L’estime de soi selon St Bernard

Saint Bernard de Clairvaux sur la bonne estime de soi

Commentant une phrase de Ct 1,2 : « Ton nom est une huile répandue [effusum] », saint Bernard de Clairvaux consacre toute une homélie à une longue méditation sur le don sage, c’est-à-dire ajusté. Au fond, une leçon d’estime de soi.

« Il faut bien se garder, d’une part de donner ce que nous avons reçu pour nous-mêmes, et d’autre part de retenir ce que nous avons reçu pour en faire largesse. Tu retiens pour toi-même le bien de ton prochain si, par exemple, tu es rempli de vertus [plenus virtutibus] et doué aussi extérieurement [foris adonartus] de science et d’éloquence, et que, par crainte peut-être ou par paresse, ou par une humilité indiscrète, tu enfermes dans un silence inutile, voire blâmable, ‘la bonne parole’ dont beaucoup auraient pu profiter. ‘Tu encours ainsi la malédiction des peuples, puisque tu leur dérobes le blé’. En revanche, tu gaspilles et tu perds ton bien si tu te hâtes de le répandre avant d’être toi-même entièrement comblé, toi qui n’est qu’à moitié rempli. Tu violes ainsi la loi qui défend ‘de labourer avec le premier-né d’une vache, et de tondre le premier-né d’une brebis’. Tu te prives toi-même de la vie et du salut que tu donnes à autrui, lorsque, sans pureté d’intention, tu te gonfles du vent ‘de la vaine gloire’ […].

« Si tu es sage, montre-toi vasque et non pas canal  Un canal reçoit l’eau et la répand presque tout de suite. Une vasque, en revanche, attend d’être remplie et communique ainsi sa surabondance sans se faire de tort. dans l’Église d’aujourd’hui, nous avons beaucoup de canaux, mais très peu de vasques.  Ceux qui font ruisseler sur nous les fleuves célestes ont une charité si grande qu’ils veulent se répandre avant d’être remplis. Ils sont plus enclins à parler qu’à écouter, prompts à enseigner ce qu’ils n’ont pas appris, et impatients de diriger les autres, alors qu’ils ne savent même pas se gouverner eux-mêmes. […]

« Mais tu vas me dire : ‘La charité ne cherche pas son avantage’ (1 Co 13,5). Oui, mais sais-tu pourquoi ? Elle ne cherche pas son avantage, parce qu’elle ne manque de rien. Qui chercherait ce qu’il possède déjà ? La charité n’est jamais dépourvue de son avantage, à savoir de ce qui est nécessaire au salut […].

« ‘Que mon âme soit rassasiée comme de graisse et d’huile, et ma bouche, la joie aux lèvres, chantera des louanges’ (Ps 62,6). David voulait d’abord recevoir l’infusion, et ensuite la répandre ; et non seulement recevoir d’abord l’infusion, mais même en être rempli. Il pourrait ainsi donner de sa plénitude au lieu de bâiller d’inanition. Avec prudence, bien sûr, pour ne pas se mettre dans la gêne en soulageant les autres ; mais aussi avec pureté, imitant celui ‘qui nous a tous comblés de sa plénitude’ (Jn 1,16). Apprends, toi aussi, à ne te répandre que lorsque tu es rempli : ne prétends pas être plus généreux que Dieu. Que la vasque imite la source : celle-ci ne s’écoule pas en un ruisseau, ni ne s’étale en un lac, avant d’être elle-même saturée. Il n’y a aucune honte pour la vasque à ne pas être plus prodigue que la source. Enfin, ‘la Source de vie’ (Ps 35,10), pleine en elle-même et par elle-même, n’a-t-elle pas commencé par jaillir en bouillonnant sur les espaces les plus proches et les plus secrets des cieux, ‘qu’elle a remplis de sa bonté’ ? Ensuite seulement, une fois remplis les lieux les plus hauts et les plus secrets, elle s’est déversée sur la terre, et de sa surabondance, ‘elle a sauvé les hommes et les bêtes, en multipliant sa miséricorde’ (Ps 35,7-8) […]. ‘Toi aussi fais de même’  (Lc 10,37). Laisse-toi d’abord remplir, aie soin ensuite de te répandre. […] Si tu le peux, aide-moi de ton surplus ; sinon, ménage-toi toi-même ».

Bernard de Clairvaux, Œuvres complètes. XI. Sermons sur le Cantique. 2. Sermons 16-32, trad. Paul Verdeyen et Raffaele Fassetta, coll. « Sources chrétiennes » n° 431, Paris, Le Cerf, 1998, Sermon 18, p. 88-105, ici p. 89-97.

 

23.12.2014
 

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