, dit-il, la filiation est le corrélatif de la génération. Or, celle-ci non seulement se fonde sur la similitude de l’engendré (le fils) et de l’engendrant (le père), mais elle la cause : « Il est de la notion du générateur qu’il engendre [quelque chose] qui lui est semblable selon la forme [De ratione generantis est, quod generat sibi simile secundum formam] [19]». Donc, la filiation réside dans la réception de la nature commune au père et au fils (la nature humain) dans le fils. Cette définition vaut analogiquement pour la génération éternelle du Fils unique du Père : celui-ci communique la nature divine qui est donc commune aux deux Personnes divines. Elle vaut aussi analogiquement pour la filiation divine par adoption : le Père sauve l’homme en lui communiquant sa nature divine, et c’est en lui donnant cette nature qu’il l’engendre comme fils adoptif ; ainsi, l’essence de la filiation réside bien dans la grâce créée qui est infusée dans l’homme justifié [20].

Granderath répond aussi à l’argumentation de Scheeben sur la triple unité et donc sur la nature substantielle de la grâce. Pour que l’homme devienne fils, il doit être rendu conforme au Fils, donc recevoir la forme participée ; or, cette forme peut être accidentelle autant que substantielle. De fait, le sujet qu’est l’homme est subsistant ; il ne peut donc que recevoir une forme accidentelle ; aussi, la grâce créée suffit-elle [21].

Enfin, Granderath souligne deux obscurités dans la pensée de Scheeben : la Personne divine, qui est corrélative de la personne du Père et fonde formellement notre filiation divine, semble être parfois le Saint-Esprit, parfois le Fils ; d’ailleurs, le terme de la relation est tantôt le Père, tantôt les deux autres Hypostases divines qui, de fait, nous engendrent spirituellement [22].

  1. Scheeben répond en détail à la conception que Granderath se fait de la génération comme fondement de la filiation (et de l’adoption).

Primo, la génération comporte deux aspects : son effet assimilateur, à savoir la production de la similitude créée dans l’engendré ; le processus de communication au fils de la substance paternelle. Par exemple, les Pères grecs, dans leur lutte contre l’arianisme, ont souligné que cette communication du Père se réalisait non seulement dans la génération éternelle du Verbe, mais même dans l’engendrement spirituel des fils adoptifs [23]. Or, Granderath subordonne totalement le second aspect au premier.

Secundo, Scheeben considère maintenant l’effet de la communication de sa nature par le père, autrement dit la manière dont le principe formel de vie provenant du père est reçu dans le fils. Ce point particulièrement intéressant nous rapproche au plus près de ce que nous appellerons plus bas loi de symbolisation. Scheeben distingue aussi deux aspects dans cette présence : d’une part, il y a la production de cette nature nouvelle dans celui qui reçoit ; d’autre part, il y a l’union substantielle de celui qui donne avec celui qui reçoit, qui est une pure communication, immédiate, sans production. Cette distinction est d’ailleurs suffisamment importante pour que la scolastique lui ait accordé une terminologie technique, distinguant la productio naturae et la communicatio substantiae. De fait, dans la génération naturelle, le principe formel de l’union substantielle qui est la semence paternelle, ne contient la similitude que virtuellement, inchoativement ; or, celui qui reçoit, lui, possède le principe formel de la similitude, grâce à l’âme (anima spiritualis) qui actualise le semen materiale ; donc, les deux principes ne se confondent pas. Ce que la science biologique nous apprend de la différence entre génotype et phénotype ne fait que confirmer ces données anticomédiévales. Dans la génération surnaturelle, si unique est le principe séminal (ici semen spirituale) et le principe actualisateur (ici spiritus vivificans), à savoir l’Esprit, en revanche, double demeure l’effet de l’unique principe spirituel : l’union substantielle avec le Père et la similitude substantielle avec Dieu [24].

Tertio, Scheeben envisage la finalité qu’est la filiation (adoptive), revenant à des notions plus connues. 1. En son essence, cette filiation n’est pas seulement la similitude créée chez le fils, mais, plus pleinement (nous retrouvons la distinction entre élémentaire et plénier), l’union de la substance du fils avec le père [25]. 2. Relevons aussi un fin discernement de notre théologien. Granderath ne peut ainsi minimiser la grâce incréée jusqu’à l’annuler que parce qu’il injecte dans la grâce créée plus que ce qu’elle contient : il voit en elle non seulement la source des opérations vitales (la cause efficiente des actes théologaux), mais la similitude quasi-parfaite du Père, donc, l’immanentisation de l’union substantielle (effaçant d’autant la différence entre cause formelle extrinsèque et cause formelle intrinsèque). En effet, Scheeben a beau jeu de réintroduire le hiatus : la grâce créée n’est pas la substance même de Dieu, elle n’en est que la participation (selon le mot de 2 P 1,4, implicitement cité) [26]. Le théologien jésuite a d’autant moins besoin d’accorder à la source incréée qu’il affirme que la source créée a hérité de ses qualités. Nous retrouvons ici la différence caractéristique des pensées platonicienne et aristotélicienne : celle-là accorde plus à la cause première et celle-ci à la cause seconde ; mais nous retrouvons aussi leur risque propre : minimiser l’autonomie de la créature et oublier l’influx du Créateur. 3. Pour finir, Granderath oppose sans cesse une double union de Dieu : comme nature et comme personne. Or, Scheeben fait remarquer que l’on doit conjuguer intimement les deux unions : la personne humaine ne communie à la nature divine, n’en devient participante, que par la médiation de la Personne divine qui lui est identique. C’est par la communion interpersonnelle que se donne la nature. En termes techniques, si la nature est principium quod, la personne est principium quo [27].

Quarto, Scheeben répond à l’objection répétée de Granderath selon laquelle une personne ne peut être cause formelle d’une autre personne. Il distingue entre la présence substantielle, personnalisante de la Personne divine, et une présence d’union (qui n’est pas spécifiée, nommée) par laquelle la personne se communique, ici élève l’homme à qui elle est unie à la vie surnaturelle. Or, dans la première espèce de présence, comme dans l’union hypostatique, la personne humaine perdrait son principe de subsistence ; mais la seconde espèce de présence n’affecte pas l’identité personnelle du bénéficiaire [28].

VII. Dans son quatrième article, il ne semble pas que Granderath réponde à ces données nouvelles de Scheeben – du moins dans le résumé qu’en donne Luc-Thomas Somme.

d) Le débat second autour de la gloire

Le deuxième débat concerne non plus la source de la grâce (la génération), mais son terme et sa finalité, qui est la vie éternelle. Or, selon la doctrine classique, la grâce est gloria inchoata, comme la gloire est gratia consumata. La question posée est alors celle-ci : l’ordination à la gloire est-elle dûe à la seule grâce sanctifiante, donc créée, ou aussi à l’inhabitation du Saint-Esprit, c’est-à-dire à la grâce incréée ? Faut-il le préciser ?, Granderath choisit le premier membre de l’alternative [29] et Scheeben le second [30]. Pour ordonner à la gloire, la présence de cette participation à la nature divine suffit selon le jésuite, alors que le Saint-Esprit doit concourir, au titre de la cause première, avec la grâce habituelle comme cause seconde, selon le diocésain.

Non seulement cette confrontation n’est qu’ébauchée, mais elle n’apporte rien de nouveau dans la compréhension des théologies en présence. Si nous l’avons relevée, c’est pour la raison suivante : comment ne pas noter que, dans ces deux derniers débats, le débordement de la cause formelle se produit, comme par hasard, aux deux extrêmes, du côté de la source, la cause efficiente – le Saint-Esprit (en tant qu’il vient inhabiter le cœur du fidèle) –, mais aussi du côté du terme, de la cause finale – la gloire qui est l’union au Père (et aux trois Personnes divines) ? Il nous faudra revenir sur cette structure ternaire qui, loin d’être juxtaposée et statique, apparaît déjà comme une dynamique étroitement nouée.

Pascal Ide

[1] Dans l’ordre historique de parution, un article répondant au précédent, le théologien jésuite ouvre le feu :

  1. Theodor Granderath, « Die Kontroverse über die Formalursache der Gotteskindschaft und das Tridentinum », Zeitschrift für katholische Theologie, 5 (1881), p. 283-319.
  2. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache der Gotteskindschaft in den Gerechten und das Tridentinum », Katholik, 63 (1883) n° 1, p. 142-175 : Gesammelte Aufsätze, Freiburg-Basel-Wien, Herder, 1967, p. 169-202.

III. Theodor Granderath, « Die Kontroverse über den Formalgrund der Gotteskindschaft », Zeitschrift für katholische Theologie, 7 (1883), p. 491-540.

  1. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache unserer Gotteskindschaft – noch einmal », Katholik, 63 (1883) n° 2, p. 561-603 : Gesammelte Aufsätze, p. 203-237.
  2. Theodor Granderath, « Philosophisch-theologische Erwägungen über den Formalgrund der Gotteskindschaft », Zeitschrift für katholische Theologie, 7 (1883), p.
  3. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache unserer Gotteskindschaft – noch einmal », Katholik, 64 (1884) n° 1, p. 18-57 : : Gesammelte Aufsätze, p. 238-269.

VII. Theodor Granderath, « Die Kontroverse über den Formalgrund der Gotteskindschaft zum letzten Male », Zeitschrift für katholische Theologie, 8 (1884), p. 545-579.

VIII. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache unserer Gotteskindschaft – zum letztenmal », Katholik, 64 (1884) n° 2, p. 465-494 et 610-621 : : Gesammelte Aufsätze, p. 270-299.

[2] Observons du point de vue des sources, que saint Thomas n’a pas proposé un exposé complet sur la filiation adoptive. Sa doctrine théologique se répartit en trois traités : les missions divines, l’essence de la grâce, la dériation de la grâce capitale du Christ. Plusieurs concepts sont mis en avant : celui juridique d’adoption, celui métaphysique de participation, ceux biblique d’inhabitation ou d’incorporation au Christ.

[3] Cf. Luc-Thomas Somme, Fils adoptifs de Dieu par Jésus-Christ. La filiation divine par adoption dans la théologie de saint Thomas d’Aquin, coll. « Bibliothèque thomiste » n° 49, Paris, Vrin, 1997, p. 246-265. Cf. aussi Bernard Fraigneau-Julien, « Grâce créée et grâce incréée dans la théologie de Scheeben », 77 (1955), p. 337-358.

[4] Cf. Matthias Scheeben, Dogmatique, § 169.

[5] Cf., par exemple, Th. Granderath, « Die Kontroverse über die Foramlursache der Gotteskindschaft und das Tridentinum », I, p. 289-301. Le jésuite déploie sa thèse en deux temps : la justice de Dieu dont parle le Concile de Trente est la grâce créée (cf. p. 289-295) ; or, l’infusion de cette grâce créée fonde la filiation divine par adoption (cf. p. 295-301).

[6] Cf., par exemple, Theodor Granderath, « Die Kontroverse über die Foramlursache der Gotteskindschaft und das Tridentinum », II, p. 301-316.

[7] Cf. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache der Gotteskindschaft in den Gerechten und das Tridentinum », I, 1, p. 174-176.

[8] Cf. Theodor Granderath, « Die Kontroverse über den Formalgrund der Gotteskindschaft », première partie de l’article.

[9] Cf. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache unserer Gotteskindschaft – noch einmal », 1. A, p. 204-212.

[10] Cf. Ibid., 1. B, p. 212-217.

[11] ST, Ia-IIæ, q. 114, a. 3, ad 3um : « gratia spiritus sancti quam in praesenti habemus, etsi non sit aequalis gloriae in actu, est tamen aequalis in virtute, sicut et semen arborum, in quo est virtus ad totam arborem. Et similiter per gratiam inhabitat hominem spiritus sanctus, qui est sufficiens causa vitae aeternae, unde et dicitur esse pignus hereditatis nostrae ».

[12] Cf. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache der Gotteskindschaft in den Gerechten und das Tridentinum », II, p. 182-194.

[13] Cf. Theodor Granderath, « Die Kontroverse über den Formalgrund der Gotteskindschaft zum letzten Male », 1, p. 545-548.

[14] Cf. Ibid., 2, p. 548-553.

[15] Cf. Ibid., 4, p. 562-575.

[16] Cf. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache unserer Gotteskindschaft – zum letztenmal », I, p. 280-285.

[17] Cf. Theodor Granderath, « Die Kontroverse über den Formalgrund der Gotteskindschaft zum letzten Male », 3, p. 553-562, 3e point.

[18] Cf. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache der Gotteskindschaft in den Gerechten und das Tridentinum », 3, p. 195-202.

[19] ST, Ia, q. 33, a. 2 ad 4um.

[20] Theodor Granderath, « Philosophisch-theologische Erwägungen über den Formalgrund der Gotteskindschaft », I.2, p. 600-605.

[21] Cf. Ibid., II. 1,  p. 605-619.

[22] Cf. Ibid., les dernières pages de II. 2, p. 619-632.

[23] Cf. Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache unserer Gotteskindschaft – noch einmal », B. 1, p. 243-244.

[24] Cf. Ibid., B 2, p. 244-246.

[25] Cf. Ibid., C. 1, p. 248-249.

[26] Cf. Ibid., C. 3, p. 251-254.

[27] Cf. Ibid., C. 4, p. 254-256.

[28] Cf. Ibid., D. 2, p. 264.

[29] Cf. le deuxième article de Theodor Granderath, « Die Kontroverse über den Formalgrund der Gotteskindschaft », 3e partie, l’analyse de ST, Ia-IIae, q. 114, a. 3, ad 3um.

[30] Cf. la deuxième réponse de Matthias Scheeben, « Die Kontroverse über die Formalursache unserer Gotteskindschaft – noch einmal », p. 236-237 ; cf. aussi p. 231-232.

18.6.2021
 

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