Du bon usage des Saints (Toussaint 2024)

Pourquoi fêter les Saints ? Comment en faire « bon usage » ?

 

  1. Pourquoi les Saints ?

Habituellement, dans la vie, nous empruntons deux chemins : la loi et/ou la vertu. Mais il y en a un troisième. Partons de l’épisode de l’homme riche que nous avons médité il y a trois semaines (Mt 10,17-31). Il demande à Jésus : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage ? » (v. 17). En utilisant la préposition « pour », il fixe le but : la vie éternelle, c’est-à-dire le bonheur, la vie divine en partage, l’union à Dieu et donc aux autres pour toujours. Mais, telle étant la finalité, quel est le chemin ? Jésus ne discute pas de ce but : il est d’accord avec son interlocuteur. Il lui propose un premier chemin : « Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre » (v. 19), etc. Ce premier chemin est donc celui de la loi. Que répond l’homme ? « Maître, tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse » (v. 20). La précision « depuis ma jeunesse » est précieuse. L’homme, que l’on qualifie de jeune à cause de cette incise, alors que, au contraire, il doit être adulte, a pratiqué cette loi depuis des années. Or, la pratique assidue engendre la vertu, c’est-à-dire la bonne habitude. Donc, la deuxième voie, c’est la vertu. Qu’est-ce que la vertu ? Au fond, c’est la loi intériorisée. Rappelez-vous. Quand vous étiez enfant, vous avez dû vous répéter les lois de multiplication, apprendre à faire du vélo en décomposant les gestes, en vous y reprenant à de nombreuses reprises, en tombant et en vous relevant. Et aujourd’hui, vous ne pensez plus à ces lois ; en devenant une seconde nature, elles sont devenues des vertus. Que l’homme emprunte aussi cette deuxième voie touche Jésus. Mais il lui en propose une troisième : « Viens, suis-moi » (v. 21). Ne considérons pas ici le contenu, à savoir la vie radicale de pauvreté choisie par Jésus, mais l’acte : suivre Jésus, c’est l’imiter. La troisième voie est l’imitation.

Et nous en avons tous besoin. La loi seule est culpabilisante, la vertu seule est décourageante, l’imitation, elle, est dynamisante. La loi est la partition notée, la vertu, la partition jouée. Mais il faut préciser : par nous-même ! Intermédiaire, nous avons besoin de voir la partition jouée par un autre, pour savoir que le but est accessible. Et c’est cela le modèle. Et tel est le rôle joué par les Saints.

 

  1. Mais aussitôt ne manquent pas de se lever des objections. Je me limiterai à deux.

Être saint, c’est finir rôti comme saint Laurent, être livré aux bêtes sauvages comme sainte Blandine, finir dans un camp de concentration comme saint Maximilien Kolbe, mourir de tuberculose généralisée dans des crises d’étouffement et des souffrances atroces comme sainte Thérèse de Lisieux, etc. Non, merci ! Même le programme des béatitudes n’apparaît pas grisant, en tout cas dans sa première partie : « Bienheureux ceux qui pleurent, sont persécutés », etc. !

Reconnaissons-le. Toute une hagiographie a proposé des figures de Saints beaucoup plus admirables qu’imitables. Telle cette vie de saint qui racontait que, petit enfant, il ne prenait pas le sein de sa nourrice une fois par semaine, le vendredi ! Mais qu’il est révélateur que les Saints les plus plébiscités ne soient justement pas ces exemples inaccessibles, mais les pécheurs convertis : de saint Augustin à Charles de Foucauld, en passant par la grande Thérèse et la petite ! L’année où paraissait enfin dans la prestigieuse collection « La Pléiade » les Confessions de saint Augustin, c’est la vie chahutée du converti d’Hippone qui fut le volume le plus vendu de cette collection ! Même à seize siècles de distance, elle nous parle toujours ! Il nous faudra encore du temps pour désencombrer les vies de Saints de l’accidentel comme la souffrance ou la prétendue perfection, et ne garder que l’essentiel : l’amour, la foi, l’espérance, l’humilité. Et, plus encore, la conversion permanente, c’est-à-dire la décision de changer en profondeur et fréquemment. « Vivre, c’est changer ; devenir saint, c’est avoir changé souvent ! », disait saint Newman.

Une deuxième objection peut monter en nous : la trahison des pères ! Nous avons parfois fait confiance à des figures de sainteté qui ont pu nous décevoir au point qu’aujourd’hui, au pire, nous sommes sceptiques, voire cyniques et, au mieux, nous nous limitons aux deux seuls Saints au-dessus de tout soupçon : Jésus et Marie. C’est excellent. Mais c’est dommage ! De fait, certaines personnes que l’on canonise prématurément de leur vivant ne sont pas des Saints. En outre, tout n’est pas imitable chez les Saints.

 

  1. Alors, comment procéder ? Du bon usage des Saints !
  2. D’abord, faites mémoire des figures exemplaires qui vous ont marqué ou qui vous marquent. Soit proches (tel parent, tel maître d’école), soit plus lointaines (tel Saint). Soit vivantes, soit décédées. Soit par toute leur vie, soit dans un domaine particulier, la vie professionnelle, par exemple (il n’est pas rare que nos modèles composent une mosaïque diversifiée). Prenez le temps de vous en souvenir et sentez combien ils vous ont dynamisé. Le propre d’un modèle est qu’il nous donne de l’énergie. Il nous donne envie d’atteindre le sommet de la montagne, comme eux et avec eux. Et nous pouvons alors puiser dans cette énergie pour mettre en place les vertus au jour le jour.
  3. Opérez un discernement. Entre ce que j’appelle le fil d’argent et le fil d’or. Le fil d’argent, c’est la mission propre au Saint. Le docteur Assailly disait un jour à Marthe Robin (qui est Vénérable), la stigmatisée de Chateauneuf-de-Galaure : « Je ne pourrai jamais vivre comme vous, supporter la Passion du Christ toutes les semaines ! » Elle répondit avec la simplicité qui la caractérise : « Moi non plus, Docteur, je ne pourrais pas vivre ce que vous faites, vous occuper de vos patients ! Chacun sa vocation ! » Le fil d’or, ce sont ses vertus. Le professeur Jérôme Lejeune est maintenant vénérable. Assurément, son génie n’est pas imitable (il a découvert la trisomie 21 et il aurait dû être prix Nobel). En revanche, il offrait un bouquet de fleurs à son épouse Birthe tous les jours ! Et j’ajouterai un troisième fil, sombre, celui-là : les défauts des Saints. Les exemples les plus connus sont les Saints de l’Évangile : si Pierre est Saint, ce n’est assurément pas pour sa forfanterie pour pour sa trahison ; mais c’est pour les larmes de son repentir, l’humilité de sa conversion, son service du Christ jusqu’au don de sa vie.
  4. Mettez-vous à l’école d’un Saint. Lisez des vies de Saints, régulièrement. Cela fait combien de temps que vous n’en avez pas vu ou lu ? Et choisissez une figure de sainteté qui vous corresponde. J’ai récemment entendu une conférence sur la vie de la poétesse Marie-Noël. En l’entendant, je me suis dit : quel bel exemple pour les solos ! Elle ne rêvait que d’une chose : se marier et avoir des enfants. Mais elle est restée célibataire toute sa vie. Et elle en a souffert jusqu’à sa mort. Mais elle a résolument choisi de suivre le Christ, le servir dans ceux qui l’entouraient, de ne pas se replier sur elle. On la voit souvent comme une poètesse sombre, voire dépressive. C’est faux ! Elle disait elle-même : « Oui, je suis triste pendant une heure dans la journée. Mais le reste du temps, dès que je me tourne vers Dieu et vers les autres, je suis joyeuse ». Sainteté joyeuse, sainteté vertueuse !

Pascal Ide

 

1.11.2024
 

Comments are closed.