« Faire du beau avec presque rien »

Marc Coville, d’où son nom d’artiste Marcoville, est connu pour recycler les déchets de notre société consumériste et en faire des œuvres belles. Parce que, répète-t-il, « avec rien, on peut faire quelque chose de beau ». Ce qui est vrai des choses l’est plus encore des personnes.

Rien ne le montre mieux que ce que Marcoville a entrepris avec de jeunes personnes à handicap vivant à Berck-sur-Mer [1]. En mai 2004, une dizaine d’élèves de l’Établissement régional d’enseignement et d’Éducation motrice Antoine de Saint-Exupéry, se rendent au musée d’Opale, à Berck, lors d’une exposition temporaire de Marcoville, pour participer à un atelier de pratique artistique avec l’artiste lui-même. Gravement atteints de différentes pathologies comme la myopathie, « la maladie des os de verre » (ostéosynthèse imparfaite), la majorité des élèves est en fauteuil roulant. Leur professeur propose à Marcoville de collaborer à une œuvre commune. Celui-ci accepte, mais à condition que cette œuvre soit faite de leur expérience, donc « chargée de douleur et de joie à la fois ».

La collaboration commence en novembre 2004, à raison d’une séance hebdomadaire pendant une année. Marcoville qui, né en 1939, a connu la pauvreté [2], leur redit qu’ils doivent créer une œuvre, non pas en dépit de leur infirmité, mais avec elle. Ne comprenant pas, les jeunes protestent énergiquement. Partir de leur handicap, affirment-ils, c’est continuer à s’identifier à lui et à la souffrance. L’artiste leur parle alors de vieux oliviers « tordus, pourris, sans presque plus de feuilles ; on croit qu’ils sont morts, mais tous les ans, ils fleurissent ». Les jeunes commencent à comprendre et, petit à petit, viennent travailler. En résonance avec la parabole de Marcoville, ils choisissent comme sujet, un arbre tordu qu’ils vont faire refleurir de leurs propres mains.

Pendant un an, l’équipe façonne le plâtre, travaille la filasse, apporte leurs anciennes prothèses, moulent leurs mains. Et, progressivement, l’on voit un arbre qui surgit de leurs prothèses et, à la fin, s’élèvera à quatre mètres de haut et pèsera plus d’une tonne ! Chacun apposera sa signature sur le tronc et leurs mains moulées seront autant de feuilles et de fleurs aux extrémités.

Ainsi, cet arbre que l’on croyait mort revit, au point que les jeunes le baptisent : « l’Arbre des possibles ». Il sera exposé à l’hôpital de la Salpêtrière, au milieu d’arbres en verre qu’a réalisés Marcoville. Affirmant que cette exposition est la plus belle qu’il ait jamais faite, l’artiste rapporte, ému, la parole d’un des jeunes : nous avons réalisé « l’irréalisable » ; cet Arbre dit « à tous que [notre] handicap, [nous vivons] avec, mais que jamais il ne [nous] empêchera de grandir et de toucher le ciel ». Le Ciel ?

Pascal Ide

[1] Raconté par Bertrand Berthod, Marcoville. « Faire du beau avec presque rien », Paris, Éd. CLD, 2025, p. 124-127. Cf. aussi site pascalide.fr : « La gratuité appelle la gratuité. La vocation de Marcoville ».

[2] « La pauvreté n’est pas la misère et la pauvreté n’empêche pas le bonheur d’une famille aimante » (Ibid., p. 11).

8.10.2025
 

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